Dîner au restaurant Le Clos des Sens à Annecy-le-Vieuxdimanche, 29 avril 2018

Nous allons prendre possession de notre chambre à l’Auberge du Père Bise Jean Sulpice et nos amis qui avaient organisé le voyage ont choisi pour nous une suite absolument magnifique avec une terrasse qui permet de contempler le paysage unique de cette partie du lac d’Annecy. Nous sommes logés comme des princes. En arrivant je demande si Jean et Magali Sulpice sont là mais comme nous arrivons vers 17 heures il est logique qu’ils ne soient pas là. Après un nécessaire temps mort nous nous retrouvons à 19 heures sur le pas de la porte de l’hôtel avec nos amis et ma fille cadette qui nous a rejoints, prêts à partir vers le restaurant Le Clos des Sens à Annecy-le-Vieux. On me presse et je n’ai pas le temps de saluer Jean Sulpice qui m’appellera plus tard lorsque je suis au Clos des Sens pour m’en faire le reproche amical mais viril.

Dès que l’on se présente dans ce restaurant, on se sent bien. L’accueil est souriant, la décoration est chaude et accueillante, et comme par miracle, on nous a réservé la table qui est la plus proche de la cuisine ouverte où officie la brigade de Laurent Petit le chef de cuisine et chef d’orchestre de ce lieu. D’emblée l’ambiance est très chaleureuse. Le thème du lieu, affiché sur la porte d’entrée est « lacustre et végétal ». On est donc dans le « local food », locavore, avec des produits de la pêche, de la récolte et de la cueillette des alentours. Nous mangerons « à l’aveugle » puisque nous ne connaissons pas le menu, ce qui n’est pas toujours facile pour le choix des vins.

Par chance la carte des vins est extrêmement intelligente et dotée de nombreuses bonnes pioches, aussi étais-je sûr de faire des choix gagnants.

Nous sommes accueillis avec une eau d’épines d’épicéa infusées. Voici le menu « Grande Fête », tel que nous l’avons vécu, sans jamais savoir ce qui allait suivre. : amuse-bouches faits de filet de perche ail des bois, arêtes de perche grillées, crèmoeuf de féra, feuille à feuille de champignon et quenelle de gardon / caviar de féra, polenta soyeuse / crémeux et tartare d’écrevisses, thé d’écrevisses / première cueillette de morilles, radicelle d’ail des bois / tarte au chou, féra fumée / soupe de poutargue, lentilles Beluga et omble chevalier / légère amertume d’une endive-racine / colrave laqué au safran de Salagine / truite, escargots, Mondeuse bisquée / les fromages des pays de Savoie / sorbet à la tomme blanche, cynorrhodon / bricelet mélèze et pignons de cèdre / tarte fine, chicorée maison.

Que dire de ce repas ? Nous sommes allés d’émerveillement en émerveillement, éblouis par la cohérence et la lisibilité des plats. Chaque composante d’un plat est justifiée. Aucun chichi, aucune rajoute pour faire chic ou pour faire beau. Tout est intelligent, pensé et justifié. Notre repas n’a été composé que de « oh » et de « ah » devant tant de talent. C’est un des plus beaux repas que nous ayons vécus ensemble. A tout moment nous pensions que ce chef gratifié de deux étoiles en mérite largement trois. Deux plats entre autres m’ont émerveillé, le chou avec la féra et le traitement de l’endive, en racine et en pétales.

Voir Laurent Petit diriger la cuisine comme un chef d’orchestre calme à qui il suffit d’un regard pour que ce qu’il souhaite soit fait, est un régal. Son épouse est présente en salle, efficace et faisant le service comme toute la brigade, ce qui est sympathique. L’atmosphère créée par cette équipe dont l’âge moyen est de vingt-cinq ans est très agréable, chacun étant compétent et se sentant impliqué. Nous étions installés sur un nuage de pur bonheur.

La carte des vins créée par le jeune sommelier est remarquable et donne envie de prendre de grands vins. Il y a des pépites à chaque page. Le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle se distingue par un parfum exceptionnel. Il est floral et chose curieuse, il a commencé par délivrer des fleurs blanches et lorsqu’il s’est épanoui, des fleurs rouges sont apparues. Noble, raffiné, ce champagne est hautement gastronomique et donne de la noblesse aux plats qu’il accompagne. Il allait se confronter à deux vins aux longueurs et caudalies de compétition.

Le Riesling Clos Saint-Hune Trimbach 2007 est une bombe olfactive. Il est capable de délivrer tous les parfums que l’on souhaiterait sentir. En bouche c’est le raffinement ciselé d’un riesling, cépage d’une précision diabolique, avec une force gourmande extrême. C’est un guerrier conquérant. Sa persistance aromatique est infinie, Fregoli qui change de parure à chaque plat.

Assez rapidement je fais ouvrir le troisième vin pour que nous puissions pour chaque plat choisir celui des trois vins qui nous paraîtrait le plus pertinent. C’est sur les chairs d’écrevisses que j’ai voulu que nous goûtions la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1991 normalement prévue pour plus tard. L’accord est si saisissant que j’ai fait porter un verre du sublime vin du Rhône à Laurent Petit pour qu’il goûte l’accord avec l’écrevisse.

Le vin de Guigal de 1991 est le premier que j’aie goûté, il y a bien longtemps, des belles Côtes Rôties de cette maison et j’en suis tombé amoureux. Ce vin est d’une rare noblesse. Il est d’une puissance qui renverse tout sur son passage, mais comme il est complexe et de belle fraîcheur il arrive à être gracieux.

De nombreuses fois nous sommes passés du Sainte-Hune à La Landonne et inversement, nous fiant à nos intuitions, pour profiter des meilleurs accords. Ce fut un festival tant ces vins sont en haut de l’Olympe des complexités. Quel plaisir de passer de l’un à l’autre quand un plat cohérent s’y prête.

Nous étions sur un petit nuage et nous n’en descendions jamais. Quel talent. Les fromages sont d’une qualité extrême et d’un affinage idéal. Les desserts se sont montrés d’une grande légèreté. Nous avons bavardé avec Laurent Petit qui est très heureux de l’arrivée de Jean Sulpice dans la région. Il y a en effet trois restaurateurs qui ont deux étoiles et qui ont tous les trois l’ambition d’accrocher une troisième étoile. Cela crée une émulation et cela pousse des amateurs à venir essayer les trois cuisines, comme nous le faisons. C’est donc un bien pour la région.

Une décoration chaude et amicale, un service souriant et compétent, un sommelier qui a conçu une carte intelligente, un chef d’un talent immense qui fait des plats lisibles et cohérents. Ce fut ce soir un des plus beaux repas que nous ayons vécus.

l’atmosphère de la cuisine

j’aime beaucoup cette photo du chef

un article sur le chef avec ces photos