Merveilleux repas au restaurant Michel Rostangsamedi, 24 février 2018

Il y a bien longtemps que je n’avais pas partagé de belles bouteilles avec mon ami Tomo. Cela nous manquait. Alors, quand il y a un manque, il faut se rattraper avec des flacons prestigieux. Nous serons deux et voici le programme : Cheval Blanc 1947, Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1994, Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1938. Il n’y a que des vins rouges, mais il faut savoir explorer aussi des pistes non conventionnelles.

J’arrive à 11 heures au restaurant Michel Rostang pour ouvrir les deux vins en ma possession, le vin d’Henri Jayer de ma cave et l’Hermitage que nous avons acheté en commun, Tomo et moi. Le bouchon du Cros Parantoux ne pose aucun problème et le nez du vin est d’une rare jeunesse. La capsule de l’Hermitage est difficile à enlever entière car l’étain est très fragile et collé au bouchon. Le bouchon me semble présenter les mêmes problèmes que celui du Montrose 1964 : liège incroyablement friable et imbibé, bouchon collé aux parois, et cerise sur le gâteau, surépaisseur sur une partie du goulot, qui l’empêche de sortir sans se déchirer. Le bouchon vient donc en mille morceaux mais j’arrive à tout sortir sans qu’une miette ne tombe dans le vin.

Jasmin, une jeune sommelière adjointe de Baptiste, le sympathique sommelier qui fait la suite d’Alain Ronzatti, l’historique sommelier du restaurant, a filmé l’ouverture de ce vin.

Le parfum du vin du Rhône me semble solide et prometteur. Je rédige ces lignes en attendant Tomo qui va venir avec un Cheval Blanc 1947 de mise Calvet qui avait reçu ce vin en barriques. C’est la première fois que je vois ce vin mythique en mise Calvet.

En attendant Tomo je mets au point le menu avec Michel Rostang lui-même. Il avait fait demander par Baptiste quel plat conseillerait le domaine pour cet Hermitage 1938. Le domaine n’a pas d’archive avant 1945 et le conseil donné est du veau plutôt que de la viande rouge.

Il se trouve que Michel Rostang et son épouse déjeunent avant le service dans la salle qui jouxte la cuisine et je vois une belle pièce de bœuf qui leur est servie en tranches. Je n’hésite pas, ce sera bœuf et non pas veau.

Tomo arrive un peu après les douze coups de midi et j’ouvre la bouteille. La capsule est neutre ce qui est étonnant et le bouchon est neutre et très court. C’est un bouchon de modeste qualité. Tomo se demande si la bouteille est authentique. Je n’ai pas le moindre doute car un faussaire qui voudrait faire un Cheval Blanc 1947 s’y prendrait autrement. Pour laisser au bordeaux le temps de s’aérer, on changera l’ordre des vins et le Cros Parantoux sera servi avant le Cheval Blanc. Le nez du bordeaux me paraît logique avec l’année ou du moins la période et avec l’appellation.

Les délicieux petits amuse-bouche seraient mieux appropriés à un champagne qu’à un bourgogne aussi noble mais nous le goûtons quand même et nous sommes émerveillés. Le nez du Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1994 est expressif et intense et la bouche combine avec une grande élégance une délicatesse absolue et une belle puissance. Ce vin pianote ses complexités dans toutes les directions et jamais une gorgée ne ressemble à la précédente. Le vin est chaleureux et nous sentons que nous sommes face à un grand vin d’Henri Jayer. Nous sommes heureux.

On nous sert maintenant les sandwiches à la truffe qui ont contribué à la réputation de Michel Rostang. Ils sont divins et il me semble que ce serait dommage de les manger avec le si subtil Cros Parantoux. Je demande donc qu’on nous serve le Château Cheval Blanc 1947. La couleur dans le verre est très sombre comparée à la couleur particulièrement claire du bourgogne. Le nez est authentique mais discret. La bouche manque d’ampleur. C’est un beau vin mais ce n’est pas la légende. Mais il faut savoir attendre. Le saint-émilion est très cohérent avec les sandwiches lourdement truffés et s’étoffe avec eux.

Le ris de veau qui arrive presque nu sur l’assiette, ce que j’adore, va faire briller le Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1994. Le vin trouve dans l’accord une belle énergie. Il garde la délicatesse et la subtilité, gagne en puissance, et ses complexités sont d’une rare noblesse. Le goût intense n’en finit pas de marquer le palais. Nous sommes aux anges.

Pour le Château Cheval Blanc 1947, j’ai demandé à Michel Rostang de préparer des filets de rougets juste poêlés avec une petite sauce réduite. Le plat est servi avec une simplicité qui me ravit, avec un cannelloni de topinambour. Le rouget joue un rôle d’exhausteur de goût pour le vin qui prend une largeur sans commune mesure avec ce qu’il montrait jusqu’alors. Nous commençons à lever le voile d’un possible grand vin. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un vrai Cheval Blanc 1947, mais nous n’avons que 80% de ce qu’est ce vin de légende. Nous nous régalons, mais pas au septième ciel qu’il devrait nous offrir.

La viande de bœuf nous est servie en tranches avec une purée aux truffes et une sauce plombée de copeaux de truffe excite son goût. Avec une générosité particulière le maître d’hôtel va recouvrir la viande de fines lamelles de truffes comme si un Pinatubo de truffe voulait noyer la viande. L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1938 est d’une bouteille d’une rare beauté. Le niveau est très convenable pour une bouteille de cet âge à 5 cm environ. Le vin qui est servi est assez trouble et je n’aime pas tellement sa couleur un peu terreuse. Mais le nez du vin est pur et son goût est riche et généreux. Le domaine Jaboulet avait dit à Baptiste qu’il est probable que ce 1938 ressemble à un 1962 qui est très bourguignon et c’est vrai qu’il a une belle délicatesse mais le vin est résolument rhodanien. Il y a en effet dans le finale des évocations de terroir qui sont plus du Rhône que de la Bourgogne. La viande et la truffe transportent ce vin à de belles hauteurs. Le vin riche et spontané, très droit, est de grande qualité. Il reste suffisamment de vin pour que nous demandions les fromages. Ce sera uniquement le saint-nectaire, qui est le seul fromage suffisamment doux pour ces vins subtils.

J’ai apporté avec moi la bouteille de Marc de rosé d’Ott 1929. Je suis sûr que ce Marc sera le gagnant de ce repas. Nous commandons un soufflé au Grand Marnier qui, n’étant pas flambé, conviendra à l’alcool. Il ne faut pas prier Tomo pour qu’il confirme que le marc est de loin le gagnant du repas car sur un nez très sec et fort il offre en bouche une invraisemblable suavité. C’est du bonheur en liquide.

La salle s’est lentement mais sûrement vidée aussi invitons-nous Baptiste et Jasmin à venir nous rejoindre. Tomo offre un Champagne Krug Clos du Mesnil 1992. C’est intéressant de penser que 1994 qui n’est pas une grande année nous a donné un Cros Parantoux exceptionnel et que 1992 qui n’est pas une grande année nous donne un Clos du Mesnil d’une qualité de très haut niveau. Les années qui passent changent la donne pour les grands vins. Nous avons continué à bavarder en buvant ce champagne très jeune, vif, qui combine des notes vertes d’une belle acidité avec la noblesse d’un champagne de perfection.

Si nous devons classer ce que nous avons bu qui est très disparate ; ce sera 1 : Marc de rosé d’Ott 1929, 2 – Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1994, 3 ex aequo Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1938 et Champagne Krug Clos du Mesnil 1992, 5 – Château Cheval Blanc 1947. Si un Cheval Blanc 1947 est cinquième dans un repas, c’est que la qualité des autres vins est exceptionnelle.

Le restaurant Michel Rostang a toutes les agréables caractéristiques d’une maison familiale. Avant le service, Michel et sa femme déjeunent alors que toute l’équipe se démène tout autour. Le menu a été mis au point avec Michel, Baptiste mais aussi avec Nicolas Beaumann le chef qui ne pouvait être présent et que j’avais prévenu du fait que nous ouvrions l’Hermitage 1938. Tout le service s’est impliqué pour que nous ayons un repas parfait. Chaque plat a mis en valeur le vin auquel il était associé. Tout le monde exauçait nos souhaits. Ce fut un des plus beaux repas que nous ayons partagés, Tomo et moi.