Dîner au château de Beaune avec des vins de Bouchard du 19ème sièclevendredi, 17 novembre 2006

Nous nous rendons au château de Beaune où l’apéritif nous permet d’évoquer nos impressions sur les vins de 2005 que nous avons goûtés à la cuverie. Nous goûtons un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1988. Ce champagne a une personnalité imprégnante. Vineux, typé, il passe en force. C’est un très grand champagne envoûtant. Serena Sutcliffe avec qui je bavarde me confirme l’impression d’un saut qualitatif majeur de la maison Bouchard Père & Fils avec cette nouvelle cuverie.

Nous passons à table dans l’orangerie et Stéphane Follin Arbelet présente les salutations de Joseph Henriot, triste de ne pas célébrer avec nous ce symbolique 275ème anniversaire. Le menu est très raffiné : émulsion de potimarron aux truffes / terrine de foie gras de canard légèrement fumé au pain d’épices / bar de ligne rôti aux fruits secs et au beurre citronné / suprême de volaille aux morilles, riz sauvage et petits légumes / noisette de chevreuil, superposé de pomme Golden à la crème de céleri / Comté et fromage de Citeaux, pain aux noix / manon aux poires, coulis de framboise.

Le Chevalier Montrachet en magnum Bouchard Père & Fils 1992 a un nez très beurré. En bouche, le beurré est très clair. Il y a une astringence minérale qui me gêne un peu, qui sera confirmée sur un deuxième magnum. Je suis troublé par la combinaison du citron vert et du crémeux. Cela limitera un peu mon plaisir. C’est peut-être une phase actuelle de ce vin que j’ai connu plus rond.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1939 a été vendangé en partie sous la neige. Peut-on imaginer cela ? Yann me sert un fond de bouteille. Le nez est phénoménal, fait de thé, de fruits comme la grenade, de poivre et de piment. En bouche, c’est sublime. Le bois est un bois de pin sur un fond crémeux. C’est onctueux, combinant le gras et le sec. Eblouissant sur le plat. Le vin est profond et sa complexité apparaît sur la figue. Un deuxième verre est plus strict, mais l’émotion est intacte. Je sens le thé. Le nez devient éblouissant quand le vin s’ouvre. La bouche devient somptueuse. Ce vin aurait besoin de beaucoup plus d’oxygène.

Je connaissais déjà le Meursault Charmes Bouchard Père & Fils 1846 que j’ai commenté dans un bulletin. Il se présente avec un nez d’ananas, d’un équilibre rare. Quelques traces de fruits confits. En bouche, il y a des notes d’agrumes, une acidité absolument élégante qui montre que ce vin a un avenir infini. Le final est d’un équilibre absolu, avec des fraîcheurs de fruits jaunes. Il grandit encore quand il s’oxygène, prenant des notes magiques d’agrumes qu’équilibre une petite trace de vanille. Habitué maintenant à ces vins qui dépassent les 150 ans, je trouve « normal » qu’ils aient cette perfection. Mais, convenons-en, c’est totalement renversant. Stéphane me demande de commenter ce vin. Je rappelle mes notes précédentes que j’avais apportées et lis mes notes de ce soir. Le journaliste du New York Times spécialiste du vin est venu me demander de lui communiquer ces commentaires pour un futur article. Ça fait plaisir.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1990 est totalement charmant, tout en douceur. Le boisé est bien organisé. On sent la truffe. Il tient en bouche remarquablement. Il y a quelque chose de magique dans Le Corton par la gestion très raffinée du boisé. Tout ici est en retenue. C’est une grande promesse pour demain.

Le Volnay Caillerets ancienne cuvée Carnot Bouchard Père & Fils 1929 est une invraisemblable surprise. Sa couleur est irréelle. Le nez est très jeune et animal. Un voisin de table évoque l’after-eight, chocolat et menthe. J’y vois plutôt du café. Ce vin est une surprise par sa pétulance endiablée.

Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1865 a un nez très pur. Je l’avais déjà goûté en même temps que le 1947, et la constance de personnalité m’avait impressionné. Une fois de plus ce vin est jeune, avec une sorte d’évidence. Il y a un petit côté Porto qui me rappelle le Cheval Blanc 1947 bu il y a seulement deux jours. Un peu de fumé, de tison. Sa jeunesse éblouit. C’est un vin légendaire à la trace alcoolique très nette. Un voisin de table me pose cette question : « si vous cherchez dans ces vins de la jeunesse, pourquoi ne pas boire plutôt des vins jeunes ? ». Je lui réponds que ces vins anciens existent. Il faut donc les boire. De plus, la jeunesse, on la constate, on ne la recherche pas. On recherche plutôt la complexité aromatique.

la cave de Bouchard n’est pas nettoyée au plumeau !

Le

Si la jeunesse insolente de ces vins m’impressionne, car aucune autre cave privée n’a les mêmes conditions idéales de conservation, ce qui m’enthousiasme ce sont les saveurs invraisemblables et les synthèses  intégrées de ces vins. Aucun vin de dessert n’ayant été prévu, je servis discrètement à mes voisins de table le Bourbon 1900 que j’avais pris dans ma musette pour ce voyage pour le partager avec des amateurs. Il s’accorda très bien avec le dessert.

Une fois de plus la féerie des vins extraordinaires de la collection Bouchard a impressionné de très grands spécialistes des vins. J’ai pensé au plaisir que j’aurais eu à partager ces trésors avec Joseph Henriot.

En rentrant à l’hôtel, je me suis fait la réflexion suivante : dans une cave privée, on trouve des 1928 et 1929 brillants de vie. Cela arrive fréquemment si la cave est bonne. La cave Bouchard dispose de conditions de température et d’hygrométrie qui permettent au vin de se conserver plus longtemps. Mais de là à ajouter 80 ans, je ne crois pas que l’effet lié à la cave ait cette ampleur. J’en déduis la réflexion suivante : si l’on constate avec plaisir que la cave Bouchard permet à des vins de 160 ans de prouver qu’ils ont encore de l’avenir, je ne vois pas pourquoi l’on mettrait en doute qu’une bonne cave privée ait des vins de 80 à 100 ans qui aient aussi un bel avenir. Il faut croire en ce patrimoine français beaucoup plus vivant qu’on ne l’imagine. La maison Bouchard lui apporte sa percutante démonstration.