Réflexion sur la carte des vins idéale d’un restaurantdimanche, 21 décembre 2008

Cette réflexion est conduite en dehors du contexte actuel de crise, car il y aura une vie après la crise.

Pratiquant beaucoup de restaurants, je constate que beaucoup de cartes des vins des restaurants de haut rang ne correspondent pas à ce que l’on serait en droit d’attendre.

Pour illustrer mon propos, imaginons un vin de 1982 acheté en 1984 autour de 8 / 15 €. Prenons 12. (Les premiers crus classés ne dépassaient pas 15 €).

Si l’on considère qu’un capital rémunéré à 10% est bien rémunéré, 24 ans plus tard, les 12 € valent 118 €.

Supposons que le prix de marché de ce grand vin soit aujourd’hui de 800 €.

Le restaurant qui aurait gardé cette bouteille depuis son achat en primeur et mettrait à sa carte le vin à un prix égal à 80% du prix de marché, soit 640 €, s’assurerait un placement à 18 % par an, ce qui est assez joli.

Acheter un vin à 20% de moins que sa valeur marchande est tentant, bien sûr pour ceux qui en ont les moyens. (Mais on peut transposer l’exemple à tous les niveaux).

Tandis que si le restaurant se dit : la bouteille vaut 800, je peux donc la proposer à 2000 €, il revendique un placement à 24% par an pendant 24 ans, en revendant 166 fois plus cher que son prix d’achat.

Lorsque les vins d’Henri Jayer étaient bon marché, des restaurateurs intelligents gardaient ces vins à leur carte avec un très confortable coefficient, et comme plusieurs amateurs avisés, j’ai pu boire des Cros Parantoux à 300 € quand les prix commençaient à dépasser les 1000 €.

Si aujourd’hui, alors que les prix de ces vins dépassent 2000 €, les restaurateurs les affichaient à 5000 € pour un prix d’achat autour de 15 €, ce serait définitivement dissuasif. Alors bien sûr on objecte l’existence des consommateurs russes, mais ce serait faire fi d’une clientèle plus durable et probablement plus fidèle.

Alors, j’imagine ce que devrait être la règle de constitution de la cave d’un très grand restaurant, en ce qui concerne des grands vins (mais aussi les autres).

Dans le cahier des charges de la cave, il faudrait inscrire que la cave doit avoir pour mission le mûrissement. Si l’on admet qu’un vin nécessite 15 ans pour être bon à boire, la cave doit le permettre. Ce qui veut dire que les 2005 ne seront pas à la carte maintenant, mais à partir de 2015 / 2018. On voit que cela conduit à une certaine vision au plan capitalistique, car une cave doit représenter – par exemple – 15 ans de stock et non pas deux seulement, voire moins. Un financement spécifique doit exister, justifié par la croissance normale naturelle des prix du vin (hors crise).

A noter que des restaurateurs m’ont dit : « on sait bien que les 2005 ne devraient pas être à la carte, mais si on ne les met pas, les clients américains râlent ». Il faut remettre de l’ordre et du bon sens.

Il me semble que ce critère de constitution de cave devrait compter pour l’attribution des étoiles par le guide rouge.

Dans un passé récent on trouvait encore des restaurants qui mettaient sur leur carte des vins pour certains millésimes récents : « en vieillissement ».

Le stockage des vins pourrait se faire dans leur cave mais aussi dans des caves de vieillissement.

Le prix de vente du vin sur la carte du restaurant se ferait à environ 80% du prix du marché, si ce prix permet de garantir un rendement sur investissement minimum de 10%. Sinon, il serait au dessus.

Une autre condition serait que le restaurant ne vende pas de bouteilles au client qui ne consomme pas sur place.

Ceci veut dire que le restaurant ne devrait pas acheter des 1990 en 2008 par exemple, en multipliant ses prix d’achat par trois. Cette pratique ne devrait pas être acceptable. La gestion à long terme de la cave devrait être la règle.

Dans ces conditions, on pourrait envisager la carte des vins comme une invitation à boire les vins que l’on peut s’offrir et non pas à être forcé d’essayer de trouver la bonne pioche dégotée avec talent par le sommelier, parce que les coefficients pratiqués interdisent d’accéder aux vins que l’on boit normalement.

J’aimerais bien conduire une réflexion avec des restaurateurs sur ce sujet qui intéresse tous les amateurs de vins qui aimeraient qu’au restaurant ce ne soit pas : « on s’éclate sur la nourriture et on se restreint sur le vin ».