explosion de truffe blanche au Carré des Feuillantsjeudi, 9 décembre 2010

Au restaurant le Carré des Feuillants, Monica, Armin et Michel m’attendent, malgré ma recommandation de ne pas le faire, autour d’un Champagne Mumm cuvée R. Lalou magnum 1998. Je me joins à eux et le champagne me paraît assez ennuyeux. Il est bien fait, mais l’émotion n’est pas là, ce qui étonne Michel qui ne retrouve pas le goût qu’il avait en mémoire. J’en ai parlé au chef de caves de Mumm qui présentait au Grand Tasting ce même vin. Dans cette autre atmosphère, il m’a beaucoup plu. Mes amis ont faim, et Alain Dutournier aime tellement discuter avec Michel que nous avons peur que le festival ne démarre pas. D’autant qu’Alain vient nous mettre sous le nez la truffe encore dans sa boîte, nous disant qu’il n’a jamais senti une truffe blanche de cette qualité. Ce que nous ne savions pas, c’est que tout se prépare en coulisse avec une extrême efficacité.

Voici le menu qu’Alain Dutournier a conçu, donnant libre cours à son talent : infusion de girolles spéciales d’Arcachon en aumônières de calamar et truffe blanche d’Alba / saumon sauvage juste poché en gelée de sous-bois et délicatement fumé à l’aulne, avocat en chantilly et truffe blanche d’Alba / bouillon mousseux de châtaignes, truffe blanche d’Alba râpée, aiguillette de poule faisane pochée / tronçon de turbot sauvage étuvé dans son jus de cuisson, truffe blanche d’Alba, semoule de brocoli et riz noir / la truffe noire à la truffe cuite entière à l’étouffée – piccata de ris de veau / envie de lièvre en prestigieuse "royale", le râble servi en rosé en médiéval "saupiquet", quelques gourmandises braconnier / vacherin et truffe blanche d’Alba / perles de mangoustan, marrons glacé "Mont-Blanc", parfait vanillé, gelée de rhum.

Ce repas réalisé par le grand chef pour la truffe a été d’un niveau exceptionnel, avec une sensibilité extrême, d’un niveau de trois étoiles.

Le Mumm est vite remplacé par un Champagne Charles Heidsieck Blanc des Millénaires 1995. L’écart de présence et de personnalité est très grand. Ce champagne très vineux, puissant, à la grande longueur nous ravit. Il est plein, typé, expressif. Il "cause".

Le sommelier qui a assuré le service tout au long du repas s’est régalé à entendre les supputations de Michel fort en verve, car tout s’est déroulé à l’aveugle. Il dépose devant nous trois blancs. Le Jurançon sec La Canopée domaine Cauhapé 2007 est d’un jaune clair et jeune. Je suis frappé par la construction d’une précision extrême de ce vin. Il est fin, précis et élégant. Pour moi, son nez est définitivement sud-ouest et Michel est de ce même avis. Puis il change, se mettant à explorer plusieurs régions. Je suis sûr qu’il s’est amusé à brouiller les pistes par ce numéro de patinage artistique interrégional.

Le Jurançon sec Château des Navailles F. Paul 1992 est plus doux que le 2007 et plus fruité, mais moins fin. Je le trouve un peu plus pataud. Le Pur Sang Didier Dagueneau Pouilly Fumé 1996 au nez de litchi est un vin canaille qui pirouette, d’un immense vigneron hélas disparu, que je suis incapable de situer dans sa région. Là aussi nous avons tous fait du patinage artistique, glissant sur les régions avec une insolente légèreté. Le vin est beau, et sa complexité atypique m’a empêché de le reconnaître. C’est un grand vin.

C’est sur le vin suivant que la bonne humeur de Michel s’est exprimée de façon éclatante. Il lance, tout de go : "si ce vin là n’est pas un Pessac Léognan, je quitte mon métier". Et sa confusion est grande puisqu’il s’agit du Vin de jardin Alain Dutournier 2001, vin qui doit être de son sud-ouest. Brillant de précision, riche en bouche et joyeux, c’est un vin de belle mâche au fruit généreux.

Pendant que nous cherchons, nous prenons quand même le temps de nager dans les odeurs de truffe blanche invraisemblablement enivrantes. Les plats concoctés par Alain Dutournier sont au sommet de la gastronomie. La châtaigne crée un accord prodigieux.

Alain a voulu que la truffe noire soit aussi à l’honneur, et le Château La Cabanne pomerol 1989 nous a immensément plu, réussite superbe d’équilibre d’un grand pomerol pour la truffe noire, mais aussi pour le plat le plus chaleureux, le divin lièvre à la royale, dont la force est adoucie par le foie gras.

Le vacherin et la truffe blanche ont formé un couple parfait. Le Maury Thunevin Calvet 2007 est joliment fait dans sa fraîcheur juvénile. Nous voulions éviter le dessert mais Alain nous l’a imposé. Michel voulait un digestif et nous a entraînés vers un Bas Armagnac domaine Charlot 1970 d’une pureté exemplaire.

Alain Dutournier a fait une cuisine exceptionnelle en traitant la truffe blanche dans des compositions éblouissantes. Michel était en pleine forme. A la générosité de Michel qui a offert la truffe blanche a répondu la générosité d’Alain qui nous a offert le repas. Ce fut un grand moment d’amitié.