Troisième dîner avec mon filslundi, 9 novembre 2020

(il est conseillé de lire les récits des trois repas dans l’ordre, en commençant par le premier)

Après avoir partagé deux repas de rêve avec mon fils, il faut se préparer à un troisième dîner. La journée commence par une longue marche, celle que je faisais tous les jours du premier confinement, avec de longs passages dans une forêt de chênes. Le déjeuner est frugal et sans vin. Vers 16 heures je vais chercher une bouteille qui est peut-être la plus belle de la cave de la maison et qui est très chère à mon cœur. Il se trouve que j’avais acheté il y a bien longtemps des Musigny Coron Père & Fils 1899 et c’est ce vin que j’ai servi le 31 décembre 1999 à 23h50 pour que nous passions de 1999 à 2000 avec un vin qui a juste cent ans.

Je vais ouvrir son petit frère, de 1929, année mythique. La bouteille est incroyablement lourde comme si les épaisseurs du verre étaient le double de celles de bouteilles normales. La capsule est saine et le niveau du vin dans la bouteille est idéal. Le bouchon vient entier. Il est très sain. Le parfum du vin est prometteur, délicat et subtil. Mes espoirs semblent comblés. Pas question avec cette merveille de le faire goûter à l’aveugle. Nous saurons ce que nous buvons.

Ma femme a prévu une épaule d’agneau frottée d’ail et de persil et des pommes de terre cuites au four. Nous commençons à boire le Château Pichon Baron de Longueville 1970 que nous avions ouvert pour le déjeuner hier. Il est nettement plus épanoui que la veille et se montre même éblouissant. C’est un grand vin racé et vif, plein en bouche.

Nous abrégeons son temps de parole car l’envie est trop grande de goûter le Musigny Coron Père & Fils 1929. Sa couleur est vive et profonde, son nez est d’une délicatesse infinie. En bouche ce vin est tout en suggestion, délicat. C’est un seigneur, d’une expression raffinée de la Côte de Nuits. Avec l’agneau l’accord est naturel.

J’ai bu 54 bourgognes rouges de 1929. Et je suis chaque fois émerveillé de l’ampleur qu’ils peuvent prendre. Ce millésime est l’un des plus grands sinon le plus grand pour la Bourgogne. Avec ce Musigny on est dans une expression calme et raffinée, alors que par exemple le Richebourg de la Romanée Conti 1929 ou Les Gaudichots Domaine de la Romanée Conti 1929 sont d’une extrême puissance tout en étant complexes. En buvant ce vin je pense volontiers aux Musigny de Jacques Frédéric Mugnier qui ont une finesse de même nature. Nous profitons de cet instant de pure perfection.

Ma femme a prévu des crêpes au sucre qui semblent toutes désignées pour ce que je nomme encore un Marc de la jolie bouteille aux armoiries ducales datant très probablement de la moitié du 19ème siècle. Et en goûtant ce délicieux alcool, j’affirme : ceci n’est pas un marc. Nous avons été trompés par la présentation en bouteille bourguignonne. Alors il nous faut chercher. Je sers des bouteilles déjà ouvertes de l’armoire aux alcools. Un Marc de Bourgogne 1913 montre à l’évidence que l’alcool n’est pas un marc car il manque la râpe de foin si classique des marcs. Ce 1913 est excellent. Un calvados lui succède. C’est le cadeau d’un chauffeur livreur d’aciers de mon ex-société, qui avait toujours sous son siège deux bouteilles de calva. Une pour sa consommation et une autre pour offrir, car son père avait le privilège de bouilleur de crus. Je suis subjugué par la qualité de ce calvados d’une cinquantaine d’années, profond et aérien. Le côté pomme n’existe pas dans l’alcool mystère. Je sers ensuite un Grand Armagnac X.O. Prince d’Armagnac qui peut avoir deux ou trois points communs avec l’alcool à déchiffrer, mais il est relativement peu expressif.

L’idée me vient de servir un Xerez Brandy Lepanto Gonzales Byass. On n’est pas très loin, mais ce n’est toujours pas ça. Je sers enfin un Bas-Armagnac Louis Dupuy 1961 délicieux qui me semble le plus proche de l’alcool mystère, qui est largement supérieur à tous ceux que je viens de servir. Il y a dans cet alcool une puissance extrême avec un passage onctueux et doucereux en milieu de bouche. L’énigme reste entière mais il serait déraisonnable de poursuivre nos investigations.

En trois jours, avec mon fils nous avons goûté trois vins absolument magnifiques plus un alcool envoûtant mais encore inconnu. Le classement des trois vins par mon fils est : 1 – Sancerre 1951, 2 – Musigny Coron 1929, 3 – Châteauneuf-du-Pape 1947. Mon classement est : 1 – Châteauneuf-du-Pape 1947, 2 – Sancerre 1951, 3 – Musigny 1929.

Si l’on combine nos deux votes le résultat final est : 1 – Sancerre 1951, 2 – Châteauneuf-du-Pape 1947, 3 – Musigny 1929. Le vin le plus noble et le plus capé est de loin le Musigny 1929 mais nous avons préféré les plus grandes surprises. En ce qui me concerne, le 1947 et le 1951 m’ont donné l’impression qu’ils avaient atteint une forme d’éternité que n’a pas atteint le 1929, immense bien sûr mais n’ayant pas trouvé l’équilibre parfait qui caractérise les vins éternels.

La plus grande surprise est de loin est le Sancerre 1951 que jamais personne n’aurait pu imaginer à ce niveau de perfection. Je suis ravi d’avoir vécu ces grands moments avec mon fils. Il nous reste à trouver l’énigme de l’alcool. Ce sera peut-être pour le prochain weekend.