Un Madère vers 1770 inoubliable mardi, 29 octobre 2019

Disons-le tout net, c’est probablement le plus grand jour de ma vie dans le domaine du vin. Cela remonte à bien loin. Joël, un fou de tout ce qui est antique, m’avait vendu il y a environ quinze ans une bouteille d’un bateau qui avait coulé en 1739. La bouteille de forme oignon était marquée par l’érosion marine et Joël m’avait dit qu’il ne fallait pas en attendre des merveilles. C’est lui ensuite auquel j’ai acheté la bouteille la plus ancienne que j’ai bue, dont l’année a été estimée à 1690, que nous avons bue ensemble lors d’une journée mémorable. Joël est un fou d’ancienneté et tout récemment il m’annonce qu’il aimerait que nous partagions un Tokaji que Christie’s avait estimé des années 1860 mais qu’il avait révisé autour de 1840. Joël a envie de la boire avec moi et je lui ai proposé que nous la buvions dans ma cave, et que nous choisissions ensemble dans ma cave le vin qui me permettrait d’honorer sa bouteille.

J’ai dans ma cave un nombre très important de bouteilles du 19ème siècle dont un bon nombre sans étiquette lisible que j’ai regroupées dans une case. Et parmi elles, il en est une, sans la moindre étiquette, totalement opaque, qui est la seule qui peut prétendre être du 18ème siècle. J’ai d’autres bouteilles du 18ème siècle avec des étiquettes ou des repères. Celle-ci n’en a pas. Cette bouteille pourrait être une vedette d’un de mes dîners, mais j’ai envie de la partager avec Joël car j’aime la passion qui l’anime.

Il y a une grève sauvage à la SNCF pour les TGV de l’ouest de la France et notre programme pourrait tomber à l’eau mais Joël qui habite à Rennes trouve un TGV et rejoint la station RER la plus proche de ma cave. Je vais le chercher et nous allons ensemble acheter une tarte aux pommes qui pourrait convenir à la dégustation prévue. Des sushis seront livrés au moment du repas.

Nous allons visiter ma cave et Joël s’intéresse beaucoup plus aux bouteilles très anciennes. Les 1928 ou 1947 n’entrent pas sur l’écran – radar de ses intérêts. Nous visitons et je lui montre la bouteille du 18ème siècle en lui disant que c’est celle que j’imaginais pour notre rencontre. Il me répond : « je l’avais remarquée tout de suite, et c’est celle que j’espérais ».

Pour l’apéritif, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 50. Le pourtour du muselet est sale et quand je veux retirer le bouchon il vient tout seul sans la moindre résistance et sans le moindre pschitt. Le cylindre du bouchon porte des traces de moisissure, mais la surface du bas de bouchon est extrêmement propre et saine. Je verse le champagne d’une magnifique couleur d’un or acajou. Le champagne est d’une absolue grandeur. Il est pur, intact, au pétillant présent mais discret, avec des évocations de sauternes sec. Car il combine élégamment le sec et le doucereux. Ce qui est fascinant, c’est son équilibre et son finale inextinguible. C’est un immense champagne. J’avais commandé des edamame qui sont moins bons que ceux du restaurant Pages car il manque le sel, mais ils se marient divinement avec le Krug qui fait partie des plus chaleureux que j’aie pu boire. Un tel équilibre est unique.

J’ouvre la bouteille de Tokaji # 1840 dont le goulot était recouvert de deux épaisseurs de cires récentes. Lorsqu’elles sont enlevées, le haut du bouchon très petit et très propre donne l’impression d’être d’origine. Lorsque je le tire, le doute n’est pas permis, un liège de cette qualité ne peut être que d’origine. Le bouchon est fin, imbibé sur un tiers, et tout semble sain. Le nez est si frais et si précis, senti au goulot, que je me demande si ce vin est réel, tant il est jeune. En versant le vin dans les verres, l’or très clair et si merveilleux est sans équivoque, il n’est pas possible de copier une telle couleur.

Le nez du Tokaji a de l’alcool discret et des notes de feuilles d’automne. En bouche il y a de beaux fruits jaunes et marrons, et une grande fraîcheur dans le finale. C’est un Tokay aérien. Il a même un finale floral. Il est élégant et il s’approche fortement de sauternes plutôt secs, comme le champagne précédent, mais avec plus d’ampleur et de soleil. Au premier contact de la première gorgée, j’ai senti la trame d’un Tokaji, et à la dégustation qui suit, c’est le sauternes qui est plus suggéré. Sur des sashimis de thon, l’accord se trouve bien comme sur des sushis de saumon, qui mettent en valeur le côté piquant du vin doucereux.

Je n’avais pas voulu lire à l’avance la note de dégustation de l’expert de Christie’s, mais la voici :  »court bouchon friable, couleur d’or pur ambré et consistance huileuse. Les arômes sont doux avec un soupçon d’orange et d’abricot. Le vin est résineux et légèrement noisette. Miel avec un parfum de cynorrhodon. Toucher de caractère balsamique avec un arrière-goût riche et persistant ». Ceci est très cohérent avec ce que nous goûtons, mais j’ai senti plus de fraîcheur et moins de balsamique.

Le bouchon du vin du 18ème siècle est d’un liège très peu dense, comme on en trouve pour les vins de Chypre très anciens. Il est collé au verre et je dois le cureter en prélevant miette par miette. Son parfum puissant s’exhale bien avant que je n’aie terminé l’opération. Avant de mettre mon nez sur le goulot je pense à un alcool tant l’émanation est forte et quand je rapproche mon nez, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un madère. Le nez est riche, intense et muscaté. Compte tenu de la bouteille je dirais qu’il s’agit d’un Madère # 1770. Un amateur bien informé sur Instagram m’a dit que la bouteille est de 1720 à 1730. Le vin serait-il plus vieux ? De toute façon il est éternel.

Joël m’avait demandé en cours de discussion quels sont les vins qui m’ont le plus impressionné et je lui avais dit que ces vins extrêmes s’accompagnent toujours d’une réaction physique, comme un choc ou des frissons. Comme par hasard, le premier contact avec le vin de # 1770 me fait prendre ma tête dans mes mains, comme si je venais de recevoir un coup de poing. C’est un choc et je me recueille. Mon Dieu, quel choc. En bouche, le vin est opulent, incisif, tranchant. Il a les marqueurs classiques comme le poivre et la réglisse, mais une trace de sel est une trainée de poudre qui enflamme le plaisir. Ce vin est une bombe de puissance et le sel le transcende. Je pense immédiatement aux vins de Chypre de 1845 qui sont pour moi les vins les plus complexes que j’ai bus, mais là, je crois bien qu’on se situe encore plus haut, avec ce satané sel qui irradie toutes les autres directions que prend ce vin. Il y a beaucoup de fruits de soleil et ce vin à la longueur infinie laisse une trace lourde en bouche et fraîche en même temps.

Nous sommes obligés de constater que ce vin est très largement au-dessus du Tokaji 1840, même si ce vin est lui-même fabuleux. On atteint un sommet irréel. Et les circonstances se prêtent à ce que l’on touche le septième ciel, car Joël a acheté ce vin pour le boire avec moi et j’ai choisi cette bouteille unique pour honorer Joël, et tout fut parfait. La tarte au pomme est idéale pour les deux vins.

J’ai raccompagné Joël à son RER. Il m’a fait le cadeau de me laisser sa bouteille que je finirai en famille et qui viendra grossir ma collection de reliques. Une journée comme celle-ci est la récompense de ma passion.


dans ma cave une case de vins inconnus

je choisis celle de droite

estimation de la date du Tokaji par l’expert londonien de Christie’s

Déjeuner au restaurant Saint-Germain de l’hôtel Lutetia samedi, 26 octobre 2019

Il y a peu de temps, j’avais pris rendez-vous avec un homme du livre au bar de l’hôtel Lutetia. C’était la première fois que je retrouvais cet hôtel Art Nouveau chargé d’histoire, restructuré il y a quelques années par l’architecte Wilmotte et qui a été fermé pendant quatre ans pour travaux. Si les volumes sont respectables, la décoration du bar est très conventionnelle voire trop.

Aujourd’hui, je déjeune avec un homme du vin, célèbre parmi les célèbres, dans le restaurant Saint-Germain de l’hôtel Lutetia. Le volume de la pièce est impressionnant, les tables sont basses et les fauteuils profonds, mais le lieu a perdu son âme, à mon goût, comme le bar. Il y a une immense verrière peinte au plafond, qui a des couleurs qui rappellent celles du plafond de l’Opéra Garnier de Marc Chagall. Que fait un bibendum approximatif qui évoque celui de Michelin ? Si on a perdu une partie de l’âme, le lieu est cosy et on s’y trouve bien. A mon grand étonnement mon ami qui m’invite ne boira pas de vin. J’ai accompagné mon repas en prenant au verre un Champagne Ruinart Blanc de Blancs sans année.

Le menu que j’ai commandé est : oignons des Cévennes en ravioles, châtaignes et pamplemousse / saint-pierre grillé, courgette violon, tomates, pignons et vierge acidulée de petits légumes. Les plats sont bien réalisés et agréables. La pâte des ravioles est un peu trop présente et le poisson un peu trop cuit pour mon goût, mais c’est une cuisine internationale de bon aloi. Le champagne Ruinart est définitivement l’un des meilleurs bruts sans année que l’on puisse boire au verre. Il est agréablement consensuel.

Nous avons eu la chance d’avoir une très jeune serveuse très attentionnée, qui a été formée à l’école Ferrandi. Ce lieu se prête bien à des repas calmes et simples, dans un cadre agréable, même si une partie de son âme s’est envolée.

Déjeuner de conscrits au restaurant Le Petit Sommelier samedi, 26 octobre 2019

Pour je ne sais quelle raison, des membres de mon club de conscrits ont envie de se retrouver à déjeuner entre deux réunions statutaires. Nous serons cinq et sur ma suggestion, ce sera au restaurant Le Petit Sommelier, que je retrouve une semaine à peine après un récent déjeuner. Je serai actif dans le choix des mets et des vins, aidé par Pierre Vila Palleja propriétaire des lieux et par Manon la jolie et compétente serveuse et sommelière.

Nous commençons par un Champagne Billecart-Salmon Extra Brut 2008 qui est d’une belle expression dans ce beau millésime. Il est un peu strict du fait de l’absence de dosage mais pas trop et sait se montrer assez large pour entraîner nos adhésions. Le menu que je suggère est : poêlée de cèpes, émulsion au persil / bœuf bourguignon, pommes de terre et oignons.

J’avais imaginé un chablis avant que nous ne consultions le menu, et grâce aux suggestions de Pierre nous prenons un Château Simone Palette 1997 qui devrait mieux convenir. Le goût des cèpes est opulent, large, gras, et le vin des Bouches du Rhône est idéal pour ce plat. Car le vin a de la race. On dirait volontiers : c’est un vin qui cause. Car il occupe le palais de sa largeur, de son insistance aromatique. C’est un grand vin de 22 ans. Il est racé, riche et convaincant, et l’accord avec les cèpes est joyeux.

Le bœuf bourguignon a été cuit pendant 22 heures, mais j’aurais ajouté sans problème 22 heures de plus pour avoir encore plus de moelleux dans la mâche de la viande délicieuse. Le Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe 2005 a donné lieu à une petite querelle d’école entre Pierre Vila Palleja et moi. Pierre aurait aimé carafer le vin pour qu’il soit épanoui dès le début de la dégustation alors que je souhaitais voir son éclosion et profiter de la fragile ouverture d’un vin délicat.

Et ce qui est amusant, comme nous vivons en l’ère macronienne, c’est que nous avons pu observer que le vin était un adepte du « en même temps ». Car clairement la première bouteille de ce vin devait vivre son éclosion comme je l’avais souhaité tant sa subtilité la méritait. Et la deuxième bouteille, plus stricte, moins virevoltante, aurait profité d’un carafage qui l’aurait épanouie. Il n’y a donc pas de vérité absolue mais je suis heureux que la première bouteille ait vécu ce que j’aime, l’éclosion qui fait ressembler le vin aux ailes charmantes des danseuses du Lac des Cygnes. Car le vin est subtil, délicat, dosant ses charmes à tout moment de son passage en bouche. Il est riche sans l’être, aérien sans l’être, car rien n’est imposé, tout est gracile ce qui est franchement étonnant de la part de ce solide vin. On l’a retrouvé dans sa forme plus virile sur la deuxième bouteille. Le bœuf bourguignon est un plat de plaisir campagnard. On se sent bien, la pomme de terre adoucissant la sauce.

Pour le dessert, un délicieux millefeuille à la vanille, nous avons bu un Champagne Delamotte Brut sans année absolument agréable compagnon du dessert excellent. Le Petit Sommelier est un restaurant agréable par la qualité des plats et par l’étendue intelligente de sa carte des vins. Le service est très professionnel et compétent. Que demander de plus ?

Un beau champagne aux caves Legrand Fils & Fille samedi, 26 octobre 2019

J’ai rendez-vous aux Caves Legrand avec Margareth Henriquez, présidente du champagne Krug, qui participera au prochain dîner de vignerons que j’organise chaque année. Ce sera le 19ème dîner. Nous avons des sujets à discuter à l’heure de l’apéritif. Margareth a un dîner mais nous allons déguster des planches garnies de tranches de poissons fumés en buvant un Champagne Krug Grande Cuvée 166ème édition. La base de ce champagne est 2010 mais il y a une douzaine de millésimes dans sa composition.

Ce qui caractérise ce champagne, c’est sa complexité et sa sérénité. Margareth m’explique la philosophie de sa conception et on dira ce qu’on voudra, mais boire ce champagne avec la présidente de Krug offre infiniment plus de perspectives. Elle explique la redécouverte du fameux carnet de Joseph Krug, le fondateur de Krug, dans lequel il avait défini ce que devrait être un champagne qui représente le meilleur de la Champagne. Et je dois dire que les complexités et la finesse de ce champagne, jeune pour moi, sont impressionnantes. Il est tellement bon que nous faisons ouvrir une deuxième bouteille qui se montre plus romantique que la première, plus délicate quand celle qui précède était plus affirmée. Il y a des idées que nous avons envie de pousser ensemble. Ce moment d’apéritif fut riche en évocations, sans doute favorisées par ce champagne accompli.

Déjeuner au restaurant Le Chiberta samedi, 26 octobre 2019

Au restaurant Le Chiberta qui fait partie des restaurants de la galaxie Guy Savoy, je retrouve Gilles de Larouzière, président du groupe qui possède entre autres les champagnes Henriot et la maison Bouchard Père & Fils. Je lui avais demandé si je pouvais apporter un vin et il m’a fait savoir que je pouvais.

Que choisir en cave ? Son groupe est actif en Champagne et en Bourgogne, il est donc exclu que je choisisse dans ces régions. Comme nous déjeunons, j’élimine les liquoreux peu propices au travail postprandial. Que reste-t-il ? J’arpente des allées en cave et mes yeux se portent sur une bouteille de Vin d’Alsace Léon Beyer qui indique « Rouge d’Alsace » Pinot. La bouteille est assez sale et opaque, avec un verre teinté mais par transparence je vois un liquide clairet qui s’inscrirait plus dans le camp des rosés que celui des vins rouges. Il n’y a pas de millésime mais on peut penser aux années 60 voire un peu avant. Voici une bouteille énigmatique qui conviendrait bien à ce repas.

J’arrive en avance et mon hôte avait déjà fait ouvrir une bouteille. Je demande la permission d’ouvrir la mienne et je l’obtiens. Le nez de mon vin est très expressif et engageant. Gilles arrive et nous commandons les mêmes plats : noix de Saint-Jacques de Normandie en fine chapelure de sarrasin, mousseline de topinambour, salade amère, sauce diable au cresson / faux-filet de bœuf Angus rôti, légumes comme un pot-au-feu, vinaigrette moelle-estragon.

Nous goûtons le Rouge d’Alsace, Pinot Léon Beyer années 60 et le nez puissant est sympathique. Il n’est pas incompatible avec le nez d’un vin rouge. En bouche, au début, j’ai du mal à imaginer un vin rouge, mais Gilles reconnaît sans conteste le pinot. Et le vin s’assemble, ne montrant pas de véritables traces d’âge. Il est riche, rond, et plus il s’épanouit, plus il évoque pour moi les vins de la Romanée Conti d’une année frêle, car il y a dans le finale le sel qui est un marqueur fort des vins du domaine. S’il en a le sel, il n’a pas, bien sûr, les complexités des vins de la Romanée Conti, mais il a beaucoup de charme. Ce vin se montre gastronomique et porteur de plaisir. Jamais je n’aurais cru qu’on obtiendrait un résultat aussi agréable. Plus il va évoluer dans le temps, plus je reconnais un vin rouge d’une région froide, comme l’Alsace ou le Jura. Son acidité est superbe et ses amers et sa râpe sont fort agréables. En fait, je me mets à l’aimer.

Pour la viande, nous goûtons le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2009. Le nez est élégant, avec de jolies notes veloutées. L’attaque est superbe, riche et équilibrée. C’est d’Artagnan quand il est sage. Le finale est un peu plus court, ce que Gilles ne pense pas, et effectivement, sur le plat de viande, il gagne en longueur. C’est un vin extrêmement subtil et noble, dont j’apprécie le velours qui n’exclut pas la richesse.

La viande baignant dans son pot-au-feu n’est pas exactement le compagnon idéal pour le Bonnes-Mares, alors que le vinaigre de la sauce crée un accord magistral avec le vin d’Alsace qui s’épanouit dans cet accord. Pour prolonger le plaisir du vin de Bouchard nous prenons chacun une assiette de fromage et le Bonnes-Mares devient plus opulent et heureux de vivre.

Le Bonnes-Mares est sans conteste un plus grand vin mais j’ai les yeux de Chimène pour le vin d’Alsace qui nous a offert beaucoup plus que je n’espérais et a créé un accord avec le plat de viande de la plus belle complémentarité. Ce déjeuner nous a permis d’ébaucher de belles idées. Le restaurant est agréable pour l’espace entre les tables et pour le service. Nous n’aurions sans doute pas dû choisir une viande dans un bouillon, difficile à couper dans l’assiette creuse. Ce fut un beau déjeuner.

Un beau Laurent Perrier Grand Siècle lundi, 21 octobre 2019

Le dimanche au déjeuner avec ma fille et un petit-fils, il y aura du poulet, des pommes de terre sautées et des haricots verts. Il se trouve que l’on m’a proposé récemment un lot significatif de Laurent-Perrier Grand Siècle que je situe en fin des années 70, au vu des couleurs de la cape et de l’étiquette. Les photos ne sont pas très précises, mais j’ai confiance dans ce champagne. L’envie me prend d’en essayer une bouteille pour vérifier si j’ai fait un bon achat. Le bouchon vient facilement, accompagné d’une belle énergie du pschitt. Le bouchon est cylindrique, ce qui est logique pour l’âge que je lui prête. La couleur est assez claire d’un or joyeux. La bulle est discrète mais présente, avec de très fines bulles. Dès la première gorgée ma fille est conquise. Et je le suis aussi. Ce Champagne Laurent Perrier Grand Siècle fin des années 70 est noble et raffiné. Il a une belle énergie, et un message typé. Il ne donne que du plaisir. Il fait partie des champagnes que je trouve romantiques, car ils expriment de belles suggestions sans essayer de passer en force. Le finale est de belle intensité. C’est un vin à maturité mais qui n’a pas perdu du tout de sa vaillance. Il est au sommet de son épanouissement.

Nous l’avons bu aussi avec un brie bio un peu crémeux et il est devenu plus strict, plus policé, tout en gardant beaucoup de charme. Un achat réussi, ça s’arrose. Ah, nous venons de le faire…

Déjeuner au restaurant Le Petit Sommelier vendredi, 18 octobre 2019

Mon invité est comme moi contributeur d’articles dans la revue Vigneron. Nous y avons chacun une page dans chaque numéro. Il est Master Of Wine et professionnel du vin. Nous nous retrouvons au restaurant Le Petit Sommelier. Ayant mal calculé mon temps de parcours je suis fort en avance, ce qui me permet de consulter la superbe carte des vins conçue par Pierre Vila Palleja propriétaire des lieux. Dans la carte des plats il y a deux plats du jour qui attirent mon œil : une cassolette de cèpes et un lièvre à la royale. Ce serait le premier lièvre de cette année pour moi. Je retourne à la carte des vins et je prendrais volontiers un Château Chalon de Macle pour l’entrée et une Côte Rôtie de Chapoutier qui m’attire particulièrement par son millésime : 1990.

Mon ami arrive et je lui propose ce plan canaille. Il accepte. C’est le patron, Pierre, qui ouvre les bouteilles. Il ouvre un Château Chalon Domaine Macle 2011 et nous le fait goûter. Je trouve que le vin a une râpe un peu désagréable dans le finale mais je ne dis rien, tandis que mon ami qui connaît bien Pierre, lui dit que le vin est bouchonné. Faiblement, mais cela explique le désagrément que j’ai ressenti. Je n’aurais jamais renvoyé la bouteille car je suis fatigué de devoir argumenter dans ce genre de situations. La bouteille est remplacée et nous l’acceptons, même si l’on ressent aussi une légère imperfection dans cette bouteille. Il n’est pas question de récidiver. Le vin est un peu strict, rêche et je pense que s’il avait dix ans de plus ce défaut d’acidité et de rigueur disparaîtrait. De toute façon, je pressens que les cèpes vont gommer ces petits défauts et c’est le cas. Les cèpes sont délicieux et le Château Chalon est vraiment le partenaire idéal. Il le serait encore plus s’il avait cinquante ans de plus.

Le lièvre à la royale est classique mais très bon et Pierre nous explique qu’il a pris un grand soin de la façon dont le lièvre est traité après sa mort, ce qui a une influence sur la qualité de la chair et du sang. Cette recherche d’excellence est sympathique. Lorsque j’avais senti à l’ouverture la Côte Rôtie La Mordorée Chapoutier 1990, j’avais été enthousiasmé par le velouté délicat de son parfum. En bouche, cette Côte Rôtie est étonnamment féminine, jouant sur son charme et son velours pour nous offrir un vin gracieux, charmant, et capable d’affronter un lièvre viril. Cette combinaison est particulièrement pertinente et on mesure à quel point le millésime 1990 qui a maintenant 29 ans apporte sérénité, cohérence et équilibre.

J’ai pris un peu de fromage pour finir le vin de Macle qui devient presque sociable à son contact. On mange bien au Petit Sommelier et le nombre de pépites possibles dans la carte des vins ne peut que pousser à s’y rendre sans modération.

Les aventures d’un Yquem 1967 et déjeuner à l’Ecu de France lundi, 14 octobre 2019

Ayant été sollicité pour un dîner de vingt personnes, ce qui est peu fréquent, j’ai cherché dans ma cave des vins qui pourraient être servis soit en magnum, soit en deux bouteilles dont l’aspect permet de penser que les différences seront mineures entre les deux, pour ne pas susciter des envies de savoir si ‘l’autre’ bouteille ne serait pas meilleure. C’est d’ailleurs cet aspect qui m’a le plus souvent retenu de faire des dîners pour de nombreux convives, car le désir de comparer est très naturel mais conduit à se comporter différemment de ce que je souhaite : jouir des vins pour eux-mêmes, sans les comparer.

Dans la cave, je cherche des bouteilles dans des cases très remplies, ce qui me conduit à soulever des bouteilles pour avoir accès à d’autres bouteilles situées sous elles. Lors d’une de ces opérations, je vois qu’une bouteille d’Yquem 1967 a le bouchon qui a légèrement baissé dans le goulot. Je la relève et tout indique que le bouchon va tomber. Yquem 1967 a la réputation d’être le plus grand Yquem de la deuxième moitié du 20ème siècle. Du moins c’est ce qu’on disait avant que n’apparaisse la trilogie 88 – 89 – 90.

Il n’est pas question de laisser mourir ou pourrir cette bouteille, que je rapporte chez moi. J’ôte la capsule et comme le niveau dans la bouteille est très proche du goulot le bouchon est encore engagé dans le goulot. J’essaie avec d’infinies précaution de piquer une mèche fine pour accrocher le bouchon, mais il n’y a rien à faire, il glisse, tourne car rien ne peut le fixer. Je sens au goulot et le parfum du vin est celui qu’Yquem 1967 doit avoir, vin que j’ai bu quinze fois.

J’utilise alors une technique qui m’a été apprise par des sommeliers, dont une sommelière qui m’assiste pour organiser l’académie des vins anciens. Le vin est versé dans une carafe. Du fil de cuisine ou une simple cordelette est pliée une dizaine de fois et à l’un des bouts on fait un nœud qui doit avoir une belle rondeur. On suspend dans la bouteille ce cordage de fortune avec le nœud en bas, en gardant en main l’autre bout de la ficelle. On retourne lentement la bouteille pour que le bouchon se présente à l’entrée du goulot. On tire doucement le câble torsadé et l’on tire plus fort lorsque le bouchon se présente à l’entrée du goulot. Le bouchon va glisser dans le goulot car le nœud de la corde permet de le faire monter.

Lorsque le bouchon est sorti, intact, on peut verser le vin de la carafe dans sa bouteille et reboucher soit avec le bouchon d’origine, soit avec un bouchon neutre de réserve. Pendant cette opération le parfum m’a convaincu que le vin n’a pas souffert de son accident.

Ma petite-fille américaine est encore en France. Nous l’avions invitée au Train Bleu de la Gare de Lyon. Pour lui faire apprécier les restaurant de la France profonde, nous l’invitons avec ma fille cadette et le dernier de mes petits-enfants au restaurant L’Ecu de France. C’est l’occasion d’apporter l’Yquem 1967 pour qu’il soit bu au plus tôt, même si je pense qu’il pourrait encore vieillir sans problème. Hervé Brousse, fils des propriétaires historiques du restaurant accepte mon apport.

L’Ecu de France est un ancien relais de Poste et la décoration est d’un charme certain par le caractère désuet, très 19ème siècle de tous les objets amassés. En haut du toit, accrochée à la gueule d’une gargouille, pend une enseigne métallique qui indique « pense à ta panse et fais dépense ». Nous allons faire bien volontiers nôtre ce dicton. Dans la grande salle du restaurant il y a aussi une collection d’assiettes où sont inscrites des pensées de la même veine.

Le chef Peter Delaboss que je vais saluer en cuisine m’annonce les plats qu’il a prévus pour notre déjeuner. Le programme sera : pressé de lapin et foie gras / cannelloni de saumon et langoustines, mariné à l’huile fumée et gingembre confit / velouté de févette, Saint-Jacques rôties, émulsion au Cantal / filet de bœuf cacaoyer et foie gras poêlé / cheesecake au citron, glace basilic.

Je choisis un vin dans la carte des vins intelligente de ce restaurant cher à mon cœur. Ce sera Château Rayas Châteauneuf-du-Pape blanc 2005. L’idée est de faire servir ce vin et l’Yquem ensemble, afin que nous puissions pour chaque plat choisir le vin le plus pertinent.

Pour l’amuse-bouche qui contient du foie gras, le Château d’Yquem 1967 paraît le plus naturel. La couleur du vin est très ambrée, ce qui correspond à un fort botrytis. Le nez est fort et d’une grande précision. En bouche le vin est d’une belle énergie et combine force et fraîcheur. Il est pénétrant, à la longueur infinie. Il fait partie des Yquem au lourd botrytis. Il va se comporter très bien avec des saveurs salées plus qu’avec des saveurs doucereuses. Ainsi sur le filet de bœuf qui pourrait très bien se passer des traces chocolatées, l’Yquem a beaucoup de mal, surtout à cause du chocolat. Mais aussi bien sur les langoustines crues que sur le velouté et les Saint-Jacques l’Yquem est brillant.

On se rend compte avec plaisir que l’Yquem répond présent à tous les moments du repas, sauf l’épisode chocolat. On devrait se résoudre plus souvent à élargir la palette des plats qui conviennent aux sauternes. C’est ce que professe avec enthousiasme Alexandre de Lur Saluces.

Servi en même temps, le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape blanc 2005 est d’une belle couleur très claire, de blé d’été. Son parfum est noble et droit. En bouche, l’attaque est puissante et le vin est très légèrement fumé. En bouche au contraire, c’est la fluidité que le rend presque aérien malgré ses 13,5°. Le finale est noble. Pour l’amuse-bouche c’est lui qui paradoxalement est le plus approprié. Mais ensuite l’Yquem du fait de sa noblesse et de sa force de conviction se montre plus adapté.

Il faut surtout ne jamais boire le vin du Rhône après l’Yquem, car la douceur qui reste en bouche fait perdre de sa vivacité cinglante. Le pain aide à recalibrer le palais quand c’est nécessaire.

Thierry, le maître d’hôtel, connaît mes habitudes et mes exigences. Il fait un service très agréable. J’avais donné un verre d’Yquem à partager en cuisine. Thierry n’en a pas eu. Il faudra vite que l’on corrige cet oubli. L’Ecu de France est un lieu où il est agréable de se restaurer. Longue vie à ce lieu chargé d’histoire qui perpétue de bien belles traditions.

La vue sur la Marne de notre table :

le bouchon qui avait glissé

Déjeuner au Yacht Club de France aux champignons lundi, 14 octobre 2019

Les déjeuners de conscrits reprennent au Yacht Club de France. Le thème retenu sera : « le menu champignon » qui se structure ainsi : hors-d ‘œuvres en apéritif : bulots mayonnaise / crème Du Barry et pétoncle rôtis / filet de maquereau au poivre, façon « hareng à l’huile » / carpaccio de bar et citron vert / cochonnailles variées // filet de sole normande meunière et chanterelles / risotto homard et Saint-Jacques et cèpes de Bordeaux, jus de homard / carré d’agneau en croûte forestière aux girolles et pommes paille / fromages d’Éric Lefebvre / tarte aux fraises du YCF.

Les amuse-bouches n’en finissent pas et suffiraient pour nous restaurer, mais nous ne voudrions pas manquer la suite. Le Champagne Ayala Brut sans année est relativement limité, alors que le Champagne Joseph Perrier Blancs de Blancs Brut sans année est beaucoup plus expressif et se boit avec beaucoup de plaisir. C’est un beau champagne de soif dont nous avons abondamment profité.

Le Meursault Vieilles Vignes Ch. Buisson 2015 est un vin de belle matière, charnu et puissant, à la longueur certaine. Il se marie à la sole qui mériterait d’être un peu moins cuite et au délicieux homard et son risotto.

Le Château Talbot 1998 est dans un stade de belle maturité. Il est de bonne mâche, joyeux et bien charpenté. Je me régale à le boire sur la très bonne viande du Yacht Club de France.

Le service est effectué par de jeunes élèves de l’Ecole Ferrandi qui sont très motivés. Cela fait plaisir. Une fois de plus nous avons essayé de reconstruire le monde, dans une ambiance d’amitié.

apéritif brunch lundi, 7 octobre 2019

A l’occasion d’un apéritif brunch où l’on grignote des milliers de petites préparations faites avec amour, j’ouvre un Champagne Delamotte Blanc de Blancs 2012. Le pschitt est glorieux et la bulle vive. Bien que jeune ce champagne a déjà une belle maturité et un bel équilibre. Il est joyeux, assis, de belle longueur. J’ai toujours eu les yeux de Chimène pour ce champagne qui se présentait jadis comme le petit frère du champagne Salon, mais sait vivre aujourd’hui de ses propres ailes. Ce champagne vieillira bien mais se présente fringant, vif et agréable à ce stade de sa vie. Il est à l’aise sur toutes les saveurs. Nous l’avons aimé.