magnifique repas au restaurant Akramemercredi, 28 février 2018

Ma fille et Viktoria, la fille d’un ami, ont fait la même école de commerce et ont démarré dans la même grande entreprise internationale. Elles ont beaucoup de points communs mais leurs parcours ont divergé par la suite. Ce serait intéressant de les faire se rencontrer. C’est un prétexte à dîner à quatre, ma femme, ces deux jeunes femmes et moi. J’ai envie de choisir le restaurant Akrame, et ce serait un privilège si Akrame était présent, car il dirige un groupe de plus en plus important dépassant je crois les vingt restaurants. Akrame m’a promis d’être là et il tiendra sa promesse. J’arrive un peu après 18 heures pour ouvrir les vins de ce dîner. La brigade prépare le service du soir et dîne en deux petits groupes. Je suis frappé de voir à quel point ils sont tous ouverts, accueillants et motivés. Une ambiance dynamique règne en ce lieu. J’ouvre le vin rouge et le liquoreux. Il n’y a aucun problème pour les bouchons qui viennent entiers. L’odeur du vin rouge pourrait suggérer un léger gout de bouchon, mais il n’en sera rien. L’opération d’ouverture est rondement menée. Il fait si froid qu’il est exclu que je me promène dans le quartier. Je reste sur place, voyant le ballet des uns et des autres, toujours sympathique. Avec le chef cuisinier en place j’ébauche l’idée d’associer du café à une viande rouge pour le vin algérien et d’avoir des goûts tout en douceur pour le vin hongrois. Mais le chef préfère que j’en discute avec le pâtissier qui arrive peu après. J’avais envie de madeleines mais il propose deux desserts orientés vers les parfums que je lui fais sentir. Laissons libre cours à sa créativité.

En attendant l’arrivée de mes invités et d’Akrame, on m’offre un verre d’un champagne de vigneron. Ce champagne de vigneron ressemble à beaucoup de champagnes de vignerons, avec une acidité forte, une absence de concession mais ce qui me gêne le plus c’est le manque de cohérence de la bulle qui fait un peu trop bulle d’eau minérale, pas assez cohérente avec le vin de belle qualité.

Akrame arrive, prend les choses en mains, me demande les vins que j’ai apportés et me dit : « laisse-moi faire ». Nous passons à table. Le Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette Gold, ce qui indique un assemblage de champagnes de plus de 25 ans, a une belle couleur claire et jeune. Il est d’une grande vivacité combinée à une belle douceur. C’est un champagne noble. Il y a deux amuse-bouche qui me plaisent car les goûts sont lisibles et cohérents. Il y a du talent dans cette apparente  simplicité d’une tartelette à la mozzarella et d’une feuille végétale portant une fine lamelle d’anguille fumée. Le repas démarre très fort et je vais en faire compliment à Akrame tout en lui apportant un verre de Krug sur lequel nous trinquons.

Le tartare de coquilles Saint-Jacques est délicieux et vibre avec le champagne profond de façon redoutable. Le plat suivant est de céleri rémoulade fumé avec une crème de poire noire. C’est amusant car cette encre tapisse nos lèvres de noir comme le maquillage des Gothiques. Nous en rions et Akrame nous confirme qu’il aime le noir. Un poisson cru surmonté de copeaux de truffe titille magnifiquement le Krug. La noblesse et la longueur du champagne sont impressionnantes.

Lorsqu’on me sert le tourteau au foie gras, je sens le plat et j’ai envie de passer au vin rouge car je crois que l’accord sera parfait. Je demande aux serveurs s’il y a d’autres plats à venir qui conviennent au Krug et j’adore quand ils me répondent que seul Akrame le sait. Le sommelier accepte que je fasse le service du rouge. Le Royal Kebir Frédéric Lung vin d’Algérie 1947 a un niveau dans le goulot et une étiquette si belle et si neuve qu’on aurait du mal à croire que la bouteille n’ait pas été reconditionnée. Or elle est d’origine. Le nez du vin est envoûtant, riche et on retrouve les caractéristiques de ce vin : café, tabac, cacao. L’accord avec le plat de tourteau et de foie gras est tellement immense que je prends mon plat et mon verre de vin et je vais en cuisine pour qu’Akrame l’essaie. Il est comme moi subjugué par la pertinence inouïe de cet accord. Le vin est grand, noble, riche et tellement exotique. C’est, je pense, un des plus beaux Royal Kebir que j’aie eu l’occasion de boire. Nous pourrions, si nous voulions, manger le homard au barbecue et kumquat avec le champagne, car il en reste, mais le vin algérien est d’une telle richesse qu’il est brillant avec ce plat. On nous montre une belle pièce de bœuf qui repose sur un lit de grains de café. Il est ensuite servi en belles tranches avec une sauce très réduite et c’est l’apothéose pour ce sublime vin si cher à mon cœur. Akrame en est ému.

Nous avons ensuite une composition à base de pigeon et le Royal Kebir a déjà été asséché. Je suis toujours circonspect face aux suggestions de sommeliers, surtout quand les vins qui ont précédé ont un tel calibre. Mais le Châteauneuf-du-Pape Mas Saint-Louis de Louis Geniest 2012 se montre absolument brillant. Il est racé. C’est d’autant plus méritoire qu’il apparaît après le 1947. Ce vin n’a pas d’âge alors qu’il est tout jeune. Il a une vibration émouvante et des complexités chantantes et embrasse le pigeon à la cuisson parfaite. Je n’ai pas cessé de féliciter le sommelier.

Akrame nous avait rejoints à table depuis quelque temps et nous avons bavardé de mille et une choses. Il est heureux de nous voir et nous aussi de profiter de son discours tonique, dynamique et positif. Il déborde de belles idées et nous échangeons avec plaisir avec lui.

J’ai apporté un Tokaji Eszencia Aszù 1988 car je pense qu’il y a un réel cousinage avec le Constantia d’Afrique du Sud 1861 que j’ai bu avec Viktoria chez son père. Le vin est tout en douceur, très sucré mais léger et vif, à la longueur infinie. Il se marie bien aux deux desserts à base de pommes cuites, l’un avec kaki et calisson et l’autres avec du sucre muscovado. Le vin est dosé avec subtilité, rien n’étant dans l’excès. Sa sucrosité paraît légère.

Tout dans ce dîner a été exceptionnel. L’attitude des serveurs, décontractée mais très concernée, les plats aux goûts lisibles et talentueux, avec une générosité et une créativité débordantes, des accords superbes, tout cela nous a ravis. Mais deux choses méritent pour moi d’être mises en avant. Tout d’abord le Royal Kebir, vin riche et impérial a eu une flexibilité rarement atteinte en se mariant à trois plats très différents : tourteau et foie gras, homard au barbecue et bœuf au café et en brillant chaque fois. C’est exceptionnel.

Et le deuxième point important, c’est la complicité amicale qui existe avec Akrame, chef dynamique, inventif, les pieds sur terre et généreux. Tout a été sous le signe de l’amitié. En un Paris glacial, ça réchauffe le cœur.

Akrame aime bien afficher des représentations de lui-même faites par des artistes. ici, il fait très gourou d’une secte et semble nous dire : « faites-moi confiance ! »

j’ai oublié de photographier la si belle étiquette du Royal Kebir 1947. Je joins la photo d’une bouteille identique ouverte lors de la dernière réunion de l’académie des vins anciens, aussi belle que celle de ce dîner :

2 amuse-bouche puis les plats

pièce de boeuf sur un lit de grains de café

discussions amicales sur la gastronomie