un beau repas avec deux vignerons amisvendredi, 14 août 2009

Il y a dix-huit mois, nous avions été invités dans leur maison du Vaucluse par Anne-Françoise Gros et François Parent avec le cousin que nous logeons cet été, pour une mémorable dégustation verticale de onze millésimes du Pommard Epenots Domaine Parent depuis 1886, avec des millésimes légendaires comme 1904, 1915, 1928, 1933, 1947, 1959. La générosité et l’amitié de ces deux vignerons nécessitaient une réciproque. Nous les recevons dans le sud. Pas question bien sûr de leur faire boire leurs propres vins. Le choix se fait avec mon gendre dans les stocks dont nous disposons. J’ai demandé à Yvan Roux de nous faire un agneau de sept heures, car il n’y a pas de meilleur ami des vins rouges. Le menu n’est pas franchement d’été, mais les vins priment.

Sur de fines tranches d’une poutargue très moelleuse, le Champagne Henriot 1996 montre son caractère joyeux. C’est un beau champagne coloré, clair à lire, qui est même un champagne de soif tant on le boit facilement. J’ouvre ensuite un magnum de champagne Salon 1997 pour la poutargue et aussi des tranches tartinées de foie gras. Les conversations vont bon train. Le champagne est blanc clair quand l’Henriot était légèrement doré. Alors qu’un an sépare les deux champagnes, l’Henriot semble mature quand le Salon fait gamin. La structure du Salon est plus forte, ses promesses sont plus grandes, mais je resterai un peu sur ma faim, tandis que les vignerons et mon cousin préfèreront le Salon au Henriot.

Sur l’agneau de sept heures, ma femme a préparé un pressé de pommes de terre à l’ail doux confit. Le Rimauresq Côtes-de-Provence 1990 dont le nez à l’ouverture était absolument envahissant de générosités provençales est un exemple parfait de l’achèvement que peut atteindre un Côtes-de-Provence, quand on donne du temps au temps. Mon cousin déclare avec force que ce 1990 est très nettement au dessus du 1989 de la veille. Je n’ai pas cette analyse. Car le 1990 est extrêmement rond, charmeur, presque doucereux, alors que le 1989 avait l’amertume et la râpe qui signent classiquement les Côtes de Provence. J’aime donc les deux, le 1989 pour son authenticité provençale et le 1990 pour son accomplissement généreux.

Mon cousin qui vit dans le Vaucluse tête depuis sa plus grande enfance les Chateauneuf-du-Pape comme Obélix tétait la potion magique. Nous le voyons sonné, groggy, presque K.O. tant il est subjugué par le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1989. Ce vin est absolument parfait. A l’ouverture, son nez était le plus discret des trois rouges. Il s’est rattrapé depuis. Ce vin est d’une rare élégance. Alors qu’il fait chaud dans le calme du soir, ce vin n’impose aucune trace alcoolique. Il est élégant, raffiné, d’une structure élégante. Mon cousin me dit : « je me demandais pourquoi dans tes bulletins tu es si laudatif pour le Domaine Beaucastel, maintenant je comprends pourquoi, car c’est le plus grand Chateauneuf-du-Pape que je bois ce soir ». Ce vin offert par mon gendre est effectivement un grand moment. A l’ouverture, le troisième vin était une bombe olfactive. Alors que sept ans seulement le séparent du rouge précédent, la Côte-Rôtie La Mouline Guigal 1996 est un monde de différence. Le Beaucastel fait vin classique, à l’ancienne, alors que La Mouline est résolument un vin moderne. Mais quel vin ! Il allie une puissance dévastatrice à une fraîcheur mentholée invraisemblable. Mon cousin tient à dire que le Beaucastel est notablement au dessus mais je ne vois pas les choses comme cela. Ce sont deux directions très différentes qui sont explorées, le Beaucastel dans l’élégance et la finesse, La Mouline dans le modernisme, dans la puissance et la fraîcheur. La Mouline va progresser considérablement dans les vingt à trente ans à venir, alors que le Beaucastel est à un sommet de son art qui ne sera pas dépassé dans les vingt ans qui viennent.

Nous discutons beaucoup et nous nous enrichissons des commentaires pertinents des vignerons amis. Il faut être fou pour prévoir un moelleux au chocolat avec une crème au caramel salé. Car ce n’est pas franchement le plat pour une lourde nuit d’été. Mais autour de la table les appétits sont solides. Le Maury Mas Amiel Quinze ans d’âge que j’ai acheté il y a plus de quinze ans est un miracle pour le chocolat fondu. Evoquant les pruneaux et les prunes sur le chocolat, il arrive en caméléon à se faire caramel sur le caramel, avec des petites touches de noisettes.

Nous parlons vin bien sûr et quelqu’un lance le rituel du vote. A ma grande surprise François Parent, qui annonce que son vote est celui d’un vigneron, met en premier le Rimauresq ce qui est un bel hommage pour ce Côtes de Provence. Les ordres ensuite, que je n’ai pas notés, se ressemblent entre les convives. Ils mettent Salon avant Henriot ce qui ne sera pas mon cas. Mon vote est le suivant : 1 – Beaucastel 1989, 2 – La Mouline 1996, 3 – Maury de 30 ans environ, 4 – Henriot 1996, 5 – Salon 1997 et 6 – Rimauresq 1990. Mon dernier est le premier de François Parent (Anne-Françoise rejoignant son mari sur ce vote). Cela provient des critères de choix. Les vignerons ont jugé en vignerons. Si le Rimauresq avait été seul, je l’aurais adoré. C’est la présence de deux rouges que je trouve immenses qui a fait reculer le Rimauresq dans mon classement.

La pertinence de l’ordre des vins et des accords a ravi tout le monde. Nos amis vignerons ont été heureux de ce repas. C’est ce que nous souhaitions.