297ème dîner au restaurant Maison Rostangmercredi, 28 mai 2025

Un ami qui a participé à plusieurs repas et m’a demandé d’en organiser soit pour des amis soit pour des relations professionnelles me demande d’organiser un dîner pour des amis proches qui partagent le même loisir, la chasse. Nous serons onze au restaurant Maison Rostang Nicolas Beaumann.

J’arrive à 15h30 au restaurant pour ouvrir mes bouteilles et je suis accueilli par Frédéric Rouen le directeur et par Jérémie le sympathique sommelier sans qui je ne serais peut-être jamais arrivé au bout de cette opération. Les premières bouteilles s’ouvrent assez facilement et quand j’ouvre le Haut-Bailly 1964, je ressens une odeur de bouchon. Elle est moins forte que celle du Y d’Yquem 1985 ouvert au dernier repas, mais elle est là. Alors nous allons utiliser la même méthode en créant un rouleau de cellophane que l’on trempe dans la bouteille. Au bout d’une heure, le nez de bouchon a un peu diminué et nous choisissons de garder le bâton de cellophane dans la bouteille une heure de plus.

Passant maintenant à l’ouverture de l’Ausone 1978, à peine ai-je piqué le tirebouchon que le bouchon glisse vers le bas, et malgré mes précautions il reste dans le bas du goulot. Il faut donc carafer le vin, extraire le bouchon, laver la bouteille vide et la sécher, puis remettre le vin dans la bouteille. On est très loin de l’oxygénation lente, mais on ne peut faire autrement.

Les ouvertures continuent avec des parfums très engageants, et je croyais être tranquille pour finir avec la Malvoisie 1828 car elle a un tout petit bouchon sous un chapeau de cire, mais une nouvelle fois le bouchon est tombé dans le liquide. Nous avons dû à nouveau utiliser une ficelle de cuisine pour enlever le bouchon lorsque le vin est carafé. La patience de Jérémie a été une aide précieuse.

Pour le 297ème dîner de wine-dinners, nous sommes onze dont dix chasseurs et moi non chasseur. Il y a deux femmes et neuf hommes. Huit ou neuf des convives sont des nouveaux participants à mes dîners. La joie d’être ensemble de ce groupe d’amis est un plaisir à voir et à partager. Ils ont tant à se dire que j’ai eu peur d’être isolé mais pas du tout, nous avons pu bavarder et vivre ensemble la belle aventure de ce repas.

Le menu préparé par le chef Nicolas Beaumann est : amuse-bouches / tourteau de casier décortiqué en fine gelée / homard bleu cuit au barbecue, les premières girolles, jus de la presse / rouget maturé, courgette, sauce des arêtes au vin rouge / volaille de Bresse, le suprême mariné à l’eau de noix, salsifis à la reine-des-prés et jus au vin jaune / asperge blanche des Landes sauce hollandaise / stilton / tarte tatin de mangue / financier.

Le Magnum Champagne Laurent Perrier Grand Siècle base 1996 1997 1999 avait fait un joli pschitt à l’ouverture. La couleur est claire et la fine bulle est abondante. C’est un champagne très confortable et engageant. Les amuse-bouches ont des goûts très forts et épicés et le champagne s’y adapte bien.

L’Y d’Yquem 1988 a une couleur très claire pour son âge et montre un joli botrytis qui lui donne des muscles. Sur le tourteau, c’est un vrai bonheur.

Les deux bourgognes blancs cohabitent avec le délicieux homard et sont radicalement différents. Le Bâtard-Montrachet Etienne Sauzet 1990 est très foncé et d’une grande richesse qui crée un accord avec la sauce du plat.

Le Chassagne-Montrachet Les Caillerets Ramonet 1988 est beaucoup plus clair et beaucoup plus délicat. Sa finesse est rare. Il est idéal avec la chair du homard.

Le rouget a été préparé pour s’accoupler aux deux Bordeaux. Le Château Haut-Bailly 1964 a quasi totalement perdu son parfum de bouchon et ce qui reste ne gêne pas le goût, au point qu’un des convives le mettra premier dans son vote. Le vin est lourd, truffé, très racé.

Le Château Ausone 1978 a été doublement carafé mais cela n’a pas altéré sa noblesse. C’est un grand vin au goût de truffe, idéal pour le rouget. L’accord a été parfait avec ces vins dissemblables.

Nous allons entrer sans le savoir sur le chemin du sommet du repas avec deux bourgognes éblouissants. Le Château Corton Grancey Louis Latour 1959 est un vin élégant, subtil, plein de charme.

Le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 est un vin puissant, cohérent, parfaitement accompli. Je l’avais déjà choisi dans 14 de mes dîners et il avait été premier 7 fois, second 3 fois et quatrième une fois. Il va être premier pour sa quinzième apparition. Il fait donc partie comme le Nuits Cailles 1915 de Morin Père & Fils des vins qui sont des valeurs sûres à chaque fois qu’ils sont servis.

Quand mes convives ont été servis des deux vins, ils ont compris qu’ils étaient en face d’une forme de perfection absolue des vins de Bourgogne. J’ai ressenti qu’ils étaient émerveillés, car ces goûts sont extrêmement rares.

Lorsque j’avais mis au point le programme des vins avec l’organisateur de ce repas, il m’avait dit : j’aimerais bien remplacer le Corton Grancey par un vin de la Romanée Conti et j’avais répondu que ce n’était pas possible, pour la cohérence du repas. Et j’ai fait imprimer les menus qui ne mentionnent aucun vin de la Romanée Conti.

C’est donc une surprise quand l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2014 est servi, accompagné d’un saint-nectaire. Ce vin tout en douceur, délicat est une belle promesse de grand vin mais on voit bien qu’après les deux autres bourgognes, il manque de corps et de largeur. Mais il est adorable quand même.

Le Château Grillet 1986 est un extraterrestre, un OVNI, car son goût ne correspond à rien d’autre. Déjà, au nez, on aurait peine à dire si c’est un vin blanc ou un vin rouge. En bouche, il est d’une solidité extrême et d’une personnalité unique, sans repère. Avec l’asperge blanche, l’accord est magique. Beaucoup sont surpris de l’audace de mettre l’asperge à ce moment du repas mais ils conviennent que cela est pertinent.

Le Château d’Yquem 1956 avait un bouchon d’origine. Sa couleur est extrêmement foncée, presque noire et son parfum est intense. Il a bénéficié d’un fort botrytis. Il est rond et joyeux, porteur de bonheur. L’accord avec le stilton est parfait et l’accord avec la Tatin de mangue est sensuel. C’est un grand Yquem à la longueur infinie, suave et séducteur.

La Malvoisie Canaries 1828 est aussi un OVNI car au-delà de son goût riche et dense de vin liquoreux muté, il offre la fraîcheur d’un vin mentholé, frais comme un Xérès. Là aussi on est en face d’un vin à la longueur infinie. Le financier crée un équilibre parfait avec ce vin de 197 ans du 297ème dîner. La magie des chiffres.

Il est temps de voter. Je sens que ce groupe si sympathique a été surpris par la qualité des vins.

Les deux bourgognes de 1959 et 1961 cannibalisent les votes. Ils ont chacun quatre votes de premier. La Malvoisie 1828 comme le Château Grillet 1986 et le Haut-Bailly ont chacun un vote de premier.

Le vote de la table est : 1 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 2 – Château Corton Grancey Louis Latour 1959, 3 – Château d’Yquem 1956, 4 – Château Grillet 1986, 5 – Malvoisie Canaries 1828, 6 – Château Haut Bailly 1964.

Mon vote est : 1 – Malvoisie Canaries 1828, 2 – Château d’Yquem 1956, 3 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 4 – Château Grillet 1986, 5 – Château Corton Grancey Louis Latour 1959.

Les accords ont été pertinents. Les plus beaux sont ceux avec le homard, le rouget et la volaille. Le plus original est celui de l’asperge avec le Château Grillet vin le plus énigmatique et passionnant de ce fait.

Nicolas Beaumann a fait une cuisine idéale pour les vins et Jérémie a géré le service des vins avec une attention qui mérite des compliments.

La complicité joyeuse de ce groupe d’amis a créé une ambiance chaleureuse. Ce dîner fut porteur de bonheur.