Quelques ratés au restaurant Aquavendredi, 9 octobre 2009

Sur le forum de Robert Parker, j’avais fait la connaissance virtuelle d’une femme propriétaire d’un vignoble dans la Napa Valley. Elle semblait intéressée par mes écrits et montrait une grande connaissance des grands vins anciens qui jalonnent l’histoire. Lorsqu’elle est venue à Paris avec son frère, un rendez-vous était prévu avec eux, mais elle vint seule. Par un biais que j’ignore, elle a su que je venais en Californie, aussi m’a-t-elle invité à dîner avec l’un de ses amis. L’ami ne se présentant pas alors que nous allions attaquer le plat principal, je me suis pris à penser à un « coup monté » (en anglais dans le texte). Mais l’ami apparut.

Le dîner se tient au restaurant Aqua, où je me rends à pied. Samantha arrive en même temps que moi. Elle a dans un petit carton trois bouteilles. L’une, de son vin, est un cadeau au sommelier de l’endroit. Les deux autres ont été achetées en catastrophe pour ce dîner, car, n’ayant pu retourner à son domicile du fait de ses rendez-vous, elle a cherché ce qui pouvait être intéressant à gouter ce soir. Le maître d’hôtel qui connaît bien Samantha, puisqu’il est l’ami de son maître de chais, nous propose une coupe du champagne Pierre Moncuit à Mesnil sur Oger, non millésimé. Tout ce qui vient de Mesnil-sur-Oger est grand, aussi nous régalons-nous de ce champagne direct, précis, sans grande émotion mais très agréable. Un petit amuse-bouche à la Saint-Jacques couverte de caviar sur un lit de légume manque d’équilibre, car les légumes castrent le tout, le caviar restant quasiment muet.

Le maître d’hôtel ouvre le Champagne Louis Roederer 1966. La couleur est d’un rose légèrement brun. Le nez est à peine doucereux mais surtout délicat. En bouche, une belle acidité donne au champagne à la bulle chiche une intéressante jeunesse. Ce qui fascine dans ce champagne, c’est que chaque gorgée fait visiter de nouvelles saveurs. Le champagne est insaisissable tant ses facettes sont nombreuses. Des fruits jaunes orangés, des agrumes discrets, du thé parfois jalonnent son parcours. Le tartare de thon est pointillé de pignons qui eussent dû ne pas être grillés. Un poivre intense empêche le champagne de collaborer avec la chair douce qui eût pu surfer sur ce champagne délicat.

Une coquille Saint-Jacques très épaisse est goûteuse, mais les petits pois et haricots en grains sont trop forts pour que le champagne en profite. Sur un soufflé qui sert d’intermède, je demande que le rouge soit servi, mais il n’a pas été ouvert depuis notre arrivée. Le Chambertin Clos-de-Bèze du domaine Prieuré Roch 1996 a une couleur trouble. Le nez évoque un étron de cheval qui évoluera au fil des minutes vers l’odeur de pieds sales. Le vin est mort, quelle que soit l’analyse que l’on pourrait faire autour.

Le maître d’hôtel alerté nous suggère un vin dont il vante le prix. On ne devrait jamais suivre l’avis d’un sommelier ou d’un maître d’hôtel lorsque l’argument du prix est mis en avant. Je suis inquiet quand il apporte une bouteille d’un vin rouge, qui sort d’un réfrigérateur, plus froide qu’un champagne. Le Gevrey-Chambertin 1er Cru Lavaut Saint-Jacques Jean Claude Boisset 2003 n’a pas grand-chose à dire dans cette froidure. Comme mon pigeon est notoirement non-cuit, il est temps d’ouvrir ma mallette diplomatique pour qu’aucun de mes propos ne puisse se retourner contre moi. Car tout ceci frôle gentiment le n’importe quoi.

Sur des fromages et du fait du réchauffement de ce climat de Bourgogne, le vin s’anime un peu. Quelques minutes plus tard, le vin sombre à nouveau dans l’ennui. Samantha qui a invité son ami et moi est fort marrie de ces contrariétés. Comme elle est en période de vendanges qui l’oblige à ne dormir que cinq heures par nuit, la soirée s’abrège rapidement. Le champagne de 1966 restera l’étincelle de ce repas ainsi que la générosité de cette vigneronne qui a voulu nous faire plaisir.

Steve m’a annoncé que demain, nous serons huit pour 17 vins plus rares les uns que les autres. Vite au lit !