Seul face à quatre femmes au restaurant Pagesmercredi, 16 mai 2018

L’ami qui possède des trésors de vins du 19ème siècle, dont j’ai acquis une part significative, a cinq filles. La plus jeune était avec ses parents lorsque je suis venu regarder les vins que j’allais lui acheter et était une nouvelle fois présente lorsque je suis venu les emporter. Viktoria ressemble tellement à ma fille cadette que nous avons ma femme et moi créé le contact au restaurant Akrame entre ces deux jeunes femmes.

L’idée est venue que je fasse la connaissance des cinq filles de mon ami. Un rendez-vous est pris au restaurant Pages. Les avoir toutes ensemble était quasiment impossible. Quatre furent annoncées et au dernier moment trois seulement vinrent au rendez-vous, la quatrième attendue ayant un empêchement impromptu. La table ayant diminué de taille Viktoria proposa qu’on invite ma fille cadette et par un heureux hasard elle a pu nous rejoindre.

Choisir les vins que je vais apporter pour ce dîner est toujours un grand plaisir pour moi. J’erre dans ma cave et des bouteilles me font de l’œil, suppliant que je les choisisse. Et je cède si leur présence se justifie. Avec mes bouteilles j’arrive très tôt au restaurant Pages pour les ouvrir et selon la tradition, quand j’ai fini, je vais à la brasserie qui jouxte le restaurant et je bois une bière japonaise à la pression, en grignotant de délicieuses fèves d’Edamamé. Attablé à la brasserie je vois arriver deux de mes convives. La troisième fille de mon ami arrivera plus tard et ma fille encore plus tard car elle revenait de province.

J’avais préparé le menu avec les adjoints du chef Teshi qui se consacrait au bistrot d’à-côté. Les amuse-bouches sont : mini carotte et fleurs de sureau / bonite fumée au foin / tartare de bœuf, moutarde / mini-betterave. Le menu est : carpaccio de turbot de ligne, caviar Daurenki, citron caviar / homard breton, grillé sur le Bincho, bisque de homard / carré d’agneau du Perche, artichauts à la persillade / dégustation de bœuf : Simmenthal 11 semaines de maturation, Charolais 5 semaines, bœuf Ozaki wagyu en deux versions, au Bincho et juste poêlé / financier au miel, mangue, glace vanille.

Le Champagne Veuve Clicquot Vintage Réserve magnum 1985 est très clair, à la bulle active et offre un parfum délicat et raffiné. En bouche il combine noblesse et fraîcheur car il est raffiné et complexe et sa longueur est faite de pure fraîcheur. Pour moi c’est un cours d’eau de montagne qui rebondit sur des galets et apporte sa fraîcheur à un beau soleil d’été. Il est parfaitement à son aise avec les amuse-bouches délicieux car discrets et tout en suggestion. Il va prendre son envol sur le carpaccio de turbot délicieux, excité par le caviar mais surtout par le citron caviar. Et quand le plat est fini, il reste en bouche le croquant du grain de citron et la trace rafraîchissante d’un ruisseau d’été.

Le homard est copieux car chacun est servi d’un homard entier. Le Bourgogne Blanc Domaine Comte Georges de Vogüé 1999 est une bombe olfactive et gustative. Quelle puissance ! J’ai choisi ce vin car c’est un Musigny blanc que le domaine a baptisé d’un nom générique banal, parce que les vignes ne sont pas assez vieilles pour qu’on leur donne le titre qu’elles méritent, de Musigny. L’accord avec le homard est entraînant car la chair de belle mâche fait jeu égal avec le vin.

J’ai choisi le vin suivant parce qu’il a cent ans d’écart avec le vin qui lui succèdera. Le Corton Jaboulet-Vercherre 1972 au beau niveau dans la bouteille est surprenant car il transcende tout ce qu’on attendrait de son année. Il a un beau velours sur l’agneau délicieux et judicieusement accompagné des artichauts fourrés. Le vin est grand et de belle surprise, riche et long comme je ne l’aurais pas imaginé. Il a bien fait de me pousser à le choisir.

L’envie me prend pour le wagyu d’essayer le vin que j’ai apporté, qui était dans la cave du père de mes trois convives, un Malaga 1872. Le nez est riche et doucereux comme un parfum capiteux. En bouche on peut se laisser aller à reconnaître les mille complexités, poivre doux, réglisse, café, chocolat, mais aussi zeste d’orange. Ce Fregoli est d’un charme infini, très différent de celui des vins de Chypre plus poivrés et plus profonds. Ce Malaga joue sur son charme et mes charmantes convives ne l’avaient jamais bu depuis le temps où leur arrière-arrière-grand-père marin les avait cachés dans la demeure familiale. Ce vin capiteux accompagne divinement le wagyu comme l’avaient fait les whiskies d’un précédent dîner.

Le dessert fait de dés de mangue et de financiers a joliment mis en valeur ce vin de rêve dont j’ai donné un verre à la table d’un ami présent dans le restaurant.

Les jeunes femmes, filles de mon ami, étaient très documentées sur moi, curieuses de lire mon blog et d’autres documents. Nous avons bavardé avec l’envie de mieux nous connaître et surtout de nous revoir avec leurs parents. L’été dans le sud nous y invitera.

Les adjoints du chef Teshi ont fait un menu très intelligent et tous nous avons été subjugués par la pertinence des accords dont je retiens entre autres le turbot et le champagne, l’agneau et le Corton, et le wagyu puis la mangue avec le Malaga de 146 ans. Quelle belle soirée.

l’étiquette est difficile à lire mais c’est bien un Malaga 1872. Le bouchon est tout petit.

les homards en préparation

les amuse-bouches

le repas (j’ai oublié de photographier les boeufs et le dessert)