dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Dinner held by restaurant « Le Grand Véfour » on September 15, 2005
Bulletin 152
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Laurent Perrier 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1996
Bernard Hervet (who could not come), Montrachet Bouchard Père & Fils 1961
Aubert de Villaine (who could not come) : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990
Eric Platel : Côte Rôtie Guigal 1966
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1911
Frédéric Audouze : Chevalier, Sainte Croix du Mont, coopérative de Sainte Croix du Mont, 1959

The menu created by Guy Martin and his team :
Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta
Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa
Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues
Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes
Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil
Vieux Comté
Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Je dois pour la cinquième année consécutive ordonnancer le repas qui s’appelle « repas des amis de Bipin Desai ». Bipin est ce professeur de physique nucléaire américain qui organise les plus invraisemblables dégustations de la planète. On lui doit celle des 38 millésimes de Montrose (bulletin 151). Ayant réglé par téléphone ou mail tous les détails, j’ai le temps de me rendre à l’inauguration du Salon du Collectionneur au Carrousel du Louvre où les objets présentés, contrairement à la brocante de Hyères (bulletin 149), procurent des émotions esthétiques uniques. On se sent petit devant la perfection artistique de ces personnages chinois de terre dont le graphisme épuré est sorti de mains d’artistes nés il y a 1300 ans. Les éclairages, les stands intelligents, tout montre la richesse d’œuvres d’art quand on prenait le temps d’exécuter. Après avoir salué quelques amis et trempé mes lèvres dans un très expressif champagne Henriot, je rejoins le restaurant Le Grand Véfour pour vérifier que tout est prêt, et c’est le cas. Dans ce lieu porteur de l’histoire du bien manger, le petit salon en étage est le lieu idéal pour nos retrouvailles. La période des vendanges a hélas écarté de notre table des amis indispensables. On toasta largement en leur honneur, surtout quand ils avaient eu la gentillesse d’être présents par le biais d’une belle bouteille.
Guy Martin a composé un menu qui fut un beau voyage. Qu’on en juge : Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta / Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa / Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues / Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes / Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil / Comté de 18 mois / Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic.
Les amuse-bouches abondants et éclectiques se marient à ravir avec le champagne Laurent-Perrier 1976 en magnum. Bouteille d’une élégance rare par la forme effilée du flacon et le gris argenté de l’étiquette. En bouche, ce blanc de blanc est d’une subtilité particulière. Il n’est pas envahissant mais charmeur, conteur d’histoires de goûts délicats. Toute évocation de goût serait réductrice mais j’ai rêvé de fraises des bois en sentant la caresse suave des bulles sur mes lèvres conquises. La variation sur la tomate est originale.
Patrick Tamisier que je connais depuis un quart de siècle du temps où j’étais assidu à la Tour d’Argent a apporté un soin particulier aux vins. Il me fait goûter le Meursault Perrières Comtes Lafon 1996 et c’est une grenade de parfum qui explose sur mon nez. Quelle agression olfactive de pur plaisir ! Ah, c’est viril. C’est sans concession. Et en bouche la puissance est énorme. Je suis un peu gêné par le poids alcoolique de ce lourd Meursault, mais quel plaisir. Avec le foie gras judicieusement mêlé au persil, c’est une merveille. J’ai apprécié l’audace du citron japonais sur les tranches de cèpes qui donnent au Meursault une autre philosophie.
Le Montrachet 1961 Bouchard Père & Fils arrive trop froid. Etait-ce l’absence de Bernard Hervet, ce vin que j’ai tant aimé au château de Beaune était ici bien pâle, comme le tigre qui cherche des yeux son dompteur et se sent perdu s’il n’est pas là. Bien sûr, quand il s’étend, le vin montre comme il est grandiose. Comme de plus je n’ai pas trop aimé l’expression du homard qui ne me parlait pas, peut-être à cause du vin que je ne retrouvais pas, ce ne fut pas le soir de ce grand Montrachet dont j’ai relaté l’émotion unique (bulletin 143).
Le nez de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990, en un dixième de seconde, plante le décor. On ne peut pas concevoir quelque chose de plus élégant. Le raffinement est sans limite. Sur la chair du turbot, ce vin d’une noblesse immense brille d’une façon que l’on ne pourrait pas imaginer sans le verre en main. Ce vin est grand, d’une longueur extrême. Il y eut comme un silence quand chacun prit conscience de l’intensité de ce vin. Une pensée fusa pour Aubert de Villaine retenu pour des récoltes qui seront belles.
Le canard à la belle chair mais au miel un peu fort donna à la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 1966 l’occasion de délivrer un message d’un charme certain. Passer derrière La Tâche, ce n’est pas un service à rendre à un vin. Mais il s’en tira fort bien dans un registre de vin plus mûr au charme ensoleillé.
Avant l’arrivée des convives j’étais allé sentir les bouchons des bouteilles ouvertes par Patrick Tamisier, et l’odeur du bouchon du Château Chalon Bourdy P&F 1911 m’avait fait vaciller d’aise. C’est immense. Didier Depond, président de Salon-Delamotte vibre comme moi à la sensualité dérangeante de ces vins extraterrestres. Servi beaucoup trop froid, il se rattrapa bien vite sur un délicieux Comté de 18 mois que j’avais préféré au 36 mois qu’on m’avait proposé. Il ne faut pas pour ces vieux vins jaunes de choc gustatif excessif. Le vin se rétablissant à une vitesse sidérale, nous avons goûté la perfection absolue du vin jaune du Jura. Et nous imaginions les nombreux mariages que ce vin suggère pour de redoutables joutes culinaires. Avis aux amateurs, car j’en ai une belle provision.
Le délicieux dessert à la figue se fiança avec un Sainte-Croix-du-Mont de coopérative, « Chevalier » 1959 à la couleur d’un bel or patiné, au nez de pain d’épices, et chaleureux en bouche comme un beau Sauternes à qui il manquerait juste un peu de longueur.
La table fut enjouée et des milliers de sujets nous entraînèrent en des discussions passionnantes. La certitude de perpétuer une amicale tradition de grande qualité éclairait nos visages. Patrick Tamisier fut attentif et amical. Guy Martin nous avait composé un très intelligent et agréable voyage exécuté d’une belle dextérité. Il y avait en chacun de nous l’envie de recommencer.

festival Oenovideo mercredi, 14 septembre 2005

Je me rends au Sénat où l’on décerne des prix dans le cadre du festival « oenovideo ». Des reportages passionnants sur le vin, ses hommes et ses paysages sont présentés car ils sont primés. Un film sur une vigne d’un village minier, d’un petit nombre de mètres carrés, peut-être six à huit mille, possédée par 450 ouvriers de la mine, tombée en déshérence, renaît par la volonté d’un passionné. A l’inverse, le film invraisemblable de LVMH overseas qui décide qu’elle a créé le goût du monde, avec cette arrogance à l’américaine : nous sommes les plus forts, point. C’est curieux de primer un tel film d’entreprise au budget illimité. Le meilleur document, à mon goût, est évidemment « flacons d’éternité » de Didier Guyot, où les vins mythiques de la Bourgogne du 19ème siècle sont à l’honneur, avec ce vigneron étonnant qui n’échangerait pas sa vigne pour la plus belle femme du monde et a toujours de la terre de sa vigne dans sa poche, pour l’éternité. Un Fitou goûté au gentil buffet du Sénat m’a rappelé que tous les vins ne sont pas éternels.

dîner au Petit Verdot, pour préparer le concours du meilleur caviste indépendant mondial mercredi, 14 septembre 2005

On a eu la gentillesse de m’inscrire comme membre du jury qui doit consacrer les meilleurs cavistes du monde. Le concours est parrainé par une grande marque de champagne, Laurent-Perrier. Le jury doit « forcément » préparer les critères de sélection. Est-ce une excuse pour se retrouver ? Oui. Cela se fera dans le restaurant Le Petit Verdot, rue du Cherche-Midi, que Hidé vient de reprendre. Hidé, ex-sommelier de Cordeilhan Bages, était l’âme d’Hiramatsu dont j’ai abondamment vanté les mérites. Injustement privé de la concrétisation de son installation dans l’ex-Faugeron, il a racheté ce petit local où il fera, j’en suis sûr, une immense cuisine. Nous nous retrouvons, avec Didier Depond, l’âme (lui aussi) de Salon (mâtin quel champagne comme dirait Gotlib dans Pilote), avec un sommelier historique et talentueux, avec le président de l’association des cavistes indépendants, avec quelques autres membres du jury, et nous travaillons. Les arrivées des jurés s’étalant sur une plage extrêmement longue, nous attendons les tardifs avec un nombre coquet de Laurent Perrier Grand Siècle. Ça coule tellement bien ! Celui-ci doit être un assemblage de 1995, 1997 et 2000. Une attaque résolument champagne, avec une densité en bouche magistrale. Le final est un peu plus discret, mais cette expression de champagne est d’une sincérité extrême. Le menu n’est pas fait, je regarde la carte des vins où Hidé a encore un peu trop le souvenir des prix des grands étoilés, et j’ai un déclic. Il nous faut le Laurent-Perrier sur l’andouillette AAA et peut-être plus de A, et un Chambertin Armand Rousseau sur la lotte. Comme Hidé n’a qu’une seule bouteille de 1992, on prendra 1995 et 1992.
L’andouillette est malheureusement associée à une sauce vinaigrée aux oignons. Il eût fallu une andouillette dans sa pureté, car le Laurent Perrier Grand Siècle ne demande que cela.
Avec la lotte, le Chambertin Armand Rousseau 1995 brille de façon exceptionnelle. Ce vin prend aux tripes. Sensuel, charmeur, intense, il trouve un écho dans la chair lourde du poisson qui est purement transcendantale. Peu des participants, grands experts devant l’éternel, auraient osé ce mariage qui s’est révélé de rêve. J’avais peur que le 1992, nettement plus mûr, ne rebute mes collègues du jury. Or en fait tout le monde suivit avec bonheur ce vin déjà plus affirmé, sans marquer la moindre réticence. Le vin avait une telle trace lourde et magique en bouche qu’aucun dessert ne s’imposait. Une ravissante convive ayant réclamé du sucré, du chocolat accueillit un Porto Taylor 1999 de charme évident. Fut-on studieux ? Je ne sais pas, car les occasions de se dissiper par des anecdotes passionnantes étaient nombreuses. Mais on se souviendra de ce dîner chez Hidé, au petit Verdot, table qui sera demain (elle l’est déjà) une table incontournable.

Une historique dégustation de 38 millésimes de château Montrose lundi, 12 septembre 2005

Bipin Desai est l’homme qui organise les dégustations les plus folles et les plus exhaustives de la planète. Ami des plus grands producteurs et ami des plus grands collectionneurs, il arrive à rassembler des vins comme personne ne le pourrait. Ici, avec la complicité de Jean-Louis Charmolüe, le propriétaire du château Montrose, ce sont 38 millésimes de Montrose qui seront soumis à la sagacité des plus grands palais de la planète. Bipin fait remarquer que la somme de connaissances des participants est absolument unique. Je reconnais des grands critiques qui publient des guides, alimentent des revues internationales sur le vin, des journalistes qui parlent du vin dans de prestigieuses revues américaines ou japonaises. Michael Broadbent, le plus grand connaisseur en vins de la planète est là, Serena Suttcliffe et son mari écrivain du vin, Jancis Robinson ravissante dans des couleurs de vert et mauve, Clive Coates, auteur d’analyses percutantes sur le vin, retiré maintenant en France, James Suckling, critique œnologique aux analyses polémiques dans le Wine Spectator, Michel Bettane à la culture historique unique et des collectionneurs de grande pointure comme Wolfgang Grünewald, Josh latner et ce dégustateur fou, John Kapon avec qui j’avais partagé de belles bouteilles à New York qui marche sur les traces de Bipin pour organiser des combats plutôt excessifs entre les plus beaux vins de la terre.
L’expérience que l’on va vivre est bien loin de la philosophie de wine-dinners. Car ici on va comparer des années, les juger, quand dans mes dîners aucun vin n’est en compétition avec un vin identique. Bien sûr on vote en fin de dîner, mais on classe des liquoreux avec des bourgognes et des bordeaux, ce qui ne porte pas atteinte à leur valeur intrinsèque. Alors que là, on va dire que 1959 est meilleur que 1961 ce qui rabaisse un des deux vins qui est splendide. L’exercice est intellectuel, car on aura vu de telles variations entre les deux bouteilles d’un même millésime qu’il y a plus d’écart entre deux vins d’une même année qu’entre deux années. Il y a eu presque toujours plus de 5 points d’écart dans l’échelle de Parker entre les deux vins de la même année, et bien souvent dix points, ce qui est énorme, rendant moins définitive la hiérarchie des années.
Mais l’exercice présente un intérêt majeur, car c’est un moyen unique de mieux comprendre un domaine. Et à ce titre, l’expérience vaut d’être vécue. Je ne boirai plus jamais Montrose de la même façon après ce que j’ai vécu. Le propriétaire était extrêmement ému à la fin de cette expérience, car en 44 ans de direction d’un domaine acheté par son arrière grand père, c’est seulement la deuxième fois qu’il a réuni des vins de ce niveau. Il complimentera Bipin d’avoir su assurer la cohérence des séries de services, donnant une pertinence gustative unique.
Tout commence au déjeuner au restaurant Taillevent dans le magnifique salon lambrissé rajeuni d’un modernisme élégant et discret. Le champagne Taillevent (un Deutz) et les gougères préparent le palais. Nous passons à table. Je vais reproduire mes notes de dégustation prises au fil de la plume pour ne pas altérer la spontanéité du reportage. On sait qu’il y a des redites, car on note vite. Mais c’est l’image de l’instant.
Les nez de la première série : le 2003 est un vin frais, jeune, plein de charme. Le 2002 crée un fort contraste. Le nez est chaud, très brûlé, comme d’un Porto. Le 2000 a un nez discret, on sent l’immense potentiel. Le 1996 est un peu acide, évoquant des fruits noirs. Le 1990 est magnifique, assez semblable au 2000 mais plus ouvert. Le 1989 a une belle structure d’arômes. A ce stade, je n’avais pas encore trempé mes lèvres. Allons-y.
Le Montrose 2003 a une attaque magistrale. Il y a du fruit flamboyant, puis le bois arrive. La longueur est belle car le vin rebondit en bouche. Ce sera un très grand vin, avis qui n’est pas partagé par tous les convives dont Clive Coates. Le 2002 est moins excitant. Il est déjà formé, alcoolique, rond, et il raconte moins d’histoires. Le 2000, quel vin ! Dans 20 ans il sera grandiose. Après une attaque très Montrose, il s’installe et s’élargit en bouche de façon splendide.
Le 1996 est un peu coincé. Il ne s’écarte pas de sa trace médiane. Il est relativement peu inspiré. Le 1990 a une merveilleuse complexité. Il suggère des tonnes de choses, sans les imposer. Du boisé bien construit, une pesanteur en bouche réelle, une longueur qui se révèlerait plus si l’on mangeait. Le 1989 semble plus agressif, plus envahissant, mais développe un charme encore plus redoutable. En fait, on peut aimer 1989 et 1990 et l’un des convives fit lever les bras pour l’un ou pour l’autre et ce fut un 50-50 quasi parfait. J’ai un petit faible pour le 1989, aussi mon classement de cette série sera : 1989, 1990, 2000, 2003, 1996, 2002. Il convient de dire que les bouteilles étaient tellement variables que ces jugements et classements s’appliquent à ce que j’ai bu, soit du verre qui m’était servi, soit du partage que je fis avec un voisin.
La deuxième série arrive et je commence par les nez. Le 1964 a un nez merveilleux, splendide, épanoui. Le 1961 est une bombe aromatique folle. Le 1959 que j’ai est bouchonné. Le 1955 a un raffinement certain et le 1953 est magique. Le 1952 sent trop la vieille armoire normande.
En bouche, le 1964 est un joli vin, à pleine maturité. Il ne ressemble pas tellement à Montrose, il est très chaleureux. Le 1961 est aqueux. On me dit qu’il titre 11,9°. Il est grand, mais pas flamboyant. Il finit un peu court et ce sera le plat qui le remettra à son niveau. Le 1959 que je goûte, pas celui qui m’est servi, est magistral. C’est un vin magique. C’est un vin intense, légèrement fumé, qui laisse une trace indélébile.
Le 1955 a trop le goût de soufre, ce qui gêne la dégustation. Le 1953 a une race énorme. Il est de la race du 1959 mais en plus léger. Il a un immense caractère. Il me fait penser à Jean Cocteau, ce génie non conventionnel à la subtilité conceptuelle infinie. Des amis auront aimé le 1952. Le nez de grenier dissuade de le boire, et même s’il a souffert on trouve effectivement quelques messages intéressants. Compte tenu des grandes variations de bouteilles on ouvrit un autre 1959 et un autre 1953. Le 1959 est parfait, le 1953 est bouchonné.
Je classe cette série dans cet ordre : 1959, 1953, 1964, 1961, 1955, 1952, mais le plat a propulsé le 1961 à de beaux sommets.
La troisième série nous fait franchir un monde. Le 1918, comme l’indique avec justesse Michel Bettane a un nez de Bourbon. C’est parfaitement juste. J’avais pensé à un bois du Canada. En bouche on sent du cassis, de l’alcool. C’est assez fabuleux. Le 1916, après le Schwarzenegger de 1918, a un nez plus attendu et en bouche, c’est chaud, c’est plein, c’est chaleureux, c’est délicieusement vivant. Je n’en peux plus car le 1911, malgré un nez un peu pétroleux et une couleur un peu trouble est en bouche beau comme il n’est pas permis. En trois vins j’emploie trois fois le mot fabuleux.
Le 1906 a un nez un peu amer, mais en bouche il est bon. Le 1898 sent le vomi de bébé. D’une autre bouteille nettement meilleure, il y a quand même du gibier. Le 1890 mériterait d’avoir été dépoussiéré par un oxygène correcteur, car sous le gibier on sent que c’est jeune, et même très bon. Le 1888 a un joli nez, une couleur plate, rosée. Il n’y a plus grand-chose dans ce vin.
J’écris sur mon papier : le 1911 est géant, le 1916 est grand et le 1918 est jeune et je classe : 1911, 1918, 1916, 1890, 1898, 1906, 1888.
Pendant ce temps le déjeuner se déroulait et nous montrait toute la finesse de la cuisine de cette prestigieuse maison. Le menu du déjeuner : Légumes du moment étuvés, truffe écrasée et fleur de sel / Bar de ligne aux cèpes, cappuccino de châtaignes / Ossau Iraty aux épices (fromage basque) / crêpes craquantes aux fraises des bois. Subtilité extrême des recettes. La sauce des légumes embellissant le jeune 2003 pour le rallonger, et le bar enchantant le 1961 qui ne demandait que cela pour montrer son immense talent, mal révélé dans une dégustation froide de millésimes en série. La petite mise en bouche consistait en une gelée d’une délicatesse infinie. Le concombre en dés n’est pas forcément l’ami du vin, mais la gelée ravissait l’âme.
S’il fallait mêler les trois séries et donner un classement je dirais à ce stade : 1959, 1911, 1989, 1990. On se quitta pour quelques heures, les femmes changèrent leurs atours, et le dîner allait nous faire rencontrer de pures merveilles de Montrose.
Commençons par la cuisine. Le menu du dîner : petit velouté à la crevette assez risqué sur le vin, mais qui trouve sa place, crème brûlée de foie gras de canard aux fèves de Tonka / Saint-Pierre clouté au basilic / pigeon rôti au raisin de chasselas, girolles et jus d’armagnac : fourme d’Ambert à la cuiller / déclinaison de poires. La crème brûlée n’a trouvé aucun accord avec aucun millésime sauf un peu avec le 1970. Ils ne se sont pas parlés, alors que le Saint-Pierre est un magique multiplicateur de Montrose. J’ai particulièrement apprécié le pigeon traité d’une façon austère mais diablement précise. C’est du pigeon que l’on a en bouche, légèrement gibier, et la précision clinique du goût transcende les derniers vins qui sont – ce qui ne gâte rien – les plus grands des six séries.
Le premier groupe comporte des vins encore jeunes. Le 1986 a un nez d’un classicisme rassurant, très riche. Le 1985 est gravement bouchonné, le 1982 est opulent au nez, mais pas très complexe. Le 1975 fleure bon, joli, élégant et léger. Le 1970 a un nez convenable, un peu en dedans, légèrement bouchonné.
Le 1986 est un vin agréable, rond, élégant, raffiné, sans aspérité, sans défaut et sans extravagance. C’est le gendre idéal. Le 1985 non bouchonné est un peu court, sec, alcoolique. Il n’a pas de vraie longueur. Le 1982 est très aqueux, comme un tissu trempé. Voilà un vin qui comme le 1961 réclame un plat. Hélas, le velouté de crevettes et chou-fleur le coince plutôt. Il est à noter qu’il a un vrai message et s’élargit un peu avec le temps.
Le 1975 est aussi aqueux, avec un très joli parfum. Il m’a évoqué le clou de girofle. Le 1970 est un peu poussiéreux, astringent, à peine bouchonné, ce qui limite l’analyse.
Je classe ainsi : le 1986 et de loin, puis 1982, 1975, 1970, 1985.
La deuxième série comporte des millésimes rares. Je n’ai pas la bonne 1949, mais l’autre sent bon. Le 1948 a un nez superbe, comme un grand porto. En bouche, le 1949 souffre un peu, mais on sent qu’il a une richesse qui ne demanderait qu’à s’exprimer. L’autre 1949 est immense. C’est un beau vin de grande persistance. Le 1948 parait plus léger mais il développe une intensité et une complexité remarquables. C’est inhabituel, mais absolument passionnant. Le 1947 a le nez d’un vin ouvert tard. Avec de l’air, il se débarrasserait de sa capuche de champignon. En bouche c’est exceptionnel. C’est grand, expressif, et d’une longueur extrême. Quelle trace en bouche. C’est un immense vin. Il m’a rappelé de merveilleux 1947 que j’ai bus.
Le 1937 a un nez un peu fatigué. On sent que la trie a été peu sélective. Il est assez agréable, un peu astringent. Le 1934 a le nez transformé par le poisson qui m’est servi. Il est très grand en bouche. Un peu austère mais formidablement présent. Le poisson est évidemment un bonheur sur ces vins. Je classe 1948, 1947, 1934, 1937, 1949 ce dernier figurant ici à cause de la bouteille.
Mon orgueil gaulois a chaviré quand mon voisin de Hong-Kong aux racines chinoises me dit : vous devriez manger votre olive, car elle élargit le 1934. J’avais prudemment repoussé ce fruit sur le bord de l’assiette, craignant une mésalliance, et c’est un homme du soleil presque levant qui me donne une leçon de gastronomie. Le coq gaulois vacillait d’un coup. Car mon compère avait raison !
Arrive une série de légende, le feu d’artifice. Le 1945 a un nez totalement exceptionnel, très largement au dessus des autres. Son goût est incommensurable, fantastique. Le 1929 a un nez plutôt serré. Il fut ouvert tard. Magnifique en bouche avec du velours. C’est chaud, sucré, c’est grand. Il se développe avec bonheur. Le 1928 a un nez moins grand, pour celui qui m’est servi. Mais en bouche, c’est d’une jeunesse incroyable. C’est grandiose, c’est un vin immense (devant tant de splendeurs le vocabulaire se rétrécit, car on veut passer moins de temps à écrire qu’à boire). A ce stade, on se dit qu’avec 45, 29 et 28, on tient ce qui se fait de mieux. Attendez donc ! Le 1926 a un nez très pur et joli, et en bouche il est brillant, jeune, d’une structure remarquable. Le 1921 a un nez chaleureux comme il est impossible d’imaginer. C’est de la vanille, du Porto, c’est chaud. En bouche, c’est un peu plus déstructuré, fumé, sucré comme un fruit confit avec du litchi. C’est le plus oriental des Montrose de ce soir. Le 1920 exhale une merveille de précision. En bouche c’est plus court qu’au nez, mais c’est imprégnant et solide. Le 1900 appelle ce mot actuel : « respect ». C’est un témoignage de la perfection du vin, même s’il a un peu souffert. Le 1893 a un nez de prime abord soufré, ce qui aurait disparu à l’oxygène. Dès qu’on attend, on trouve un vin magistral, d’une dimension encore nouvelle.
Les 21, 20, 28 et 26 sont faits du même moule, sucrés, chauds, chaleureux, comme si quelque vin algérien était venu fauter. Je fais un classement : 1926, 1928, 1893, 1945, 1921, 1929, 1920, 1900, à cause de cette opacité sur le 1900. Mais en faisant un nouvel essai le 1900 se découvre et rappelle combien cette année est grande. Le 1921 est le moins Montrose de tous, le 1926 est gigantesque. Ce qui me frappe, c’est que le 21 et le 26 puissent être du niveau du 28. J’ai été frappé que la dernière série, que le pigeon adore, est souriante, ensoleillée, quand la série précédente avait produit des vins plus austères, plus encyclopédiques.
Faire un classement global est quasi impossible, d’une part du fait des variations de bouteilles mais aussi parce que chaque série produit une impression par elle-même. Le 1945 placé dans le dernier wagon n’aurait pas donné la même réaction s’il avait figuré avec ses congénères de la série précédente. Je hasarde cet ordre : 1959, 1926, 1928, 1986, 1948, 1989, 1893, etc. Mais je pourrais aussi bien mettre le 1926 en premier.
Le sommelier nous fit goûter un Coteaux du Layon 1928 dont deux bouteilles avaient des variations de couleur invraisemblables. L’une jaune citron, l’autre rose bonbon. Et c’est le même vin ! Il voulait ainsi rappeler les variations que nous avions vécues pour chaque millésime.
Jean Louis Charmolüe est un être sensible, fin, qui vivait cet événement avec une émotion intense. Il nous donnait de son vin une approche unique, car on en sait maintenant beaucoup. Il a parlé avec passion et amour de son vin. Sa sensibilité a rendu ma dégustation encore plus émouvante. Bipin Desai avait organisé brillamment la ronde des millésimes et a rendu un hommage appuyé et justifié à l’ensemble de l’équipe de Taillevent. De tels événements uniques marquent la vie d’un dégustateur.

galerie 1926 vendredi, 9 septembre 2005

Pommard Epenots Colomb-Maréchal négociants 1926. Je sais d’avance que ce sera grand !

Chambolle Musigny Labouré Roi 1926 bu chez Guy Savoy le 5 juillet 2001. Vin merveilleux. Si vous regardez attentivement, il y a à droite un Corton Soualle et Bailliencourt 1929 (gros calibre). A gauche, un Chateau d’Epiré 1929 (là, il faut me croire !).

 Chateau Latour Millon 1926. Bu en 2006. Délicieux. L’étiquette est d’une rare beauté.

 Savigny Chanson Père & Fils 1926 bu lors d’un dîner de wine-dinners en 2001 chez Guy Savoy (chercher sur ce nom ou sur le nom du vin).

 Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1926 bu avec Bipin Desai à Hiramatsu. Exceptionnel.

dîner d’été avec de bien beaux champagnes jeudi, 1 septembre 2005

Des amis ayant la riche idée d’ouvrir un Salon 1995 au talent naissant, je réciproquai quelques semaines plus tard en ouvrant un Salon 1985. Quel champagne ! Immédiatement, c’est le pamplemousse rose qui entre en scène au milieu de fleurs blanches. Ce champagne, d’abord floral, virginal et fruité de fruits délicats se structure ensuite en bouche. Les fruits plus lourds comme la mangue apparaissent. Le vineux fumé se montre et le kaléidoscope de saveurs intenses ravit mon palais déjà conquis. Nous nous rendons ensuite sur une belle plage où du sable blanc et fin rajouté au sable usuellement rugueux donne des idées tahitiennes. Là, dans un petit restaurant à l’ambiance jeune et mode, une jeune serveuse à la langue piercée, dont la jupe ne contribuera pas à alourdir le déficit du textile importé, nous sert de beaux poissons. J’ai pris un chapon. Le Dom Pérignon 1996, à la première gorgée, parait léger après le Salon, mais le palais s’adapte, et ce champagne dont j’ai vanté les abondants mérites s’installe, se met en place. C’est plus champagne, avec du charme mais moins de complexité. Le Cristal Roederer 1999 est encore trop bambin pour qu’il puisse se comparer. Fluide et délicat, il lui faudra vieillir.

nouveau dîner à l’Escundudo de Bormes les Mimosas lundi, 29 août 2005

Nous fîmes deux expériences en un restaurant fort sympathique, agréablement doté d’une étoile, l’Escoundudo à Bormes-les-Mimosas. Un jeune chef enthousiaste qui veut bien faire, Matthias Dandine, au talent incontestable, mais qui veut trop prouver. Alors, on complique sans que ce soit nécessaire et bien sûr, les plats que l’on apprécie le plus sont les plus simples, les poissons notamment, qu’il traite avec délicatesse. Par un temps très lourd, un Corton Charlemagne Louis Jadot 1999 est trop fort. Le Corton Charlemagne n’est pas à sortir en cette saison. Alors qu’un Clos Saint-Denis Grand Cru 2001 domaine Dujac brilla d’une élégance remarquable. Table à suivre, à essayer encore, car ces jeunes motivés, les deux frères épaulés par leurs parents, vont encore progresser. Une belle table dans une bien jolie ville. J’ai beaucoup aimé la deuxième fois le Laurent Perrier Grand Siècle 1995 au message bien franc. Un Château Baillon « Oppidum » 1989 m’a époustouflé, car ce Côtes de Provence était ce soir là en habit de lumière, mieux qu’un Pibarnon 1990 qui sentait déjà la mise à la retraite anticipée.

je reçois, dans ma maison du Sud, un des plus grands critiques gastronomiques mardi, 9 août 2005

J’avais conversé par e-mail ou au téléphone avec un grand critique gastronomique, écrivain de surcroît, qui officie sur de vastes et nombreux médias. L’idée d’une rencontre était apparue naturelle. J’ouvre le portail de ma maison du Sud pour accueillir un personnage au visage inconnu. La sensation est étrange et fait place instantanément à l’envie de se connaître. Ses bagages sont rangés dans sa chambre, nous arpentons le jardin face à la mer, et naturellement, assis autour d’une table surplombant la mer et donnant l’impression d’être en bateau, nous devisons sur l’état de la gastronomie française, ses chefs, ses habitudes, ses manies, ses tics de mode, ses voies à ignorer ou à éliminer. Nous nous rassurons par des analyses le plus souvent communes et nous nous expliquons quand nos avis s’opposent. Aucune volonté de briller, de montrer que l’on sait, mais plutôt la joie de deux philatélistes qui se montrent le timbre de la pêche au marlin à l’île Maurice ou le timbre d’un milliard de marks quand cette monnaie ne valait rien.
La préparation d’un dîner en l’honneur d’un homme de plume prompt à crucifier le moindre défaut a quelque chose d’excitant. Le menu sera le suivant : terrine de courgettes, poulet aux tomates confites, fromages du Var, salade de pêche, crème fraîche et confiture de pêche. Des choses simples, aux goûts précis, sans chercher à compliquer, ce qui exposerait à la critique. Pour les vins, j’avais prévu de commencer par un Saint-Véran Bichot 1989, pour mettre en valeur une appellation trop souvent ignorée, mais dans ma précipitation j’ai pris une bouteille aux couleurs identiques qui me força à changer les ordres de service.
A l’apéritif, j’ai prévu de délicieuses petites sardines qui appellent un vin rouge, car ce qui me paraissait possible au Saint-Véran ne me le parait pas au Chablis. C’est donc le Domaine de Barbeiranne Cuvée Charlotte 1999 Côtes de Provence. Vin délicieux qui part avec bonheur caresser la sardine. La chair goûteuse apprivoise ce vin délicieux. Ma pioche d’olives était à éviter pour le vin.
Sur la terrine, le vin que j’ai pris par erreur est un Chablis Premier Cru les Vaucoupins Bichot (Long Dépaquit) 1988. La couleur s’est déjà ambrée. Le vin accuse un peu son âge, même si la prestation gustative est honorable. Je savais que mon hôte aime les vins blancs très frais. Le froid anesthésia le Chablis, fort justifié sur l’aubergine.
De dodus et copieux poulets accueillirent des bouteilles qu’on ne trouve que rarement, tant la région n’a pas la patience de les conserver, ce qui est un tort. Le Terrebrune rouge Bandol 1987 est beau, noble, racé comme un fier espagnol qui vous foudroie du regard. Ce vin vous nargue de sa rudesse. Il est d’un beau plaisir. Le Rimauresq rouge 1983 Côtes de Provence monte encore d’un cran. Complexe, multiforme, chatoyant comme un beau Rhône, il chatouille les papilles avec un charme consommé. C’est manifestement un vin de grande classe.
La salade de pêche trouve sur sa route un Pommery 1987 magnifique d’énigme, de distinction et d’une personnalité folle. C’est le visage d’un Klaus Kinski avec la voix d’un Sinatra. Il joue sur plusieurs registres, voulant ne pas être catalogué. Tout le monde se moque de moi pace que j’aime les cigarettes russes, quand ces pédants (ma femme et ce nouvel ami) croient plus distingué de s’extasier sur des gavottes. Le champagne est délicieusement adapté aux deux desserts. Lorsque, tard dans la nuit, je fermai les lumières d’un repas amical, j’étais assez fier que nous ayons pu montrer, ma femme et moi, une parcelle de notre personnalité dans les choix que nous avions faits. Je classai d’instinct les vins dans l’ordre suivant : Pommery 1987, Rimauresq 1983, Barbeiranne 1999, Terrebrune 1987 et Chablis 1988. Les discussions reprirent au petit déjeuner comme si nous nous connaissions depuis vingt ans, avec, au seuil de se séparer, l’envie que tout ceci ait rapidement une suite.

galerie 1928 samedi, 6 août 2005

Il y a deux Gruaud-Larose à cette époque : le Faure Bethmann et le Sarget. Ici, il s’agit d’un Gruaud Larose 1928 Sarget. Bu plusieurs fois, ce vin est d’une rare sérénité.

 Château Beychevelle 1928, origine cave Nicolas, mais mis en bouteille au château.

 Jolie étiquette de Cos labory 1928

Suduiraut 1928, l’un des plus grands Sauternes de ma vie, bu une fois chez Guy Savoy, d’autres fois en famille. Cellui-ci a été bu chez Jacques Le Divellec le 25/01/2007.

 Chateau Carbonnieux 1928 bu de nombreuses fois et toujours parfait.

 Pétrus 1928 qui s’appelait à l’époque "Chateau".

Chateau d’Yquem 1928

 

Chateau Haut-Brion 1928, sans doute l’un des plus grands avec 1926.