Deux jours après le déjeuner à Plénitude avec tous les premiers grands crus de Bordeaux, je pars de bon matin vers le pressoir de la maison Bollinger à Mareuil-sur-Aÿ, car je serai membre du jury de la quinzième édition de la compétition de dégustation à l’aveugle créée par Sciences Po Paris et réservée à 14 grandes écoles françaises, mais aussi à une fidèle école, celle d’Oxford.
Chaque école est représentée par trois élèves. Il y a deux écoles par table. Les épreuves comportent quatre séries de quatre vins. Pour chaque série les élèves disposent d’un temps limité. Ils doivent donner pour chaque vin le cépage, l’année, la région, l’appellation et le viticulteur. Inutile de dire que jamais je ne serais admis à concourir pour de tels exercices.
Les copies sont traitées par des experts qui ne sont pas le jury dont je fais partie. On détermine les cinq meilleures écoles qui vont avoir à passer de nouvelles épreuves de dégustation puis un questionnaire de culture générale sur le vin. C’est beaucoup plus difficile.
Les correcteurs classent les cinq premières équipes qui font la deuxième partie des épreuves et après correction donnent le résultat : les deux premiers sont HEC et Normale Sup.
Ces deux équipes candidates à la victoire dégustent des vins et répondent aux questions générales et c’est maintenant au jury de jouer son rôle en jugeant l’épreuve orale. Chaque élève d’une équipe va décrire un des vins, donner ses caractéristiques et l’identifier. Il doit aussi, au moins pour un vin, proposer un accord mets et vins.
Nous allons juger ces prestations comme le font les jurys des concours de sommellerie et je suis impressionné par les connaissances et l’aisance de ces jeunes élèves.
Après la prestation des six élèves nous nous réunissons en petit comité avec les membres du jury dont le directeur de Bollinger, le secrétaire général et l’œnologue, un expert de Bettane & Desseauve et moi. Un détail mérite d’être signalé. Pour le jury, l’un des vins est un bordeaux. La seule femme des six élèves, de l’équipe HEC, dit aussi bordeaux et sa présentation est une des plus réussies. Mais manque de chance, il s’agit d’une Côte Rôtie La Landonne de Guigal. Il est assez difficile d’en vouloir à la jeune élève quand le jury a fait la même erreur.
Après de longues délibérations car les deux équipes d’étudiants ont été brillantes, nous avons déclaré vainqueur le groupe d’élèves d’HEC.
J’ai demandé aux organisateurs de Science Po que les deux équipes gagnantes soient à la même table avec moi et avec les organisateurs de Science Po, afin qu’ils puissent goûter les vins du déjeuner à Plénitude d’il y a deux jours, dont j’avais gardé les fonds de bouteilles. Les seuls vins qui avaient été bus entièrement étaient l’Yquem 1935, le Lafite 1955 et le champagne Heidsieck 1955.
Les élèves ont été émerveillés de goûter ces vins qui sont d’un monde qui leur est inconnu. Les voir aussi joyeux est un immense plaisir pour moi. Ils ont été impressionnés par la jeunesse de ces grands vins qui ne montrent aucun signe de faiblesse, sauf le Château Margaux 1905 qui a quasiment rendu l’âme. La plus belle surprise pour eux est la Malvoisie 1875 tellement puissante et expressive, avec une longueur infinie.
Je me suis rendu compte que je serais incapable de faire ces concours. Ma consolation est d’avoir émerveillé ces jeunes amateurs de vin si sympathiques.
Merci à la maison Bollinger qui a permis que se tienne cette belle compétition et merci aux organisateurs de Science Po qui m’ont fait l’honneur de m’inviter au jury.