verticale de Léoville Barton et Langoa Barton au restaurant Tailleventvendredi, 15 décembre 2006

Je revois le lendemain Bipin Desai qui organise au restaurant Taillevent un dîner en l’honneur d’Eva et Anthony Barton, propriétaires du Château Léoville-Barton et du Château Langoa-Barton. Nous participerons à seize convives, la fine fleur de ceux qui parlent du vin, à une de ces verticales dont Bipin a le secret. Je reconnais beaucoup d’habitués. Bipin demande à trois personnes de commenter les vins présentés en trois séries, Raoul Salama de la Revue du Vin de France, Jancis Robinson, la célèbre critique œnologique et votre serviteur. Je sors donc mon petit carnet pour prendre des notes et, comme le lecteur y est habitué, dans ces grandes séries de vins, les notes sont prises à la volée, sans recherche littéraire, car le temps est compté. L’apéritif se prend dans l’intimiste salon chinois, avec un champagne Taillevent fait par Deutz qui s’inscrit avec les gougères dans le théorème « pain vin saucisson » : chaque composante appelle les autres dans une ronde sans fin.

Nous passons à table pour un repas toujours aussi raffiné dont les sauces sont subtiles et d’une précision extrême : épeautre du pays de Sault en risotto, cuisses de grenouilles dorées / coquilles Saint-jacques dorées, mousseline de céleri et velouté de cresson / canard de Challans rôti aux épices, potiron et betterave au jus / Ossau Iraty, confiture de cerises noires / feuille à feuille au chocolat et au marrons.

La première série de vins comprend Léoville Barton 1985 – 1986 – 1993 – 1995 et Langoa Barton 1966 – 1986 – 1996 – 2001.

Le Langoa Barton 2001 a un nez intense et dense. Il est astringent, montre quelques limites. Un certain manque de largeur de vues. Le Langoa Barton 1996 a un joli nez, moins acide. En bouche, il a le même aspect astringent. Il est à peine plus ouvert, comme si c’était le même vin. Le Léoville Barton 1995 a un nez fermé. Il convient de dire que dans chaque série, les premiers vins que l’on découvre sont les moins ouverts dans le verre. En bouche après un aspect un peu aqueux, on sent que le vin va se découvrir et s’ouvrir, vin plus riche et plus complexe.

Le Léoville Barton 1993 a un nez plus flatteur, plus ouvert. Il démarre assez bien, mais dévie assez vite vers un vin un peu plus fatigué. Le Langoa Barton 1986 a un joli nez de 1986. Il est très subtil et commence à s’ouvrir, même si les vins sont encore froids. Le Léoville Barton 1986 a un nez plus confituré, plus chou rouge. En bouche il est d’une belle finesse, élégant. Le Léoville Barton 1985 au nez qui donne envie de boire est plus tenu, plus avancé, il met en valeur le 1986. Le Langoa Barton 1966 a un nez plus évolué mais extrêmement joli. En bouche il est très beau, à peine amer, bien typé.

Le jugement change lorsque l’oxygène fait son œuvre. J’aime beaucoup le 2001, à la jolie épice, qui s’exprime bien. Le 1993 est facile à boire aujourd’hui, élégant, de bel équilibre. Le 1985 devient de plus en plus élégant et le 1966 est très plaisant. Je fais mon petit classement personnel : 2001 / 1985 / 1966 / Langoa Barton 1986. Raoul Salama donne une analyse très documentée sur les évolutions et les progrès qui ont été accomplis aux châteaux et donne des préférences qui ne sont pas les miennes. Les discussions passionnantes autour de la table avec les avis de Clive Coates, David Peppercorn, Serena Suttcliffe et d’autres montreront que tous nos avis différent, ce qui est un grand compliment à faire à ces deux vins.

La deuxième série comporte Léoville Barton 1950 – 1982 – 1989 et Langoa Barton 1955 – 1982 – 1989.

Entre les deux 1989, c’est le Léoville Barton qui est plus profond au nez. Mais je trouve en bouche un charme énorme au Langoa Barton et j’inscris sur mon carnet : « que du plaisir ! ». Le Langoa Barton 1982 est bouchonné et par manque de chance on le remplace par un autre bouchonné. Cela donnera lieu à un incident d’alcôve qui émouvra Jean-Claude Vrinat plus qu’il n’eût fallu, car nous sommes capables d’admettre ces petits incidents de parcours. Le Léoville Barton 1982 est un très beau vin. Il a une profondeur qui me plait. Le Langoa Barton 1955 est un vin déjà un peu évolué découvrant son alcool et un goût de prune. Il est assez joli. Le Léoville Barton 1950 me trouble par son côté bonbon anglais et confiture de rose. Le nez est doucereux et la bouche est très fruit rouge. Il me rappelle avec insistance cette étoupe que j’avais sentie dans la cave de Clos de Tart il y a un an. Le Langoa Barton 1989 est un vin de plaisir quand le Langoa Barton 1989 est plus structuré mais plus strict. Le Léoville Barton 1982 est un grand vin est je classe Léoville Barton 1982, Langoa Barton 1989 et Langoa Barton 1955.

La troisième série comporte : Léoville Barton 1959 – 1990 – 2000 – 2003 et Langoa Barton 1949 – 2000 ainsi que des magnums de Langoa Barton 1948 – 1961. Je me concentre, car je dois en parler.

Le Léoville Barton 2003 a un nez d’une rare séduction. En bouche, il est brutal, tout fou, attendant d’être dompté. Un vin qu’il faut attendre. Le Langoa Barton 2000 est plus humain, plus terrien, il sent les épices raffinées. Un vin de plaisir absolu. Le Léoville Barton 2000 est dans la logique des vins, mis en valeur par son compère. Le Léoville Barton 1990 m’évoque une promenade en forêt, le cassis. Je l’aime. Le Langoa Barton 1961 est charmant, fruité, vin de plaisir. Il ressemble beaucoup au Léoville Barton 1950.

Le Léoville Barton 1959, ça, c’est du vin, avec des évocations de café. C’est tout à fait le goût que j’aime. Le Langoa Barton 1949 est joli mais discret. Il évoque un peu le Porto. Un peu trop doux pour mon goût. Le Langoa Barton 1948 est un peu avancé, mais authentique. J’y vois de la menthe. Il est charmant, avec mêmes des notes bourguignonnes. Revenant de l’un à l’autre je leur trouve plus de charme. Mon classement change souvent. Je le stabilise à : Léoville Barton 1959 / Langoa Barton 1961 / Langoa Barton 1949 / Léoville Barton 1990.

Beaucoup d’experts voteront pour le 1948. Ce qui m’a frappé, c’est que le Léoville Barton n’a jamais vraiment dominé le Langoa Barton. Ces deux Saint-Julien sont de grandes expressions de leur terroir et des symboles de leur appellation. Les boire sur de belles années et sur la cuisine de Taillevent donne des démonstrations convaincantes.