dîner au restaurant Taillevent avec une Romanée Conti 1937 vendredi, 5 avril 2019

Mon ami Tomo et moi recevons des offres du même fournisseur de vins. Il envoie une offre pour une Romanée-Conti 1937. Tout seul, je ne l’achèterais pas, mais à deux, ça me semble possible. Tomo est d’accord de la partager car nous avons l’habitude de ces achats en commun. Le fournisseur propose de se joindre à nous pour la boire. Il est convenu que chacun apporte une bouteille supplémentaire et l’ami fournisseur tire le premier en proposant une rarissime bouteille de Champagne Billecart-Salmon 1949. Je propose d’apporter Yquem 1937, de l’année de la Romanée Conti et comme Tomo hésite pour son apport, je propose qu’il apporte Yquem 1937 puisqu’il en a et j’apporterai un Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 2003. Nous sommes d’accord et Tomo lance : ‘j’apporterai sans doute une surprise’. C’est la porte ouverte à la déraison car bien évidemment nous aurons tous une surprise.

Je propose de faire le dîner au restaurant Taillevent et compte-tenu de la forme que prend ce dîner il sera compté comme le 235ème dîner de wine-dinners, même si les apports ne proviennent pas tous de ma cave, ce qui est l’usage pour ces dîners.

Le jour dit, en même temps que Tomo, j’arrive à 17 heures pour ouvrir les bouteilles et j’ai la chance de rencontrer à mon arrivée le chef David Bizet avec lequel je vais bâtir le menu. Nous nous comprenons très aisément.

Le nez du Corton-Charlemagne n’a pas la puissance des bombes olfactives des vins de Coche-Dury mais il a une élégance extrême. Il promet d’être grand. La bouteille de la Romanée Conti est absolument illisible. Comment notre ami fournisseur a-t-il pu trouver le nom et l’année ? Tomo me donne des indices. Il y a la petite étiquette en forme de croissant qui indique que c’est un monopole. On peut lire en toutes petites lettre le mot « française », ce qui ne peut correspondre qu’au Richebourg, mais il n’est pas monopole ou à la Romanée Conti. L’année est trouvée grâce à un 7. Il n’y a pas de Romanée Conti 1947, le choix est donc entre 1937, 1927 ou 1917. Tout indique que 1937 est la plus réaliste, d’autant qu’on devine le haut du chiffre 3.

La cire est entièrement enlevée sur le haut du goulot ce qui fait que le bouchon est nu en haut du goulot. Il vient en mille morceaux car il colle tellement à la paroi de verre qu’il faut déchirer des petits morceaux que le tirebouchon ne parvient pas à lever. Des morceaux tombent dans le vin et je dois en repêcher la plus grande partie. L’odeur du vin est très compatible avec celle d’une Romanée Conti mais je suis gêné par le fait qu’elle est torréfiée. Le vin a très probablement subi un coup de chaud dans une cave. Pour des vins aussi prestigieux que celui-ci, c’est dommage car la torréfaction sensible nous privera peut-être de l’émotion de ce chef-d’œuvre.

Comme si le destin voulait nous faire un pied de nez, le parfum du Chambolle-Musigny Amoureuses Faiveley Négociant 1929, la surprise de Tomo, est à se damner. Pour moi, c’est la perfection absolue du parfum d’un vin de Bourgogne et c’est la perfection aussi d’un parfum de 1929. Alors ce vin fera-t-il de l’ombre à la star de ce dîner. Nous verrons.

Les fragrances qu’offre le Château d’Yquem 1937 sont divines. Ce vin, c’est un comte, que dis-je c’est un prince, que dis-je c’est un empereur. Sa couleur ambrée est d’une beauté divine. Les vins ‘surprises’ de notre ami et la mienne ne seront pas ouverts pour l’instant. L’opération d’ouverture étant finie vers 18 heures il nous reste Tomo et moi à bavarder en attendant notre ami.

Le menu conçu avec le chef David Bizet est : ris de veau laqué, morilles étuvées au champagne / homard de casier en navarin, retour de potager à la pimprenelle / pigeon au sang rôti à l’ail des ours, confit d’olive noire truffé / filet de bœuf maturé, morilles aux appétits, pommes soufflées / fromage / mangue en pavlova à la crème crue / financiers au beurre salé.

Une demi-heure avant que notre ami n’arrive, j’ouvre son champagne. Quelle belle surprise d’entendre le bruit du gaz qui s’échappe. Le pschitt est significatif et très important pour cet âge. Au moment du service nous constatons que le Champagne Billecart-Salmon Brut 1949 a la couleur d’un jeune champagne. La bulle est rare et petite mais le pétillant est savoureux. Le champagne n’a pas une grande tension mais il est d’un équilibre rare. Il nous emmène dans des contrées où nous n’avons pas de repère. Ce qui frappe c’est l’aisance, l’équilibre et le charme. C’est un très grand champagne. J’avais demandé que le ris de veau soit calme et léger. Ce qui nous est servi est un plat magnifique en tant que plat, mais trop fort pour le subtil champagne.

Le Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 2003 n’a pas la puissance habituelle des Corton-Charlemagne de cette grande maison. Il est d’une complexité rare et me stupéfie par ses évocations subtiles. On pensait rencontrer un athlète et l’on est face à un jeune poète. Quel charme, quelles complexités infinies. Je crois n’avoir jamais bu un Corton-Charlemagne de Coche-Dury aussi exceptionnel. Tous les registres de subtilité sont surpassés. L’accord avec le homard est idéal mais on aurait dû se passer des légumes qui apportent une cohérence au plat mais n’ajoutent rien au vin.

Pour les deux plats de viande, de pigeon et de bœuf, nous boirons ensemble les deux vins rouges. Avant que le plat de pigeon ne soit servi, le Chambolle-Musigny Amoureuses Faiveley Négociant 1929 au parfum idéal est fringant. On sent tout de suite que c’est un premier cru et qu’il n’a pas la stature d’un grand cru, malgré le fait qu’il soit très passionnant à boire juteux et sanguin. A côte de lui, la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1937 a toujours le nez torréfié et sa bouche lourde et puissante fait apparaître ce côté un peu brûlé qui n’empêche pas de se faire plaisir, car, on le sent bien, le vin est grand.

On nous sert le pigeon. Quel bonheur qu’aucun de nous ne soit dogmatique ! Car il se produit un petit miracle. La magnifique chair du pigeon et surtout sa sauce effacent totalement l’aspect torréfié et nous découvrons une vraie Romanée Conti, vibrante. Je retrouve même le sel si beau qui se cachait jusqu’alors. Nous avons la démonstration que les vins ont besoin de se frotter à un plat adapté pour briller. Et nous sommes heureux car nos craintes n’existent plus. Bien que la viande maturée soit excellente, c’est surtout le suprême du pigeon qui donne à la Romanée Conti sa vraie grandeur. Le 1929 se fait tout petit à côté du 1937 alors qu’avant les plats il se montrait beaucoup plus agréable et racé, comme le doit être un grand vin de 1929.

Nous souhaitions tellement partager une grande Romanée Conti que nous profitons pleinement de ce rare moment. Mais il y a un signe qui ne trompe pas. D’habitude on trouve dans la lie un supplément d’âme car elle concentre toute la personnalité du vin. Or j’ai trouvé la lie de la Romanée Conti moins fringante que le vin lui-même. Il suffit cependant que nous ayons connu un bel instant de grâce pour que nous soyons heureux.

Ce qui restait du Corton-Charlemagne s’est montré très adapté à la viande maturée et aussi sur d’excellents fromages, dans mon cas, un saint-nectaire.

C’est maintenant l’arrivée du Château d’Yquem 1937. Comme le Corton Charlemagne ce vin n’est pas tonitruant, ce qui développe encore plus son élégance. C’est un immense Yquem, très probablement le meilleur des sept Yquem 1937 que j’ai bus. Quel grand vin d’une magie infinie, sans trop de botrytis et à la belle acidité. Des vins comme celui-ci donnent l’image de la perfection.

Entre en piste la surprise de notre ami, un Champagne Pommery rosé 1934. Sa couleur est très belle et très jeune, la bulle est faible mais le pétillant est là. Ce qui me fascine, c’est qu’il est possible de passer de l’Yquem au champagne rosé et inversement sans le moindre problème, comme s’ils étaient des compagnons de jeu. J’avais demandé des financiers pour ce rosé. Ce sont probablement les meilleurs financiers que j’aie goûtés. Le dessert à la mangue n’est fait que pour l’Yquem et la pavlova sucrée n’est pas forcément sa meilleure amie. L’Yquem supporte bien les financiers prévus pour le champagne.

Vient maintenant ma surprise qui en sera une aussi pour moi. J’avais acheté des bouteilles de Marc de rosé d’Ott 1929 et j’avais trouvé ce marc d’un immense intérêt. Lors d’une deuxième commande de ce marc, j’ai reçu des bouteilles au liquide bien rose et en même temps deux bouteilles au liquide si clair que j’ai imaginé qu’il s’agisse de l’eau. Quand j’ai ouvert la bouteille avant le repas, l’hypothèse de l’eau n’existait plus. C’était la surprise de ma surprise ! Ce Marc blanc d’Ott 1929 n’a pas du tout le charme des marcs de rosés. Il ressemble plus à une Grappa légèrement amère. Il est très viril par rapport à son cousin rosé. Nous n’insistons pas.

Nous sommes trois à voter pour nos cinq vins préférés sur six vins, l’alcool n’étant pas en compétition. Pour Tomo, son vainqueur est le Billecart Salmon et pour l’ami et moi c’est le Corton-Charlemagne qui est notre numéro un. J’ai failli me faire écharper lorsque j’ai classé le Pommery rosé devant le Billecart Salmon mais j’ai été très impressionné par la faculté du Pommery à coexister avec l’Yquem

Le classement du consensus serait : 1 – Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 2003, 2 – Champagne Billecart-Salmon Brut 1949, 3 – Château d’Yquem 1937, 4 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1937, 5 – Chambolle-Musigny Amoureuses Faiveley Négociant 1929.

Mon classement est : 1 – Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 2003, 2 – Château d’Yquem 1937, 3 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1937, 4 – Champagne Pommery rosé 1934, 5 – Champagne Billecart-Salmon Brut 1949.

Les amuse-bouches en début de repas sont d’un raffinement certain qui montre le talent du chef, promis aux plus belles destinées. Tous les plats ont été remarquables mais les deux premiers, le ris de veau et le homard ont été traités plus comme des plats que comme des accompagnateurs des vins. Au contraire les plats suivants ont été idéaux pour les vins. Anastasia, la sommelière qui nous a accompagnés dans ce voyage magique a fait un excellent service. Une des grandes qualités du Taillevent c’est sa capacité à s’adapter à toutes les situations. Ce repas fut exemplaire, avec des vins mémorables. Et la Romanée Conti 1937 sera un grand souvenir.

les couleurs des deux rouges, le 1929 et le 1937

Déjeuner au Yacht Club de France mercredi, 3 avril 2019

Le déjeuner de conscrits se tient comme à l’accoutumée au Yacht Club de France et je suis celui qui invite. J’ai demandé à Thierry Leluc gérant de la restauration du club et à Fleury Benoît chef de cuisine que les plats soient clairs et lisibles aussi Thierry a-t-il marqué en grand sur le menu qu’il nous a remis : Menu « simplicité ».

L’apéritif consiste en de gourmandes cochonnailles, des Saint-Jacques au boudin noir absolument remarquables (quel bel accord) et de la poutargue. La première bouteille de Champagne Ayala Blanc de Blancs 1990 a une couleur fortement ambrée. En bouche le goût est déroutant, exotique, inhabituel mais provoque notre curiosité. Il est charmeur et nous emporte sur des pistes joyeuses, avec une belle acidité contrôlée et un vineux aimable. La deuxième bouteille du Champagne Ayala Blanc de Blancs 1990 a une couleur beaucoup plus claire, une bulle plus active et son goût est beaucoup plus plaisant. C’est un champagne racé qui va accompagner le premier plat du menu.

Le menu est : assiette de fruits de mer décortiqués / tournedos de sandre sauce bordelaise, gnocchi doré / rôti de bœuf charolais tranché en salle, pomme Anna, sauce béarnaise, jus de viande / stilton et autres fromages d’Éric Lefebvre MOF / dessert à la mangue / madeleines et financiers.

J’avais demandé à Thierry Leluc un plat de fruits de mer mais décortiqués, car lorsque l’on se concentre sur les coquilles et carapaces, on pense beaucoup moins au vin que l’on boit. Thierry a accepté de préparer le plat ainsi et lorsque je suis arrivé vers 10h20 au club pour ouvrir mes bouteilles, Thierry et Fleury étaient en pleine action pour préparer les fruits de mer « prêts à manger ». J’ai pu mesurer l’ampleur de la tâche.

Dans l’assiette, nous avons : huître joliment travaillée, bulots servis avec une garniture verte inhabituelle mais intéressante, palourdes, couteaux, crevettes et langoustines. Tout est agréable et le champagne trouve une belle vivacité sur les mets iodés.

Crevettes et langoustines sont parfaits pour le Chablis Grand Cru Blanchot Vocoret & Fils 1988 qui est impressionnant. Sa couleur est d’un or blond et clair, son parfum est intense et en bouche il est d’une rare puissance. Il est entraînant et d’un niveau très élevé. Il laisse en bouche une trace forte. C’est une très grande bouteille.

Pour le sandre, le Château Ausone Magnum 1970 est servi. Son parfum est d’une subtilité extrême. En bouche il est d’un raffinement extrême, avec un velours très prononcé. Ce velours s’efface lorsque ce vin noble accompagne la délicieuse viande. Le vin devient plus viril. Mes amis sont impressionnés par la vivacité et la noblesse de ce grand Saint-Emilion. C’est le point culminant de ce repas.

Lorsque j’avais ouvert le Haut Sauternes J.B. Guillaume 1943 j’avais constaté que la bouteille avait été reconditionnée il y a plus de trente ans. Et c’est souvent lors d’opérations de ce genre que le goût de bouchon apparaît. La cause me paraissait entendue il y a quatre heures, et maintenant je ressens encore un nez de bouchon. Mais avec le stilton, le vin retrouve les qualités d’un honnête sauternes, qui profitent nettement de l’âge du vin, âge qui est aussi le nôtre. Mes amis sont accueillants et tolérants avec ce vin qui joue son rôle sans perdre complètement sa déviance mais en offrant du plaisir.

Alors que le dessert à la mangue devait accompagner le sauternes, il est servi plus tard et accompagne le Rivesaltes Collection Cazes 1943 qui n’est pas vraiment le partenaire idéal pour ce dessert délicieux. Un rivesaltes gagne beaucoup avec l’âge et ce vin fort est très rond et flatteur. C’est un vin de dessert fait pour les financiers qui mettent en valeur sa séduisante douceur.

Le service de Céline a été attentif, la motivation de l’équipe de cuisine est remarquable et permet à ces repas de conscrits d’être de vrais repas gastronomiques. Le Chablis et l’Ausone ont illuminé ce repas d’amitié.

en cave

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Dîner au champagne dans le sud lundi, 1 avril 2019

Notre formation de belote est déséquilibrée puisque mon partenaire, un conscrit, est décédé il y a peu. J’étais venu pour son enterrement et nous recevons à dîner sa veuve, qui formait avec ma femme la redoutable paire à battre. Nous sommes trois, notre amie aime le champagne aussi est-ce opportun de trinquer en l’hommage de l’absent avec un Champagne Dom Pérignon 1999. Il accompagne un saucisson que j’adore et des fines tranches de Pata Negra délicieusement gras. Le champagne est exceptionnel. Son parfum est envoutant. En bouche il est racé, fringant, romantique et charmeur. On ne peut pas ne pas succomber à son charme. Je le trouve nettement au-dessus du Champagne Dom Pérignon 2004, ce qui n’est pas ce qu’on trouverait dans les revues et écrits sur le vin. Il est aussi très au-dessus de ce que j’attendais. Il vibre merveilleusement. Il accompagne un foie gras délicieux et un remarquable poulet rôti.

J’ouvre ensuite un Champagne Krug Grande Cuvée qui doit avoir une vingtaine d’années. Il est marqué par une forte acidité. Très viril, conquérant, il est très complexe mais c’est un fonceur, qui ne cherche pas à savoir s’il séduit. Il est grand, mais ce soir, dans ces circonstances particulières, c’est le Dom Pérignon féminin qui parle à mon cœur plus que le guerrier.

Nous avons évidemment évoqué de beaux moments passés avec notre amie et son défunt mari mais nous avons aussi parlé d’avenir et des beaux moments qui pourront apporter de la chaleur à notre amitié.

Avec des amis du sud dimanche, 31 mars 2019

Dans le sud nous recevons des amis. L’apéritif se prend avec un Champagne Krug 1996. Je suis fasciné par le finale de ce champagne qui explose de fruits aigrelets délicats, qui me rappelle la fascination que j’avais lorsqu’enfant j’allais au cirque, quand le clown sortait de sa manche une petite chose qui tout-à-coup devenait un immense bouquet de fleurs. Le finale du Krug, c’est cela, un feu d’artifice de fruits. Le champagne est noble, précis, tranchant et vif, et impose son discours. Nous grignotons des petites sardines, du foie gras de canard délicieux, un gouda au pesto et au cumin qui se révèle un beau compagnon du Krug, plus qu’un fromage à la truffe trop imposant. Le champagne est magnifique maintenant mais va encore s’étoffer avec l’âge, son charme continuant de croître.

A table le cœur de filet de saumon que l’on déguste sans aucun accompagnement est servi avec un Chablis Grand Cru Moutonne Long-Dépaquit Albert Bichot 2002. Ce vin est à un stade de sa vie où tout est joyeux. Il est souriant, généreux, plein, d’une acidité magnifiquement contenue, et terriblement gastronomique. J’aime son dynamisme. Il iodle dans la bouche.

Il va accompagner aussi des coquilles Saint-Jacques juste poêlées associées à un pressé de pommes de terre à la truffe.

Sur les fromages j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 2004 qui n’était pas assez frais et ne montre pas sa vivacité habituelle. Il montre plus de douceur qu’il ne devrait.

C’est le lendemain que j’ai pu en jouir à la bonne température sur un délicieux caviar osciètre prestige Kaviari, car il a retrouvé tout son allant. C’est un Dom Pérignon très classique de bonne tonicité qui va progresser avec l’âge lorsqu’il atteindra sa plénitude.

Les discussions ayant été menées bon train, nos amis nous invitent à déjeuner le surlendemain. Notre amie n’aimant pas particulièrement cuisiner, nous allons grignoter de gourmandes crudités. Rien de chaud dans ce repas. Un rosé avait été prévu mais je n’en suis pas grand fan, sans que ce choix soit gravé dans le marbre. On me montre deux ou trois rouges et je choisis le Crozes-Hermitage domaine Combier 2016. La première gorgée est un choc, car mon palais navigue dans des eaux plus anciennes. Mais lorsque l’on s’habitue, on est face à un très agréable vin rouge très franc, joyeux et bien mesuré car il ne cherche pas à en faire trop. Ce vin est dangereux car il pourrait pousser à aimer les vins jeunes ! Par un chaud soleil du sud, nous avons passé un agréable déjeuner qui appelle de belles suites.

234th dinner in restaurant Pages with the 5 whites of Curnonsky samedi, 30 mars 2019

The genesis of this dinner is quite original. The day a dinner was held at the Hotel de Crillon, I received an email proposing me to buy a Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Original French not reconstituted 1942. I already drank these prephylloxeric Richebourgs with exceptional qualities on the vintages 1930, 1935 and 1943 and perhaps others for which I might not have paid attention to this specificity marked on the label. The proposed price takes into account the rarity of this wine.

The atmosphere of the dinner being particularly friendly, I propose to my guests that we buy together this wine. I would then embroider the program of a dinner around this wine. Eight of the eleven guests agree to be co-owners. I build a wine list by choosing a theme to accompany the wine of 1942, which will be: the five great whites of Curnonsky, the « prince of gastronomes ». The idea pleases my guests, and we will meet this evening at the restaurant Pages.

By construction, there should be no newbies in this meal but the wife of a guest gave her seat to her young son who is a great lover of wine. As he understands quickly, the instructions on board will be given very quickly.

When I bought the Richebourg, I received photos on the e-mail. When my supplier delivered the bottle, the pale pink color slightly purplish would have led me not to buy it but there, I had no choice, I could not withdraw because dinner was already on track. So I planned safely another Richebourg 1942 from my cellar, but not from prephylloxeric vines. History will show that I did not need it.

At 16:30 I go to the restaurant Pages to open the wines. Curiously, almost all white wines have black dusts exuding on the top of the cork. Is it chance or weather-related, I do not know. The cork of the Coulée de Serrant 1976 is magnificent. Other plugs break but do not pose any particular problem. The Coulée de Serrant has a frank and engaging fragrance. That of Château Grillet 1982 is nonexistent, as the wine seems closed. That of Montrachet 1992 is brilliant. The uncertainty could be that of the two wines of 1942. Which perfumes will they offer? The nose of Château Margaux 1942 I like a lot. The wine is likely to be brilliant. The perfume of Richebourg 1942 is promising. Phew! It is very characteristic of the estate’s wines, with a small salty background.

My fears no longer exist because the Château Chalon 1976 is triumphant. The perfume of 1941 Yquem is by far the most beautiful, glorious as the gold of her dress. Lumi knows I like having a beer after the opening session, especially when, as tonight, the opening suggests that there will be no problem. The beer arrives without my asking. It’s high class.

Matthew the excellent sommelier opens the champagnes an hour before the arrival of the guests. They are all on time, it’s a dream. We are eight, including two women.

The aperitif is taken with the Champagne Pierre Péters Réserve Oubliée Blanc de Blancs without year. I do not remember very well the vintages that make up this champagne but I think there are some of them aged up to 1937. Champagne shows that it has some old champagnes in it but it is still a young maturity. Of the three amuse-bouches only one makes it vibrate, the one which contains eggs of salmon with the strong taste which excites the Peters. The others are too neutral for the champagne to be of a certain laziness.

The menu created for this dinner by Chef Teshi and Ken and Yuki and the team: Appetizers / Saffron Risotto with Cockles and Parsley / Caramelized Cod, « umami » sauce with Haddock Broth / Carré de Veau du Perche, Sauce with creamed champagne, glazed turnips / Vendée pigeon, salmis sauce, parsnip / Poached foie gras / Stuffed morels with duck leg confit, beef jus / Comté 15 months / White vanilla cake with white chocolate, pink grapefruit and mango.

Champagne Jacques Selosse Substance disgorged 07/13 shows a certain qualitative leap and an exemplary liveliness. What fascinates me is its endless finale where frolic beautiful pink fruit. It is racy, lively, and the delicious cockles are a treat on this champagne.

The cod will be accompanied by two of the five Curnonsky wines. The Clos de la Coulée de Serrant A. Joly 1976 leads us on infrequent tracks. It is well structured and makes us find flavors of the Loire, with extreme finesse. We are in a range of unusual but exciting tastes.

The Château Grillet 1982 has a slightly corky nose, but everything disappears in the mouth when the wine is associated with the dish. The haddock broth makes it interesting and the faults do not reappear until the dish is gone. It does not bring enough emotion and it’s a shame because this wine that is the only one in his appellation that bears his name is a curiosity.

My guests are surprised that I chose a calf low temperature to accompany the Montrachet Robert Gibourg 1992 and they are even more surprised when they note that the agreement is exceptional, the most beautiful meal agreement. Montrachet, third wine of Curnonsky, is of a rare accuracy. It does not have the power of some montrachets and it fits to him divinely well because it is impregnating, without forcing. This wine is the ideal white, fleshy and expressive.

The pigeon is a marvel, cooked divinely. How is it possible that a Château Margaux 1942 has the same wonderful richness as a Margaux of a very big year. In blind tasting, no one would ever think of 1942. The wine is noble, with proud carriage and broad shoulders. It has an intense taste of truffle of an exceptional Bordeaux. I am so enthusiastic about his unexpected performance that I will put it first in my vote, despite the love I have for the next wine.

Ken, the chef who works alongside Teshi, had planned to serve poached foie gras along with morels. I wanted to have only the liver for the Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Original French not reconstituted 1942. The first glass that is served to me shows a pale pink color that would discourage any amateur who does not know the colors of the Domaine’s wines. At the first sip, I know that we will drink an exceptional wine that has the soul of the wines of the Domaine of Romanée Conti. What a charm, what a courteous speech! I swoon so much I’m happy that this wine that I may have discarded, wrongly, is also attractive with its message where salt is a strong marker. The agreement with the foie gras is superb but the champagne sauce Pommery 1953 is a bit strong for the wine. What a pleasure to drink such a refined wine that smiles at the audacious ones that we were to form a consortium to acquire it.

This is the Château Chalon Tissot 1976, the fourth of Curnonsky wines, which will inherit powerful and filled morels that would not have agreed to the Burgundy wine because of their power, but marry to delight with the powerful and harmonious wine of the Jura. He finds a better flight, because it is his ideal partner, with the Comté of fifteen months of ripening. It is a classic accord, probably one of the most beautiful of the gastronomy.

The fifth and last wine of Curnonsky is the 1941 Chateau d’Yquem with a diabolically sensual scent and the color of a glorious gold. I recently loved a very nice dessert made by the talented Yuki pastry chef of the restaurant, but the chocolate dessert does not vibrate the Yquem. Pink grapefruit is more relevant but it is mostly the mango that best suits this powerful Yquem, much more than I imagined, and greedy, rich in golden fruit.

We chatted about Curnonsky’s ranking of the world’s five greatest white wines, which he established in the 1930s. If we were to do it today, it is likely that Coulée de Serrant and Château Grillet would not be included. I would suggest the Clos Sainte Hune of Trimbach and the White Hermitage of Chave as possible candidates to appear in this elite.

We are eight to vote for the five favorite of the nine wines. Three wines stand out, the Montrachet which like the Richebourg has three first votes and the Margaux who has two first votes.

The consensus ranking is: 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Original French unreconstituted 1942, 2 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 3 – Château Margaux 1942, 4 – Château d’Yquem 1941, 5 – Champagne Jacques Selosse Substance disgorged 07 / 13, 6 – Château Grillet 1982.

My classification is: 1 – Château Margaux 1942, 2 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vine Original French unreconstituted 1942, 3 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 4 – Champagne Jacques Selosse Substance disgorged 07/13.

The dishes were more successful one than the others and the most beautiful chords are those which were created with the three winning wines, the veal with the montrachet, the pigeon with the Margaux and the foie gras poached with the Richebourg.

The atmosphere was smiling, because of our complicity and the guests are waiting for one thing is that I offer them new purchases for new adventures. I have heard that they would be happy if I propose a dinner with a Romanée Conti.

Matthew’s service was perfect. The kitchen has done an exceptional job of finding the best food and wine pairings. Making a dinner at Pages restaurant with such a motivated team is a privilege and a real pleasure.

 

(see pictures of this dinner in the article in French)

234ème dîner au restaurant Pages samedi, 30 mars 2019

La genèse du 234ème dîner est assez originale. Le jour où se tenait le 232ème dîner à l’hôtel de Crillon, j’avais reçu un mail me proposant d’acheter un Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942. J’ai déjà bu ces richebourgs préphylloxériques aux qualités exceptionnelles sur les millésimes 1930, 1935 et 1943 et peut-être d’autres pour lesquels je n’aurais peut-être pas fait attention à cette spécificité marquée sur l’étiquette. Le prix proposé tient compte de la rareté de ce vin. L’ambiance du dîner étant particulièrement amicale, je propose à mes convives que nous achetions ensemble ce vin. Je broderais ensuite le programme d’un dîner autour de ce vin. Huit sur les onze convives acceptent d’en être copropriétaires. Je bâtis une liste de vins en ayant choisi un thème pour accompagner le vin de 1942, qui sera : les cinq grands blancs de Curnonsky, le « prince des gastronomes ». L’idée plait à mes convives, et nous allons nous retrouver ce soir au restaurant Pages. Par construction, il devrait n’y avoir aucun bizut dans ce repas mais la femme d’un convive a cédé sa place à son jeune fils qui est un grand amateur de vin. Comme il comprend vite, les consignes de bord seront données très rapidement.

Lorsque j’avais acheté le richebourg, j’avais reçu sur le mail des photos. Lorsque mon fournisseur a livré la bouteille, la couleur rose pâle légèrement violacée m’aurait conduit à ne pas l’acheter mais là, je n’avais pas le choix, je ne pouvais plus me dédire puisque le dîner était déjà sur ses rails. J’ai donc prévu en sécurité un autre Richebourg 1942 de ma cave, mais non issu de vignes préphylloxériques. L’histoire montrera que je n’en ai pas eu besoin.

A 16h30 je me présente au restaurant Pages pour ouvrir les vins. Curieusement, quasiment tous les vins blancs ont des poussières noires exsudées sur le haut du bouchon. Est-ce le hasard ou lié à des conditions climatiques, je ne sais pas. Le bouchon de la Coulée de Serrant 1976 est magnifique. D’autres bouchons se brisent mais ne posent pas de problème particulier. La Coulée de Serrant a un parfum franc et engageant. Celui du Château Grillet 1982 est inexistant, tant le vin semble fermé. Celui du Montrachet 1992 est brillant. L’incertitude pourrait être celle des deux vins de 1942. Quels parfums vont-ils offrir ? Le nez du Château Margaux 1942 me plait beaucoup. Le vin a toutes chances d’être brillant. Le parfum du Richebourg 1942 est prometteur. Ouf ! Il est très caractéristique des vins du domaine, avec un petit fond salé.

Mes craintes n’existent plus car le Château Chalon 1976 est triomphant. Le parfum de l’Yquem 1941 est de loin le plus beau, glorieux comme l’or de sa robe. Lumi sait que j’aime prendre une bière après la séance d’ouverture, surtout lorsque, comme ce soir, elle laisse supposer qu’il n’y aura pas de problème. La bière arrive sans que je la demande. C’est de grande classe. Matthieu l’excellent sommelier ouvre les champagnes une heure avant l’arrivée des convives.

Ils sont tous à l’heure, c’est le rêve. Nous sommes huit dont deux femmes. L’apéritif se prend avec le Champagne Pierre Péters Réserve Oubliée Blanc de Blancs sans année. Je ne me souviens plus très bien des millésimes qui composent ce champagne mais je crois qu’il y en a de 1937. Le champagne montre qu’il a en lui quelques vieux champagnes mais il est encore d’une jeune maturité. Des trois amuse-bouches un seul le fait vibrer, celui qui contient des œufs de saumon au goût fort qui excite le Péters. Les autres sont trop neutres pour que le champagne se sorte d’une certaine paresse.

Le menu créé pour ce dîner par le chef Teshi et Ken et Yuki et l’équipe : Amuse-bouche / Risotto safrané aux coques et au persil / Cabillaud caramélisé, sauce « umami » au bouillon de haddock / Carré de veau du Perche, sauce au champagne crémée, navets glacés / Pigeon de Vendée, sauce salmis, panais / Foie gras poché / Morilles farcies au confit de cuisse de canard, jus de bœuf / Comté 15 mois / Gâteau blanc à la vanille et chocolat blanc, pamplemousse rose et mangue.

Le Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13 montre un saut qualitatif certain et une vivacité exemplaire. Ce qui me fascine, c’est son finale inextinguible où s’ébattent de jolis fruits roses. Il est racé, entrainant, et les délicieuses coques sont un régal sur ce champagne.

Le cabillaud sera accompagné de deux des cinq vins de Curnonsky. Le Clos de la Coulée De Serrant A. Joly 1976 nous entraîne sur des pistes peu fréquentes. Il est bien structuré et nous fait retrouver des saveurs de Loire, avec une finesse extrême. On est dans une gamme de goûts inhabituels mais enthousiasmants.

Le Château Grillet 1982 a un nez légèrement liégeux, mais tout s’efface en bouche lorsque le vin est associé au plat. Le bouillon de haddock le rend intéressant et les défauts ne réapparaissent que lorsque le plat n’est plus là. Il n’apporte pas assez d’émotion et c’est dommage car ce vin qui est le seul dans son appellation qui porte son nom est une curiosité.

Mes convives s’étonnent que j’aie choisi un veau basse température pour accompagner le Montrachet Robert Gibourg 1992 et ils s’étonnent encore plus quand ils constatent que l’accord est exceptionnel, le plus bel accord du repas. Le Montrachet, troisième vin de Curnonsky, est d’une justesse de ton rare. Il n’a pas la puissance de certains montrachets et cela lui va divinement bien car il est imprégnant, sans forcer. Ce vin est le blanc idéal, charnu et expressif.

Le pigeon est une pure merveille, cuit divinement. Comment est-il possible qu’un Château Margaux 1942 ait la même richesse merveilleuse qu’un Margaux d’une très grande année. A l’aveugle, jamais personne ne penserait à 1942. Le vin est noble, au port altier et aux larges épaules. Il a un intense goût de truffe d’un bordeaux d’exception. Je suis tellement enthousiaste devant sa prestation d’un niveau inattendu que je le mettrai premier de mon vote, malgré l’amour que j’ai pour le vin suivant.

Ken, le chef qui travaille aux côtés de Teshi, avait envisagé de servir le foie gras poché en même temps que des morilles. J’ai voulu que l’on n’ait que le foie seul pour le Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942. Le premier verre qui m’est servi montre une couleur rose pâle qui rebuterait tout amateur qui ne connait pas les couleurs des vins du Domaine. A la première gorgée, je sais que nous boirons un vin exceptionnel qui a l’âme des vins du domaine de la Romanée Conti. Quel charme, quel discours courtois ! Je me pâme tant je suis heureux que ce vin que j’aurais peut-être écarté, à tort, se montre aussi séduisant par son message où le sel est un marqueur fort. L’accord avec le foie gras est superbe mais la sauce au champagne Pommery 1953 est un peu forte pour le vin. Quel bonheur de boire un vin aussi raffiné qui sourit aux audacieux que nous fumes de former un consortium pour l’acquérir.

C’est le Château Chalon Tissot 1976, quatrième des vins de Curnonsky, qui va hériter des morilles puissantes et fourrées qui n’auraient pas convenu au vin de Bourgogne du fait de leur puissance, mais se marient à ravir avec le puissant et harmonieux vin du Jura. Il trouve un meilleur envol, car c’est son partenaire idéal, avec le Comté de quinze mois d’affinage. C’est un accord classique, probablement l’un des plus beaux de la gastronomie.

Le cinquième et dernier vin de Curnonsky est le Château d’Yquem 1941 au parfum diaboliquement sensuel et à la couleur d’un or glorieux. J’avais aimé récemment un très joli dessert fait par la talentueuse Yuki pâtissière du restaurant, mais le dessert au chocolat ne fait pas vibrer l’Yquem. Le pamplemousse rose est plus pertinent mais c’est surtout la mangue qui s’adapte le mieux à cet Yquem puissant, beaucoup plus que ce que j’imaginais, et gourmand, riche de fruits dorés.

Nous avons bavardé sur le classement de Curnonsky des cinq plus grands vins blancs du monde, qu’il a établi dans les années trente. Si on devait le faire aujourd’hui, il est probable que la Coulée de Serrant et le Château Grillet n’y figureraient pas. J’ai hasardé le Clos Sainte Hune de Trimbach et l’Hermitage blanc de Chave comme possibles candidats à figurer dans cette élite.

Nous sommes huit à voter pour les cinq préférés des neuf vins. Trois vins sortent du lot, le montrachet qui comme le Richebourg a trois votes de premier et le Margaux qui a deux votes de premier.

Le classement du consensus est : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942, 2 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 3 – Château Margaux 1942, 4 – Château d’Yquem 1941, 5 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13, 6 – Château Grillet 1982.

Mon classement est : 1 – Château Margaux 1942, 2 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti Vigne Originelle française non reconstituée 1942, 3 – Montrachet Robert Gibourg 1992, 4 – Champagne Jacques Selosse Substance dégorgé 07/13.

Les plats ont été plus réussis les uns que les autres et les plus beaux accords sont ceux qui ont été créés avec les trois vins gagnants, le veau avec le montrachet, le pigeon avec le Margaux et le foie gras poché avec le Richebourg.

L’ambiance était souriante, du fait de notre complicité et les convives n’attendent qu’une chose, c’est que je leur propose de nouveaux achats pour de nouvelles aventures.

Le service de Matthieu a été parfait. La cuisine a fait un travail exceptionnel de recherche des meilleurs accords mets et vins. Faire un dîner au restaurant Pages avec une équipe aussi motivée est un privilège et un vrai bonheur.

J’avais prévu un autre Richebourg 1942 en réserve, mais non préphylloxérique

la cire a été découpée avec un couteau chauffé. Je l’offrirai au domaine de la Romanée Conti car une telle cire avec toutes les inscriptions est un témoignage rare

les bouchons des deux 1942

tous les bouchons sauf ceux des champagnes

les plats dont j’adore la simplicité de présentation

les bouteilles avant ouverture et après les avoir bues

Déjeuner au café de l’homme jeudi, 28 mars 2019

Je suis invité au Café de l’Homme dont le nom m’intrigue. Il est en fait accolé au Musée de l’Homme, ce qui explique son nom. Une magnifique terrasse est au niveau de l’esplanade du Trocadéro et donne une vue imprenable sur la Tour Eiffel et la Seine. Cet emplacement est idéal. Le soleil brille et cela donne des envies d’été mais l’air est encore très frais en cette fin mars.

Tandis que la terrasse est très classique, remarquable surtout par la vue, la décoration intérieure est aussi monumentale que le musée avec des hauteurs sous plafond irréelles. La carte est simple mais bien conçue et mon menu sera : premières asperges vertes, parmesan 24 mois, huile d’olive bio / cabillaud façon black cod, riz au jasmin / glaces variées. Il n’y a pas de carte des vins et l’on prend des vins au verre. Etant seul à boire j’ai pris des verres de Champagne Charles Heidsieck brut sans année qui est très agréable à boire et très consensuel. On ne vient pas ici pour une expérience gastronomique, même si ce qu’on mange est bon, mais surtout pour profiter d’un lieu magiquement placé quand il fait beau.

déjeuner au restaurant l’Absinthe mercredi, 27 mars 2019

Je vais déjeuner au restaurant l’Absinthe qui se dit « bistrot de cuisiniers », dirigé par Michel Rostang et ses filles. La carte des vins est intelligente et il y a des vins tentateurs. Etant en avance, je prends une bière avec des olives particulièrement bien assaisonnées et gourmandes. Mon menu sera : le Hot Duck, foie gras grillé et parmesan / noix de Saint-Jacques bretonnes rôties, topinambour confit à l’huile d’olive, émulsions racines / dessert à base d’agrumes.

Pour le repas nous prendrons le Champagne Cuvée Louise Pommery 1995. Ce champagne de 24 ans est d’une belle jeunesse. Il est frais, champagne de soif à la belle précision. C’est un champagne de plaisir raffiné. Avec le patron très sympathique nous avons parlé absinthe dont le restaurant a une belle collection dont une absinthe « le partage » par Michel Rostang de la distillerie Pierre Guy dont la série est limitée à 120 exemplaires. Je n’ai pas eu l’honneur de la goûter mais le patron m’a servi un verre de Chartreuse verte qui est une explosion sucrée de fleurs des champs. Ce restaurant simple et bien géré est une halte agréable.

l’absinthe « le partage » de Michel Rostang

Dîner de champagnes en famille vendredi, 22 mars 2019

Mon fils va repartir à Miami demain. Ma fille cadette nous rejoint pour ce dernier dîner annoncé léger. J’ouvre un Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1985. J’ai l’habitude d’ouvrir des champagnes âgés dont le bouchon s’extrait sans grand pschitt. N’ayant pas prévu de me méfier d’une explosion du bouchon, celui-ci m’échappe des mains et traverse la moitié de la pièce. Ma femme dit qu’on se croirait dans notre maison d’été, car il y a un côté très ludique à laisser les bouchons de champagnes jeunes sauter jusqu’au milieu de la piscine. Ce soir, c’est une surprise et une belle surprise de voir un champagne de 34 ans avoir une bulle aussi énergique.

La couleur est claire et jolie. Le champagne a un goût assez surprenant. L’attaque est belle, le milieu de bouche est très fluide, voire aqueux, et le finale très romantique évoque aussi bien la poire que la pêche ou le miel. Ce champagne est un peu en dehors des pistes que nous explorons, bien qu’il soit un pur blanc de blancs. Mais il évolue en fonction de ce que nous mangeons et prend de l’ampleur sur des camemberts. Il est très romantique, tout en évocations subtiles et fluides. Il est passionnant à explorer.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 est un vin que je connais particulièrement car je l’ai déjà bu douze fois dans ce millésime et j’ai un faible pour lui. Le bouchon vient sans pschitt et le cylindre, très noir et gras, est devenu tronconique, dont le bas est plus étroit. Ceci ne devrait jamais arriver à cet âge. Il y a donc eu très probablement un accident de chaleur dans le stockage de ce vin avant que je ne l’acquière. En voyant le bouchon, j’ai peur que cela ait un impact négatif sur le vin. La couleur est nettement plus ambrée que celle du 1985, traduisant une maturité avancée. En bouche, aucun défaut n’est sensible. Au contraire. Le vin est racé et noble, complexe, très en affirmation. Nous avons donc deux champagnes très différents, le Comtes de Champagne romantique et en suggestions, et le Mumm René Lalou tout en conquête, se projetant en avant pour montrer ses complexités. Il y a en effet dans le 1979 une richesse extrême de complexités et une petite amertume bien agréable.

Je serais bien embarrassé de désigner un vainqueur car ces deux champagnes sont grands chacun dans son expression.

Dîner avec mon fils à la maison mercredi, 20 mars 2019

Mon fils, qui vit avec sa famille à Miami, vient une fois par mois à Paris s’occuper de la société industrielle que j’ai créée il y a un peu plus de vingt ans. Pendant ses courts séjours, j’aime partager avec lui des vins de ma cave. Il arrive assez souvent que je choisisse des bouteilles de bas niveaux, car avec lui, il n’y a pas la moindre pression sur les résultats. Et nous nous comprenons sur l’approche qu’il convient de leur réserver.

Ayant repéré il y a quelques semaines une bouteille dont le bouchon était tombé dans le liquide, c’est avec mon fils que ce vin va avoir une chance d’exister. Pour trouver d’autres vins, j’ai regardé dans mon livre de cave les bouteilles de bas niveau et j’ai fait une liste d’une vingtaine de vins qui pourraient être bus ce soir. En fait, une fois dans la cave, je me fie plus à mon intuition qu’à un document. Passant dans les allées je repère une bouteille de Château Pape Clément 1929 au niveau basse épaule qui ferait un bon candidat pour ce soir. Dans la case de rangement il y a deux bouteilles de ce vin. Elles ont des niveaux identiques. L’une des étiquettes est parfaite et l’autre illisible. J’ouvrirai ce soir la bouteille illisible en ayant fait une photo des deux qui servira de témoin. Dans la colonne de rangement des deux bordeaux, mais dans une autre case, il y a des Krug Grande Cuvée. J’en prélève une.

Lorsque je fais mes dîners il y a souvent des vins doux en fin de repas. Il arrive que les bouteilles ne soient pas complètement bues. Je garde ces fins de bouteilles pour nos agapes. Mon programme est bâti. Je rentre à la maison à 17 heures pour ouvrir les vins. Ma femme a tenu compte des vins pour cuisiner.

La bouteille dont le bouchon est tombé est un Aloxe-Corton Tête de Cuvée Domaine Rapet Père & Fils 1984. Je verse le vin dans une carafe et l’odeur est marquée par une sensible acidité. Il n’y a pas à proprement parler de nez de bouchon. J’ouvre ensuite le Château Pape Clément 1929 dont le bouchon de belle texture vient en se brisant mais vient entier. Le nez me paraît prometteur. Ce n’est pas forcément gagné, mais l’espoir est permis.

Lorsque mon fils arrive j’ouvre le Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette couleur avocat. Il s’agit de l’étiquette de la première commercialisation de la Grande Cuvée, qui faisait suite à la Private Cuvée. Sa période d’utilisation est de 1978 à 1983. Il y a donc dans cette bouteille des vins qui ont presque cinquante ans. Le bouchon se cisaille dans le goulot et je prélève le petit disque de bas de bouchon à l’aide d’un tirebouchon. Le pschitt est faible. Le vin dans le verre a une forte présence de bulles, et la couleur est celle d’un blé gorgé de soleil. Cette couleur est jeune. Le nez est extrêmement présent et pénétrant, d’une race rare. En bouche ce qui me saisit instantanément, c’est le fait d’être en présence d’un champagne parfait. Il y a dans ce champagne une force de caractère et une sérénité qui impressionnent. L’image qui me vient est celle du sportif qui fait du saut à skis. Il est tout en haut du tremplin assis sur une planche et va s’élancer. Ce moment où il se lance, c’est exactement la détermination que représente ce champagne hors norme. Mon fils est subjugué et je le suis tout autant car nous buvons une forme parfaite du champagne. Il n’a pas d’âge et on ne peut pas imaginer qu’il pourrait progresser avec l’âge. Il est là, immanent, forme aboutie des ambitions de tous les vinificateurs de la Champagne.

Quand ma femme m’avait annoncé avoir pris une rillette fabriquée de façon traditionnelle, j’avais applaudi, car le gras est exactement ce qu’il faut pour exciter la bulle active de ce beau champagne.

Le plats est de souris d’agneau et gratin dauphinois. Je sers l’Aloxe-Corton Tête de Cuvée Domaine Rapet Père & Fils 1984. Le nez est acide mais raconte de belles choses. En bouche, il n’y a pas d’acidité. Il y a un vin plutôt équilibré et cohérent, avec un léger goût de bouchon, mais à peine. Ce qui dissuade d’aller plus loin c’est qu’il n’excite pas notre intérêt. C’est un vin possible mais sans émotion.

Il est donc temps de passer au Château Pape Clément 1929. Sa couleur est belle, à peine tuilée, c’est-à-dire presque pas. Le nez est intense et profond marqué par la truffe. Pour la dégustation, nous allons nous démarquer mon fils et moi, car il va immédiatement adorer ce vin qu’il considère comme le plus grand qu’il ait bu au cours de cette année. Il est fasciné par sa truffe.

De mon côté, je ressens une très jolie attaque de vin plein, un milieu de bouche racé et c’est au niveau du finale que je ressens un peu de poussière et une certaine imprécision. Le vin évolue et je vais l’apprécier de plusieurs façons. J’étais encore un peu troublé par le finale quand soudain, comme en un flash, j’ai eu en un instant un Pape Clément parfait, éblouissant de cohérence. Et cet instant a été très court car le vin a perdu pour moi un peu de son charme tout en restant noble, car la structure de ce vin est celle d’un grand vin. Dans le dernier tiers de la bouteille, la densité du vin s’est renforcée, mais j’ai été aussi sensible à une certaine fatigue du vin, supportant moins bien son âge.

Je suis sans doute sévère car mon fils n’a pas cessé d’être conquis, et je ne peux pas le taxer de complaisance, tant nous partageons des vins du plus haut niveau. Le bilan est positif mais pas complet pour moi. Le vin a trouvé dans le gratin plus de complément que dans la souris d’agneau.

Nous allons passer maintenant aux fonds de bouteilles qui seront accompagnés de pâtisseries au chocolat. Le reste de la Solera 1836 est toujours typé Madère, avec une fraîcheur rare et une immense complexité. Comment est-ce possible qu’après avoir été ouvert il y a plus d’un mois, il montre autant de saveurs complexes et raffinées ?

Le suivant est le vin sans étiquette bu avec mon ami Florent qui m’évoquait un Pedro Ximenez des années 10 du vingtième siècle. Ce vin est marqué par un fort goût de café et a une vitalité à peine émoussée.

Le troisième vin est un Xérès La Merced Solera Sherry semi-dulce Bobadilla que j’avais daté comme probablement des années 60 mais qui pourrait être plus vieux, a gardé aussi beaucoup de charme. Les trois vins sont très différents dans leurs expressions. Mon fils comme moi préfère les vins dans l’ordre d’âge, le plus grand étant la Solera 1836, puis le Pedro Ximenez puis le Sherry. Il y a des complexités dans ces vins qui sont inimaginables.

Globalement le Krug est d’une essence supérieure à tous les autres vins de ce repas. Partager cette variété de vins avec mon fils est un immense plaisir.

la bouteille de 1929 la plus lisible ne sera pas ouverte