visite à Dom Pérignon, dégustation et repasjeudi, 29 janvier 2009

Etienne de Montille qui participait au dîner de vignerons que j’avais organisé en décembre me demande les coordonnées de Richard Geoffroy, l’âme de Dom Pérignon. Dans mon message de réponse est glissée cette invite : « si tu vas lui rendre visite, j’aimerais venir avec toi ». Peu de temps après le jour est choisi. J’arrive un peu en avance à l’abbaye d’Hautvillers par un temps froid et ensoleillé. La grande salle de dégustation est déjà préparée, avec les verres de dégustation alignés. Etienne de Montille est accompagné de Jeremy Seysses, du domaine Dujac et trois américains, épouse de l’un, amie de l’autre et un ami journaliste du vin. J’étreins Richard tout souriant de nous voir.

Nous commençons à goûter Champagne Dom Pérignon 2000. Son nez est envoûtant. La bulle est ultra fine. La noix, la noisette, le toasté envahissent les narines et le palais. La longueur est belle. Ce champagne s’améliore à chaque fois que je le bois, comme c’est souvent le cas pour Dom Pérignon. Comme nous sommes avec des vignerons, les questions techniques abondent mais elles sont toujours abordées avec subtilité et poésie. Richard Geoffroy parle de vision esthétique dans sa façon de composer Dom Pérignon et de « paradoxe ». Dom Pérignon est une sorte de « benchmark » dans le monde du champagne, mais il n’est pas typique du champagne. Richard Geoffroy dit que son style est singulier, idiosyncratique. Il sait cultiver la différence, quitte parfois à user de provocation. Il parle de sa philosophie de l’intensité, qui est évidemment très différente de la recherche de la force et de la puissance. Richard Geoffroy parle de « complétude », combinaison de recherche d’un vin complet et complexe. Pendant cet échange de propos le vin s’épanouit, gagnant en minéralité et en iode. Sa bulle est forte.

Nous goûtons ensuite le Champagne Dom Pérignon rosé 2000 qui ne sera commercialisé qu’en septembre 2009. Le nez est discret et doux. La couleur est d’un rose délicat, sans aucune trace d’orange. La bulle est très fine. Je le trouve très vineux, plus vin que champagne, assez strict, un peu sec, ne jouant pas sur la suavité et le charme. Richard Geoffroy dit que ce Champagne Dom Pérignon rosé est glorieux, ce qui me surprend. Mais lorsque le vin s’ouvre dans le verre, on comprend mieux la remarque de Richard Geoffroy car le vin s’adoucit et l’on sent même du fruit confit.

Richard Geoffroy insiste beaucoup sur le caractère réducteur des vins, qui explique notamment que la couleur des champagnes reste d’une jeunesse étonnante comme on le verra plus tard. Le Champagne  Dom Pérignon Œnothèque 1995 dégorgé en 2006 a une couleur d’un jaune discret, encore vert. La bulle est très fine. Le nez est minéral, d’ardoise humide. L’attaque est acide, le champagne est très vert, mais tout cela s’assemble dès que quelques degrés de plus réchauffent le vin dont la minéralité demeure.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1996 dégorgé en 2008 ne sortira sur le marché que dans plus d’un an. Si Richard Geoffroy l’a inclus dans le programme, c’est qu’il avait envie de suivre son évolution. Le nez est très champagne, sans doute le plus pur des trois à ce stade. Il représente pour moi la pureté absolue du champagne, celle d’un « vrai » Dom Pérignon. Sa longueur est extrême. Etienne et Jeremy signalent sa présence tannique alors que le vin n’a jamais connu de bois, à l’exception du bouchon lorsqu’on lui en a mis un. Quand la température augmente, je ressens les fleurs blanches que j’aime tant dans Dom Pérignon.

Les deux derniers champagnes nous sont servis ensemble, le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1975 dégorgé en 2007 et le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1966 dégorgé en 2004, servi en magnum. Les deux vins ont des couleurs très claires, que l’on n’imaginerait jamais de vins de ces âges. Le 1975 a un nez acide mais profond. En bouche, il est complexe, très subtil, tout en suggestion calme. On devine le fruit. Le 1966 a un nez minéral. Je le trouve éblouissant, phénoménal et d’une profondeur énorme. Quand Richard Geoffroy remarque un léger défaut, cela n’altère pas mon jugement, car comme le signale Richard Geoffroy, la « matrice » du champagne est intacte. Etienne qui est conquis par les deux vins, dit que le 1975 a l’esprit Meursault et que le 1966, c’est l’esprit Chevalier-Montrachet. Le 1966 continue de m’émouvoir même si progressivement son défaut qui n’est pas que de bouchon grandit avec le temps.

Comme je l’avais déjà fait en ce lieu, je fais servir un vin du Jura, car je trouve que la continuité gustative va jusqu’à l’osmose. J’ai choisi un Château Chalon Vichot-Girod de Névy-sur-Seille 1959 que j’ai pris ce matin dans ma cave. La couleur est d’un bel or et le vin est légèrement trouble du fait du voyage. Patrick, le sommelier, a brisé le bouchon qui est tombé dans la bouteille. Je sers les verres et extirpe un à un les morceaux tombés dans le liquide. Mon intuition est que le vin du Jura ira avec le 2000 qui avait offert des évocations de noix très nettes.  Et l’osmose est incroyable. Le Château Chalon se place d’emblée en chevalier-servant  du 2000 qui prend une ampleur rare et domine le vin jaune. J’essaie ensuite avec le 1966 et le Château Chalon continue de jouer le rôle de Monsieur Loyal, épanouissant le champagne en lui apportant plus de joie.

Nous nous dirigeons ensuite au restaurant « Les Grains d’argent » à Dizy que Richard visite pour la première fois. Le décor est agréable, le service est attentionné, mais on sent une atmosphère guindée qui veut se pousser du col. La jeune fille qui annonce les plats impose le silence pour délivrer son message. Quand j’ai suggéré que l’on apporte des verres pour finir le Château Chalon la patronne m’a regardé avec effroi, comme si je lui faisais des propositions que la morale réprouve. Elle a refusé. Je n’ai pas insisté. Tout ceci est assez poussiéreux, mais la cuisine est bonne. Le marbré de foie de canard aux truffes est extrêmement goûteux, la matelote d’anguille en cocotte est vraiment de première grandeur et la volaille de Bresse en demi-deuil, risotto crémeux aux truffes est bien exécutée. L’absence du Château Chalon se fait cruellement sentir sur ce plat. Le repas s’est agrémenté de Champagne Dom Pérignon 1999 qui est d’un épanouissement croissant. Richard aime son enfant mais ce n’est pas celui que je préfère de la série 96, 98, 99, 00. Comme on le sait, ces Champagne Dom Pérignon sont tous différents et trouvent leurs amoureux.

La joyeuse bande continuait son chemin en champagne, dont Salon. La tentation était forte de les suivre, mais demain, c’est l’académie des vins anciens. Il faut être raisonnable, même si le monde du champagne m’enflamme. J’ai donné le reste du Château Chalon à cette jeune bande d’amis. Cette visite à Dom Pérignon fut un grand bonheur.