Déjeuner au restaurant l’Ecu de France avec Pétrus 1975jeudi, 26 octobre 2017

Le restaurant l’Ecu de France a pratiqué depuis des décennies la stratégie de gestion de cave que j’aimerais trouver en beaucoup plus de restaurants. Depuis toujours les dirigeants ont des relations de confiance avec des domaines qui comptent et ils appliquent des prix qui ne tiennent pas compte de la folie du  »marché gris », le marché des reventes entre particuliers par le biais des salles de vente ou des négociants. On trouve donc sur leur carte des vins que l’on serait incapable de trouver à ces prix sur le marché. Mon œil a été attiré récemment par Pétrus 1975. Chaque fois que j’ai bu ce vin, j’ai été conquis. Il fait partie des vins de forte mémoire comme le jour où mon fils rentrait du Brésil où il venait de passer près de deux ans. Il nous rejoint dans notre maison du sud et là, face à la mer, j’ai ouvert Pétrus 1975 que nous avons bu, mon fils et moi, bercés par la bruit des vagues qui s’écrasent sur les rochers en contrebas et heureux des retrouvailles rythmées par ce vin.

Il se trouve par ailleurs que mon ami Tomo est né en 1975. Je l’appelle en lui demandant s’il est d’accord que nous partagions ce vin lors d’un déjeuner. Je lui annonce le prix de la carte des vins et la décision est prise immédiatement.

A 11h20 je viens au restaurant ouvrir le Pétrus 1975. J’apprends que c’est la dernière bouteille de la cave et je me félicite que nous en soyons les heureux bénéficiaires. Le niveau est presque dans le goulot, la bouteille est saine et belle. Le bouchon est de très belle qualité, très long, ce qui fait qu’il se déchire sans se briser. Le nez est superbe. Je vais voir le chef haïtien qui connait mes désirs. Il est donc prêt à mettre une sourdine à son exubérance généreuse pour simplifier sa cuisine. Pour le Pétrus ce sera du pigeon que le chef Peter Delaboss me montre et que j’approuve.

J’attends l’arrivée de Tomo pour commander le vin qui va précéder et les plats qui l’accompagneront. Très vite en consultant la carte nous nous mettons d’accord pour commander un Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2005. Nous commencerons par un velouté de champignons puis des coquilles Saint-Jacques pour passer ensuite aux pigeons.

L’Hermitage Jean-Louis Chave blanc 2005 est ouvert au dernier moment. Le nez est encore imprécis mais je vais faire confiance à ce vin. Tomo le trouve un peu oxydé mais se ravise car le vin s’ouvre progressivement. On nous apporte à chacun une tranche de foie gras qui élargit un peu le vin. Le velouté l’élargit encore plus. En fait c’est sur les coquilles Saint-Jacques que le vin blanc va devenir vraiment un Chave car enfin nous reconnaissons ce qui fait la noblesse des blancs de cette grande maison, avec du gras, de l’épais, du fumé, mais avec une vivacité et une plénitude rare. Il est donc démontré qu’un tel blanc doit s’ouvrir au moins trois heures avant le repas.

Le chef Peter a bien respecté mes désirs puisque le velouté très cohérent et riche est d’une lisibilité totale. Les coquilles sont belles mais comme souvent légèrement trop cuites, car les chefs n’osent pas risquer qu’on leur dise qu’elles ne sont pas assez cuites. Si le Chave n’a été vraiment lui-même que sur un tiers de la bouteille, ce tiers justifiait pleinement notre choix.

Le pigeon est excellent, de grande qualité de chair. Une cuisson un peu moins prononcée eut été encore meilleure pour le même motif que les coquilles. Peter a préparé les foies de façon magistrale. Ils sont goûteux tout en étant d’une rare légèreté. Paradoxalement, c’est avec la purée que le Pétrus 1975 se sent le mieux car sa neutralité révèle toutes les complexités. Le vin est presque noir tant il est de couleur vive, et le nez est d’une richesse incroyable. Pour mon goût le nez est plus impressionnant que la bouche. Il évoque tellement de complexités sur fond de truffe.

Bien qu’ouvert tôt et déjà brillant, le vin ne va jamais cesser de s’améliorer. Je retrouve tout ce qui fait la grandeur de ce 1975. L’intensité, la complexité et la force de la truffe construisent un vin conquérant, qui pianote la gamme de ses saveurs en un message très long. C’est un vin d’affirmation, mais qui sait aussi suggérer, car rien n’est définitif dans le message. Les images sont noires comme la truffe. Je suis plus à l’aise avec ce vin que Tomo qui n’a pas les mêmes repères. Plus le temps passe et plus le Pétrus montre sa richesse et sa longueur. Aucun des fromages du restaurant ne pourrait aller avec le vin que nous finissons tranquillement, le humant avec gourmandise. Les dernières gouttes sont d’une richesse rare.

Bravo au restaurant l’Ecu de France d’avoir cette politique intelligente de gestion de cave, bravo au chef que nous avons complimenté d’avoir su mettre en avant les produits purs pour que les vins s’épanouissent sur leurs discours lisibles. Nous avons bâti avec Tomo de nouveaux plans de folie. L’aventure des vins anciens nous entraîne sur de beaux sentiers.