250ème dîner au château de Saran samedi, 22 mai 2021

Nous quittons Hautvillers, berceau de Pierre Dom Pérignon et nous nous rendons au château de Saran pour le 250ème diner. Du fait du confinement, nous devons respecter des règles de distanciation aussi serons-nous seulement sept à dîner. La table magistrale qui accueillerait volontiers des festins de rois Vikings va nous permettre d’avoir deux mètres de distance entre chacun des convives et ses voisins. Cela n’a gêné en rien l’atmosphère gaie et complice du dîner.

Avant cela, nous prenons l’apéritif au château. Vincent Chaperon maître de cave de Dom Pérignon nous rejoint. Nous buvons un Champagne Dom Pérignon magnum 2008. J’ai un amour particulier pour ce champagne promis au plus grand avenir. Les petits amuse-bouches composés par Marco Fadiga sont comme on peut l’imaginer parfaitement adaptés à ce champagne joyeux, solaire, accueillant.

Nous passons du château au bâtiment annexe où se trouve la grande salle à manger avec sa table imposante.

Le menu composé en collaboration avec le chef Marco Fadiga est : langoustines légèrement fumées et rôties, gel de fleurs d’hibiscus / mousseline de carottes au cumin, huître Sorlut n° 1 pochée / Maklouba d’agneau aux aubergines, coriandre et épices b’Har / pigeon en deux façons, les filets servis avec une sauce sang, mûre et truffe, les cuisses rôties au jus oriental / canard Apicius en deux services, purée de panais / foie gras poché dans un bouillon, sauce café / soufflé aux fruits exotiques, sorbet au pamplemousse, écorces d’oranges amères.

L’Y d’Yquem 1985 a une couleur très claire, à peine dorée et son nez est imposant. C’est un vin riche, avec de légères traces de botrytis qui font tout son charme. 1985 est une année de grande réussite pour Y. L’accord avec les langoustines divinement cuites, c’est-à-dire à peine, est parfait, mais on aurait pu éviter de fumer les langoustines car le fumé asséche l’accord. Ce Y est un grand vin, qui n’aura pas l’honneur des votes, mais on sait que dans des repas très longs, la mémoire oublie les vins du début.

Le Champagne Dom Pérignon P2 2002 est un champagne absolument superbe et épanoui, combinant sérénité et jeunesse. L’accord avec la carotte est particulièrement osé, mais il est réussi et l’imposante huître n° 1 est parfaite pour ce beau champagne.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2001 avait à l’ouverture un parfum plus discret que celui de l’Y. Il est encore discret mais on va prendre conscience des complexités infinies de ce grand vin. L’accord avec l’agneau est évidemment osé, mais j’adore casser les codes et c’est probablement le plus bel accord de ce repas. Le Montrachet solide et d’un équilibre parfait est un vin glorieux mais peut-être aujourd’hui plus discret que d’autres 2001 que j’ai bus.

Le pigeon en deux façons va accueillir deux vins. Le Château Haut-Bailly 1900 va subjuguer tout le monde. Il a 120 ans, mais aussi bien sa couleur que son goût sont d’une grande jeunesse. C’est un vin solide, construit, puissant et même entraînant tant il nous convainc. Il m’évoque Cary Grant, l’acteur qui fut séduisant et élégant à tous les âges de sa vie.

Le Champagne Dom Pérignon P3 magnum 1966 est une splendeur absolue. La décennie des années 60 est certainement la plus belle décennie pour les champagnes et pour Dom Pérignon, et au sein de cette décennie, 1966 est l’année que je préfère. Quel grand champagne que j’adore, même si mon cœur a tendance à pencher vers les dégorgements d’origine. L’association d’un vin rouge et d’un champagne sur le même plat est inhabituelle. Ils ne se fécondent pas, mais leur association est plaisante.

Pour le canard Apicius, on a fait deux présentations puisque là aussi il y a un vin rouge et un champagne. Le Château Lafite-Rothschild 1961 est solide et carré, exhalant la truffe et le graphite, mais n’atteint pas le niveau des plus grands Lafite 1961 que j’ai eu l’occasion de boire.

Le Champagne Dom Pérignon Rosé P3 magnum 1988 est un grand cadeau que nous a fait Vincent Chaperon, comme le légendaire 1966 bu sur le pigeon. C’est un rosé abouti, complet, inspiré. Le canard l’épouse sans condition.

J’ai estimé un jour que le plat qui met idéalement en valeur une Romanée-Conti est un foie gras poché dans un bouillon de légumes, et servi sans son bouillon. Il se trouve que j’ai un amour particulier pour le Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915. C’est un vin que j’ai bu treize fois et que j’ai mis dans mes dîners huit fois. Sept fois sur huit je l’ai mis dans les trois premiers de mon classement. Mon amour pour lui est donc justifié. Il méritait de bénéficier de l’association avec le plat que je réserve aux Romanée-Conti. Ce fut une bonne idée car le chef l’a remarquablement exécuté. Le vin est intemporel. Il est droit, carré mais en même temps subtil et complexe. C’est un bourgogne de plaisir. Il est raffiné. Je l’adore comme on le verra dans les votes.

Le Château Guiraud Sauternes 1893 est d’une bouteille ancienne superbe, n’a pas d’étiquette mais la capsule et le bouchon renseignaient sur son nom et sur son année. Le niveau dans la bouteille était presque dans le goulot. Sa couleur est plutôt claire, tendant vers le rose. Son parfum est infini. On peut dire que c’est un sauternes parfait, d’une année mythique. Le soufflé est absolument divin. Un détail est amusant. Lorsque j’étais venu il y a une semaine vérifier certains plats avec le chef, j’avais eu l’opportunité de goûter cet excellent soufflé. Mais il était copieux. Aussi avais-je demandé au chef de réduire la taille du soufflé. Ce qui fut fait. Mais un des convives ayant adoré ce plat a demandé s’il pouvait en avoir un peu plus et toute la table a eu un deuxième service du soufflé. Le chef avait donc vu juste lors de mon essai. L’accord Guiraud et soufflé est divin.

Vincent Chaperon a fait ajouter à notre programme un Champagne Dom Pérignon P3 magnum 1975 d’une extrême élégance, ponctuant parfaitement ce repas.

Il est temps de voter, chacun désignant ses cinq vins préférés. Il est intéressant de constater que trois vins ont eu 7 votes des 7 participants, et ce sont les trois vins centenaires, le 1900, le 1915 et le 1893. Cette concentration de perfection pour des vins antiques a remis en cause beaucoup des repères de Vincent Chaperon qui n’imaginait pas de telles performances de la part des vins anciens. Les trois vins qui ont eu des votes de premier sont le Haut-Bailly 1900 trois fois, le Dom Pérignon 1966 deux fois, comme le Nuits Cailles 1915.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Haut-Bailly 1900, 2 – Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915, 3 – Champagne Dom Pérignon P3 1966 magnum, 4 – Château Guiraud Sauternes 1893, 5 – Champagne Dom Pérignon P3 1975 magnum, 6 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2001.

Mon vote est : 1 – Nuits-Saint-Georges Les Cailles Morin Père & Fils 1915, 2 – Château Haut-Bailly 1900, 3 – Champagne Dom Pérignon P3 1966 magnum, 4 – Château Guiraud Sauternes 1893, 5 – Champagne Dom Pérignon P3 1975 magnum.

Les accords mets et vins ont été extrêmement pertinents et comme l’un des fidèles participants l’a dit, il aime lorsque l’on casse les codes. Ainsi la mousseline de carottes au cumin avec le Dom Pérignon 2002, le foie gras poché avec le Nuits Cailles sont de belles tentatives. Le plus original et sans doute le plus bel accord est celui de l’agneau avec le Montrachet, mais la langoustine divine avec l’Y ou le soufflé avec le Guiraud pourraient relever le défi du plus bel accord.

L’ambiance chaleureuse et enjouée fut parfaite. Merci à Dom Pérignon d’avoir permis de faire ce dîner au château de Saran. Mon plus grand sujet de fierté est que les trois vins centenaires de ce dîner ont été au sommet de leur art au point qu’ils obtiennent au final les places de premier, deuxième et quatrième. Il fallait un 250ème dîner brillant. Il le fut.

Nous avons prévu de refaire un dîner au château de Saran avec un nombre plus important de convives. Appelons-le pour l’instant : le « 25ème déconfiné ».

Le chateau :

mes vins en cave

mes vins dans la cuisine du château de Saran

l’étiquette du Haut-Bailly 1900 faite pour une vente caritative au profit du sauvetage de Venise est identique à celle du Mouton 1918 dont l’étiquette figure en haut et à gauche de la première page de ce blog.

superbe bouteille de Nuits Cailles 1915

 

Ouverture des vins du 250ème dîner et dégustation à Hautvillers samedi, 22 mai 2021

J’arrive à 13h30 au château de Saran à Chouilly pour ouvrir les vins du dîner. Si je suis en avance, c’est parce qu’à 16 heures, nous aurons une dégustation de Dom Pérignon à Hautvillers. Je commence les ouvertures. Beaucoup de bouchons vont se sectionner, sans que des miettes ne tombent dans le liquide. Le parfum du Y d’Yquem 1985 et beaucoup plus intense que celui du Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2001 ce qui est inattendu.

L’objet de tous mes soins est le Château Haut-Bailly 1900. La bouteille vient de la cave de la maison Nicolas, qui a mis une étiquette spéciale pour une vente caritative organisée pour le sauvetage de Venise en 1972. Il est donc probable qu’elle ait été reconditionnée pour cette vente. Le niveau est beau et le parfum est superbe.

Le plus beau parfum est celui du Château Guiraud 1893, au bouchon d’origine, au niveau parfait et à la couleur rose orangée plutôt claire pour ce millésime, ce qui n’a pas atténué la puissance des fragrances infinies.

Marco Fadiga le chef du château m’a préparé un petit casse-croûte. Tout me semblant en ordre, je me dirige vers Hautvillers où nous serons reçus par Marie-Philomène qui nous fera visiter l’église d’Hautvillers, où reposent Dom Pérignon et Dom Ruinart et nous racontera des anecdotes de la vie du moine visionnaire, Dom Pérignon.

Daniel Carvajal Pérez est un jeune colombien qui travaille avec Vincent Chaperon, le chef de caves de Dom Pérignon. Il est responsable du patrimoine œnologique. Il va mener notre dégustation avec beaucoup de talent et d’empathie.

Le Champagne Dom Pérignon 2010 a un nez superbe et une bulle fine. Le nez est racé, salin, avec un peu de floral. Il se caractérise par sa grâce, sa finesse et sa générosité. Son finale est frais comme un bonbon anglais.

Nous avons côte à côte le Champagne Dom Pérignon 2002 d’origine et le Champagne Dom Pérignon P2 2002, dégorgé il y a environ cinq ans (P2 voulant dire deuxième plénitude, dégorgé généralement une quinzaine d’années après la version d’origine). Le 2002 d’origine, appelons-le P1 est fabuleux, plus que le P2. Le P1 est glorieux et le P2 est très élégant. Daniel estime que le P2 vieillira mieux ce qui donne lieu à des discussions passionnantes et souriantes, parce que je ne suis pas de son avis.

Ensuite le Champagne Dom Pérignon P1 2000 est associé au Champagne Dom Pérignon P2 2000. Celui d’origine évoque le miel et il est plus difficile à comprendre, alors que le P2 est plus frais, plus agréable. Daniel nous dit que 2000 est un millésime Janus, qui a deux visages et je préfère le P2 au P1, contrairement au millésime 2002. Le 2000 P1 est moins cohérent et le P2 gagne par sa fraîcheur.

Le Champagne Dom Pérignon P2 1996 est très frais, floral, fait de fleurs blanches et de citron. En bouche des fruits exotiques apparaissent. C’est un vin fin et précis. C’est un très bon champagne.

Nous avons ensemble le Champagne Dom Pérignon rosé 2006 et le Champagne Dom Pérignon rosé 2005, les deux étant de dégorgement d’origine. Le 2006 est peut-être un peu fort pour un rosé. Le 2005 est plus salin plus timide et plus frais mais il manque un peu d’affirmation.

Le Champagne Dom Pérignon rosé P2 1996 a un nez très beau et un bel équilibre. C’est un vin élégant.

Nous goûtons maintenant à l’aveugle un champagne de belle bulle, ancien, ce doit être un P3. Il a du charme, des fleurs séchées et des agrumes frais. C’est un Champagne Dom Pérignon P3 1970 à la complexité parfaite.

Mon classement est : 1 – 1970 P3, 2 – 2002 P1, 3 – 1996 P2, 4 – 1996 rosé P2. Le plaisir a été grand et amplifié par la qualité des commentaires de Daniel, qui a une belle vision de ce grand champagne.

Il est temps de repartir au château de Saran pour le 250ème diner.

L’église d’Hautvillers :

la tombe de Dom Pierre Pérignon

Merveilleux Hermitage 1947 mardi, 18 mai 2021

C’est un déjeuner de famille avec nos deux filles et deux de nos petites-filles. L’apéritif se prend avec un Champagne Salon 2006. Sa bulle est belle, sa couleur est claire et le pschitt d’ouverture est clairement claironnant. En bouche le champagne est agréable, calme et serein et n’a pas la vivacité tonique du 2007. C’est un champagne de consensus qui mérite qu’on le laisse tranquille pendant de nombreuses années car je pressens qu’il deviendra grand lorsque son calme deviendra une belle affirmation.

Sur une délicieuse soupe froide de petits pois, je sers un Sancerre Salmon Frères Vigneron 1973 à la très jolie couleur mais au niveau plutôt bas. C’est un vin direct, franc, agréable et très linéaire. Il ne cherche pas à briller et sa droiture en fait un vin agréable à boire, sans prétention.

Pour le veau Orloff, je sers un Hermitage Audibert & Delas 1947 qui m’avait joué un tour à l’ouverture à 9 heures ce matin : il s’est mis à bouger et à chaque fois que je piquais, il descendait d’un millimètre. Avec des ruses de sioux j’ai essayé de planter la pointe de la mèche, mais je n’ai pas pu stopper sa chute. Le vin a donc été carafé, ce qui n’est pas l’oxygénation lente.

Au service il est brillant et paré de toutes les qualités possibles. C’est un vrai vin du Rhône, mais ses complexités délicieuses me font penser aux plus grands des plus grands Grands Crus de Bourgogne. Quelle élégance et quelle subtilité ! Il est équilibré, merveilleusement charmeur, c’est une complète réussite à deux doigts d’être un vin parfait. Il faut dire que l’année 1947 brille particulièrement en ce moment. Le plat lui convient ainsi qu’un très goûteux fromage anglais de type cheddar.

La performance de l’Hermitage a marqué ce repas.

La survie des bas niveaux dimanche, 16 mai 2021

Une discussion avait été lancée sur Instagram sur l’attitude à avoir face à des vins dont les bouteilles ont subi des baisses de niveau. Certains amateurs ont des anxiétés qui me paraissent excessives. J’ai suggéré que l’on ait vis-à-vis de ces vins une attitude positive, sans stress. Plus on aura un accueil ouvert, plus on aura une chance d’aimer le vin et surtout j’ai insisté sur la nécessité d’utiliser la méthode dite d’Audouzer le vin, c’est-à-dire de l’ouvrir quatre à cinq heures à l’avance, pour que toutes les petites imperfections se corrigent grâce à l’oxygénation lente.

Pour vérifier mes dires, j’ai pris en cave deux bouteilles que la quasi-totalité des amateurs jetteraient. L’une est un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 qui a perdu environ 75% de son volume et qui a une couleur très foncée. L’autre est un Nahe Winzerstolz Schloss Böckelheimer, Bad Kreuznach Rheinland 1959, dans une bouteille fine et haute au fond plat, qui a perdu environ 80% de son volume.

Inutile de dire que la probabilité de trouver deux vins morts est extrêmement élevée. Le bouchon du champagne est recouvert de saletés noires, dures comme du goudron. Le bouchon est noir, mais le goulot n’est pas sale. L’odeur à l’ouverture à 9h du matin, soit quatre heures avant le déjeuner, est très acceptable, ne révélant aucun défaut majeur.

Le bouchon du riesling allemand tourne en même temps que mon tirebouchon, ce qui rend difficile de l’enfoncer. Je suis obligé d’arrêter cette rotation en plantant une autre mèche dans le liège. Je peux alors enfoncer la mèche principale et je lève entier le bouchon très imbibé. Le goulot est sale et gras, d’une graisse noire, que je nettoie avec mes doigts qui se noircissent. Je sens et, oh surprise, un délicieux parfum de fruits rouges se montre souriant. Je fais sentir à ma femme qui trouve ce parfum superbe.

Au déjeuner j’annonce à ma fille que nous allons faire l’expérience de ces deux vins. La couleur du Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 est beaucoup plus claire dans le verre que dans la bouteille. Il y a quelques poussières en suspension qui ne me gênent pas. Le goût est celui d’un champagne ancien plaisant. Ma fille est un peu rebutée par les suspensions, mais je boirai tout le champagne qui n’a aucune lie. Il a accompagné de belle façon une tarte à l’oignon au goût légèrement sucré et nous l’avons trouvé confortable et agréable, doté d’une belle complexité. Je n’aurais pas parié qu’il se comporte aussi bien.

Le Winzerstolz Schloss Böckelheimer, Bad Kreuznach Rheinland 1959 au moment du service offre un nez qui a perdu tout son charme car il sent le bouchon. Il y a une salade de champignons qui va effacer cette trace de bouchon. Le vin met du temps à s’assembler, mais il est d’une belle douceur, et d’une grande cohérence. Il n’a pas de défaut, juste une petite fatigue.

Pour le cas où les vins auraient été défaillants, j’ai ouvert un Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2004. Le bouchon très serré sort difficilement. Une belle explosion de gaz salue son ouverture. La couleur est très claire. Quel contraste avec les deux autres. Le champagne est agréable et bien construit, mais nous faisons ma fille et moi le même constat : les deux vins anciens sont infiniment plus complexes et donnent beaucoup plus de plaisir que ce jeune champagne.

Le 2004 trouvera un bel accord avec une tarte aux fraises et à la rhubarbe, grâce à son acidité trouvant un miroir dans les fruits. J’ai fait part sur Instagram des résultats de cet essai. Il faut toujours faire confiance au vin et lui donner sa chance, sans le condamner a priori. Nous aurions pu avoir un échec car il y a des vins irrécupérables, mais nous n’en avons pas eu. Et l’âge leur donne des complexités que ne peuvent donner les vins plus jeunes. Ces conclusions n’ont pas valeur de vérité définitive, mais ils encouragent à laisser leur chance aux vins.

Déjeuner préparatoire du 250ème dîner jeudi, 13 mai 2021

Les 100ème et 150ème dîners ont été organisés au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët-Hennessy, grâce à l’amitié de, notamment, Jean Berchon et Richard Geoffroy chef de cave de Dom Pérignon. Nous aurions bien continué la série pour le 200ème mais le château a été en rénovation pendant quelques années.

J’étais venu au château en octobre dernier pour mettre sur les rails le 250ème dîner. Nous sortions de confinement, qui allait réapparaître peu après. J’avais eu l’occasion d’étudier la cuisine du chef Marco Fadiga lors du déjeuner avec Vincent Chaperon, le nouveau chef de cave de Dom Pérignon. A cette occasion j’avais apporté trois vins à boire. Nous n’en avions ouvert que deux. Un vin était resté pour la prochaine occasion de rencontrer le chef.

J’arrive au château pour apporter les vins du 250ème dîner une semaine à l’avance, pour qu’ils reposent sur place. Nous avions échangé des mails, le chef et moi et je vais vérifier quelques recettes avant le prochain dîner. En ce milieu de printemps, le jardin du château est une pure merveille.

Je suis accueilli chaleureusement avec une coupe de Champagne Dom Pérignon P2 2002. On me dit que le P2 est dégorgé normalement lorsqu’il a quinze à seize ans. Le bouchon que je vois, très resserré ne me semble pas correspondre à un dégorgement récent. Le champagne est frais, large, souriant. On sent un peu son dosage, et le plaisir est grand.

J’ouvre le Vino Rosato de la coopérative de Berchidda, vin de Sardaigne 1968 qui titre 14° que j’avais apporté il y a quelques mois. Sa couleur rose est très soutenue, le nez est profond et en bouche ce qui est impressionnant c’est la jeunesse de ce vin de 52 ans. Il est équilibré, solide, carré, et nous guetterons ses réactions sur les plats.

L’équipe de restauration du château me propose de goûter un vin qui a été ouvert hier pour un autre événement. C’est un Château Montrose Saint-Estèphe 1999. Le nez est puissant et profond mais en bouche ce vin me paraît imprécis, brouillon, manquant de tranchant. Il sera lui aussi utilisé pour voir ses réactions sur certains plats.

Marco Fadiga se posait la question d’utiliser pour ses sauces un Château Fourcas Hostein Listrac jéroboam 1975 ouvert il y a plusieurs jours. J’ai goûté le vin légèrement éventé mais sans défaut qui pourra effectivement être utilisé dans des sauces.

Nous avons analysé les plats dans un climat de grande compréhension. L’équipe de cuisine écoutait nos commentaires et l’ambiance était agréable. Les recettes me semblent convenir aux vins, ce qui devrait se traduire par un grand 250ème dîner.

la table du futur 250ème dîner

249ème dîner à la Maison Belle Époque samedi, 8 mai 2021

Lors du 247ème repas où nous avions pu goûter six vins du domaine de la Romanée Conti, deux participants qui font partie de la direction du groupe Pernod-Ricard ont lancé l’idée que l’on se retrouve dans la même formation pour un dîner à la Maison Belle Époque de la maison Perrier-Jouët.

J’avais déjà eu l’occasion de faire un dîner dans cette magnifique « maison », c’était le 236ème dîner. Les personnes de la Maison Belle Époque impliquées dans le dîner ont changé. Séverine est chef de cave, la huitième seulement en 210 ans et elle est la première femme à ce poste. C’est elle qui a choisi les champagnes que nous boirons ce soir. À l’accueil Annabelle remplace Thierry le sympathique maître des lieux pendant de longues années. En cuisine, le chef Sébastien Morellon fait suite à Joséphine Jonot.

Les règles sanitaires liées au Covid avaient failli rendre le dîner impossible mais en fin de compte nous serons dans une magnifique salle à manger décorée avec un goût certain, à une table qui respecte les règles de distance.

J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins que j’avais livrés il y a une semaine, ayant profité de la livraison pour tester les recettes élaborées par le chef. Annabelle a redressé hier soir les bouteilles couchées en caisse. Elle est auprès de moi pour les ouvertures. Les trois premiers vins que j’ouvre en cave ont des bouchons qui tournent dans le goulot extrêmement facilement. Cela est sans doute dû à la forte hygrométrie qui règne en cave faisant suinter de l’eau en certaines zones. Les deux vins blancs de 1962 ont de superbes parfums. Le moment fort de la soirée sera de juxtaposer trois Vosne-Romanée Cros Parantoux de trois vignerons différents, aussi mes soins pour ces vins sont tout particuliers. Le Méo-Camuzet a un parfum racé fort élégant, le Henri Jayer est fermé et ne sent rien et l’Emmanuel Rouget est d’une grande discrétion. Tous les bouchons, même quand ils se déchirent du fait des irrégularités du verre à l’intérieur du goulot, viennent sans réelle difficulté.

J’avais un doute sur la couleur de l’Yquem 1939 qui a été rebouché au château en 1989 mais je suis rassuré par son parfum et les fragrances que délivre la Romanée-Conti 1967 m’enthousiasment. C’est un chef-d’œuvre de subtilités.

Je vais saluer le chef Sébastien Morellon en cuisine et je suis heureux de saluer aussi Michel Nave, chef MOF qui est le bras droit de Pierre Gagnaire avec qui nous avions réalisé un dîner sublime dans son restaurant, le 222ème.

Les participants arrivent et se rendent dans leurs chambres puis, quand nous sommes tous prêts, nous avons une forte envie de boire du champagne, ce qui se comprend normalement lorsque l’on est dans une maison de champagne. Mais j’apprends que pour des raisons sanitaires, nous ne boirons pas au bar, distanciation oblige, et l’apéritif se prendra à table.

J’apprends aussi que Séverine préfère dîner dans une pièce voisine, car elle a peur de toute contamination, ce qui se comprend compte-tenu de sa fonction. Un maître de cave sans odorat, c’est impensable. Fort heureusement Séverine viendra nous présenter les champagnes que nous boirons.

Il y aura un seul nouveau à ce dîner, jeune entrepreneur gastronome et amoureux des grands vins.

Le menu mis au point avec le chef Sébastien Morellon et réalisé par lui avec l’aide de Michel Nave, est : sablé parmesan, pomme gaufrette, saumon fumé, gel citron-mélisse / langoustine au court-bouillon, mousseline de persil / sole de petit bateau pochée, farcie d’une duxelles de champignons, fondue de poireau / quasi de veau braisé parfumé de laurier, carottes / filet de bœuf sauce Périgueux, pommes Anna / gratin de macaronis au comté / foie gras poché dans une infusion de légumes / ris de veau croustillant, fondue d’oignons doux / déclinaison de mangue.

Annabelle nous sert le Champagne Perrier Jouët Belle Époque Magnum 1989 lorsque nous sommes assis. Le nez de ce champagne est incroyable tant il est plein, fort, guerrier. C’est un immense champagne de grande largeur. Il combine à la fois l’énergie d’une folle jeunesse avec la sérénité que donne la maturité. Très solaire, c’est un champagne royal. Les petits amuse-bouches le rendent gourmand.

Le Champagne Perrier Jouët Belle Époque Magnum 1988 est résolument différent. Si le premier est masculin, celui-ci est féminin, alors que ce n’est pas la caractéristique de ce millésime. Il est tout en grâce et bien malin celui qui dirait lequel il préfère, tant ils explorent des voies différentes. Ce 1988 trouve son envolée avec la divine langoustine superbe avec sa mousseline de persil.

Pour la sole riche et affirmée et arrondie par les champagnes les deux vins blancs de 1962 se montrent brillants. Le Traminer Trimbach 1962 est d’une palette de goûts inhabituels. J’adore son caractère sauvage et terrien. Son nez très minéral évoque les litchis lui donnant des tons exotiques fluides et charmants.

Le Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962 au contraire est glorieux. C’est pour mon goût la plus grande année de la Coulée de Serrant avec le 1967, deux années réussies par Madame Joly. Il est serein, épanoui, calme et tout à son affaire. Mais j’ai tendance à penser que le Traminer est plus en phase avec le plat, porteur d’une grande émotion. J’ai toujours un petit faible pour les fantassins.

La raison principale de l’inscription à ce dîner est la curiosité de mes amis à goûter ensemble trois Cros Parantoux mythiques. Il ne s’agit pas de les juger mais de les juxtaposer. Et j’ai eu l’idée que l’on perçoive leurs comportements sur une viande blanche et sur une viande rouge. Nous commençons donc à les apprécier sur un veau fondant.

Très vite il apparaît que le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992 est très largement transcendant par rapport aux deux autres. Ce n’est pas que les deux autres seraient plus petits. C’est que le Henri Jayer dégage une émotion incommensurable. Et il n’y a pas d’auto-persuasion parce que nous aurions envie que le Henri Jayer soit le meilleur. Il l’est.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Méo Camuzet 1991 au nez raffiné est le vin qui s’exprime le mieux avec le veau, alors que le Vosne Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1996 plus affirmé est celui qui fait jeu égal avec la force du filet de bœuf que le chef a fait puissant, comme je le souhaitais.

Chacun des trois Vosne Romanée Cros Parantoux serait la vedette d’un repas s’il était seul, le Rouget dans l’affirmation puissante, le Méo dans un registre plus courtois, et le Jayer dans la transcendance. Ce groupe de trois vins est un moment d’une intensité rare. Alors qu’il s’agit de Premiers Crus et non de Grand Crus, on est au sommet du plaisir bourguignon.

Il m’était apparu opportun qu’un champagne précède la Romanée Conti en faisant une rupture gustative. Le Champagne Perrier Jouët Belle Époque Magnum 1982 est accompagné d’un gratin de macaronis absolument idéal pour gérer ce qui est plus qu’une parenthèse, un grand moment. Car ce 1982 est immense. J’ai de cette année l’image de romantisme. Tout est en grâce dans ce champagne. Sa longueur et sa justesse sont merveilleuses.

J’avais senti à l’ouverture que la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967 serait toute en grâce. Le foie gras poché remarquablement exécuté est comme un coussin de velours qui fait admirer la brillance d’un joyau. Car c’est un accord extraordinaire. Le nez est subtil et en bouche toutes les suggestions se dessinent comme en une œuvre d’Albrecht Dürer. Tout y est. Il faut savoir lire ce vin. Je suis aux anges. Et je suis tellement content de trouver une Romanée Conti qui s’exprime naturellement de façon équilibrée et suggestive que je ne boude pas mon plaisir. Elle ne s’affiche pas, n’a rien d’ostentatoire, elle suggère et se livre si on l’écoute. Et l’accord divin la rend encore plus belle.

Le Gewurztraminer Vendanges Tardives Hugel 1976 est d’une année que Jean Hugel considérait comme la plus réussie de celles qu’il avait dirigées. Le vin combine force et subtilité, d’un équilibre rare. Je me demandais si faire suivre un foie gras poché par un ris de veau était possible. L’accord s’est montré superbe.

Le Château d’Yquem 1939 est d’un ambre assez discret et je me suis rendu compte que le léger doute que j’avais sur sa couleur n’était dû qu’à une chose : la bouteille est d’un verre bleuté comme ce fut le cas pendant la guerre. Dans le verre la couleur du vin retrouve un or magnifique. Son nez est puissant. En bouche il combine élégamment le côté gras du botrytis avec une tendance sèche des sauternes ayant mangé leur sucre et cette combinaison le rend élégant. La mangue se montre le compagnon idéal de ce grand vin.

D’habitude, lorsque l’on vote dans mes dîners, même si mon vote diffère du vote du consensus, cela ne m’émeut pas. Mais dans ce cas, j’ai eu un temps de réaction qui n’est pas un refus, mais presque. J’étais tellement heureux de trouver une Romanée Conti qui soit dans l’expression la plus fine et subtile de la Romanée Conti que je l’ai mise première de mon vote. Or le gagnant, de loin, est le Cros Parantoux d’Henri Jayer qui a obtenu six votes de premier. Pourquoi ai-je été interrogatif, alors que le Henri Jayer a été sublime, je ne le sais pas aujourd’hui en rédigeant ce compte-rendu. C’est peut-être dû au fait que les marqueurs habituels de la Romanée Conti, la rose et le sel étaient moins marqués que d’habitude pour ce 1967. J’aurais aimé que mes amis aient mon enthousiasme mais je suis heureux qu’ils aient couronné le vin d’Henri Jayer. La Romanée Conti a eu trois votes de premier.

Le classement du consensus est : 1 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967, 3 – Magnum Champagne Perrier Jouët Belle Époque 1982, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1996, 5 – Gewurztraminer Vendanges Tardives Hugel 1976, 6 – Château d’Yquem 1939.

Mon classement est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967, 2 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992, 3 – Château d’Yquem 1939, 4 – Magnum Champagne Perrier Jouët Belle Époque 1982, 5 – Gewurztraminer Vendanges Tardives Hugel 1976.

Une mention particulière devrait être faite sur les accords mets et vins que j’ai suggérés ou bâtis avec le chef et qui ont été magnifiés par le talent du chef. L’accord le plus beau est celui du foie gras poché avec la Romanée Conti. Ensuite ce serait la sole et sa duxelles avec le Traminer, le ris de veau avec le Gewurztraminer, le bœuf avec le Vosne-Romanée d’Emmanuel Rouget et les macaronis avec le Perrier-Jouët 1982. Mais la langoustine avec le 1988 pourrait concourir aussi, car tout fut divinement bon.

L’ambiance très amicale, le service attentif et la cuisine d’un niveau exceptionnel ont fait de ce 249ème dîner un des plus mémorables qui soient.

La maison Belle Epoque et ma chambre. Une table vivante

mon lit et la vue de ma chambre

la table du repas

mes outils d’ouverture

Magnum Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1989

Magnum Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1988

Traminer Trimbach 1962

Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962

Vosne Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1996

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992

Vosne Romanée Cros Parantoux Méo Camuzet 1991

Magnum Champagne Perrier Jouët Belle Epoque 1982

Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967

Gewurztraminer Vendanges Tardives Hugel 1976

Château d’Yquem 1939

Les repas de conscrits reprennent vendredi, 7 mai 2021

Depuis le confinement, il n’y a eu aucune possibilité pour faire nos déjeuners de conscrits. L’occasion s’est présentée de faire un de ces déjeuners dans ma cave. Nous serons cinq au lieu de huit, les autres amis n’ayant pas la possibilité de venir. De bon matin j’ai ouvert les bouteilles pour qu’elles aient l’aération nécessaire. Aucun incident ne se produit. Le sauternes Domaine de la Forêt a une étiquette très peu lisible mais j’avais noté sur mes fiches son année, 1920. Illisible sur l’étiquette elle apparaît sur le bouchon. C’est bien un 1920, à la hauteur dans le goulot montrant qu’il n’y a pas eu l’ombre d’une évaporation et le parfum à l’ouverture est divin.

Les amis arrivent à des horaires décalés et nous commençons par la rituelle visite de cave. L’un des amis est un fan du champagne Delamotte aussi le premier vin que nous buvons pour l’apéritif est un Champagne Delamotte Blanc de Blancs 2007. Il a le charme des blancs de blancs de Mesnil-sur-Oger. J’ai voulu l’associer avec le Champagne Salon 2007 nous pas pour faire une confrontation mais plutôt pour faire une association. Je préfère qu’il en soit ainsi. Si l’on constate que le Salon est plus noble et plus précis, ce n’est pas pour déprécier le Delamotte que je considère aussi comme un grand champagne.

Nous avons de petits fours salés et nous continuons avec des sushis et des sashimis de saumon et de thon. Je sers alors le Chablis Premier Cru Fourchaume A. Regnard & Fils 1959. Mes amis sont émerveillés par la jeunesse et la richesse de ce grand chablis qui trouve avec le thon un accord magnifique. Quel grand chablis dont le finale riche de fruits est éblouissant.

Ma femme a préparé pour notre déjeuner un foie gras dont elle a le secret. Il est associé au Champagne Dom Pérignon 1973. Là aussi mes amis, peu habitués aux vins anciens, sont subjugués par l’énergie et la largeur aromatique de cet éblouissant champagne. Il est plus guerrier et conquérant que ce que j’attendais. Il est fruité, doté de belles bulles picotant agréablement le palais. L’accord est idéal.

Le Château Canon La Gaffelière Saint-Emilion 1959 est le seul vin rouge du repas, ce qui n’est pas habituel dans les déjeuners de conscrits. Il est absolument splendide, charbonneux, truffé, à la longueur extrême. Il faut dire que 1959 est une année qui en ce moment est au firmament. Il est intéressant de constater que le saint-émilion s’associe nettement mieux avec un fromage de chèvre qu’avec le saint-nectaire qui dans les livres lui conviendrait mieux.

Pour le Shropshire et le stilton, je sers maintenant le Domaine de la Forêt Sauternes Preignac 1920. Sa couleur est d’un or d’un acajou sombre. Son parfum envahit la pièce. Son goût luxuriant et charmeur est un bonheur absolu. Il est un peu sec, mais à peine, et conserve un fruit percutant. Il est parfait sur les fromages et brille aussi sur une tarte à la mirabelle.

Mes amis sont aux anges. Nous allons voter. Le Dom Pérignon a trois votes de premier et le sauternes en a deux. Le vote du consensus est : 1 – Champagne Dom Pérignon 1973, 2 – Domaine de la Forêt Sauternes Preignac 1920, 3 – Château Canon La Gaffelière 1959, 4 – Chablis Fourchaume A. Regnard & Fils 1959.

Mon vote est : 1 – Domaine de la Forêt Sauternes Preignac 1920, 2 – Champagne Dom Pérignon 1973, 3 – Chablis Fourchaume A. Regnard & Fils 1959, 4 – Château Canon La Gaffelière 1959.

Sur un menu extrêmement simple puisque je n’ai en ce local qu’un embryon de cuisine, on se rend compte que lorsque les vins sont de haut niveau, et ils le furent tous, on peut faire un repas de haute gastronomie. Le plaisir de revoir mes amis est doublé du plaisir de leur offrir une expérience gastronomique mémorable. Vive la vie qui revit.

un Dom Pérignon revenant d’Italie

le 1920 est très lisible sur le bouchon

Déjeuner aux accords audacieux sur le thème des sauternes samedi, 1 mai 2021

(les préparatifs de ce déjeuner sont racontés dans l’article qui est juste en dessous de celui-ci, à lire d’abord)

De très bon matin je vais acheter le pain pour le déjeuner et des fruits de la passion et des grenadelles. J’ouvre ensuite les vins du déjeuner. Le Château d’Yquem 1989 a un bouchon tellement comprimé dans le goulot que mon tirebouchon limonadier, malgré la possibilité de faire levier, n’arrive pas à remonter le bouchon. J’utilise alors le Durand, un tirebouchon qui combine un bilame et une mèche, ce qui permet de tirer facilement le bouchon.

Je vivrai un moment difficile avec le bouchon du Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle sans année des années 60 et 70. Il est impossible de le faire tourner à la main aussi j’essaie avec un casse-noix. Le casse-noix ne peut pas faire tourner le bouchon tant le bas du bouchon semble collé au goulot. Avec un couteau mis entre le haut du goulot et la partie renflée du bouchon j’essaie de lever le bouchon, mais il réagit comme un caoutchouc, c’est-à-dire qu’il se lève puis se contracte. Ce manège dure une bonne dizaine de minutes et à un moment, tournant un peu plus fort que d’habitude, je vois que le bouchon se déchire en haut du goulot. Je sors le reste en usant d’un tirebouchon. Un début de pschitt apparaît et une légère brume de bulles émane de la bouteille. Ce fut périlleux.

Les amis et ma fille cadette arrivent et pour l’apéritif, nous buvons le Champagne Salon 2007 que j’avais ouvert hier. Il s’est merveilleusement élargi et montre une noblesse rare. Ce qui a des chances de devenir un rite à la saison des fraises, c’est de commencer l’apéritif par un accord fraises et champagne. Ma fille m’avait regardé avec des yeux incrédules, mais cet accord est divin.

L’accord suivant est celui du Salon avec un délicieux camembert. Et c’est aussi pertinent.

Je sers maintenant le Champagne Laurent-Perrier Grand Siècle sans année des années 60 et 70. Sa couleur est belle, légèrement ambrée. Les bulles sont visibles. Passant après le Salon, c’est une explosion de bonheur, de bouquets de fleurs et de paniers de fruits. Quelle richesse ! Ce champagne va accompagner des petits fours salés, une rillette, un jambon Pata Negra de bien belle façon.

Nous passons à table. Le premier plat est un poulet cuit au four à basse température. Le Château d’Yquem 1989 crée un accord absolument parfait. La continuité des goûts est idéale. L’Yquem combine une belle jeunesse et une grande maturité. Il apporte la fraîcheur mais aussi un équilibre de belles saveurs. Il n’est pas pesant mais convainquant.

Alexandre de Lur Saluces m’avait souvent dit d’associer Yquem et asperges et j’avais pu en vérifier la pertinence au château de Ferrières, propriété de l’Université de Paris, lors d’un colloque sur les accords mets et vins. L’asperge verte s’accommode de l’Yquem. Pour certains autour de la table, c’est avec la tête verte de l’asperge, plus douce, que l’accord se trouve alors que je préfère la queue blanche plus amère pour converser avec le sauternes. C’est une expérience qu’il fallait faire.

Pour le wagyu passé au four à basse température pendant quelques minutes pour chauffer le cœur, puis cuit comme un steak, j’ai choisi un Savennières Roche aux Moines Moelleux récolte du château de Chamboureau Cuvée Chevalier Buhard Pierre et Yves Soulez Viticulteurs 1989. Son nez est discret. Il m’évoque des coquilles d’huîtres et quelques vins de glace. Il hésite entre le moelleux et le sec et en bouche son attaque est fortement salée. Et c’est exactement ce qu’il faut pour accompagner la délicieuse et opulente viande bien grasse mais légère. L’accord est magnifique. Je suis tellement content d’en avoir eu l’intuition.

Les fromages sont un gouda de très longue maturation, un stilton et un Shropshire qui est comme un stilton mais à la couleur orangée. Nous pouvons essayer ces fromages soit avec l’Yquem soit avec le Château Suduiraut 1959 d’une puissance invraisemblable et d’une palette aromatique infinie. Le gouda est trop fort à mon goût et les deux autres fromages sont superbes pour le Suduiraut qui a la force pour les affronter.

Sur les grenadelles, l’accord le plus pertinent me semble être avec l’Yquem 1989, car le Suduiraut est très puissant. L’accord se trouve aussi avec le Savennières. Pour les fruits de la passion, c’est le Suduiraut qui est le plus adapté.

La tarte Tatin est si gourmande que les deux sauternes font jeu égal.

Je vais chercher une bouteille déjà ouverte depuis quelques mois d’un Madère qui est probablement d’une année autour de 1740, année estimée par la forme de la bouteille qui a été utilisée dans la première moitié du 18ème siècle. Nous en buvons chacun une goutte. Ce liquoreux offre des complexités transcendantales, tant les saveurs sont infinies et éternelles. Autant les sauternes furent brillants, autant ce vin est sur une autre planète.

Nous avons voté pour les vins du repas, le madère étant hors classement. Le consensus est : 1 – Suduiraut 1959, 2 – Yquem 1989, 3 – Savennières 1989, 4 – Grand Siècle, 5 – Salon 2007.

Mon classement est 1 – Suduiraut 1959, 2 – Yquem 1989, 3 – Grand Siècle, 4 – Savennières 1989, 5 – Salon 2007.

Ce repas sur un thème inhabituel fut une vraie réussite car tous les accords ont été pertinents et les vins se sont montrés superbes. Les accords les plus originaux sont la fraise et le Salon, le Savennières et le wagyu et l’Yquem avec les grenadelles. Il faut prendre des risques pour avoir des plaisirs nouveaux.

Symphony in blue

difficulté avec le bouchon, retiré avec le Durand

la couleur du Madère !!!

Préparatifs d’un déjeuner de sauternes vendredi, 30 avril 2021

Pour le déjeuner de mon anniversaire, des amis avaient apporté un Yquem 1989 qui n’a pas été bu, du fait de la profusion de vins. Il paraissait assez naturel que nous nous retrouvions une semaine plus tard, une nouvelle fois chez nous, pour goûter ce vin. Ma fille cadette se joindra à nous.

L’idée m’est venue que ce déjeuner soit un repas de liquoreux. On commencerait par des champagnes et ensuite, la voie serait libre pour les liquoreux. Nous avons discuté avec ma femme de ce que pourrait être le menu et j’ai cherché en cave de quoi composer un repas cohérent.

Tout est sur les rails et la veille du déjeuner, lorsque je rentre à la maison, je vois que ma femme a acheté un magnifique et imposant pavé de wagyu, parce que son boucher a eu l’occasion de s’en procurer. Ça change beaucoup de choses aussi décidons-nous de goûter ce soir le wagyu sur lequel j’essaierai un liquoreux. J’ouvre un Château Suduiraut 1959 à la couleur très foncée et au niveau parfait. Le vin embaume la pièce. Ma femme a préparé aussi des petites pommes de terre poêlées en fins disques. L’accord sauternes et pommes de terre est parfait. En revanche, même si la cohabitation entre la viande et le vin est possible, grâce au gras délicieux du wagyu, le sauternes est beaucoup trop fort et écrase la viande. Si l’on veut associer la viande avec un liquoreux, il faudra qu’il soit plus léger. J’en ai prévu un au programme.

A titre de vérification, j’ouvre le Champagne Salon 2007 normalement prévu pour l’apéritif demain. Le wagyu accepte le champagne mais il n’y aucune valeur ajoutée à leur conjonction.

Ma femme a acheté chez son marchand de fruits des fruits de la passion et des grenadelles qui ont la même forme que les fruits de la passion, à la peau lisse et jaune. Le fruit de la passion a une forte acidité que n’a pas la grenadelle plus douce. L’essai du Suduiraut avec le fruit de la passion est constructif, mais l’acidité est forte. L’accord avec la grenadelle est beaucoup plus séduisant car il se trouve en douceur. J’irai donc demain de bon matin acheter des grenadelles chez le marchand.

Ce repas et ces essais nous permettent de bâtir le programme du déjeuner de demain. Nous aurons, j’espère, de belles surprises.