Vins divers mardi, 10 mai 2005

Nous avons cité un vin de 1960 de Louis Max (bulletin 30) dont l’étiquette était fortement déchirée. Il s’agit d’un Côtes de Beaune Clos les Topes Bizot 1960 Louis Max. Ce sont les représentants de cette belle maison de Bourgogne, aidés des quelques lettres déchiffrables, qui m’ont gentiment reconstitué ce puzzle.
Le hasard de la relecture de bulletins m’a fait penser aux « têtes de gondole ». Dans un grand magasin, le consommateur prendra plus volontiers des produits dans certains emplacements, fonction de la hauteur, de la visibilité et d’autres facteurs inconscients. C’est ainsi que je me suis rendu compte que lors d’un dîner (bulletin 21) j’avais ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Château Gilette Crème de Tête 1949. Or, lors du dernier dîner chez Laurent, j’ai ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Sauternes Château Gilette « doux » 1945. Est-ce à dire que lorsque je flâne dans les caves qui conservent ces vins, pour préparer les successions de goûts que des chefs vont mettre en valeur, je vais « forcément » vers ces vins là ? J’ai inconsciemment réagi en subissant l’automatisme de la « tête de gondole », arme marketing qui est bien loin du charme vénitien que suggère cette expression imagée. Dans les deux cas, le Chrisly a étonné plus d’un convive.

un dîner dans ma maison du Sud vendredi, 6 mai 2005

Je vais me reposer dans le Sud, où l’eau minérale est au programme. Mais un agneau de Sisteron où l’ail abonde réclame un vin. Pioche encore classique, car l’échantillonnage est rare dans cette petite cave, c’est un Mouton Rothschild 1987. J’avoue avoir à chaque essai la même naïveté, la même innocence. Je trouve cela bon, et même franchement bon. Le bois est intelligent. La trame qui suggère les forêts tropicales est longue. La trace en bouche est profonde et subtile. On se sent bien. Voilà un vin qu’il ne faut boire que pour lui-même, c’est-à-dire pas en comparaison comme on le fait trop souvent. Il a déjà près de 18 ans. Quel jeune bambin encore ! On en reparlera longtemps, plus, sans doute, que d’autres de ses conscrits.
Comment allait se situer un Château de Pibarnon, Bandol 1990 après cet élégant jeune homme ? Le nez a le charme du Sud. Une belle séduction. L’attaque est belle de plénitude, puis tout s’arrête en bouche. Le Mouton a encore trop de rémanence. Le souvenir du Mouton s’estompe et le Pibarnon s’ouvre comme une fleur d’été. Ce vin est chaud, chantant, ensoleillé. Bien sûr, il n’a pas la noblesse du Mouton, mais qui s’en soucie. C’est beau. Il évoque quelques amertumes bourguignonnes de grand plaisir. Voilà un vin simple à apprécier comme il est. Je chanterai encore longtemps comme ces vins de Bandol vieillissent bien.

je suis invité dans le Jura à commenter Mondovino mercredi, 4 mai 2005

A travers de petites routes du Jura de magnifiques paysages rendus encore plus beaux par les contrastes de couleurs d’un ciel chagrin poussent à l’émerveillement. Même quand elle est austère, la nature inviolée est un enchantement. J’arrive à Doucier où Christophe Menozzi, président de l’association des sommeliers de Jura et Franche Comté tient un hôtel restaurant dans une zone de fort tourisme. Nous allons, ce soir à Champagnole, commenter le film Mondovino. Christophe a réuni 150 personnes, dont un fort contingent de vignerons. Je revois le film Mondovino, dont la cruauté de l’expression me frappe plus encore. Certaines personnalités sont présentées avec une méchanceté rare, même quand on semble les filmer de façon fort bonhomme. Nous avions décidé de ne discuter qu’une heure. Alors que le film avait commencé à 19h20, nous étions encore à échanger à 23h45. Il fallut clore les débats, passionnés et passionnants avec ces vignerons dont j’adore les vins. Croyez-vous qu’on allait se coucher ? Retour à Doucier où du foie gras à profusion et un délicieux coq cuit comme en famille nous permirent de goûter un reste du Corton Charlemagne 1985. Je tenais à ce que ces solides vignerons le découvrent. Je ne fus pas déçu de leurs sourires connaisseurs. Nous bûmes un vin de l’Etoile de Jean Gros 2002 dont je suis un amoureux fou. Tout le monde s’était étonné pendant la discussion que j’aie tellement insisté sur mon amour des vins de l’Etoile. Il est vrai que j’adore ces goûts. Un Arbois Pupillin de Paul Benoit « La Loge » 2002, solide comme son propriétaire et son fils, est plaisant mais plus vin blanc que vin de Jura. Un Côtes du Jura domaine Pêcheur 2000 est fort gouleyant quand un Savagnin Côtes du Jura Château d’Arlay 1990 montrait l’effet bénéfique des ans.
Les discussions furent solides comme les mets et les vins. A 2h30 du matin je croyais qu’une horloge était arrêtée, alors qu’elle donnait l’heure exacte. Ce chaud moment où l’on célébra notre amour commun de ces immenses vins du Jura fut de la plus belle amitié.

J’allais oublier d’indiquer que mon ami sommelier de Doucier, dans son hôtel-restaurant du Jura, avait voulu nous ouvrir un Hermitage 1942 et un Mouton dont je reconnaissais l’étiquette mais pas l’année. Après minuit, avec des vignerons prêts à défendre leur région, campés sur leurs vins, il me semblait que l’expérience ne valait pas d’être tentée. J’ai stoppé sa générosité. Je pense avoir bien fait. Un Hermitage de ce calibre mérite une attention soutenue. Nous avons bu en revanche un des vins du film Mondovino, le vin de l’argentin présenté « innocemment » comme un patriarche hautain, qui utilise les conseils de Michel Rolland.
J’avais trouvé, à la dégustation des primeurs 2004, que les vins faits par Michel Rolland, quand il en est propriétaire, ont une magnifique intelligence. Là, cet argentin me déplait. C’est du jus de copeaux au refrain mille fois entendu. Ce n’est pas à boire. N’en doutons pas, Michel Rolland sait faire beaucoup mieux que cela. Je ne vais pas jeter l’anathème sur une anti-preuve aussi primaire. Le Clos de Los Siete 2002 by Michel Rolland n’a pas la hauteur du personnage. Allons le retrouver ailleurs, là où il fait bien.
C’est ce que j’ai fait. La visite de son laboratoire, où l’on a goûté plusieurs vins de l’écurie Michel Rolland, avec un Clos de Los Siete meilleur que celui-ci, sera commentée plus tard.

visite du domaine Jacques Prieur et déjeuner impromptu mardi, 3 mai 2005

J’arrive au charmant village de Meursault et je me demande par quelle aberration j’ai pu ignorer toute ma vie ce si bel endroit. Le Domaine Jacques Prieur est vaste, un jardin magnifique compte des arbres centenaires. Nous allons, avec Martin Prieur, faire un voyage assez unique dans de multiples crus bourguignons, car le domaine a un nombre incalculable d’appellations. Nous aurons ainsi, pour la seule année 2004, exploré : Meursault Clos de Mazeray, Beaune Champs Pimont, Puligny Montrachet les Combettes, Meursault Perrières, Chevalier Montrachet, trois versions du sublime Montrachet dans des fûts de Taransaud, de Doreau ou de Mercurey (c’est le Taransaud qui offre le plus d’émotions maintenant). En rouge, le Chambertin, le Clos de Vougeot exploré en vieilles vignes et en jeunes vignes, l’Echézeaux et le Musigny. Remontant à la surface nous goûtâmes un viril Meursault Perrières 1991 tout à fait dans mes goûts, fait de viande et de champignon, puis en 2003 un Clos Vougeot surprenant de jeunesse et un Musigny 2003 plus assagi.
Parcours absolument passionnant. J’ai parfois reconnu la trame générale d’une appellation quand d’autres fois, le perlant, la fermentation, faisaient s’écarter le vin de ce qu’il sera un jour. J’ai pu mesurer comme les vignerons de ce talent savent analyser les vins avec des grilles de lecture très différentes des miennes.
Là où la vie est étonnante, c’est qu’on me retint à déjeuner, ce qui n’est pas forcément étonnant, mais que l’on but un Pinot blanc de Bourgogne, Domaine Henri Gouges 2002, un Bourgogne Roncerie Domaine Arlaud 2002 et un Saint Aubin premier cru Les Murgers des dents de chien de Françoise et Denis Clair 2003, car l’un des agents du Domaine invitant Martin Prieur, un collègue et moi voulut nous prouver qu’on peut trouver de petits vins pas chers mais bons. C’est un peu comme si me rendant à Pétrus on tenait à me montrer les vertus des Montagne Saint Emilion. Il y a une folle décontraction dans la démarche et aussi une belle humilité. Bravo.

visite de Bonneau du Martray et dîner chez Jean Charles de la Morinière mardi, 3 mai 2005

Je me rends au siège du domaine Bonneau du Martray, la référence du Corton Charlemagne. Ce doit être un dîner d’amis, et c’est la première fois que des vignerons me demandent d’ouvrir leurs propres vins. Je le fais selon mes méthodes avec une observation attentive de Jean Charles de la Morinière. Aucune odeur ne me paraît poser le moindre problème. Je suis étonné du bouchon d’un Chambolle Musigny 1915, qui ne devrait pas avoir ces strates accidentelles qu’un stockage à la propriété ne peut pas avoir favorisées. Je m’apprêtais à dire qu’il s’agit pour moi d’une découverte, car des bouchons de vins n’ayant jamais voyagé ne peuvent pas avoir de ces perturbations. J’apprendrai plus tard de Sylvain Pitiot que le vin avait voyagé d’un domicile à un autre, ce qui rendait compréhensible ce que j’avais observé. L’opération d’ouverture pouvant avoir asséché mes papilles on m’offrit de goûter les Corton-Charlemagne récents. Le 2003 au nez sublime et étonnamment agréable pour son âge, le 2002 printanier comme pas deux et le 2001 déjà notable assis. Tout cela va se formater autrement quand les vins trouveront leur empreinte historique. Nous buvons quasi en cachette, car ce vin ne doit pas se boire, un Corton rouge Bonneau du Martray 2003, juste mis en bouteille, que je trouve sublime. Ce sera dans dix ans un immense vin de Bourgogne. Sûrement une des plus belles réussites de l’année 2003 qui comptera des rouges diaboliques de séduction, ce qui ne contredit pas ce que j’ai dit plus haut.
Sylvain Pitiot et son épouse nous rejoignent et le dîner commence. L’apéritif se fait sur le bambin 2003 Corton Charlemagne qui montre plus explicitement qu’en cave comme il est un enfant. Un foie gras à l’alcool intense paralyse dramatiquement un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1978. La gelée est encore plus stérilisante, car elle entoure d’une ceinture de miel ce vin qui ne peut plus s’exprimer. Il faut que la bouche soit neutre pour que l’on prenne conscience de l’immense talent de ce 1978 typé, expressif, merveilleux. Un 1985 de ce même Corton Charlemagne nous fait renouer avec la belle jeunesse que ce magnifique domaine est capable d’exprimer. Il a la jeunesse et la puissance en plus.
Sur une viande blanche délicieuse, le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1935 montre la palette éblouissante de ses qualités. De couleur de miel, mais de miel ici accepté, d’un nez intensément expressif et noble, ce vin développe des arômes lourds. L’alcool est présent, mais surtout une trace intense qui rappelle le terroir et les raisins, quand on a objectivement quitté la définition du Corton Charlemagne qui ne se signale que comme un marque page. Le vin nous parle, donne des longueurs pénétrantes. On est bien. Il est temps que la viande accueille le Chambolle Musigny 1915 dont Sylvain Pitiot ne nous dit que peu de choses, son origine étant incertaine. Il est de la cave familiale, mais qui l’a fait ? Quel grand vin ! Là où le 1935 était concentré pour réciter un texte clair, le 1915 déroule un tapis de saveurs, où se présentent successivement l’alcool, le doucereux, l’amer, puis de nouveau le charme, pour livrer un message multiforme. Si le Corton Charlemagne 1935 s’écartait de la définition moderne du Corton Charlemagne, ce Chambolle Musigny était en plein dans son rôle, montrant à quel point le vin de ce soir pouvait sublimer son appellation.
Nous atteignîmes des sensations rares avec un Clos de Tart 1957 époustouflant pour l’année, donnant de la Bourgogne cette image canaille, agressive, diablement charmeuse que j’adore. Le Clos de Tart 1990 fut un éblouissement d’accomplissement dans le fruit quand le 1976 au nez charmeur et au souffle un peu court montra que même en année sèche ce vin brillant peut donner du plaisir.
On parla abondamment de mes méthodes d’ouverture qui confirmèrent que les vins de ces brillants producteurs peuvent s’épanouir encore plus quand l’oxygène leur est donné lentement, comme par une tétée à faible débit. On s’amusa des petites erreurs commises dans les accords mets et vins, qui seront fatalement l’excuse à devoir programmer un nouveau dîner. Nous remarquâmes, avec ces producteurs de vins d’immense talent, la qualité invraisemblablement extrême de leurs vins de grand âge, ce qui pousse à une conclusion que je ne cesse de marteler : « ces grands vins, ces immenses vins, il faut les boire ». Aucun des convives n’était vierge dans cet exercice. Mais le dîner charmant et enjoué de ce soir a ravivé les envies.
Nous fûmes peu à voter car je n’insistai pas, mais une certaine cohésion apparut dans les choix. Mon ordre fut : le Chambolle Musigny 1915 éblouissant de vie, le Clos de Tart 1957 parce qu’il a prouvé que son année peut atteindre de beaux sommets, le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1935 parce qu’il est émouvant de plénitude gustative et le Clos de Tart 1990 parce qu’il est la démonstration magistrale de la perfection d’un vin jeune. Le Corton Charlemagne 1978 aurait mérité par sa qualité d’être dans les classés mais il n’eut pas l’occasion de briller comme il dût. Vite, vite, vite, on recommence.

viiste à la Romanée Conti et déjeuner sur le pouce lundi, 2 mai 2005

Visite à la Romanée Conti. Je goûte les 2004 en fût. Sont-ils en pleine fermentation malolactique ou celle-ci va-t-elle commencer ? C’est un sujet qui ne fait pas partie de mon quotidien. C’est un exercice de vigneron. Le coté perlant de certains vins limite ma capacité d’analyse. Mais est-ce important ? Là où je trouve le Richebourg joyeux, Aubert de Villaine signale la belle structure de La Tâche. Nous nous rejoignons sur un point : la Romanée Conti 2004 est diablement charmante. Même sans avoir le palais habitué à cette jeunesse de présentation, il n’est pas difficile de pronostiquer que ce sera un très grand vin.
Nous nous rendons ensuite à Flagey Echézeaux au restaurant de Carole et François Simon, qui fait face à l’église. Cuisine sympathique et fort avenante qu’accompagne un Echézeaux Coquard 1984 (le nom a deux autres rallonges, mais on me dit que seul le premier compte en cette occurrence). Nous sommes étonnés que 1984 ait cette puissance. Le vin a le coté ingrat, peu amène, de la Bourgogne qui bougonne, mais cela dénote un certain charme. Le vin attrape les senteurs du canard et cela fait un fort bel accord créé par un vin très naturel, archétypal, que j’aurais imaginé sans doute plus vieux d’au moins dix ans. Ce fut l’occasion d’étudier avec Aubert de Villaine quelques projets communs mais aussi de voir par l’exemple les sujets de gastronomie sur lesquels je pousse mes recherches.

visite à Clos de Tart lundi, 2 mai 2005

Je suis attendu au Clos de Tart par Sylvain Pitiot, dont j’ai déjà signalé le livre sur les vins de Bourgogne, complet, descriptif et éducatif. Les caves creusées dans la roche il y a plus d’un demi millénaire sont impressionnantes. Nous buvons les 2001, 2002 et 2003 dans cet ordre. Le premier a des senteurs de fruits noirs, cassis et mûre. Et la comparaison des odeurs des trois est très instructive. On reconnaît la signature du domaine, faite, pour mon palais, de poivres et d’épices sur ces fruits noirs. C’est le 2001 qui me plait le plus, plus dans le fruit que le 2002 plus austère, et plus affirmé que le 2003 qui n’a pas encore franchement trouvé une voie. Que sera-t-il sur la durée ? Difficile de le dire, mais je ne suis pas sûr qu’il vieillira autant qu’on l’a prédit généralement pour l’année.
Une anecdote en cette cave magique. Je dis à Sylvain Pitiot : ça sent la framboise. Sylvain ne la sent pas. Je m’approche d’une bonde étoupée qui dormait sur une étagère à une distance assez grande. Elle sent la framboise. Ce qui est amusant, c’est que j’ai un odorat généralement limité, et surtout sur des sujets qui ne sont pas les miens, mais depuis que je m’intéresse au vin, il s’est développé dans certaines directions. Je fus soupçonné – amicalement – d’un tour de magie, pour avoir décelé l’indécelable.

un dîner décommandé me conduit au Gourmandin à Beaune lundi, 2 mai 2005

Une extinction de voix et de vilains médicaments empêchent Bernard Hervet, directeur général de Bouchard, de donner suite au projet de dîner avec d’autres vignerons qu’il voulait rassembler. Je suis donc seul au restaurant Le Gourmandin. La solitude justifierait-elle des velléités de sobriété ? Un Musigny cuvée vieilles vignes Comte de Voguë 1989 est trop tentateur. Le sommelier veut le carafer, ce que je n’aime pas. J’accepte s’il laisse glisser le vin sur les parois du récipient. A la première gorgée, je me demande si le vin n’a pas été brûlé par un choc thermique de stockage. Je m’interroge. Un jambon persillé remet les pièces du puzzle en place, mais le vin ne s’est pas encore habillé. Comme une girouette il cherche la direction du vent de son goût. J’ai donc par instant de sublimes saveurs de Musigny et par d’autres un vin qui se cherche. Des escargots de Bourgogne, plat que je n’avais pas commandé depuis des années, ne s’embarrassèrent d’aucune question. Avec eux, le Musigny porta à ses lèvres une trompette de joie et me récita l’appel des sens le plus direct. Le Musigny se mit à briller de façon magistrale. Installé qu’il était sur une trajectoire triomphale il continua son joyeux discours sur un bœuf bourguignon, destiné à montrer qu’à coté des chefs étoilés, il existe une solide cuisine roborative française.

J’étais entouré d’étrangers, fort nombreux en cette période à Beaune. Des belges à mes côtés remarquèrent avec respect le vin que j’avais choisi. Jeunes importateurs de vins français, ils s’y connaissent. Nous eûmes de belles discussions que je ponctuai en offrant à chacun un verre du Musigny. Ils en furent émus. Ce Musigny, dont j’ai déjà goûté de nombreux millésimes est un des exemples de la beauté du vin bourguignon.
A l’autre table voisine des danois compulsaient le guide Parker de l’établissement pour jauger le vin que je buvais. Quand ils ont vu la cotation de mon vin, une onde de respect les transperça. On me mitrailla de flashes, avec l’idée sans doute, soit que j’étais important, soit que je donnerais aussi des verres à gauche comme j’en avais offerts à ma droite.

déjeuner à Grasse chez Jacques Chibois vendredi, 29 avril 2005

Visite à la Bastide Saint Antoine à Grasse où Jacques Chibois a glané deux étoiles au guide qui fait référence et devient forcément à chaque parution un objet de reproches. C’est un peu comme Robert Parker : tout le monde le critique, le met en cause, mais il a créé une référence aussi solide que le Michelin. Si l’on sait que l’on ne jugera jamais deux fois de la même façon un restaurant ou un vin, cela permet de prendre ces indications avec une pinte de sérénité.
La bâtisse est belle, dans un parc surplombant des paysages du Sud dont les parfums enivrent, et le soleil éclatant invite au bonheur. Un intelligent menu appelle nos regards. Il sera même complété par de petites ajoutes fort aimables. Mon ami qui invite me demande de choisir les vins. Je sens qu’il veut du bon. Nous commençons par le champagne de Sousa, cuvée du millénaire 1995 qui est absolument délicieux. Ce chardonnay, pur blanc de blancs, est expressif, puissant, viril, et laisse une trace en bouche de forte imprégnation. Voilà un champagne qui pourrait facilement accompagner tout un repas. Il le fit d’ailleurs avec des amuse-bouches très variés, comme ceux du Petit Nice, et montra à quel point il découvre de nouvelles sensations à chaque bouchée qui lui est associée.
Le Meursault Coche Dury 2002 est une élégante version du Meursault. Cela démarre dans des saveurs d’agrumes, légèrement citronnées, et comme par enchantement le citron se retire pour laisser la place au beurre et à la crème, avec une signature finale fort doucereuse. Avec un consommé où se mêlent crème, pommes de terre et truffes, c’est un accompagnement de rêve.
L’Hermitage Jean Louis Chave 2000 a été carafé, mais de peu. Il se présente donc en chien fou, et, comme cela se passe très souvent au restaurant, ce sont les dernières gouttes qui sont les meilleures. Je l’ai tenté sur un poisson de mer qu’il apprivoise mieux que le Meursault. Sur un râble que j’ai trouvé un peu sec, il a gentiment montré ses muscles, produisant l’impression d’un lutteur de foire encore à l’échauffement. Dans quelques années, ce sera un immense vin. Les desserts très compliqués – mais c’est la mode actuelle de justifier les pâtissiers – interdisent tout vin. Il faudrait revenir au champagne, ce qu’on n’a pas forcément envie de faire.
Globalement, l’expérience est passionnante. La cuisine est élégante et intelligente. La carte des vins est fournie, avec une irrégularité dans les échelles de prix autorisant de bonnes pioches ou interdisant des flacons enviés. C’est non seulement une étape à recommander mais un endroit où l’on reviendra. Le sommelier, heureux de converser avec des gens qui apprécient, nous fit visiter une des caves où fort opportunément nous trempâmes nos lèvres dans deux madères délicieux, l’un de 1907 aux saveurs de pruneaux et de raisins brûlés de soleil et l’autre de 1895 rond et adouci, de grand plaisir. Il faut vite trouver un prétexte pour réserver à nouveau.