préparation du prochain dîner de wine-dinners à l’Arpègelundi, 10 mai 2010

Je m’apprête à faire mon premier dîner de wine-dinners au restaurant Arpège avec Alain Passard au fourneau. C’est un honneur et un plaisir. Pour préparer le dîner, Alain a fait un projet avec Gaylord, son sommelier, et il est convenu que je viendrai vérifier la pertinence des recettes avec mes vins. Ne m’étant pas occupé de trouver de complice, mes coups de fil étant tardifs, je me retrouve seul pour étudier les recettes du chef. Bien entendu, il ne s’agit pas de juger de la valeur intrinsèque des plats, mais de leur cohabitation avec les vins du repas. Toute remarque est donc en valeur relative et non pas en valeur absolue.

Le repas débute par une petite tartelette aux dés de jeunes légumes, fortement marquée par l’ail Voilà une bonne idée pour un champagne ancien. La traditionnelle mise en bouche du lieu, l’œuf au chaud froid au sirop d’érable et vinaigre de Xérès est délicieuse, mais n’ira pas du tout avec les champagnes, comme me le démontre le champagne Drappier Carte d’Or servi au verre par Gaylord. Le champagne est délicieux, avec un léger fumé de coings et des pâtes de fruits jaunes, présenté à température idéale. Il se referme sur l’œuf qu’il faut abandonner. Je pense plutôt à une petite tarte de fenouil et d’ail, qui révèlera un champagne doux de 1955.

La jardinière Arlequin et semoule à l’huile d’argan est délicieuse. Ce qui me plait particulièrement, c’est que des milliers de souvenirs me reviennent des légumes que cuisaient mes grands-mères. Comme il y a des légumes sucrés et d’autres salés, on pianotera sur ces saveurs avec deux champagnes, un Canard Duchêne 1973 pour les sucrés et un Salon 1996 pour les saveurs plus typées. Il faut réduire l’ampleur de ce plat copieux et le saler moins.

Faute de langoustines, on m’apporte un homard au thé vert à la chair parfaite. Sa subtilité est idéale pour le vin blanc assez jeune que j’ai prévu. L’asperge est cohérente, mais il ne faudrait retenir que la tête, car la tige est trop amère. L’épinard est osé, mais je le sens bien avec le vin blanc car il est jeune. Le plat est d’un immense talent.

A côté de moi, de jeunes japonais déjeunent. Ils sont surpris que je reçoive une deuxième préparation de homard : homard des Iles Chausey au vin jaune. Je leur explique que je ne suis pas en train de manger, mais d’étudier, ce qui les fait sourire. Le homard est délicat et presque frêle. Pourra-t-il succéder au plat précédent au goût très prononcé ? La chair est délicieuse, mais la sauce pourrait gêner les bordeaux riches et vénérables. Il faudrait une chair sans sauce et atténuer le vin jaune. Les pommes de terre fumées sont idéales, les petits pois naturellement très sucrés sont osés sur ce plat.

Le plat de ris de veau grillé au bois de réglisse et petits légumes du jardin est surprenant car il est étonnamment sucré. Il y a trop d’épices douces. Je le verrais bien grillé, plus viril, avec des pommes de terre plutôt que ces oignons nouveaux un peu durs pour des vins anciens. A l’inverse, les navets fondants doivent rester. Le plat me laisse en bouche une telle impression doucereuse que je pense à une variante au menu qui serait de mettre ce ris de veau après l’agneau avec le Rayne Vigneau 1904. C’est très tentant.

L’agneau, comme les légumes du début fait ressurgir mille souvenirs d’enfance, de cuissons aussi exactes que celle-là. Tout dans ce plat est génial et absolument dans la ligne des vins anciens. Les choux-fleurs mauves sont croquants et le « choufleurisotto » est parfait. Je note : « les petits pois sont à tomber par terre ». On pourrait imaginer que l’agneau soit en deux services pour les deux vins de Bourgogne (dont La Tâche 1960) et pour le Beaucastel 1964, et le ris de veau suivrait sur le Rayne Vigneau 1904.

L’essai des desserts n’est pas du tout probant. Il faut prendre le divin dessert à la pomme sculptée en rose pour accompagner les sauternes et abandonner toute idée de rhubarbe ou de sorbet.

Pendant tout ce temps, Gaylord me fait goûter divers vins jeunes qui sont de grand intérêt. Je discute avec le jeune couple japonais qui ne comprend pas bien que j’aie eu deux homards et trois desserts. Alain Passard vient comme convenu discuter avec moi des recettes après avoir serré toutes les mains. Je le sens pressé, aussi ce compte-rendu lui sera adressé. Peu de temps après, Alain a rejoint une autre table où l’un des convives me dit : « je te connais, nous nous sommes vus il y a vingt ans chez… » un ami qu’il nomme. Je m’assieds à la table de ce jeune et souriant groupe où une charmante vigneronne du Minervois me fait goûter Arbalète et Coquelicot (pensez à « Gun N’ Roses ») 2009, vin du pays de l’Aude de Jean-Baptiste Sénat diablement charmant, presque aussi charmant que sa vigneronne.