Dîner au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropezjeudi, 24 août 2017

Nous nous rendons avec Sarah au restaurant La Vague d’Or sis dans la Résidence La Pinède qui lui sert d’écrin. Nous arrivons assez tôt sous la lumière du jour pour voir la baie de Saint-Tropez envahie de bateaux plus grands les uns que les autres. On imagine tous les pays où sont immatriculés ces bateaux pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la géographie. Pendant l’apéritif, le coucher de soleil derrière les collines offrira des couleurs roses intenses splendides.

Notre table d’apéritif est directement à l’aplomb de la petite piscine où de jeunes enfants s’ébattent et l’un des serveurs balaie consciencieusement les éclaboussures. La carte des champagnes est vaste et comporte beaucoup de champagnes du groupe Moët Hennessy puisque la Pinède appartient au groupe LVMH de Bernard Arnault. Mais la tarification des champagnes du groupe est un « tue-l’ amour », absolument dissuasive. Je demande à Maxime, le compétent sommelier quelle est l’année de dégorgement du champagne Initial de Selosse et il me regarde en souriant, car j’ai posé strictement la même question il y a deux mois lors d’un dîner en ce lieu.

Mon choix se porte sur le Champagne Charles Heidsieck Blanc des Millénaires 1995. C’est un champagne de belle structure, avec une acidité marquée qui va s’estomper dès que le champagne est au contact des jolies présentations à grignoter. Ainsi, dès la délicieuse huître le champagne s’épanouit, vif et vivant. S’il a beaucoup de points communs avec le champagne Salon 1999 que nous avons bu récemment, il lui manque ce petit supplément d’âme qui fait le très grand champagne. Ayant le souvenir encore vivant du sublime Blanc des Millénaires 1985, je range ce 1995 après lui. Il sera cependant un très agréable compagnon de la moitié du repas qui lui est réservée. Après l’huître joliment travaillée nous goûtons des préparations d’olives très agréables, une feuille préparée comme en tempura et d’une grande délicatesse, une crème complexe à base de tomate et une magistrale préparation à base d’escargot qui pourrait aussi cohabiter avec un vin rouge.

Nous ne prendrons pas de menu dégustation et nous orientons l’excellent directeur Thierry di Tullio vers des plats pour le champagne puis pour un vin rouge. Thierry qui ne peut renier ses racines italiennes est un poète lorsqu’il nous décrit les plats. On les mange rien qu’en écoutant ses énoncés. Sarah et moi prenons les mêmes plats, ma femme prenant d’autres orientations puisqu’elle ne boit pas.

Le menu pour les buveurs est : Les gambons (gambas) juste saisis, goutte de fleur de courgette violon, girolles et amandes relevées de fleurs de serpolet, flanquée d’un velouté froid au vinaigre confidentiel. Les têtes à prendre du bout des doigts / Le lapereau à l’absinthe et au lard paysan, fenouils, fanes et bulbes en trois textures, tomates olivettes mi- confites à la badiane, olives noires macérées à l’anis, jus corsé façon salmis au vinaigre de Nebbiolo.

Comme pour les champagnes la carte des vins est dissuasive pour tout ce qui vient du groupe LVMH. Cheval Blanc est inaccessible ainsi que la plupart des Yquem. Même le vin chinois Ao Yun du groupe est tarifé dans du « hors-piste ». En accord avec Sarah je choisis un Gaja Sperss Langhe 2011 l’un des plus grands Barolos italiens fait à 95% de Nebbiolo. C’est en écrivant ce compte-rendu que je me rends compte du pur hasard qui a voulu que le vinaigre du plat soit aussi de Nebbiolo. Est-ce la raison de la pertinence de l’accord ?

Les gambas traitées par le chef Arnaud Donckele sont d’une chair goûteuse d’un raffinement que je n’ai jamais connu de ce crustacé. Lorsque je rendrai visite au chef en fin de repas dans sa cuisine nous aurons une discussion sur un point de détail. Pour mon goût le velouté froid empêche la chair de la gambas de s’exprimer dans toute sa pureté, alors que pour Arnaud il est inconcevable de faire un plat sans sauce. Arnaud est l’homme des sauces. S’il est l’homme des sauces il est aussi celui des farces, car la farce de gambas que l’on mange dans la coquille de la tête est une merveille. Le plat en deux services est gourmand et raffiné et le champagne Blanc des Millénaires l’accompagne bien avec une belle longueur et un léger manque de largeur mais que l’on oublie volontiers. Les accompagnements de champignons et fleurs sont d’un raffinement absolu.

Avant le plat nous avons un sorbet qui sert de « trou normand ». Il faut manger du pain pour recalibrer le palais et prétendre goûter au vin.

Il n’y aurait pas la place pour la moindre critique pour le plat merveilleux de lapereau. Tout en lui est finesse, gourmandise et cohérence. C’est un plat parfait. J’ai demandé à Maxime que le vin soit ouvert au dernier moment et ne soit pas carafé car je désire suivre son éclosion. Ce vin est noble, raffiné, combinant puissance maîtrisée et délicatesse. Il est fruité, mais c’est sa noblesse et sa classe qui sont entraînants. Il se comporte idéalement avec le plat et comme il en reste je prends des fromages sur lesquels l’accord est possible mais sans la vibration qu’a donnée le lapereau.

Sarah prenant un dessert le l’ai accompagnée avec une tarte fine aux huit agrumes et meringue soufflée, « récolte d’hiver et de maintenant », saucées d’endocarpes juteux, d’agrumes relevés de menthe citrus ciselée, une limonade d’un retour de voyage au Moyen-Orient. La complexité invraisemblable de ce dessert est aussi longue que l’intitulé du dessert. Je suis aux anges, car dans cette myriade de goûts, tout est cohérent. J’ai rarement mangé un dessert aussi plaisant et gourmand dans sa fraîcheur.

Il se faisait tard et Arnaud Donckele n’apparaîtra pour bavarder que si le nombre de tables diminue ce qui n’est pas le cas tant l’ambiance est agréable en cette nuit douce, aussi vais-je le saluer dans la cuisine qui est immense. Il me suit pour saluer ma femme et Sarah et je lui verse un verre de Gaja Sperss qu’il apprécie.

Que dire de ce dîner ? Thierry di Tullio est un poète qui vous ensorcèle par sa faconde, Aurore a fait un service de table de grande qualité. Maxime est un sommelier à la compétence rare. La cuisine d’Arnaud Donckele combine des qualités exceptionnelles car les complexités qu’il aime explorer s’inscrivent dans une démarche gourmande et lisible. Le lapereau et le dessert sont des modèles. Quand on voit le nombre de bateaux dans la baie de Saint-Tropez on se dit que ce restaurant n’a pas besoin de baisser les prix des vins, car il y aura toujours des clients qui ne regardent pas les prix.

Par une nuit calme et apaisante, dans une atmosphère joyeuse, nous avons vécu un dîner de très haute qualité.

le « rond » de serviette

les canapés d’apéritif

le repas