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Ce blog n’est pas un guide au sens classique. C’est plus le roman d’aventures d’un passionné de vins anciens et de gastronomie.
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Le détail des prochains dîners se lit ici :  programme-des-repas

 

 

 

 

(ouverture de Mouton 1918 dont l’étiquette Carlu est en tête de ce blog. A gauche, on reconnait Mouton 1945)

 

 

 

 

 

 

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lundi investigation sur Canal + lundi, 19 décembre 2005

Une énième émission sur les grands chefs. Ce qui me frappe, c’est que tout le monde parle du Michelin, des étoiles injustifiées, du caractère vieillot de certaines maisons, mais jamais on ne parle avec des clients de ces restaurants. Les cas de Bernard Loiseau et d’Alain Senderens sont le prétexte facile à vouloir bousculer le Michelin comme on bouscule Robert Parker dans les vins. Mais a-t-on imaginé que les clients de ces restaurants sont suffisamment malins pour se faire leur propre religion et encourager ceux qui leur plaisent. Il est étonnant qu’on ne les écoute pas. On aurait une telle approbation de ces chefs que ça ne serait pas passionnant pour une télévision qui cherche plus à déboulonner des icônes. Un autre guide à qui l’on fait la part belle, est dégommé dès qu’on apprend qu’il est totalement sponsorisé. Cette émission n’apporte réellement rien.

Maman, ton gigot vaut 91 points dimanche, 18 décembre 2005

– Mon chéri, as-tu aimé mon gigot ?
– Maman, ton gigot vaut 91 points. Un agneau de belle prestance, vieilli sans doute quinze jours de trop, paissant sur une herbe courte et peu grasse, des flageolets de beau calibre, sans doute un peu secs, un ail un peu trop expressif, pas assez adouci. Oui, ton gigot vaut 91 points.
– mais mon enfant, tu l’as aimé ou non ?
– tu sais, ce n’est pas comme cela qu’il faut voir les choses. Ton gigot, à 13,70 € se compare à ton poulet de Bresse à 7,80 € à qui j’ai donné 92. A mon avis, tu es meilleure sur le poulet de Bresse, en termes de qualité / prix, que sur le gigot.
– mais enfin, je ne peux pas te donner du poulet tous les jours. Alors, comment tu l’as trouvé ?
– je persiste, c’est 91 points.
La maman s’en va dans la cuisine, fait du bruit avec les assiettes, grommelle en essuyant des larmes avec son tablier.

Mon Dieu que les dégustations froides et analytiques sont loin du sentiment.

les bourgognes et les olives dimanche, 18 décembre 2005

Au bar de l’hôtel Meurice, attendant les convives du 61ème dîner, je grignotais des olives avec un jus de tomate.
J’avais en mémoire les senteurs des vins de ce soir, et l’envoûtante trace des bourgognes.
Et j’ai eu soudain une vision.
Une olive, quand on la prend en bouche, est hostile. Un goût de sel, un goût âpre, revêche. C’est brutalement dérangeant, mais au bout du compte, le plaisir excitant est au rendez-vous.
J’ai alors pensé que le vin de Bourgogne c’est cela aussi : un goût qui dérange, une âpreté, une volonté de ne pas séduire, mais au bout du compte un plaisir gustatif certain.
Il est évident qu’il n’y a rien ce commun au niveau du goût entre olive et bourgogne. Ma remarque concerne l’approche, la volonté de ne pas séduire qui se traduit, in fine, par un plaisir excitant d’étrangeté.

Les chefs et les médias dimanche, 18 décembre 2005

Samedi, François Simon parle dans le Figaro des chefs aux fourneaux et de ceux qui n’y sont pas assez.
Dimanche, dans le Journal du Dimanche, Jean François Piège présenté comme « chef des Ambassadeurs » ce qui fait extrêmement chic, expose ses vues sur la cuisine. Dans le même journal Bernard Pivot parle de deux livres, l’un sur Bocuse et l’autre sur Léon de Lyon.
Si on baissait la pression médiatique sur ces chefs, ce ne serait pas plus mal. Je trouve qu’ils sont trop sollicités par les médias.
La vision de Jean François Piège est très sincère, spontanée, d’un homme de cœur. Cela le rend encore plus sympathique. Mais un chef n’est pas toujours obligé de compliquer sa cuisine, pour faire différent de chez soi. J’ai bien envie aussi qu’il traite merveilleusement un produit simple, pour lui-même, sans obligation de me surprendre par des ajoutes de goûts pas toujours utiles.
Là où j’applaudis à son commentaire, c’est lorsqu’il dit qu’on n’a jamais aussi bien mangé. Nous avons à Paris des chefs éblouissants, qui veulent bien faire. Et le guide Michelin, tant décrié (parce que c’est une institution, comme Robert Parker l’est dans le vin) les pousse à s’améliorer sans cesse. Alors tant mieux.
Qu’ils soient derrière les fourneaux, moins médiatiques, et le consommateur qui a les moyens d’aller dans ces lieux de légende, qu’on devrait donc chouchouter, y trouvera son compte.

Trois beaux champagnes au restaurant les Crayères à Reims dimanche, 18 décembre 2005

Nous voulions aller voir un marché de Noël. Ce fut le prétexte d’un déjeuner au château des Crayères à Reims. L’amuse-bouche est multiforme, avec notamment des cromesquis d’escargot et une tarte fine aux herbes délicieuses. Le champagne me plait tant que je demande s’il y des huîtres. On nous apportera des petites préparations au homard et à la truffe. Détail amusant, je vois les petites assiettes arriver et un jeune serveur les apporte à une table à coté de la nôtre. Je ne sais pas si les heureux bénéficiaires de ce cadeau s’en sont rendu compte. La direction réagit quasi instantanément et répara son erreur élégamment.

Le menu : noix de Saint-Jacques au caviar et endives au jambon de Reims / Opéra de foie gras de canard chaud, chou, châtaignes, sauce mousseuse / variations de légumes d’hiver cuits et crus / blanc de bar à plat, tourteaux et cresson, bouillon légèrement épicé et moutardé / pigeon en cocotte de fonte, betteraves, comté, jus aux abats / gourmandises sucrées, petits fours frais / cafés divers et fins chocolats.

Il est amusant de voir ce chef explorer deux types de cuisines. L’un est un étalage de goûts, sans véritable synthèse. Car l’endive n’apporte pas grand-chose à la noix de Saint-Jacques. On vérifiera à ce sujet que le vin n’est pas le souci premier du chef. Il crée. Au vin de se débrouiller. Or le fait d’être en Champagne où le vin a l’échine souple ne peut suffire. De même le gouteux tourteau avec son intelligent bouillon n’apporte pas grand-chose au bar. Quant à la délicieusement fraîche brassée de légumes, c’est un foisonnement de saveurs en patchwork qui chambarde le palais. Le vin va forcément s’y perdre. L’autre type de cuisine est divin, quand il y a un fil conducteur au plat. L’opéra de foie gras est magnifique de cohérence, le pigeon et son jus sont divins. Les desserts sont d’une justesse extrême. Je suis sûr que ce chef va brillamment prendre ses marques dans ce lieu enchanteur.

Quand on est à Reims, on se préoccupe plus du champagne qu’ailleurs. A Paris, on demande un champagne que l’on connaît. A Reims, on explore. Nous commençons l’apéritif avec Le champagne premier cru brut Chardonnay de Pierre Gimonnet & Fils 1998. Quel champagne expressif. Son intensité est extrême. On imagine qu’il accueillerait toutes formes de cuisine. J’avais envie d’huîtres. Les cromesquis d’escargot l’excitent bien, et la crème soutenue qui sous-tendait homard et truffe le met en valeur. J’aurais vu aussi bien des petits anchois crus comme de la choucroute tant ce champagne appelle l’invention.

Nous entrons dans la belle salle à manger aux lambris fort délicats. Dans cette salle, on se sent bien. Philippe, intelligent et compétent sommelier va faire un service impeccable, les températures étant parfaites. Le champagne blanc de noirs Grand Cru de Egly-Ouriet vieilles vignes non millésimé se présente avec un léger rose pêche saumon. Un nez d’un charme et d’une expression éblouissante. Quel raffinement ! Il est sûr que cette couleur fragile influence notre goût. On est sous le charme. Avec le bar, c’est follement agréable.

Arrive sur le pigeon un champagne qui impose le respect. Le champagne Clos des Goisses de Philipponnat 1980, dégorgé début 2005 est prodigieux. Une personnalité qui tient du prodige. Et le combat du champagne avec le jus aux abats est un véritable bonheur. J’avais bu ce champagne lors de ma visite à Philipponnat (bulletin 139). Dégorgé en septembre 2004, il m’avait déjà subjugué. Là, en situation de repas, il est envoûtant. L’ordre des champagnes était le bon. Le chef fait une très belle cuisine qui va certainement encore s’épanouir. Mon jugement est très positif. Cette halte est particulièrement belle.

Quant au marché de Noël, son seul mérite fut d’avoir été le prétexte d’un beau repas.

Vingt et un millésimes de Pichon Longueville Comtesse de Lalande vendredi, 16 décembre 2005

Bipin Desai avait organisé cette fabuleuse dégustation de 38 millésimes de Montrose que j’ai racontée dans le bulletin 151. Il m’appelle et m’annonce : 16 décembre, déjeuner à Taillevent avec May-Eliane de Lencquesaing. Je n’en demande pas plus. Je sais que ce sera grand. J’arrive au restaurant Taillevent dont le premier étage sera occupé par notre petit groupe de vingt personnes. Il n’y a pas d’endroit plus agréable. Un délicat salon où l’on imagine que des alliances interdites se sont scellées avec l’appui explicite de joailliers parisiens et de champagnes capiteux nous tend ses bras complices. Je revois avec plaisir Wolfgang Grünewald, un grand amateur avec lequel j’ai partagé des flacons immémoriaux, Michael Fridjohn, qui s’intéresse aux vins d’Afrique du Sud, John Kapon, ce redoutable organisateur de dégustations folles à New York, Serena Sutcliffe, l’expert de Sotheby’s et son mari David Peppercorn, grand écrivain du vin, Michel Bettane en grande forme, Gildas d’Ollone, le directeur général de Pichon Longueville Comtesse de Lalande et Thomas Dô-Chi-Nam, qui fait ce vin délicat qui sera à l’honneur aujourd’hui, dont Michel Bettane vantera plus tard de façon fort vibrante l’immense réussite du 2003, Clive Coates, auteur de nombreuse revues sur le vin, qui fut de nouveau mon voisin de table, retiré aujourd’hui en charolais, et d’autres amis. Je suis présenté à Hugh Johnson auteur d’ouvrages de référence sur le vin. Jan-Erick Paulson que je rencontre pour la première fois, est un suédois vivant en Allemagne, expert en vins anciens. Je salue bien sûr Bipin Desai et May-Eliane de Lencquesaing toujours éblouissante d’énergie. Après le champagne Taillevent, élaboré par Deutz d’une aérienne élégance, nous passons à table dans la salle lambrissée d’un raffinement extrême où Jean-Claude Vrinat a eu l’élégance de mêler des éléments ultramodernes comme l’éclairage, à la distinction naturelle du lieu. Les tons de la décoration de la table vont mettre en valeur le sang très pur qui abreuvera nos cœurs enthousiastes. Bipin Desai explique que n’ayant pu se rendre aux manifestations marquant le 80ème anniversaire de May Eliane de Lencquesaing, dont j’ai raconté le faste dans le bulletin 147, il tenait à rendre un hommage à notre hôtesse avec une dégustation originale de ses vins, dont il a réglé l’ordonnancement en trois séries de sept vins. Il a demandé à deux convives de commenter chaque série. Devant parler de la première, je sortis mon petit carnet. M’exprimer devant des sommités du vin, je me suis dit que mon apport serait plus intéressant si je parlais de la cuisine, plus que du vin, qu’ils connaissent cent fois mieux que moi. Le menu de ce repas qui dura cinq heures est le suivant : amuse-bouche crème de lentille et truffes / ravioli de champignons, bouillon de pot-au-feu truffé / royale de foie gras de canard, cappuccino de châtaignes / quasi de veau aux légumes d’automne / brie de Meaux affiné à la noix / gourmandises aux marrons et à la mandarine. Quel repas subtil ! Tout dans des tons d’automne que rehaussait la décoration de la table. Une apparente simplicité, marque d’une maturité extrême, a porté les vins aux nues. Voici ce que j’ai déclaré devant cette docte assemblée pour la série annoncée ainsi : 34, 55, 64, 75, 78, 90, 2001 : pensant que le premier vin était le 1934, j’eus un choc olfactif. Comment un vin peut-il avoir cette folle jeunesse ? C’était le 2001 (rires dans la salle). Le 2001 (il s’agit, on l’imagine volontiers, uniquement des vins de Pichon Longueville Comtesse de Lalande)a un nez épicé, très élégant. Le 1990 à la couleur très généreuse a u nez nettement plus évolué. Il est même légèrement bouchonné. Le 1978, par contraste a un nez éblouissant de vin en pleine force de l’âge. Il est capiteux, velouté, ce nez. Je porte les vins à mes lèvres. Le 2001 est encore un enfant, rêche, rugueux, fougueux, son bois est austère, mais il promet. Le 1990 n’a pas l’effet du bouchon en bouche. Il est toutefois un peu bridé. Le 1978 a une expression généreuse, c’est un vin chantant qui glisse en bouche avec un vrai bonheur. Le 1975 a un nez du même style que le 1978, moins capiteux, un peu plus animal. Il est râpeux en bouche, excitant comme un Bourgogne (rires de nouveau dans la salle). Sa belle trace est profonde en bouche. Ce coté plutôt inhabituel me plait. Le 1964 a un nez qui se cherche un peu. On l’imagine dans une période transitoire. En bouche, il est passionnant. C’est un vin vieux déjà, mais d’une jeunesse éblouissante. On me sert un nouveau verre de 1990 qui est absolument parfait. Le 1955 a un nez très typé. Quel grand vin ! La bouche est assez acide, ce vin est plus sérieux que généreux. Le 1934 a une couleur magnifique. Le nez est assez discret. En bouche, c’est du bonheur. Car l’équilibre entre l’épanouissement et l’acidité se fait admirablement. La longueur est extrême et sa trace est d’une élégance rare. Il convient de noter que devant parler, j’avais jugé les vins très vite, avant qu’ils ne s’épanouissent dans le verre. Tous sont devenus plus charmants par la suite. J’adore le 1978, le plus sexy de cette série, le 1934 pour son élégance et le deuxième 1990 très opulent. Sur l’amuse-bouche aux lentilles, c’est le 1934 qui parade. Il est fabuleux. Le 1975 est aussi très à l’aise. Les 1978 et 1990 ne sont pas avantagés. Et ce qui est amusant, c’est que sur le plat avec ce délicat bouillon, je sens l’appel du 1990 qui devient magistral. Le 1990 refuse la lentille et se marie au ravioli. Le 1978 est aussi attiré, quand le 2001 reste dans son coin. Le 1934 est d’une évocation rare sur les deux. Le plat est fait pour 1990 et 1934. C’est donc le 1934 qui aura mes faveurs de cette série. Cette analyse un peu inhabituelle a intéressé quelques convives. Wolfgang Grünewald qui partage une approche des vins assez similaire donna des impressions comparables, ce qui conforta mon analyse. Ne voulant pas me mettre en vacance d’analyse, voici la suite de mes constatations. Le 1996 a un nez superbe, épanoui. Le 1995 est joli aussi, peut-être plus riche. Le premier nez du 1989 est assez serré et boisé. Le 1986 est extrêmement subtil, le 1985 a un nez très expressif et boisé. Les 1995 et 1996 sont plus intenses que les 1986 et 1985 que l’on peut opposer deux par deux dans chaque décennie selon que l’on aime les vins masculins ou féminins. Le 1953 me parait très alcoolique au nez. Sa couleur est impressionnante de jeunesse. Le 1926 a un nez un peu animal et une belle couleur. A ce stade, je n’avais rien bu de cette série. Le 1996 est puissant, rêche, de bois sec. Je n’aime pas le 1995 dont la bouteille ne doit pas être bonne, malgré son nez avenant. Le 1989 est élégant, accompli, quel grand vin ! Le 1986 est magistral, brutal, « militaire ». Le 1985 est sexy, très passionnant. Le 1953 a un léger bouchon. Sa bouche est très fraîche, très bonbon à la menthe, si on ose l’imager ainsi. Le 1926 est éblouissant. Sur le plat de foie gras et châtaignes, c’est le 1926 qui est grandiose, le 1953 magistral. Je fais un classement personnel en mettant, malgré le désappointement passager le 1953 en premier, puis, 1926, 1989, 1986 et 1985 ensemble car lequel des deux préférer ? Le 1953 m’a enthousiasmé par sa belle maturité.

Serena Sutcliffe et Bipin Desai

La troisième série démarre par un enfant. Le 2003 a un nez plutôt aqueux, le 2000 est brut comme du marbre, le nez du 1982 est élégant et raffiné, le 1961 est très élégant et concentré. Le 1959 sent le papier, il est un peu coincé, mais c’est le premier nez, le 1945 montre au nez qu’il est déjà ancien, et le 1929 a déjà des traces animales désagréables. J’ai demandé un deuxième verre du 1929 ayant ainsi un clair et un foncé. Les deux avaient ce coté animal qui m’avait gêné il y a peu avec un madère de 1870. Je fus étonné de voir autant de convives aussi laudatifs pour un vin qui n’avait pas eu son oxygène. Je m’en ouvris à Gildas d’Ollone, car ce vin deviendrait splendide avec deux à trois heures de plus. Le quasi de veau est un plat absolument magistral. C’est de la « cuisine de grand-mère » portée au firmament. Quelle sérénité ! Le 2003 est éblouissant, ahurissant, un vin d’une puissance infinie qui va devenir un monstre dans quarante ans, monstre de bonheur. Je suis assez content, car ce qui précède, c’est les notes que j’ai prises à la volée. Or Michel Bettane encensera ce 2003 avec une insistance appuyée, signe qu’il aime le travail de Thomas Dô-Chi-Nam. Le 2000 est magnifique maintenant. On sent le potentiel, mais il se boit magnifiquement bien aujourd’hui. Il a un charme fou. Le 1982 est éblouissant. C’est le plus accompli des 1982 que j’ai bus. Je ne peux pas dire comment il va évoluer, mais il est éblouissant ici. Le 1961 se cherche. Il va intégrer ses composantes dans quelques années ? Le 1959 est un grand vin. Il est d’une décontraction parfaite. J’ai noté l’idée qui me venait : c’est Grace Kelly à trente ans, en jeans. Le 1945 est déjà un vin vieux. Il a la marque des vins vieux. Il sent la cave antique, la caverne d’Ali Baba. Il est plus intéressant par le symbole que par le goût. Le 1929 clair est magique. C’est le vin ancien qui décourage tous les gens qui ne vont pas vers eux. Quand on accepte, quelle complexité. Le 1929 foncé, au nez presque agréable mais marqué a en bouche une acidité trop forte qui gêne. Légèrement perlant, il montre la mauvaise gestion de l’oxygénation. Je reviens aux vins de cette éblouissante série. Le 2003 sera fou. Du bois, de la concentration. Le 2000 sera plus subtil mais ne durera pas autant. Le 1982 est intéressant. Il a déjà pris un manteau de vieux. Le 1961 s’ouvre de plus en plus et me plait plus. Le 1959 est grand, définitivement grand. Le 1945 reste trop fatigué. Le 1929 clair est charmant en bouche avec ce nez insistant de viande. Le 1929 a perdu de l’intérêt. Pour cette série de légende, je vais vers les plus jeunes : 1959 et 1982. Au final les vins qui émergent pour moi (sachant que les performances varient d’une bouteille à l’autre) sont le 1926, 1934, 1959, 1989, 1990. Aucun ne peut vraiment être leader unique. Cette manifestation en hommage à une grande dame du vin qui a fait beaucoup pour son vin mais aussi pour le vin en général fut une réussite absolue. L’organisation par Bipin Desai fut exemplaire, la cuisine de Taillevent magistrale et sereine. Le cadre unique, les convives plus intéressants les uns que les autres. Le seul point qui me parait à améliorer, parce que c’est mon dada, c’est l’oxygénation des vins. Ce qui n’enlève rien au caractère exceptionnel de l’événement. Je suis reconnaissant à May-Eliane et Bipin de m’avoir inclus dans ce cercle de privilégiés de leurs cœurs.

diner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meurice n° 61 jeudi, 15 décembre 2005

Le soixante-et-unième dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Meurice. Les bouteilles ont été apportées il y a une semaine, mises debout par Nicolas, cet intelligent sommelier, depuis deux jours, et je vais les ouvrir bien seul, car Nicolas a une réunion de direction. Mais ce lieu a tant de ressources que je me sens épaulé. Le journaliste qui était venu m’interviewer lors de l’ouverture des vins il y a un mois au restaurant Apicius a fait un article dithyrambique qui doit paraître dans Bloomberg News et ce journal m’a envoyé un photographe pour me mitrailler pendant que j’officie. Il déploie son impressionnant matériel pendant que je déploie mes outils. Les bouchons viennent sans grande difficulté. Tous les vins ont des senteurs éblouissantes, surtout les trois bourgognes et surtout parmi eux La Tâche, qui a ce parfum canaille des bourgognes de séduction. La vraie question à l’ouverture est celle du Chambertin 1911. Je pressentais qu’il serait bon, et je m’en étais ouvert, en m’avançant bien sûr, à ceux qui s’inscrivaient. Il a tenu sa promesse. Ouverture éblouissante de séduction. J’avais appelé le jour même un descendant de la famille Audiffred pour lui dire que j’ouvrirais un 1911. J’ai senti au téléphone l’intense émotion qu’il ressentait de savoir qu’on allait déguster entre amateurs ce nectar.
La seule déception à l’ouverture vient du bordeaux de mon année. Je l’annonce comme mort aux convives qui arrivent au bar où je les attends. Je fais mes recommandations d’usage comme l’hôtesse de l’air qui explique les consignes de sécurité. Je n’ai pas souvent révélé l’identité de mes convives, car je respecte cette participation à mes dîners qui est une décision privée, mais je ne peux pas m’empêcher de vous faire partager ma joie d’avoir accueilli Pierre Lurton et son épouse Carole qui se sont inscrits. Avec Pierre, dès que nous nous sommes rencontrés, nous aurions pu sauver l’endettement d’EDF et lui éviter de devoir investir dans des centrales nucléaires, tant le courant est passé entre nous. Au salon des grands vins, il m’avait fait l’honneur de m’associer à la présentation des deux immenses vins qu’il produit, Cheval Blanc et Yquem. Et l’idée d’un dîner a pris corps, dans l’esprit – c’est ce qu’il voulait – de mes dîners, sans qu’on y change rien. Autour de la table des amis de toujours, fidèles enthousiastes de ces dîners, un inconnu avec lequel la sympathie est immédiatement née, et un groupe de solides amateurs, connaisseurs de bons vins, avec lesquels aussi un seul contact avait suffi pour que l’osmose se fasse. C’est dire si la table fut joyeuse, Pierre Lurton au torse rayé d’un récent trait bleu fort méritoire, d’une belle humeur, racontant de belles anecdotes.
Un détail m’avait plu. Nous buvions au bar en attendant des convives un champagne que je trouvais assez léger et un peu court. Pierre Lurton le trouva bon, alors que dans le groupe auquel il appartient, il y a de solides valeurs. Cette simplicité présageait que nous partagerions de bons et grands moments.
Le menu composé par Yannick Alleno, d’une homogénéité de ton remarquable est d’une élégance rare : Velouté de Châtaignes aux copeaux de truffes blanches / Dos de Bar étuvé aux coquilles Saint-Jacques, émulsion de coques, mousseline de pomme de terre rate, beurre végétal / Ormeaux cuisinés au beurre salé, ragoût de haricots de Paimpol / Filet et côtes d’agneau de lait des Pyrénées, Bayaldi d’aubergines aux aromates, et aux oignons croustillants / Volaille de Bresse au foie gras et aux truffes noires / Ravioles transparentes de mandarine, émulsion au basilic / Croquant au chocolat blanc et pralin, Glace à l’essence de truffe blanche.

Le magnum de champagne Pommery 1988 servi à table montre immédiatement – merci champagne inconnu qui l’a mis autant en valeur – une richesse de ton, une longueur et un charme impressionnants. J’avais ouvert ce champagne il y a deux ans en format de six litres qui l’avait haussé à un niveau assez exceptionnel. Ce magnum est aussi de grande valeur. C’est la truffe blanche extrêmement expressive qui propulse ce champagne à des hauteurs gustatives rares.
Sur le bar, particulièrement émouvant, deux vins. Le Chassagne-Montrachet Louis Latour 1979 a une couleur soutenue, un nez intense, mais j’ai peur qu’il paraisse un peu faible à coté du jeune et bouillonnant Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997. Avec le plus jeune, il y a des bouquets d’épices qui partent dans toutes les directions. Mais le Chassagne, plus constant, plus tenace, d’une trace plus marquée va séduire toute la table. Pas un convive ne signalera je ne sais quelle fatigue liée à l’âge car il n’y en a pas. Les deux vins sont opposés mais se justifient chacun dans son rôle, le plus jeune et le plus mûr. Lors de ce repas le cœur pencha plutôt pour l’ancien. Un signe qui ne trompe pas, on pouvait passer d’un vin à l’autre sans la moindre difficulté.

Ayant annoncé que le Château Pontet-Clauzure, saint-émilion 1943 était mort, nous eûmes plutôt une agréable surprise. Un des convives l’imagea en disant que le comateux respirait encore, mais il ne faisait que cela. Le vin n’était pas sauvable, même si le témoignage n’était pas totalement perdu. De toute façon, nous n’avions aucun mal à l’oublier, car le Château Palmer 1959 fait partie de ces bouteilles qui chantent la gloire du bordelais. Pierre Lurton qui venait de boire il y a deux jours Cheval Blanc 1959 penchait naturellement vers son poulain, mais ce Palmer est un immense vin, meilleur, car on est en situation de repas, que celui bu à l’académie des vins anciens (bulletin 155). Le nez est élégant, raffiné, et en bouche, le vin est chaleureux, puissant sans être imposant, avec une longueur qui n’appartient qu’aux grands vins. Je ne suis pas un spécialiste des ormeaux, et l’un des convives signala qu’ils n’avaient pas été assez battus, ce qui les aurait rendus plus souples en bouche. C’est certain qu’ils étaient fermes. Mais le goût intense était une merveille sur le Palmer. J’avais évidemment voulu faire un petit clin d’œil en ajoutant une demi-bouteille de Château Cheval Blanc 1960. Ayant abondamment parlé de mes méthodes d’ouverture des vins, ce 1960 d’un épanouissement rare étonna Pierre Lurton qui ne s’attendait pas à ce que cette année que peu de gens ouvrent, et en plus en demi-bouteille, puisse atteindre ce niveau.
L’agneau, quand il est traité de cette belle façon, met admirablement en valeur les qualités de la Bourgogne. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1981 est d’un charme dense. En attendant mes convives au bar, j’avais croqué quelques olives vertes. Ayant en tête les parfums des trois bourgognes, j’eus soudain cette image : le charme déroutant d’un bourgogne, c’est un peu comme l’approche gustative d’une olive que l’on croque, qui vous trouble par le sel, l’amer qui se fondent pour produire paradoxalement un effet plaisant. Les goûts ne sont évidemment pas les mêmes, ce sont les sensations qui se ressemblent. La Tâche est très beau, solide message de sérénité. Le Chambertin Domaine Audiffred fournisseur de SM Napoléeon III, 1911 est absolument émouvant. Ce vin de 94 ans n’a pas une ride. Il déroule son charme comme doit le faire un grand chambertin. Et cela paraît si naturel, si facile. On a un témoignage qui n’a pas une trace de vieillissement, un vin qui remplit la bouche joyeusement avec une longueur extrême. Et tout s’est joliment intégré.
Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 nous grise encore plus. C’est un vin qui déroule encore plus de subtilité. Plus délicat, plus en dentelle, il est diablement charmeur. Ce vin que j’ai bu souvent, dont au dernier dîner (le 50ème) au même Meurice, et que j’ai bu avec émotion dans sa version 1926, est un vin éblouissant. Nous avions trois expressions très complémentaires de la Bourgogne, une institution avec La Tâche, une permanence historique avec un fringant chambertin, et un charme redoutable avec un Pommard d’une superbe facture. Nous étions comblés.

Sur le délicieux dessert, le Château d’Yquem 1962 brilla des feux de sa couleur dorée, des parfums que la bouteille et les verres dégageaient à l’envi, et de cette trace en bouche à la puissance inimitable. Comment placer cet Yquem dans une perspective historique ? Il est moins typé que certaines grandes années, mais sa solidité sereine le place dans la lignée des solides Yquem au goût d’Yquem.
Le vin de paille Jean Bourdy 1947 me bouscula. Je ne suis pas très fanatique des vins de paille, aussi le charme et surtout la complexité de ce vin me bouleversèrent. Sur le dessert marqué de truffe blanche, ce fut absolument divin. Le jurassique enfant brilla comme une star.
Au moment des votes, ce qui est amusant c’est que la mémoire se porte plus volontiers sur les vins les plus récents, les derniers du repas. Le vin de paille obtint quatre places de premier et neuf votes, le château d’Yquem obtint trois places de premier et huit votes, le Pommard, le Cheval Blanc et le Palmer eurent chacun un vote de premier. Le consensus serait : vin de paille, Yquem, Chambertin, La Tâche et Pommard. Mon vote fut dans l’ordre : vin de paille Jean Bourdy 1947, Pommard Michel Gaunoux 1974, Chambertin Audiffred 1911 et Château Palmer 1959.
La salle de restaurant de l’hôtel Meurice est pleine de charme. La cuisine de Yannick Alléno est de plus en plus affirmée et d’une sensibilité talentueuse, le service est absolument impeccable et motivé. Mes vins étaient, comme Laure Manaudou, présents au bon rendez-vous. Ce fut, pour le dernier dîner wine-dinners de 2005, un grand dîner.