Ça y est, le rideau est baissé, je vais prendre pour trois mois mes quartiers d’été dans le sud. Après quatre jours pour prendre un nouveau rythme de vie, nous allons ma femme, un couple d’amis et moi dîner au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropez. Dans la voiture je demande à mes amis : « savez-vous quand nous y sommes allés ensemble ? ». Les réponses sont un an, deux ans, deux ans, alors que notre unique visite en ce lieu date d’il y a quatre ans juste après que le chef Arnaud Donckele a obtenu trois étoiles. Entretemps, le restaurant et l’hôtel la Résidence la Pinède qui abrite le restaurant La Voile d’Or sont entrés dans le giron de LVMH.
Le cadre est toujours aussi beau, la terrasse où nous allons prendre l’apéritif puis dîner étant directement sur la mer qui est un vrai lac, sans l’ombre d’un frémissement. Des bateaux de toutes tailles occupent la baie.
L’accueil est souriant. Notre table est juste face à la mer et à la piscine. La carte des vins a des prix de trois étoiles. Le sommelier nous explique qu’après la reprise, le groupe propriétaire avait envisagé qu’il n’y ait sur la carte que des vins du groupe LVMH et il a fallu batailler pour arriver à convaincre de l’intérêt d’ouvrir la carte à d’autres vins. Comme j’ai pu le regretter au restaurant Clarence qui appartient aux propriétaires de Haut-Brion, il est vraiment dommage que les vins du groupe LVMH soient proposés à des prix qui dissuadent de les commander. Nous n’en boirons aucun.
Nous prenons un Champagne Blanc de Noirs Egly-Ouriet sans année dégorgé en 2015 après 72 mois de cave. La première gorgée ne révèle aucun défaut et nous sommes servis mais la deuxième gorgée montre que le champagne manque cruellement d’émotion. Il est acide et très court. Il est anormalement ambré. C’est surtout le manque de personnalité qui me pousse à en parler au sommelier Max qui nous propose gentiment de changer de champagne.
Le Champagne Initial de Jacques Selosse sans année a été dégorgé en octobre 2014. Le changement de niveau justifie la réserve que nous avions eue sur le blanc de noirs. De belle personnalité, typé, ce champagne est très plaisant malgré une légère amertume qui s’estompe sur les délicieux amuse-bouche, complexes et variés. Une petite tartelette aux fleurs comestibles de toutes les couleurs est un régal comme une huître présentée avec une mousse délicate, une tranche de lisette, jeune maquereau très goûteux, une olive verte mais présentée noire et légèrement fumée, un chips de fleur de courgette au parmesan ou un bouillon délicieux.
Nous passons à table et l’excellent directeur Thierry di Tullio nous aide à composer notre menu qui sera : les langoustines vivifiées au pamplemousse, broccolettis coupés du matin, basilic citrus et aloe vera au naturel, confection d’un jus d’Hassaku et huile d’olive infusée aux têtes grillées / le turbot cuit en immersion d’eau de mer, citronnelle et algues, poireaux crayon, charlottes et oignons rouges « furio » des terres sableuses de Grimaud, nage d’haliotis de la lagune de Thau / le mignon de veau à la mode Carqueirannaise, les ris au jus et perles de câpres, tomates cœur de pigeon, gnocchis tendres à la sauge florale, quelques dentelles de tête de veau « souvenir de mon enfance ».
Lorsque le champagne Initial est fini, nous commandons un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle dont Max nous dira qu’il a été acquis il y a environ cinq ans. Le champagne est délicieusement romantique, évoquant des fleurs blanches et des fruits blancs. Il va former avec le premier service de la langoustine servie en deux fois un accord d’anthologie. Tout excité je suggère à Max que sur ce plat, le champagne que nous buvons soit l’accord « obligatoire ». C’est en effet éblouissant de symbiose.
Pour le veau, mon ami suggère que nous prenions un rouge, malgré la présence de câpres mais on nous dit que ces câpres sont très discrètes ce qui est vérifié. Le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 2009 est un vin enthousiasmant. Il a la jeunesse, un fruit puissant, une richesse extrême, mais tout est d’un équilibre et d’une élégance rare. C’est un vin de grand plaisir, racé, vif mais aussi accueillant.
Ceci nous pousse à prendre un peu de fromage pour finir ce beau vin.
La cuisine d’Arnaud Donckele est très complexe et très inspirée. Il y a des plats d’une gourmandise raffinée qui justifient pleinement les trois étoiles de ce chef. Le seul plat qui ne m’a pas enchanté est le second service de la langoustine qui marquait un recul gustatif très net par rapport au premier service, absolument exceptionnel. Les plats nous ont été présentés par Aurore, avec des discours délicieusement kitsch à la limite de l’excès. Alors que les propos comme « plat emblématique du chef » ou « plat signature du chef » m’agacent, c’est la première fois que j’entends « plat d’anthologie du chef ». Le service a été mitigé, pas toujours présent, surtout celui du vin, comme manquant d’effectif pour faire face aux souhaits des clients.
Mais le clou du dîner, véritable cadeau royal, fut l’arrivée à notre table du chef en fin de soirée, lorsque nous fumes quasiment les derniers à table. Nous avons bavardé avec lui pendant probablement plus de vingt minutes et il nous a passionnés. Ce chef est terriblement attachant, toujours en quête d’excellence, avec des racines familiales qui l’ont poussé à se dépasser. L’écouter raconter ses recherches de douze saveurs, ses essais, ses envies, c’est vraiment le plus beau cadeau de cette soirée inoubliable. Bravo Arnaud pour votre talent, votre sensibilité, votre authenticité et ces valeurs humaines qui transpirent de vos propos. Longue vie à ce grand restaurant.