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Trente millésimes du Bon Pasteur avec Michel Rolland au Bristol mardi, 28 avril 2009

Michel Rolland, son épouse Dany, sa fille Marie et son gendre organisent une dégustation verticale du Château Le Bon Pasteur, Pomerol dont ils sont propriétaires, dans des salons de l’hôtel Bristol. Trente carafes à magnums sont alignées avec leurs cols de cygnes tournés vers le ciel. Dans une deuxième rangée à leurs côtés trente magnums du Château Le Bon Pasteur, puisque cette verticale se fait à partir de magnums. La température de service et l’épanouissement en carafes sont parfaits, ce qui valorise la dégustation. On nous demande de remonter le temps, de 1978 à 2008, ce que j’ai fait en respectant la consigne. Dans la salle il y a tous les plus grands experts du vin de toutes les revues qui comptent. Les plus jeunes prennent leurs notes directement sur leur PC. D’autres dont je suis utilisent un carnet. D’autres enfin ne prennent aucune note, repérant les millésimes essentiels. Comme je l’ai souvent fait lorsque je raconte des verticales, je vais retranscrire mes notes sans en rien changer afin de garder les impressions comme elles sont apparues au moment de la dégustation. Car les notes ne seraient pas les mêmes si les conditions de dégustation étaient différentes. Voici ce que j’ai noté.

Château Le Bon Pasteur 1978 : la robe est déjà tuilée et le nez déjà ancien. En bouche, le vin est délicieux. C’est un vin qui a de la maturité, oserais-je dire, un peu plus que son âge, surtout si l’on sait qu’il vient d’un magnum, mais il est vraiment joyeux et fruité.

Château Le Bon Pasteur 1979 : la robe est plus noire mais on trouve aussi des signes d’âge. Le nez est plus serré et fort. Il est moins expansif, plus amer, mais c’est un grand vin au beau final, même s’il manque de fruit.

Château Le Bon Pasteur 1980 : la robe est pus jeune et le nez est incroyablement puissant. Comment est-ce possible ? Son nez évoque les Riojas. Le vin est un peu fade, salin, de pruneau cuit. Il manque de final. Le contraste entre le nez et la bouche est saisissant.

Château Le Bon Pasteur 1981 : la robe est assez sombre. Le nez est très élégant. La bouche est un peu amère. Il y a un manque d’ampleur, mais je remarque la belle structure. Le final n’est pas très joyeux.

Château Le Bon Pasteur 1982 : la robe est classique, assez sombre. Le nez est très profond et très racé. Il n’y a pas en bouche l’explosion qu’on attendrait d’un 1982. Le vin est relativement discret mais on sent un potentiel qui ne demande qu’à s’exprimer. Il a encore du potentiel de vieillissement. Le final est somptueux, ce qui est la signature d’un grand vin.

Château Le Bon Pasteur 1983 : la robe est un peu plus orange. Le nez est ouvert et joyeux. En bouche, c’est assez chantant. Bien ouvert, le vin est agréable et à boire maintenant, ce qui le différencie du 1982 à l’avenir immense. La belle finale est poivrée. Le vin manque un peu d’étoffe mais donne beaucoup de plaisir.

Château Le Bon Pasteur 1984 : la couleur est légèrement orangée. Le nez est calme et serein. En bouche on remarque instantanément le manque d’ampleur ; le vin est sec. Il est assez agréable mais limité.

Château Le Bon Pasteur 1985 : sa robe est la première qui devient réellement plus rouge et moins foncée. Le vin est frais, léger, manquant de force mais jouant sur l’élégance. Son final est poivré.

Château Le Bon Pasteur 1986 : la robe est plus noire, moins rouge. Le nez est opulent. En bouche, c’est un vin qui se cherche encore, du moins à mon palais. Car tout y est mais il lui manque quelques années. Très agréable, ce vin puissant et charnu doit encore être attendu dix ans. Il sera grand.

Château Le Bon Pasteur 1987 : la couleur est assez noire et le rouge n’est pas très net. Le nez est très ouvert mais manque un peu de profondeur. La bouche est joyeuse. Le vin n’est pas hyperpuissant mais il est joyeux à boire. Il n’ira plus vraiment très loin et se boit maintenant avec plaisir, malgré un final un peu rêche.

Château Le Bon Pasteur 1988 : la robe foncée est assez belle, le nez est strict et puritain. La bouche est un peu déséquilibrée. Il est trop strict à la finale sèche. Benoît, l’œnologue du domaine confirmera au déjeuner l’impression d’imperfection que j’ai ressentie.

Château Le Bon Pasteur 1989 : la jolie robe est équilibrée. Le nez est un peu fermé mais de grande race. La bouche est ravissante. C’est janséniste, car il y a un coté gaillard qui se cache derrière une parure stricte. C’est un vin étonnant qui sera très grand avec le temps. Il faut qu’il s’encanaille. La finale est sèche mais la longueur immense.

Château Le Bon Pasteur 1990 : la robe est foncée, mais c’est le premier rouge que je vois rubis. Le nez est très fort mais paradoxalement retenu. Le vin est beaucoup plus complet que les autres. Très jeune, très élégant, il a beaucoup de charme. Il  a relativement peu de fruit, il est assez strict, et son épanouissement se trouve dans son final.

Château Le Bon Pasteur 1992 : la robe est légèrement trouble. Le nez est complètement inattendu. Il est tellement généreux ! En bouche, le vin est beaucoup plus puissant que ce qu’on attendrait. Il manque un peu de trame, mais il est élégant et agréable à boire. Il laisse dans le verre un peu de dépôt.

Château Le Bon Pasteur 1993 : la robe est d’un rouge sombre. Le nez est aussi très épanoui. La bouche est assez limitée. On sent le bois, la râpe. Il est trop strict pour moi, très différent du 1992.

Château Le Bon Pasteur 1994 : la robe est noire, le nez un peu acide mais prometteur. Le vin est très confortable, très classique. Ce n’est pas un vin que j’aime, car il manque un peu trop d’imagination. Il est trop correct, au final charnu et poivré.

Château Le Bon Pasteur 1995 : la robe est sombre mais d’un beau rouge. Le nez est à la fois sobre et intense. L’attaque est belle et joyeuse. Le vin est bien ouvert et joyeux. Il est très agréable à boire car totalement équilibré. Il n’a pas une once d’amertume et de bois. Très élégant, son final est un peu moins génial, mais j’aime beaucoup ce vin.

Château Le Bon Pasteur 1996 : la robe est sombre. Le nez est très puissant et généreux. La bouche est très belle. C’est un vin de race qui envahit la bouche et s’impose. On sent que l’on franchit un seuil qualitatif. Ce très grand vin est agréable maintenant mais sera royal dans trente ans. Je suis conquis, car ce vin est à la fois très « Michel Rolland » et très prometteur.

Château Le Bon Pasteur 1997 : la robe est très belle. Le nez est étonnamment puissant, ce qui semble devenir une constante pour tous les millésimes dits faibles. Le vin est légèrement amer mais très agréable à boire. On constate l’évidence de la différence de structure et de matière avec le 1996. Il manque un peu d’étoffe mais se boit plaisamment.

Château Le Bon Pasteur 1998 : la robe est plus noire et le rouge est moins beau. Le nez est d’une élégance extrême. C’est le premier vin où apparaît la sensation de jus de mûre, ce qui est sans doute lié à l’âge. Il est très charmeur, mais je trouve qu’il perd un peu de la complexité du Château Le Bon Pasteur. Il est séducteur, riche, fort et poivré, mais il n’a pas l’élégance du 1996. Son goût est « moderne » ou peut-être tout simplement « jeune ». Je le trouve un peu râpeux et astringent.

Château Le Bon Pasteur 1999 : la robe est très noire, de couleur de mûre. Le nez est celui de fruits noirs. La bouche est claire, fluide, nettement plus intégrée que celle du 1998. Il est plaisant, facile à boire, très poivré, feuille de cassis et cassis. On perd un peu la lignée Bon Pasteur, mais c’est très agréable. Je ne parierais pas sur une grande longévité.

Château Le Bon Pasteur 2000 : le vin est très noir, d’une couleur racée. Le nez est très élégant, à la puissance contenue. Le vin est tout en rondeur, d’une puissance mesurée. Il est presque léger ce qui est étonnant. Car voir un 2000 si délicat joli et romantique, qui dirait cela parmi les détracteurs de Michel Rolland ? La continuité est évidente avec les vins de 1998 et 1999, mais ici on a l’affirmation d’un vin de style, élégant, racé et délicat. Et l’on voit que s’il y a un style Michel Rolland, alors, ce style varie ses effets selon les millésimes.

Château Le Bon Pasteur 2001 : le vin est noir avec une trace de violet. Le nez redevient puissant après la pause 2000. Le vin est plus fort, très fruit noir. Le vin est tout en affirmation, clair, net et précis. C’est un grand vin qui ne se pose aucune question. Il va se bonifier avec le temps mais se boit déjà avec un infini plaisir.

Château Le Bon Pasteur 2002 : sa couleur noire est d’un rouge assez joli. Le nez est lui aussi puissant et l’alcool s’y montre. La bouche est puissante, très boisée. C’est un vin qui n’a pas beaucoup d’imagination mais compense par sa force. Le final est fort, mais après 2000 et 2001, j’aime moins.

Château Le Bon Pasteur 2003 : la robe est celle d’un jus de mûre. C’est une belle robe profonde. Le nez est extrêmement jeune, aussi ai-je plus de mal à l’appréhender. La bouche est assez incroyable car il y a de l’élégance, de la légèreté et de la précision. Cette forme de vin est assez incroyable. Il y a beaucoup de mûre et de poivre, surtout dans le final. Le vin est plaisant. Il est assez primaire, comme la masse de muscle d’un nageur français, mais il y ajoute du charme. Même si l’on devait classer ce vin dans les vins « modernes » avec ce petit grain de péjoratif qu’on associe souvent, j’avoue que j’aime.

Château Le Bon Pasteur 2004 : la robe noire est belle. Le nez est discret mais élégant. Le vin est charmant. Il n’y a pas beaucoup de matière mais il est élégant. Le final manque quand même de quelque chose. C’est un vin à boire comme il est, à l’ombre des grands.

Château Le Bon Pasteur 2005 : la robe de noir et violet a quand même un liséré d’un rouge très beau. Le nez est très racé. La bouche est marquée par la perfection. Il est encore très simplifié, assez brutal, mais il va s’organiser, et s’assembler. La longueur est belle, mais il faudra bien dix ans, pour mon palais, avant qu’il ne s’assemble.

Château Le Bon Pasteur 2006 : sa belle robe est moins foncée. Le nez est très élégant. La bouche est agréable, très pure, poivrée mais j’ai le léger sentiment d’un petit manque. Je crois qu’il va évoluer vers beaucoup d’élégance, mais j’attendrai pour juger.

Château Le Bon Pasteur 2007 : c’est le rouge et le noir. Le nez est résolument celui d’un vin bambin. La bouche est très différente, car je suis frappé par l’élégance et la pureté absolue de ce vin. J’adore ce vin parce qu’il ne va pas trop loin. C’est le premier des Bon Pasteur dans lequel je trouve du café et de la truffe. Il ne vieillira pas aussi bien que d’autres, mais j’aime assez sa franchise.

Château Le Bon Pasteur 2008 : il est d’une belle couleur et si son nez n’est pas encore formé, il est beau. Il est très agréable et très buvable à ce stade de sa vie. Je suis assez incapable de le caractériser.

Une verticale aussi serrée, puisque toutes les années se suivent sauf 1991, est d’un intérêt très grand. Ceux qui voudraient faire croire que Michel Rolland lisse tous les millésimes sur un modèle de vin unique en seront pour leurs frais. Les millésimes se suivent et ne se ressemblent pas. L’effet millésime est considérable et il y a de belles surprises dans les années faibles, comme 1992 et 1987. Pour les grandes années, je ne vois aucune exagération que l’on pourrait imputer à un style Michel Rolland, comme je l’avais déjà remarqué pour Le Bon Pasteur lorsque j’avais visité le laboratoire de Michel Rolland et goûté les vins de son « écurie ». Mes voisins ont beaucoup aimé le 2001, en grande forme. Je l’ai aimé aussi, avec un petit coup de cœur pour 1990, 1996 et 2000. Cette dégustation d’un bon Pomerol est d’un grand intérêt.

Après une photo de groupe dans le beau jardin intérieur de l’hôtel Bristol, nous passons au restaurant pour le déjeuner. L’apéritif, un Champagne Billecart-Salmon rosé en magnum sans année est bien utile pour corriger l’astringence des trente vins que nous venons de boire. Ce champagne n’a pas une grande complexité mais il arrive à point nommé et sur de délicieux amuse-bouche, il joue bien son rôle.

Le menu préparé par Eric Fréchon est le suivant : œuf de caille au plat, lentilles du Puy en gelée de pain brûlé, écume de lard / oignon rosé de Roscoff cuit à la cabonara, royale de truffe noire et girolles / filet de bœuf et paleron bordelais, millefeuille de pommes de terre / brie fermier des Trente Arpents Baron Edmond de Rothschild / crémeux noir, sablé craquant, noisette torréfiée croustillante, glace à l’infusion de café, émulsion de caramel.

Nous commençons par un Château La Grande Clotte Bordeaux blanc 2001, qui est le seul vin blanc fait à Pomerol mais sur des vignes de Lussac Saint-Emilion. Le nez est très fort. Benoît, l’œnologue du Bon Pasteur qui est à ma table explique que les méthodes de vinifications sont bourguignonnes et que le résultat, très oxydatif, tend vers un vin de Jura. A 14°, il ne me plait pas tant que cela, car il est fort. La délicieuse gelée forme un accord remarquable avec le vin blanc.

Le Château Le Bon Pasteur 1998 est servi en double magnum et Benoît en est très fier. Je le trouve assez anguleux et manquant de complexité. On est en plein dans le vin moderne, brut de forge. Le contraste est extrême avec le Château Le Bon Pasteur 1982 servi en impériale. Ce vin est toute douceur et plein de finesse. Alors que Benoît parle de la tendance actuelle à boire les vins très jeunes, on a ici la démonstration de l’évidence de l’effet du temps sur le plaisir de boire. Le filet de bœuf est assez sec alors que le paleron est divin avec le 1982. La petite tranche de moelle qui accompagne le paleron forme un mariage succulent avec le 1998.

Le Brie est spectaculairement bon. J’ai souvent mangé ce fromage de la baronne. Jamais il n’a été aussi délicieux. Par un phénomène d’une évidence extrême, tout d’un coup, le 1998 s’arrondit dans le verre et devient civilisé comme jamais on n’aurait cru qu’il le devînt.

Michel Rolland a fait un aimable discours sur la joie qu’il a de faire le Bon Pasteur. Sa générosité fut exemplaire. S’il fallait briser la réputation de monolithisme de la « façon » du « flying winemaker », la démonstration est faite. S’il fallait nous faire mieux connaître un très bon pomerol, la démonstration est réussie. Cette verticale fut largement convaincante de l’intérêt du Château Le Bon Pasteur.

Bon Pasteur au Bristol – photos mardi, 28 avril 2009

L’impressionnant alignement des carafes et des flacons. On reconnait Michel Bettane sur la droite.

Château La Grande Clotte 2001 et Château Le Bon Pasteur 1998 en double magnum

Château Le Bon Pasteur 1982 en impériale. Il n’en reste plus qu’une au château !

A droite les oignons roses d’Eric Fréchon d’une grande subtilité

Domaines Maisons et Châteaux lundi, 27 avril 2009

Il existe un groupement de vignerons de toutes régions qui s’appelle « Domaines Maisons et Châteaux ». Plusieurs domaines prestigieux en font partie, ce qui me conduit assez naturellement à répondre favorablement à leur invitation, même si ce que l’on boira est du monde des vins très jeunes. La réception se fait au premier étage du restaurant « Les Noces de Jeannette », lieu où l’on sent que tradition et bien manger se conjuguent dans la joie.

Le domaine Ostertag fait goûter ses 2007 et j’ai beaucoup aimé le A360P (qui n’est pas le nom d’un nouveau virus), Muenchberg Grand Cru Pinot Gris Domaine Ostertag 2007 présenté par André Ostertag dont la passion me plait. Dominique Lafon que j’avais vu récemment à l’académie du vin de France est venu lui-même présenter ses Mâcon Les six vins à prix doux par rapport aux vins du Domaine Comte Lafon sont remarquablement faits. J’ai bien aimé le Mâcon Milly Clos du Four Domaine des Héritiers des Comtes Lafon 2007. Cette manifestation relativement confidentielle permet de parler plus calmement avec de grands vignerons. J’aime cette atmosphère sympathique de dégustation.

Domaines Maisons et Chateaux lundi, 27 avril 2009

Il existe un groupement de vignerons de toutes régions qui s’appelle « Domaines Maisons et Chateaux ». Plusieurs domaines prestigieux en font partie, ce qui me conduit assez naturellement à répondre favorablement à leur invitation, même si ce que l’on boira est du monde des vins très jeunes. La réception se fait au premier étage du restaurant « Les Noces de Jeannette », lieu où l’on sent que tradition et bien manger se conjuguent dans la joie.

Le domaine Ostertag fait goûter ses 2007 et j’ai beaucoup aimé le A360P (qui n’est pas le nom d’un nouveau virus), Muenchberg Grand Cru Pinot Gris Domaine Ostertag 2007 présenté par le sympathique vigneron dont la passion me plait. Dominique Lafon que j’avais vu récemment à l’académie du vin de France est venu lui-même présenter ses Mâcon Les six vins à prix doux par rapport aux vins du Domaine Comte Lafon sont remarquablement faits. J’ai bien aimé le Mâcon Milly Clos du Four Domaine des Héritiers des Comtes Lafon 2007. Cette manifestation relativement confidentielle permet de parler plus calmement avec de grands vignerons. J’aime cette atmosphère sympathique de dégustation.

Dégustation de vins primeurs de 2008 au Domaine de Chevalier jeudi, 16 avril 2009

Le lendemain midi, une bonne partie de notre fine équipe se retrouve à Domaine de Chevalier pour la présentation du millésime 2008 pour les vins du Domaine de Chevalier, pour ceux de Stephan von Neipperg et pour Château Guiraud. Lorsque nous nous saluons, nous prenons des airs d’anciens combattants se remémorant des batailles très usantes. Autour de nous, de nombreux négociants et courtiers sont déjà au courant que l’épreuve fut rude.

Les 2008 sont une affaire de spécialistes. J’ai donc butiné, trouvant les vins plutôt bons, La Mondotte hyper puissant, Canon La Gaffelière très bien fait ainsi que Domaine de Chevalier rouge. Le blanc de Domaine de Chevalier m’a beaucoup plu, complexe par rapport au « G » de Guiraud. Seul sauternes présent, Guiraud 2008 est assez éblouissant. D’un rendement de 4 hectolitres à l’hectare, il promet de devenir une référence.

On se dirige lentement vers l’espace d’un chai agencé pour notre déjeuner. Philippe Pantoli m’explique les jambons de Jabugo qu’il présente, absolument délicieux. Il détaille les méthodes de fabrication et c’est d’un intérêt certain. Un stand d’huîtres et de foie gras à tartiner impose un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle très rafraîchissant et qui vibre sur l’huître de magistrale façon.

Marc Demund, le traiteur qui avait réalisé les deux dîners que j’ai faits au château d’Yquem est souriant. Il tranche des truffes qui sont parmi les dernières de leur saison sur des portions de poulet en sauce et purée de pommes de terre. C’est très bon. J’essaie La Mondotte 2003, mais par cette chaleur de mi-printemps, c’est trop puissant pour moi. Le Canon La Gaffelière 2000 correspond beaucoup plus à mes envies.

Bernard Antony fait de pédagogiques assiettes de fromage qui sont une leçon de géographie. Les bavardages vont bon train avec les courtiers et négociants bordelais. Une fois de plus Anne et Olivier Bernard ont montré à quel point ils savent recevoir avec le plus grand raffinement.

Au château Canon La Gaffelière, une débauche de très grands vins mercredi, 15 avril 2009

Quand les bordelais reçoivent, ils reçoivent ! Mon ami collectionneur américain Steve vient en France avec son fils Wesley pour une succession de visites chez des vignerons. La première semaine est bourguignonne, la seconde est bordelaise et le point final sera le dîner au cours duquel nous partagerons certaines de nos pépites. Steve est passé par Londres où il conserve une partie de sa collection de vins et je l’accueille à sa sortie d’Eurostar. La Gare du Nord est un melting-pot coloré qui laisse imaginer que la langue de Voltaire n’est pas vernaculaire. L’attente du train est ponctuée de messages répétitifs où l’on vous annonce que du fait du sabotage d’une caténaire, la voie de Paris à Compiègne n’est pas utilisable. Le ton de l’hôtesse qui serine ce message vous ôte toute envie de somnoler. Comme des passeurs de drogue – du moins je l’imagine – je prends en charge les vins de Steve pour notre futur dîner et j’accompagne mes deux amis à la Gare de Lyon, car sans tarder, ils se rendent en terre bourguignonne.

Une semaine plus tard, je rejoins mes amis à Bordeaux pour un dîner organisé par le Comte Stephan von Neipperg, propriétaire de Canon La Gaffelière. Il était prévu que je loge chez Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, mais il m’est apparu plus opportun de loger à l’Hostellerie de Plaisance à Saint-Emilion. Je rassure mes lecteurs fidèles, j’ai consciencieusement évité la pomme arrosoir de ma douche au profit d’une pommette de taille minuscule au jet gérable. Au moment de partir pour aller dîner, qui vois-je ? Bernard Antony, le célèbre fromager, qui vient dîner en ce lieu avec quelqu’un qui m’est présenté comme l’empereur des jambons. Je les reverrai le lendemain pour une dégustation de vins de 2008 qui se tiendra au Domaine de Chevalier.

J’avais apporté et ouvert ma bouteille à 16 heures au domicile de Stephan von Neipperg et discuté pendant l’ouverture en cuisine avec sa charmante épouse. Le groupe qui dîne ce soir au château de Canon La Gaffelière se compose de Stephan et son épouse Sigweis, d’Olivier Bernard, de Robert Peugeot et de Xavier Planty, tous membres du conseil d’administration de Château Guiraud, le dernier cité étant celui qui dirige le domaine et fait le vin. Viennent ensuite Patrick Baseden, viticulteur qui dirige les vins de Montesquieu, Laurent Vialette que Stephan présente avec insistance et répétition comme ‘le’ spécialiste des vins anciens, Jeffrey Davies, négociant en vins à Bordeaux, d’origine américaine et mes amis Steve et Wesley. Nous sommes onze et presque tous les participants ont apporté un ou plusieurs vins, pour une débauche bachique.

Le menu préparé par un traiteur se compose de bouchées apéritives, d’un gâteau léger de Saint-Jacques au citron vert / pavé de rumsteck aux échalotes confites, clafoutis de légumes d’été / fromages / gratin de fruits exotiques au sauternes.

Nous prenons l’apéritif dans une grande salle très confortable. Le champagne Bollinger 1990 en magnum est très agréable à boire. Il renarde dit un convive, signalant ainsi les premières marques de maturité qui, comme de premières rides, donnent un supplément de charme. Pendant ce temps Stephan et Sigweis règlent par téléphone le problème d’une de leurs filles qui a perdu son passeport et n’a pu prendre un avion à Paris. La soif gagne pendant que nous attendons, étanchée par un champagne Krug 1988 à la solidité d’un roc. L’un des amis dit que c’est un vin de protestant, faisant allusion à son aspect strict. Les deux champagnes se sont mis mutuellement en valeur, le Krug dominant par sa structure impérieuse et le Bollinger  faisant briller son charme élégant.

Nous passons à table et nous commençons par une série de trois vins blancs, suivis peu après d’un quatrième, qui sont bus à l’aveugle, comme la quasi-totalité des vins de ce repas. J’ai constaté que les vignerons présents trouvent assez bien les cépages et les climats. J’ai rapidement vu mes limites dans un tel exercice, aussi ai-je adopté une prudente réserve dès qu’il m’est apparu que pour un vin, j’hésitais sur la région. Mes commentaires seront donc emprunts d’une grande humilité.

Le premier est un Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1989. Je le trouve élégant par comparaison au second qui est d’une rare puissance, un Bienvenue-Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1992, d’une année particulièrement réussie. Bien évidemment, je reconnais le style Leflaive une fois qu’on a annoncé de quels vins il s’agit. Le nez du troisième est particulièrement subtil. C’est un vin que je trouve rare par sa qualité, et jamais je n’aurais pensé qu’il est si jeune : Montrachet Domaine Ramonet 1985, dont Jeffrey a trouvé le nom du domaine. Xavier trouve que le quatrième blanc est légèrement bouchonné, mais c’est infime et ne gêne pas la dégustation d’un vin de grande classe, Château Haut-Brion blanc 1949. Ce vin commence par une légère amertume mais quand il s’épanouit, on mesure la qualité d’un vin exceptionnel. Le bouchon, s’il a existé, a totalement disparu.

Nous abordons les rouges par une série de trois vins. Le premier est magique, le second est un peu fermé et le troisième est adorable. Je le trouve parfait. Le premier est un Château Canon La Gaffelière 1961, suivi d’un Château Canon La Gaffelière 1959 qui, lorsqu’il s’épanouit, se montre plus racé que le 1961 très pur mais très dogmatique, et le troisième est Château Haut-Brion 1962, qui démontre que cette année est capable de miracles. Je suis conquis par ce vin d’une rare élégance. Laurent dit qu’il vaut le 1961 de la même maison. Je ne le pense quand même pas car j’en ai un souvenir marquant.

Il y a un seul plat pour les rouges, et personne ne sait combien nous en boirons. Tout le monde se moque de moi, et particulièrement mon voisin de table Olivier Bernard, car je garde résolument mon assiette de viande qui devient froide, pour pouvoir accompagner les vins qui suivent. Mon assiette sera débarrassée au moins une heure après celles des autres. Le premier de la deuxième série est Château Mouton d’Armaillac 1921, vin très intéressant, au nez superbe et à la bouche un peu sèche. Le second est un Domaine de Chevalier rouge 1918 d’une grande pureté, vin très clair et plaisant. Olivier n’en avait jamais bu. Le troisième est une curiosité absolue car l’étiquette dit : « old Burgundy 1870 to 1920 » Maison Jadot. Une fourchette de dates de cinquante ans n’est pas d’un grand secours. Le vin est très doucereux et très beau. J’ai aimé, sans pouvoir réellement le dater.

Nous passons maintenant à des vins très jeunes : La Mondotte Saint-Emilion 1999 en magnum, vin très truffé et puissant, puis le Clos des Truffiers Coteaux du Languedoc 2001, vin à 100% de syrah, dont le vignoble appartient à Jeffrey. Vient ensuite un vin qui surprend tout le monde et dont certains regrettent que Palmer utilise son étiquette caractéristique, car il s’agit d’un Palmer XXe century 2004 à 75% de syrah. D’où vient-il, je ne sais. Il n’est pas déplaisant du tout.

Le quatrième est très élégant et floral. Il est grand et encore plus grand lorsque l’on sait ce que c’est : Penfold Grange Hermitage 1982. Certains amis ont déjà rendu leur assiette de fromage quand je rends celle de la viande, plus opportune, même froide, que celle des fromages qui ne s’entendent pas avec les rouges.

Lorsque j’avais ouvert à 16 heures le « Blanc Vieux d’Arlay » Bourdy 1916, la maîtresse de maison à l’oreille fine avait entendu un petit grésillement. En écoutant plus attentivement, il apparut que la bouteille démarrait une nouvelle fermentation favorisée sans doute par un sucre résiduel. Lorsqu’on nous sert le vin, il a le léger picotement des vins effervescents qui biaise l’impression que le vin devrait donner. On peut quand même imaginer que ce vin est délicat, avec des évocations de gingembre et d’ananas. Il est un peu diminué par rapport à ce qu’il pourrait être mais pas trop.

Steve a apporté un vin de Massandra Tokay 1895 délicieux, qui évoque la mandarine et la datte. C’est un vin charmant. Nous terminons cet incroyable voyage sur Château d’Yquem 1990, très conforme à ce qu’il doit être, dans la puissance de sucre et de douceur de sa folle jeunesse.

Xavier est le plus tranché dans ses commentaires caractérisés par une grande précision. S’il manque un bouton de guêtre au vin, il le sabre. Les vignerons sont heureux de confronter leurs avis sur des vins de régions qui ne sont pas la leur. Laurent est vraiment l’expert que Stephan proclame. Robert et moi écoutons les supputations et jugements. Ce petit groupe empathique et enflammé a hélas omis de parler anglais, ce qui a mis un peu sur la touche Wesley et Steve alors qu’ils ont apporté des vins splendides. Nous nous rattraperons sans doute en bavardages lors de notre dîner dans trois jours à Paris.

Beaucoup de vins étant servis en magnums, la quantité absorbée par chacun fut importante. Les esprits n’étaient plus assez clairs pour que l’on détermine les gagnants de cette soirée. De ce qui perce le nuage de ma mémoire, je ferais le classement suivant, sachant combien c’est difficile :

1 – Château Haut-Brion blanc 1949, 2 – Château Haut-Brion rouge 1962, 3 – Montrachet Ramonet 1985, 4 – Canon La Gaffelière 1959, 5 – Domaine de Chevalier 1918. Les deux champagnes pourraient s’intercaler dans ce classement, mais où, ce ne serait pas facile à trancher.

Richebourg DRC 1933 et Romanée Conti 1983 avec un hôte illustre mercredi, 8 avril 2009

Il est des moments où il ne faut pas bouder son plaisir, surtout lorsqu’il s’agit de plaisir ultime. Plantons le décor. J’écris des bulletins quasi hebdomadaires. Aubert de Villaine, gérant propriétaire de la Romanée Conti me fait l’honneur de me lire, et si je l’en crois, d’aimer ce qu’il lit. Pamela, son épouse, me lit et aime me dire qu’elle aime ce qu’elle lit. Dans le bulletin 279, je parle d’un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti, mis en bouteille par un négociant inconnu, avec une étiquette inconnue, et qui mentionne « propriété du Comte de Vilaine » alors qu’il n’existe pas de Comte de Villaine et qu’il a deux « l » à son nom. J’en parle de façon positive, ce qui excite la curiosité d’Aubert.

Continuons de planter le décor. Dans un bulletin récent, j’évoque La Tâche 1983 d’une année peu considérée par le domaine, et Aubert me signale son intérêt pour mon commentaire et ce d’autant plus que le domaine n’a plus aucun vin de 1983 en cave. Je possède un autre Richebourg 1933 et Aubert a la curiosité de le goûter. Il est prévu par ailleurs que nous dinions ensemble à l’académie du vin de France. Rendez-vous est pris pour partager le Richebourg 1933 qui me reste. Il se pourrait que la bouteille soit morte, aussi me semble-t-il prudent de prévoir un autre vin. Je prends en cave une Romanée Conti 1983, année qui manque au domaine et un vin diamétralement opposé, un Château Chalon 1934, de l’année la plus brillante du 20ème siècle.

A l’académie du vin de France je rencontre Aubert de Villaine et Pamela et je soumets à Aubert le choix du vin à faire ouvrir le lendemain matin. Il me répond Château Chalon, car les occasions de boire ces vins sont rares, mais un infime mouvement de sourcil me fait penser que l’autre branche de l’alternative ne lui serait pas indifférente. L’académie se tient au restaurant Laurent et notre déjeuner doit se tenir au même endroit. Mes trois bouteilles sont déjà là. Pendant la soirée de l’académie, Aubert et moi essayons de convaincre Pamela d’être du déjeuner. Elle doit rejoindre une amie que nous ajoutons à notre groupe. Pamela dit oui. Je dis à Ghislain d’ouvrir demain aux aurores les trois bouteilles.

Souvent femme varie. A mes aurores à moi, Aubert me laisse un message m’annonçant qu’au lieu de quatre nous ne serons que deux. J’appelle en urgence le restaurant Laurent en demandant que seuls les bourgognes soient ouverts.

Lorsque j’arrive à midi, le 1933 montre une fatigue certaine. Il faudra donc le boire en premier, pour finir sur le meilleur des deux. J’informe Philippe Bourguignon de mes constatations et nous bâtissons le menu. Le choix de Philippe est parfait. Il suggère des morilles farcies, écume d’une sauce poulette au savagnin pour compenser la fatigue du 1933 et une pièce de bœuf rôtie servie en aiguillettes, macaroni gratinés au parmesan, jus aux herbes et moelle pour la Romanée Conti 1983.

Aubert arrive et j’ai évidemment un peu peur de sa réaction sur le Richebourg 1933 fatigué. Il faut dire que 95% des amateurs diraient de ce vin : « circulez, y a rien à voir ». Nous sommes, fort heureusement, d’une autre école. La première approche est fatiguée,  voire giboyeuse. Le message est limité. Mais Aubert constate que le vin n’a pas été hermitagé ce qui est important pour lui et vérifie que son squelette est bien celui du domaine. La légitimité et l’absence d’ajouts sont acquises. Mais le plaisir est-il là ? Fort intelligemment, on nous sert les morilles pures, avec une émulsion au vin jaune et avec un jus de viande assez lourd étalés sur les côtés du plat. Avec la morille pure, le pari est déjà gagné. Le 1933 au contact de la morille prend de la structure. Et l’on se rend compte que c’est avec l’émulsion que le mariage est le plus percutant. Le vin revit et ce n’est pas de l’auto-persuasion, car Aubert a autre chose à faire que maquiller la vérité.

Nous sommes l’un et l’autre amoureux des fonds de bouteilles aussi sera-t-il décidé, à l’initiative d’Aubert, que nous partagerons le dernier verre à la lourde lie. Alors que dans nos premiers verres le vin devient de plus en plus torréfié et caramel, le fond de verre partagé devient velours et révèle l’ADN pur de ce qu’aurait dû être ce Richebourg, un vin généreux.

J’avais affirmé à Aubert que 1933 est une grande année. Il confirme qu’à son analyse, la fin de bouteille corrobore mon affirmation. A aucun moment aucun de nous n’a refusé le message du vin et ne l’a sublimé.

C’est avec une approche sincère que nous avons donné une chance à un vin objectivement fatigué, qui nous a donné en retour le message clair de ce que peut être un Richebourg 1933 du domaine de la Romanée Conti.

(morilles avant et après sauce)

Nous passons maintenant à la Romanée Conti 1983, vin dont le domaine n’a plus une seule bouteille. Boire ce vin aux côtés d’Aubert de Villaine est évidemment émouvant pour moi. La chair du bœuf est divine pour mettre en valeur ce vin. Bavard comme je suis, je donne ma première impression à Aubert. L’important pour moi est que ce vin ouvre une porte sur le domaine. J’entre, et je retrouve ce que j’aime dans le monde bien spécifique de la Romanée Conti. Ce qui impressionne Aubert, c’est la longueur du vin. Le message est un peu faible, mais Aubert a confiance en son épanouissement à venir. La viande est un soigneur zélé. Le vin s’étend dans le verre et j’y retrouve la salinité que j’adore. Aubert continue de vanter sa longueur. Le plaisir s’accroît. Quelques minutes plus tard, nous pouvons vérifier que cette Romanée Conti est une grande Romanée Conti, sans que puisse jouer l’autosuggestion.

Les fromages profitent au 1933 et pas du tout au 1983. Le 1933 ne chute pas du tout et maintient son goût un peu caramélisé. Le 1983 atteint un plateau de grand plaisir. Alors que dire ? Sans tomber dans le culte de la personnalité – même si… – déjeuner seul à seul avec Aubert de Villaine, pour le petit amateur de vin que je suis, c’est comme si, du temps où je faisais des mathématiques, j’avais pu déjeuner avec Pierre de Fermat, ou si, du temps où j’étudiais la physique, j’avais pu déjeuner avec Louis de Broglie. Aubert dirige le plus grand vin du monde et garde un sens du devoir, d’une mission, qui inspire le respect. Savoir que nous pouvons partager des émotions communes, et une approche fondée sur le même respect du vin, c’est pour moi un plaisir ultime.

Mes vins étaient-ils bons ? Certains les noteraient, et sans doute pas aux sommets, du moins pour le plus âgé. Ce qui compte, c’est qu’ils nous ont émus.

 

académie du vin de France – photos mardi, 7 avril 2009

A un moment, je regarde mon couteau, et cela m’a inspiré cette photo

La photo de gauche montre que j’étais à la table 3, et que j’y étais ! (voir mon nom). L’araignée, institution du restaurant Laurent est traitée pour mettre en valeur le champignon. Pour chacun des présents, le vol-au-vent a rappelé des souvenirs d’enfance.

Le meilleur plat, c’est ce carré d’agneau de lait et le traitement de la rhubarbe est parfait.