Saint-Valentin au restaurant de l’hôtel Bristolsamedi, 14 février 2009

C’est la Saint-Valentin. Où aller ? J’adore la salle en rotonde de l’hôtel Bristol et Eric Fréchon va cueillir sa troisième étoile. Fêter l’amour en un écrin merveilleux, avec la cuisine d’un chef qui est dans l’émotion d’une future promotion, rien ne sera plus délicat.

Nous sommes accueillis par des sourires épanouis, notre table est superbe et nous constatons qu’alentour, il n’y a que des couples amoureux, de la quarantaine sûre d’elle ou le la soixante dizaine coquine. Nous sommes bien installés et je jette un coup d’œil rapide au menu avant de commander mon vin. Marco, sommelier qui fera ce soir un service remarquable, m’indique que généralement, les couples prennent un vin rouge. Je regarde la carte et les prix, et apprenant que le dégorgement d’un Selosse est d’une ancienneté qui me convient, je jette mon dévolu sur un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé le 1er février 2005.

Marco a bien raison, ce Selosse dégorgé en 2005 est bien meilleur que le Selosse dégorgé en 2003. Celui que je bois ce soir est au sommet de son art. Les amuse-bouche, comme d’habitude, montrent le talent du chef, sans effet ostentatoire. Il y a une cohérence de chaque goût. Le fumé du foie gras est parfait, l’huitre est marine au plus haut degré. Le Selosse juste ouvert ne réagit pas encore vraiment et laisse passer son tour sur les amuse-bouche.

Sur la mousseline de chou-fleur, gelée d’oignon rouge au Xérès et écume de haddock, le champagne est divin sur la mémoire du haddock. C’est en effet après avoir laissé la trace du haddock s’estomper un peu en bouche que le Selosse prend un accent divin. Ce campagne vineux, goûteux, fortement expressif dans des tonalités de fruits blancs et oranges prend une résonnance sur le haddock qui le rend iodé, marin, avec la douceur des retours à la terre.

Le plat mythique, c’est celui des macaronis farcis, truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan. Et là, mystère du champagne et preuve de son adaptabilité remarquable, le champagne réagit sur la truffe, et nous donne un festival de fruits roses et de pétales de roses, par compensation à la densité de la truffe.

Jusqu’ici nous avions des goûts d’une pureté affirmée, véritable génie du chef, qui comme Van Gogh donne d’un trait d’une couleur inattendue une évocation qui aurait demandé mille couleurs dans un autre langage. Nous passons maintenant à un plat délicieux mais plus consensuel. C’est la sole de sable farcie aux girolles, sucs d’arêtes réduits à peine, crémés au vin jaune. Je défie quiconque d’exprimer le goût de la sole avec cette exactitude. Mais le plat est trop civilisé. Aussi, mon Selosse attend que ça se passe. Il est à l’affût, mais il n’est pas poussé dans ses retranchements.

Le pigeon de nid laqué au miel et citron, compotée d’oignons et fenouil au cumin, sauce diable et le seul plat dont la cohérence me pose problème ainsi qu’à mon épouse. Car la chair du pigeon, tendre et profonde à souhait, ne joue pas du tout avec le fenouil et l’oignon, trop amers. Et le champagne ne reconnaît que le langage du pigeon et celui de sa sauce. Et on sent qu’il apprécie, car il renvoie la balle du soyeux de la chair en exprimant un peu plus son vineux pur.

La mangue pétillante et son sorbet citron sont diaboliquement sensuels. La meringue soufflée aux framboises rafraîchie au lait de coco, élixir au gingembre est un dessert d’une perfection absolue, la couleur rose et blanche, le sucre en forme de cœur rose répondant au symbole du calendrier.

C’est sur un nougat blanc que le Selosse me fit fondre de joie, créant une correspondance inattendue mais impérative. Un moment de bonheur comme on en connaît peu très semblable à celui qu’un Salon 1988 avait suscité sur une mignardise à l’orange.

Le Selosse a été admirable. Il a eu trois points d’extase, sur la mémoire du haddock, sur la truffe lourde et sur un nougat blanc. Marco a eu l’intelligence de me proposer de ne pas rafraîchir le Selosse pendant le repas. Il m’avait dit : « si jamais vous sentez qu’il faudrait le refroidir, faites-moi signe ». Et au moment où j’aurais aimé que ceci se produise, Marco arrive avec un seau et seulement trois glaçons dans l’eau, pour apporter le petit coup de froid dont je sentais la nécessité. Un service de sommellerie de ce niveau mérite d’être signalé.

La cuisine d’Eric Fréchon est absolument délicate, sur un fond de technique abouti. Le pigeon n’était pas dans ma cohérence, mais attention, mon goût n’est pas universel, et c’est au chef de créer comme il l’entend. La sole devrait s’encanailler. Ce ne sont que des virgules car la cuisine est d’une grande finesse et délicatesse, qui justifie le couronnement de trois étoiles que l’on attend dans quinze jours. Si je devais retenir un goût, c’est la pertinence de la gelée d’oignon rouge au Xérès qui m’a époustouflé.

Selosse est grand. Cuisine, service, cadre, tout est grand. C’est un cadeau de Saint-Valentin.