ventes aux enchères mardi, 13 décembre 2005

Il y avait le samedi 10 décembre au moins cinq ventes, avec au moins 600 lots chaque fois, l’une des ventes atteignant 1800 lots.
On m’informe que beaucoup de lots sont partis à 15% sous les estimations basses.
C’est évidemment à confirmer, mais c’est dommage que les experts se placent trop souvent dans une optique de vendeur.
Une estimation haute empêche que je place des ordres.
Une estimation basse va me pousser à enchérir. Et une fois dans la spirale acheteuse, je vais sans doute aller plus haut que si j’ai estimé devoir être en dehors.
Sujet de réflexion sur lequel j’ai relativement peu convaincu jusqu’à présent.

J’ai bu Pétrus 1915 mardi, 13 décembre 2005

J’ai retrouvé ce collectionneur incroyable que j’avais rencontré à une dégustation de champagnes (évoquée dans le bulletin 160). Nous ne nous connaissions que furtivement, nous avions lutté sur quelques bouteilles phares, et nous avons mis au point un accord cadre de ce premier événement commun. Il avait apporté au restaurant Laurent une bouteille. J’en apporterais une autre et je l’inviterais. Et j’étais en charge des ouvertures. Lors de mon périple en cave j’avais estimé devoir rajouter une demi-bouteille, car sa couleur m’interpelait. Nous voilà partis dans cette aventure. J’arrive à 10h30 au restaurant Laurent et je découvre une belle bouteille ancienne de Château Pétrus Arnaud 1915. La capsule d’un rouge flamboyant porte l’indication « château Pétrus Arnaud Pomerol » et s’orne du dessin d’un château à trois tours, fines comme des minarets. Je n’ai vu rien de tel à Pomerol. L’étiquette indique les médailles gagnées aux expositions universelles de 1878 et 1889. Elle est barrée d’une écriture manuscrite rouge : année 1915 avec la signature A. Arnaud. Est-ce un Petrus ? Je demande à Philippe Bourguignon qui s’interroge comme moi. La propriété confirmera les assurances données par mon convive : c’est bien ainsi que s’appelait le vin de Pétrus. J’en aurais perdu des paris ! Car pour moi Pétrus n’est pas un château. Or il le fut. J’ai d’ailleurs vérifié que mes plus vieux Pétrus s’appellent bien château. Je décapsule et une lourde terre noire confirme un bouchon d’origine. Il se brisera mais je pus le reconstituer, bouchon d’une qualité irréprochable. L’odeur est immense. Un parfum capiteux rare. Je pense tout de suite à Cheval Blanc 1947 qui a de ces lourdeurs. Je décide de remettre un bouchon neutre pour ne pas voir s’altérer cette perfection olfactive. J’ouvre mon apport non prévu, une demi-bouteille de Château Arman sauternes 1926. Sa couleur m’avait donné envie comme un beau fruit que l’on veut cueillir. J’ai eu raison. Le bouchon est beau, l’odeur est précise. Quand je casse la cire du Chypre 1845, avant même que je ne plante le tirebouchon, le parfum lourd envahit la pièce. Le bouchon est infime, minuscule petit objet parfaitement ajusté à la forme du verre imprécis. Le vin respire, je suis heureux. Celui qui allait devenir un nouvel ami arrive. Quelle impression étrange d’avoir trois vins de légende que je vais aborder avec un quasi inconnu. Nous portons nos lèvres au Pétrus 1915. Sa couleur est d’un joli rouge à peine fatigué mais le vin n’est pas limpide. L’odeur est belle mais plus discrète qu’à l’ouverture. Mon ami est dubitatif. Il a moins de tolérance car c’est son vin. Il pense que son vin va s’affaiblir. Je pense qu’il va s’améliorer. Alors que mon expérience est inférieure à la sienne, c’est l’optimiste qui eut raison. Le vin est évidemment de belle race. Il est un peu fatigué, un peu bridé. Mon convive est gêné par une odeur de vernis que je ne sens pas. Et je ressens l’éveil progressif. La fine galette de cèpes bouchon dorés à la plancha est absolument délicieuse et son coté sous-bois émoustille le Pétrus que je sens grandir. Je deviens laudatif quand mon ami est calme. Tant pis. Je profite de cette opportunité unique de boire un vin d’une année de guerre dont il ne reste presque plus de témoignages. Le foie gras de canard et truffes noires, pochés dans un bouillon de pot-au-feu à la mélisse est une merveille. Tout ici est d’une gentillesse extrême. Le foie se mange comme une langue de chat. Il fond dans la bouche. La truffe est déjà expressive pour la saison. Le bouillon est chaleureux. Et le céleri est un conciliateur de raison. Le sauternes est époustouflant. Ce 1926 est la définition la plus précise du vrai sauternes. Et ce n’est pas un gamin frêle. En fermant les yeux on a en bouche la puissance d’un Yquem 1990. Ce sauternes sans défaut est traité comme une question de cours. Un vrai sauternes qui glisse sur le foie comme au manège. Comme le plat a été prévu pour le Chypre, il est temps de le goûter. Je pensais qu’il danserait sur les truffes à cause de son intense trame poivrée. Mais en fait c’est, lui aussi, sur le foie qu’il s’exprime le mieux. On sait que ce vin de Chypre est l’expression gustative la plus aboutie pour mon palais. Car il a une longueur qui n’a aucun équivalent, sans avoir la moindre lourdeur, car la réglisse et le poivre fort le rendent léger. Philippe Bourguignon le but avec nous. Et nous convînmes qu’il n’existe aucun arôme, aucune saveur auxquels on pût penser qui ne se trouvât dans ce vin à la complexité infinie. La glace au zan joua un beau duo avec la réglisse du Chypre. Belle signature finale. Le cadre du restaurant Laurent est toujours aussi charmant, la personnalité de Philippe Bourguignon ajoutant beaucoup à cette séduction. Mais cette cuisine exacte, d’un chef épanoui, adaptée à des vins de légende, quel bonheur ! Un détail, un seul, suffit à me pousser à refaire de nouvelles expériences avec cet esthète érudit : quand nous avons fait la synthèse de nos impressions, nous sommes convenus que le vin le plus beau de ce repas, c’était le moins gradé, celui qu’aucun de nous deux ne connaissait, cet Arman 1926. Une telle décontraction de jugement me plait. A bientôt la prochaine folie !

Evocation dans la presse mardi, 13 décembre 2005

Dans « les Echos » « Série Limitée » de décembre, ce supplément d’un format immense, il y a, page 108, un article qui s’appelle « Flûtes Enchantées ».

Et, au milieu de la page 109, on peut lire : « François Audouze, un grand amateur français, s’est donné pour mission de réhabiliter les vieux millésimes considérés comme trop anciens pour être bus. Un Moët Impérial 1914 (jugé excellent) ne lui fait pas peur, pas plus qu’une Veuve Clicquot Rosé RD 1928. Il organise même chez les plus grands chefs français des dîners autour de ces antiquités œnologiques dont il a révolutionné l’appréciation et la dégustation. En dépit d’un prix très élevé, qui peut aller jusqu’à 1500 euros, les réservations de ronds de serviette lui parviennent du monde entier : dix vins pour neuf convives, avec un ou deux millésimes de champagne, dont certains dépassent le demi-siècle. Les heureux élus en ressortent éblouis pour longtemps. »

Voilà une bien agréable évocation des dîners de wine-dinners sous la plume de Grégory Pons.

Dinner in restaurant of hotel Meurice with incredible combinations jeudi, 8 décembre 2005

It all starts at Marc Veyrat. A friend had introduced us to his art of cooking. This wonderful adventure is told in the Bulletin 158. We met again in his restaurant. He achieved a meal with a rare sensitivity (it is in the Bulletin 160). Having won a bet against one of the women of this team, on one of those subjects whose character does not have to be unveiled, I choose to be invited to the hotel’s restaurant Meurice because these great gastronomes friends had wanted to enter the creative world of Yannick Alléno. The challenge this meal exceeding the value of the bet, I promised to bring a bottle.

Before preparing meals and wines future for Christmas and Sylvester dinner, I wander in my cellar and I take four bottles, having in mind the cook of the chef. The choice of bottles in cellar is one of my favorite exercises: imagining the possible agreements is extremely exciting. I arrived at 5:30 pm and I opened the Bordeaux. Dusty but pleasant smell. Madeira I gladly would situate around 1870 (if not before) because it is older than I told my friends: I had announced 1890. The wine has a putrid smell that scares me. I have reason to be afraid, for it does not fade. Now I take care of two Burgundies. These bottles are heavy like bottles of the 19th century, at that time the weight of the glass did not count . The capsules of a blood red are identical, with legible words « Chevillot Beaune ». I go on the internet to research what could be this wine without a label, and I found a report by John Kapon, this crazy American mad of wine whom I met in New York and Paris to share great bottles, which indicates a sublime Musigny Chevillot 1928. It was an event organized by Bipin Desai, this American friend who makes the most extravagant tastings of the planet. I had already noticed that we have common heart strokes: when he likes a Pommard 1926, I like it too, when he loves a Romanée Conti 1972, I love it too. I felt that these convergences also be worth on this occasion. We need indeed a name for this wine, as it was wished for this pianist stranded on the English coast. Then it will be Musigny and 1928. The experience showed that it is Musigny. 1928 The idea pleases me enough, but if you showed me (it’s too late) that it is 1899, I would not say no, due to a load of evidence at the opening. And also because it reminds me of Musigny Coron Père & Fils 1899 which is one of the greatest wines of my life. I will call these two wines Musigny Chevillot 1928. A bottle is seriously low and gives off a terrible smell when opened. The other has a superb level and fumes fill me with joy.

The bottles are opened and I expect that my friends and my wife arrive. We chose the tasting menu by replacing one meat by the hare royale, as my friend who lost her bet is fond of. I wanted to put foie gras in the end, as it was made in « old times », but Yannick Alleno told me the sauce being made of Chambertin, logic was rather in sequence. I nodded. Here’s the menu: delicate jelly whelks with urchin, cream of rice and seaweed crust / walnut Saint-Jacques scallops to the pan, light broth with celery fresh chestnuts / blue lobster medallions strongly fried confit cabbage the essence of truffle / duck foie gras poached in Chambertin wine, pasta with truffle juice swollen and filled with mashed peas / hare royale, small pasta cubits related truffled cream / crispy buckwheat, ariégeois goat stuffed with cream flavored with white truffle oil / heart roasted pear, tile ice tonka bean caramel salted butter / Caribbean puck fondant chocolate, ice cream speculos.

We begin with a champagne Souza, non-vintage cuvée the caudalies that I find a little nose too dosé for my taste, and mouth, I have less emotion than in less prestigious cuvées of this house of Mesnil-sur- Oger I like the style. The appetizer is a little copy of the first dish which creates confusion to me. The champagne tones up very significantly on the first dish that is an example of the virtuosity of Yannick Alléno. It becomes a pure precision, very Mesnil as I like, and demonstrated its full relevance to the dish is given when one removes the empty plate. The champagne becomes pale, yet, all things being equal, a good champagne. The dish had transformed it.

We will demonstrate the opposite with the second dish. Nicolas Rebut, knowledgeable sommelier I appreciate we had suggested a demi-sec Vouvray Domaine Huet Mounts 2001. With the flat of Saint-Jacques shells extremely subtle, where celery and chestnut compete delicate suggestions, Vouvray is clumsy. This is obviously a well crafted wine. But there, too powerful for the dish. The demonstration opposite the champagne appeared with the same evidence: as soon as the plate is removed, the clumsy ballerina becomes joyful and fluid in the mouth. The dish had inhibited.

Lobster is a monument of perfection. Nay lobster, sauce! And Château Duhart-Milon, Pauillac 1962 is unbelievable. This wine is’ the lobster sauce. He became lobster sauce. At our table, there are formidable aesthetes. One of them is moved to the gustatory perfection of this combination, which is part of one of the finest he had the opportunity to live to the point that he begins to cry with happiness. There is no need to describe wine, and I would be incapable, because wine « is » sauce, like Louis Jouvet « is » Doctor Knock. The generous maître d’hôtel who had the brilliant idea of giving out small table cassolettes sauce, I grabbed one, to lose myself in the pleasure of this immeasurable combination.

Two bottles of Musigny 1928, since that is how we have lived them, which would be served first? The smells of the lowest had heckled me that we would drink first? The good or bad? We opted for the so-called bad, but I wanted to try both. The « bad » is beautiful, joyful, if we can do from small imperfections that do not irritate and does not encrypt the message. The « right » nails me on the spot. My friend who was watching me was amazed: « How can you, after everything you’ve been drinking, still experience sensations as strong? « . I had in mouth such emotions that I announced immediately that here was one of the greatest wines of my life.

Foie gras is superlative. Immense. With Musigny 1928 Chevillot more tired, a prodigious agreement. And we forget that wine dirty socks. It releases this Burgundian rough beauty, rough, a miner noble. Undergrowth, mushrooms can be searched, but who cares, a flesh of a sensual texture and a taste of personality, the wine is, though serene tired, giving the palate a myriad of unexpected flavors.

The second Chevillot Musigny 1928 is the absolute perfection of Burgundy. I thought of some great friends winemakers in the region to whom I would have liked to try a burgundy that is perfect, so they know what makes me vibrate from their grandiose region. Is it because of Chevillot perfect, I do not know. But this wine, at this time, is an unattainable balance of all components of the beautiful Burgundy. Gritty, disturbing as I like, but twirling to bamboozle your palate. A wine that joined my pantheon. I still have, as I write these lines, the satisfaction of having touched what makes these wines taste crippling and confounding puzzles of disconcerting seduction. This wine has the madness of a Verlaine when he wrote his most beautiful poems and that of Egon Schiele when torture on his canvas shapes and colors. This is the foie gras hare that blends better than the hare variables flavors, suave in certain parts and game over others. I found this a little intellectual hare. I would have liked more vulgar, more proletarian. But each chef has an interpretation of this institution.

We wanted of course that also appears on the hare the Madeira 1890. This is what I announced but it is much older, because its cap is the exact replica of the cork of Cyprus in 1845 I will tell later: its size to half of the distal phalanx of a finger. I was disturbed because the veil that hid its value was not gone. My friends, they are polite but sincerely appreciate. In my part, I am furious. And now suddenly, by one of those miracles that I have repeatedly observed, the mask falls. The film, the veil obscuring the beauty of this wine, and the wine shows lights. It is a curious Madeira because it is merry, round, almost red fruit, which is not the exact definition of madeira. But it is beautiful, warm, filling the mouth of a beautiful splendor.

The trouble is that this awakening – which does not erase completely injury, but idealizes what wakes – appeared on a cheese not really necessary in the intense journey that we have lived. Desserts hung up the delights of this wagon train of sensations of unprecedented wealth.

This tasting meal reveals clearly three facets of the cook of the chef whom I count among the greatest. There virtuoso facet, for whelk or hare, and it’s not one that speaks most to my heart. There’s the sentimental side, the generous and sensitive cook, which is expressed in the foie gras and Saint Jacques shell. There I am, because we are in the line of my wines, aspiring to this delicacy. Finally there is the lobster, Yannick treats emperor masterpiece of serenity.

A chef explores different tracks, as it takes all tastes. And God knows there is not a single taste. Duhart-Milon was on an unrivaled accuracy. A Musigny 1928, « the » best possible expression of Burgundy. Such moments are infinitely rich.

galerie 1918 jeudi, 8 décembre 2005

cette étiquette de Mouton-Rothschild 1918 constitue pour moi une énigme, parce que, à ma connaissance, l’étiquette Carlu n’est apparue qu’en 1924. Alors ?

Elle est de toute façon d’une étrange beauté.

 La contre étiquette de cette bouteille est absolument étonnante, car c’est un don des caves Nicolas pour la sauvegarde de Venise, cette bouteille ayant été vendue en 1972 à cette vente de charité.

 Grand vin de Léoville du Marquis de Las Cases 1918, caves Nicolas, dont le nom a été simplifié depuis. A noter qu’on ne disait pas "château"

En voici une autre, elle aussi avec le tampon de la cave Nicolas, au graphisme légèrement différent.

 Chateau Haut-Brion 1918.

Dîner au Meurice avec un sublime accord jeudi, 8 décembre 2005

Tout commence chez Marc Veyrat. Un de ses amis nous avait initiés à sa cuisine. Cette merveilleuse aventure est racontée dans le bulletin 158. Nous nous sommes revus chez lui. Il a réalisé une cuisine d’une sensibilité rare, c’est dans le bulletin 160. Ayant gagné un pari contre l’une des femmes de cette équipe, sur un de ces sujets dont le caractère « planétaire » n’a pas à être dévoilé, je choisis d’être invité au restaurant de l’hôtel Meurice, car ces amis grands gastronomes avaient envie d’entrer dans l’univers créatif de Yannick Alléno. L’enjeu de ce repas dépassant la valeur du pari, je promis d’apporter une bouteille.

Devant préparer les vins de futurs repas et ceux des réveillons, j’erre dans ma cave et je saisis quatre bouteilles, ayant en tête le menu que réalisera le chef. Le choix des bouteilles en cave est un de mes exercices favoris : imaginer les accords possibles est extrêmement excitant. J’arrive à 17h30 et j’ouvre le bordeaux. Odeur poussiéreuse mais sympathique. Le madère que je situerais volontiers vers 1870 (voire avant) car il est plus ancien que ce que j’ai annoncé à mes amis : 1890, a une odeur putride qui me fait peur. J’ai raison d’avoir peur, car elle ne veut pas s’estomper. Je m’occupe maintenant des deux bourgognes. Ces bouteilles sont lourdes comme des bouteilles du 19ème siècle, quand on ne comptait pas le poids du verre. Les capsules d’un rouge sang sont identiques, avec la mention très lisible « Chevillot Beaune ». Je vais sur internet pour rechercher ce que pourrait être ce vin sans étiquette, et je trouve un compte-rendu de John Kapon, cet américain fou de vin que j’ai rencontré à New York et à Paris pour partager de grandes bouteilles, qui indique un sublime Musigny Chevillot 1928. C’était à une manifestation organisée par Bipin Desai, cet ami américain qui fait les dégustations les plus extravagantes de la planète. J’avais déjà constaté que nous avons des coups de cœur communs : quand il aime un Pommard 1926, je l’aime aussi, quand il aime une Romanée Conti 1972, je l’aime aussi. J’ai estimé que ces convergences vaudraient aussi en cette circonstance. Il faut en effet un nom pour ce vin, comme on le souhaitait pour ce pianiste en habit échoué sur les côtes anglaises. Alors ce sera Musigny et 1928. L’expérience montra que c’est Musigny. L’idée de 1928 me plait assez, mais si on me démontrait (il est trop tard) que c’est 1899, je ne dirais pas non, pour une brassée d’indices relevés à l’ouverture. Et aussi parce qu’il me rappelle ce Musigny Coron Père & Fils 1899 qui est un des plus grands vins de ma vie. Appelons ces deux vins Musigny Chevillot 1928. Une bouteille est gravement basse et dégage une odeur affreuse à l’ouverture. L’autre a un niveau superbe et les émanations me comblent de joie.

Les bouteilles sont ouvertes et j’attends que mes amis et mon épouse arrivent. Nous avons choisi le menu dégustation en faisant remplacer l’une des viandes par le lièvre à la royale, dont ma parieuse est friande. Je voulais mettre le foie gras à la fin, « à l’ancienne », mais Yannick Alleno me dit que la sauce étant au Chambertin, la logique était plutôt dans l’ordre prévu. J’ai acquiescé. Voici ce menu : délicate gelée de bulots aux langues d’oursin, crème de riz et croûte aux algues / noix de coquilles Saint-Jacques au poêlon, bouillon léger de céleri aux châtaignes fraîches / médaillons de homard bleu vivement poêlés, confit de chou blanc à l’essence de truffe / foie gras de canard poché au vin de chambertin, pâtes gonflées au jus de truffe et fourrées d’une purée de pois /lièvre à la royale, petites pâtes coudées liées à la crème truffée / croustillant de sarrasin, fourré de crème de cabri ariégeois parfumé à l’huile de truffe blanche / cœur de poire rôtie, tuile à la fève de tonka glacée au caramel au beurre salé / palet fondant au chocolat caraïbes, crème glacée aux spéculos.

Nous commençons par un champagne de Souza, cuvée les caudalies non millésimé que je trouve au nez un peu dosé pour mon goût, et en bouche, j’ai moins d’émotion que sur des cuvées moins prestigieuses de cette maison de Mesnil-sur-Oger dont j’aime le style. L’amuse-bouche est un peu la copie conforme du premier plat ce qui me crée une confusion. Le champagne hausse le ton de façon très significative sur le premier plat qui est un exemple de la virtuosité de Yannick Alléno. Il devient d’une justesse extrême, très Mesnil comme je les aime, et la preuve de son adéquation complète au plat est donnée quand on retire l’assiette vide. Le champagne redevient falot, tout en étant, toutes choses égales, un bon champagne. Le plat l’avait transformé.

Nous aurons la preuve inverse avec le second plat. Nicolas Rebut, sommelier compétent que j’apprécie beaucoup nous avait suggéré un Vouvray demi-sec les Monts Domaine Huet 2001. Avec le plat de coquilles Saint-Jacques extrêmement subtil, où le céleri et la châtaigne rivalisent de suggestions délicates, le Vouvray est tout pataud. C’est évidemment un vin de belle facture. Mais là, beaucoup trop affirmé pour le plat. La démonstration contraire de celle du champagne apparut avec la même évidence : dès que l’assiette est enlevée, le pataud devient ballerine, joyeux et fluide en bouche. Le plat l’avait inhibé.

Le homard est un monument de perfection. Que dis-je le homard, la sauce ! Et le Château Duhart-Milon, Pauillac 1962 est invraisemblable. Ce vin ‘est’ la sauce du homard. Il est devenu sauce du homard. A notre table, il y a de redoutables esthètes. L’un d’entre eux, est ému de la perfection gustative de cet accord, qui fait partie d’un des plus beaux qu’il ait eu l’occasion de vivre, au point qu’il commence à pleurer de bonheur. Il n’est point besoin de décrire le vin, et l’on en est bien incapable, car le vin « est » la sauce, comme Louis Jouvet « est » le docteur Knock. Le généreux chef ayant eu la riche idée de donner sur table des petites cassolettes de sauce, j’en piratai une, pour m’abîmer dans le plaisir de cet accord incommensurable.

Des deux bouteilles de Musigny 1928, puisque c’est comme cela que nous les avons vécues, laquelle allait être servie la première ? Les odeurs de la plus basse m’avaient interpelé, que boirait-on d’abord ? La bonne ou la mauvaise ? On opta pour la dite mauvaise, mais je voulus goûter les deux. La « mauvaise » est superbe, joyeuse, si on sait faire la part des petites imperfections qui n’agacent pas et ne cryptent pas le message. La « bonne » me cloue sur place. Mon ami qui m’observait fut émerveillé : « comment peux-tu, après tout ce que tu as bu, encore éprouver des sensations aussi fortes ? ». J’avais en bouche une de ces émotions qui m’annonçaient immédiatement qu’il y avait là l’un des plus grands vins de ma vie.

Le foie gras est superlatif. Immense. Avec le Musigny Chevillot 1928 plus fatigué, un accord prodigieux. Et on oublie que le vin a des chaussettes sales. Il dégage cette beauté bourguignonne râpeuse, rugueuse, d’un noble mineur de fond. On peut chercher les sous-bois, champignons, mais qu’importe, sur une chair d’une sensualité de texture et d’une personnalité de goût, le vin est là, serein quoique fatigué, donnant en bouche une myriade de saveurs inattendues.

Le deuxième Musigny Chevillot 1928 est la perfection absolue de la Bourgogne. J’ai pensé à quelques amis grands vignerons de cette région à qui j’aurais aimé faire goûter un bourgogne qui est parfait, pour qu’ils sachent ce qui me fait vibrer de leur si grandiose région. Est-il parfait à cause de Chevillot, je ne sais pas. Mais ce vin, à ce moment, est à un équilibre inatteignable de toutes les composantes de la belle Bourgogne. Râpeux, dérangeant comme je les aime, mais virevoltant pour vous embobiner le palais. Un vin qui rejoint mon Panthéon. J’ai encore, en écrivant ces lignes, la satisfaction d’avoir touché ce qui fait de ces vins des énigmes gustatives paralysantes et confondantes de séduction déroutante. Ce vin a la folie d’un Verlaine quand il écrit ses poèmes les plus beaux, et celle d’Egon Schiele quand il torture sur sa toile les formes et les couleurs. C’est le foie gras du lièvre qui se marie mieux que le lièvre aux saveurs variables, doucereux sur certaines portions et gibier sur d’autres. J’ai trouvé ce lièvre un peu intellectuel. Je l’aurais aimé plus canaille, plus prolétaire. Mais à chaque chef son interprétation de cette institution.

Il fallait bien sûr que sur le lièvre apparaisse aussi le Madère 1890. C’est ce que j’avais annoncé mais il est beaucoup plus vieux, car son bouchon est l’exacte réplique du bouchon du Chypre 1845 que je vais raconter plus loin : sa taille a la moitié de la dernière phalange d’un auriculaire. Je pestais parce que le voile qui masquait sa valeur n’était pas parti. Mes amis, sont-ils polis ou sincères, l’apprécient. Dans mon coin, j’enrage. Et voici que tout à coup, par un de ces miracles que j’ai plusieurs fois observés, le masque tombe. La pellicule, le voile, qui masquaient la beauté de ce vin, s’effacent et le vin s’illumine. C’est un madère assez curieux car il est joyeux, rond, presque fruit rouge, ce qui n’est pas l’exacte définition d’un madère. Mais c’est beau, chaleureux, remplissant la bouche d’une belle splendeur.

L’ennui, c’est que ce réveil – qui n’effaçait pas tout à fait les blessures, mais on idéalise ce qui se réveille – apparut sur un fromage pas vraiment nécessaire dans le voyage intense que nous vivions. Les desserts raccrochèrent un wagon de délices à ce cortège de sensations d’une richesse inouïe.

Ce repas dégustation révèle clairement trois facettes de la cuisine de ce chef que je compte parmi les plus grands. Il y a la facette virtuose, pour le bulot ou le lièvre, et ce n’est pas celle qui parle le plus à mon cœur. Il y a la facette sentimentale, du cuisinier généreux et sensible, qui s’exprime dans le foie gras et la coquille Saint-Jacques. Là, je le suis, car on est dans la ligne de mes vins, qui aspirent à cette finesse. Enfin il y a le homard, que Yannick traite en empereur, chef d’œuvre de sérénité.

Un chef explore des pistes différentes, car il faut satisfaire tous les goûts. Et Dieu sait s’il n’existe pas un seul goût. Le Duhart-Milon fut d’une exactitude inégalable. Un Musigny 1928 fut « la» plus belle expression possible de la Bourgogne. De tels moments sont d’une richesse infinie.

galerie 1919 mardi, 6 décembre 2005

cette bouteille a une histoire. Quand j’ai cassé une Margaux 1900 que je venais d’acheter, j’ai mis du temps à réaliser la perte irréparable. Pour ne pas rester sur un échec, j’ai ouvert cette bouteille qui est à ce jour le plus beau Ausone de ma vie.

 

les bordeaux que j’ai bus mardi, 6 décembre 2005

J’ai compilé à ce jour la base de données des vins que j’ai bus. Je bois du vin depuis plus de trente ans, et je ne tiens cette statistique que depuis 6 ans. La statistique n’est donc pas complète, mais ce n’est pas si mal. Après chaque année, le nombre de vins (avec parfois un vin en double si je l’ai bu deux fois).

Ce magnum de Cheval Blanc est une icône du vin bordelais.

Le signe # veut dire que l’année a été estimée, qui était illisible ou non indiquée 1858 # (1) – 1869 (1) – 1870 (4) – 1874 (1) – 1878 (1) – 1887 (1) – 1888 (1) – 1890 (3) – 1891 (1) – 1893 (1) – 1898 (1) – 1899 (3) – 1900 (10) – 1904 (3) – 1905 (1) – 1906 (1) – 1907 (3) – 1908 (1) – 1909 (1) – 1911 (1) – 1912 (1) – 1914 (2) – 1916 (4) – 1918 (8) – 1919 (6) – 1920 (2) – 1921 (4) – 1922 (1) – 1923 (1) – 1924 (8) – 1925 (1) – 1926 (8) – 1928 (22) – 1929 (20) – 1931 # (1) – 1933 (7) – 1934 (17) – 1936 (2) – 1937 (14) – 1938 (3) – 1939 (2) – 1940 (1) – 1940 # (1) – 1941 (2) – 1943 (8) – 1943 # (1) – 1945 (12) – 1946 (1) – 1947 (19) – 1948 (6) – 1949 (4) – 1950 (12) – 1951 (1) – 1952 (8) – 1953 (8) – 1954 (1) – 1955 (22) – 1957 (2) – 1958 (2) – 1959 (17) – 1960 (4) – 1960 # (1) – 1961 (19) – 1962 (10) – 1963 (2) – 1964 (19) – 1965 (1) – 1966 (10) – 1967 (11) – 1969 (5) – 1970 (15) – 1971 (11) – 1972 (3) – 1973 (2) – 1974 (5) – 1975 (18) – 1976 (6) – 1977 (2) – 1978 (15) – 1979 (12) – 1980 (4) – 1981 (11) – 1982 (19) – 1983 (13) – 1984 (3) – 1985 (7) – 1986 (20) – 1987 (13) – 1988 (13) – 1989 (27) – 1990 (24) – 1991 (2) – 1992 (5) – 1993 (10) – 1994 (10) – 1995 (11) – 1996 (21) – 1997 (11) – 1998 (16) – 1999 (17) – 2000 (14) – 2001 (9) – 2002 (11) – 2003 (4) – 2004 (20). Les 20 de 2004, c’est parce que j’ai été invité à la séance de notation de la rive droite en avril 2005.

un dîner chez Jean Bardet en présence de grands chefs samedi, 3 décembre 2005

Les médecins sont certainement des hommes d’une extrême générosité de cœur. Je suis allé chez Marc Veyrat en suivant un médecin, à la Confrérie du lièvre à la royale en suivant un médecin, et voilà qu’un médecin m’appelle. Un dîner va réunir des grands chefs. Est-ce que je voulais en être ? J’y suis allé.
Il y avait, je crois, une manifestation (colloque, exposition, séminaire ?) à Tours sur les nouvelles tendances culinaires. Un dîner de gala a lieu après de doctes discussions chez Jean Bardet sous la présidence prestigieuse de Pierre Troisgros, avec de nombreux chefs avec lesquels j’aurai le plaisir de bavarder. Alain Dutournier bien sûr parce que nous nous connaissons, Olivier Roellinger, Michel Bras, discret mais impressionnant, Emile Jung, Gérard Cagna, et d’autres.
Pour remercier ce médecin inconnu du lien qu’il crée, je fais ouvrir un Krug Grande Cuvée assez récent donc vert, qui eut bien du mal à se débrider. Alain Dutournier qui le goûta lui trouva un goût de lumière. Cette expression est jolie, qui évoque une planche mal calée dans la charpente d’une toiture et laisse briller un rai dans un environnement poussiéreux.
Le menu est fort bon. Etant à coté de Sophie Bardet, j’ai constaté qu’elle a fait une sélection sur la liste d’une vingtaine de vins que l’on pouvait se faire servir. Elle en a trouvé de fort bons. Le Vouvray sec-souple Chateau Gaudrelle A Monmousseau 2004 est extrêmement bien fait, très équilibré, sans excès, d’une belle justesse de ton. Sur un capuccino d’écrevisses délicatement cacaoté, il s’exprime avec une franchise spontanée.
Le Vouvray moelleux Le Clos du Bourg Maison Huet 2002 accompagne de façon brillante, par un de ces contrastes magiques, un turbot poché où la pomme Granny-smith abonde. Comme elle est fort astucieusement assagie, le mariage est non seulement possible mais étonnamment plaisant.
Le Chateau Clinet 1997 bu en magnum a déjà des signes d’âge (couleur qui évolue) et a un bois un peu insistant, mais il crée là aussi un de ces accords qui me remplissent de joie : une poitrine de porc est morganatiquement mariée à du caviar d’Aquitaine qui joue dans le registre « chevalier servant » et non pas « jeune premier en tête d’affiche », et avec ce vin rouge un peu râpeux, et une charmante petite purée de charlotte, ça marche à merveille. C’est presque plus intense quand le jus de cochon n’est pas encore servi, qui devait assurer la cohérence du plat, mais en fait le marque d’une trace forte, et par contrecoup moins élégante que lorsque la combinaison se fait sans cette sauce.
J’ai bien aimé ces deux vins de Loire jeunes qui ont mis en valeur la région, ce qui était le but recherché. Un magnum de Moët & Chandon 1990 fut apprécié et aurait pu conclure en beauté cet événement si mon nouvel ami, hâbleur, « bonimenteur placier » auprès de tous les convives de mes aventures au point de m’en gêner, n’avait eu l’idée de décacheter une jolie fiole d’un armagnac de 1959 de la réserve de la maison Corcellet redoutablement bon.
Les discussions avec Jean Bardet de fort bonne humeur, au cours desquelles nous avons comparé nos conceptions et hiérarchies des accords mets et vins, et avec la ravissante Valérie sa fille, se sont poursuivies au delà de toute heure décente, ce qui signifiait que la soirée était réussie.

dégustation de Dom Pérignon de 1998 à 1976 mardi, 29 novembre 2005

Gérard Sibourd-Baudry m’avait dit : es-tu inscrit à la dégustation de Dom Pérignon ? N’ayant reçu aucune information, je dis non. Ayant l’habitude de réagir assez vite, j’en fus et je fis bien.
J’arrive un peu en avance aux Caves Legrand, ce qui me permet d’échanger quelques mots avec Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, qui va nous présenter Dom Pérignon comme personne ne serait capable de le faire. Il a la sensibilité de chaque composante de ce vin. Si cette dégustation devait ajouter à la gloire de Dom Pérignon, elle a atteint son objectif. Je n’étais pas un bizut puisque j’avais participé au jury qui avait consacré par de lourds lauriers le Dom Pérignon 1996 (bulletins 120 et 121). Il en fallait beaucoup pour que je fusse subjugué. Je le fus.
J’ai trouvé en Richard Geoffroy un chantre de son vin particulièrement enthousiaste. Il commença par nous dire : « je vais vous parler de la subjectivité de Dom Pérignon ». J’aime quand on démarre comme cela, dans des registres qui dépassent de loin la technique.
Le Dom Pérignon 1998 est un petit prodige de jeunesse, sans doute le Dom Pérignon de demain. Bien sûr il faut se méfier de ce que nous réserve le réchauffement climatique, car des réussites comme Yquem 2001, on risque d’en voir beaucoup d’autres à l’avenir. Mais ce 1998 est là et bien là. Comme pour le 1998 bu il y a quelques jours, ce qui est fabuleux, c’est le milieu de bouche. Ce qui m’a émerveillé, c’est que la truffe blanche d’un agréable risotto a fait apparaître des fruits blancs dans le panorama de ce Dom Pérignon subtil. Blanc sur blanc de la truffe et de ce goût de pêche blanche, c’est l’esprit des couleurs. La bulle est active, d’autant plus canaille que le riz la modère. La trace en bouche de la truffe blanche semble éternelle. Voilà un de ces accords d’une justesse absolue.
Sur un Jabugo bien dosé où le gras est calme, la première gorgée du Dom Pérignon 1996 m’assomme. Je suis groggy et Richard en rit car il a vu ma réaction. Ce 1996 est un produit du diable. C’est la Dame de Shangaï. C’est la sensualité énigmatique de Rita Hayworth. Le Selles sur Cher est plus le partenaire du Dom Pérignon 1995. Merveilleux Dom Pérignon, profond, linéaire, très clair dans son discours, mais plus volontiers dans la ligne du parti, il s’oppose catégoriquement au 1996 totalement canaille. Le 1995 est Richelieu, le 1996 est Arsène Lupin.
Le caviar sur une pomme de terre excite le Dom Pérignon Œnothèque 1990. Il lui donne une direction d’expression saline. Et le caviar influence le 1990. C’est intéressant mais maintes fois exploré. Je ne suis pas sûr que cet accord dépasse le stade du symbole de l’aventurier mondain lady killer. Quand cette trace gustative typée s’assagit on se rend compte que le 1990 est un grand champagne. Il est magnifique de simplicité, ce qui est ici un compliment. On peut se demander comment il est possible d’atteindre des niveaux de qualité élevés sur de tels volumes de production (gardés secrets, marketing oblige). Mais la vérité est là : c’est un grand champagne. Le caviar devait aussi accompagner le Dom Pérignon rosé 1990 servi en magnum. La répulsion est immédiate. Pas de copinage possible. On cherche à imaginer ce que ce beau rosé aimerait. Il me vient immédiatement l’envie de la chair d’une biche, sans aucun accompagnement. Plus le temps passe et plus le rosé montre une forte personnalité. Dom Ruinart rosé 1990 est grand. Ce Dom Pérignon rosé est de la même veine.
Le Dom Pérignon Œnothèque 1976 doit susciter trois accords. Avec les deux foies gras, on cherche mais on ne trouve pas. Le foie gras ne fait pas se trémousser ce champagne dont j’attendais plus de fanfare. La sourdine est mise. Mais avec le loukoum, c’est un réveil et un bel accord. La sécheresse apparente du 1976 et la subtilité troublante du loukoum se marient fort bien. C’est la pistache qui est la clé de cette excitation.
Quand Richard Geoffroy a parlé de fenêtres d’émotion pour les Dom Pérignon, qui s’épanouissent à 7 ans, puis à 14 ans, puis à 30 ans, je buvais du petit lait car je ne cesse de parler de ces moments où les vins s’expriment. C’est en ce moment que les rouges de 1953 et 1955 sont éblouissants, comme le sont de façon magistrale les 1928 et 1929. Ne pas linéariser l’histoire d’un vin, c’est ce que je clame. Que j’aie la même idée que le maître de caves d’un vin connu de la planète me comble de joie.
J’étais placé à coté d’une japonaise venue spécialement de Tokyo pour cette seule dégustation. Nous nous étions déjà rencontrés lors de l’historique dégustation de Pétrus (bulletin 120) pour laquelle elle avait aussi fait ce même long voyage pour un seul but. Elle m’a raconté qu’elle a bu Pétrus 1943, 1945, 1947. Cette volonté d’être là pour un vin représente la forme ultime de la passion du vin. Quelle leçon pour beaucoup d’amateurs mâles !
Ce fut une magnifique soirée avec des vins qui ne sont pas seulement réservés aux agents secrets qui sauvent la planète mais aussi aux amateurs qui recherchent des grands champagnes expressifs, intelligents et de charme.