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présentation des champagnes Joseph Perrier mardi, 20 avril 2010

Depuis des années, au salon des grands vins puis au Grand Tasting, je retrouvais les sympathiques propriétaires du champagne Joseph Perrier, Jean-Claude Fourmon et son épouse Marie Caroline. Nous tenions des propos aimables, mais je n’avais jamais réellement cherché à approfondir ce domaine. Tout récemment, je reçois une invitation à goûter les nouveaux millésimes et voir le nouvel habillage des vins de cette maison de champagne fondée en 1825 par un des membres de la famille Perrier dont trois branches se sont illustrées dans le champagne, les Perrier Jouët, les Laurent Perrier, Laurent n’étant pas un prénom mais une famille, et Joseph Perrier.

Nous sommes invités au Yacht Club de France ce qui me plait. L’apéritif est arrosé par le Champagne Joseph Perrier brut sans année qui est un vrai champagne de soif. Assez dosé, ce qui donne soif, il est simple, facile, sans grande longueur mais se boit bien. Le mot d’introduction du président du Yacht Club est court et très amical. Celui de Jean-Claude quand nous passons à table est pétillant comme son champagne et plein d’humour. Jean-Claude représente la quatrième génération de la famille.

Le menu du club est très élégant : le saumon dans tous ses états / carré d’agneau rôti au thym, sauce forestière, gratin dauphinois / fromages / médaillon de clafoutis aux framboises, jus de fraise et sorbet griotte.

Le Champagne Joseph Perrier blanc de blancs 2002 est très pur, droit, strict, peu dosé. Ce beau champagne a lui aussi un profil de vin de soif. Il a une assez belle persistance aromatique et c’est surtout le pétillant qui reste en bouche.

La divine surprise c’est le Champagne Joseph Perrier rosé 2002. Alors que je n’ai pas un palais fait pour les champagnes rosés, celui-ci me surprend par son extrême précision. Il est beau, riche, imprégnant, et il dégage une sérénité où toute mièvrerie est absente. Il est riche, et je l’aime. Il n’est pas forcément gastronome, et je l’aurais volontiers vu sur le dessert, mais je me dois de signaler sa grande persuasion.

Et, tout d’un coup, arrive quelque chose d’inconnu pour moi. Le Champagne Joseph Perrier Joséphine 2002 est une énigme. Un peu sec, un peu rêche, il a de la richesse. Astringent, on sent qu’il est fait pour la gastronomie la plus agressive. Donnez lui une pièce de bœuf, il en fera son affaire. Ce champagne fort, mais aussi délicat et subtil, c’est Sarah Bernhardt dans l’Aiglon. Car il dérange mais use de son charme. C’est un sommet de délicatesse.

Comme j’aime ce qui me surprend, je profite de ce champagne de grande finesse. Jean-Claude Fourmon venant bavarder à notre table fait remplacer pour ce champagne les jolis verres tulipe gravés du blason de la maison de champagne par des verres à vin. Je lui dis que je ne suis pas d’accord, car le verre à vin lui donne de l’ampleur alors que le verre tulipe préserve sa délicatesse et son romantisme. Mais bien sûr, cela dépend de ce qu’on recherche et attend de ce champagne aux grandes qualités gastronomiques.

Autour des tables, il y a des gens de presse et des clients de Joseph Perrier. Les discussions vont bon train. Dans une ambiance joyeuse, créée par ce couple éminemment sympathique, j’ai pu découvrir deux beaux champagnes, le rosé 2002 et surtout cette Joséphine 2002 au talent d’impératrice.

une journée champenoise de folie grâce à P. E. Taittinger samedi, 27 mars 2010

On excusera, je l’espère, un rappel peu romantique, mais il est le point de départ de cette grande journée. C’est dans les toilettes d’un endroit public que je me trouve par hasard en même temps que Pierre-Emmanuel Taittinger. Après avoir satisfait les besoins que commande notre mère Nature, nous nous mettons à papoter. Pierre-Emmanuel Taittinger m’annonce qu’il reçoit prochainement un groupe d’américains et d’anglais qui sont de grands amateurs. Il m’indique que le déjeuner sera suivi du dîner de l’Ordre des Coteaux de Champagne. Pierre-Emmanuel Taittinger en est le président aussi me propose-t-il de me joindre au groupe anglophone au déjeuner, puis de m’introniser. Comme je le suis déjà, il me suggère que je monte d’un grade. Je donne mon accord, la chose est emballée et qu’on n’aille pas chercher dans cette expression une allusion quelconque à ce que nous faisions.

Le jour dit, je pars de chez moi pour me rendre à Reims. Peu de temps après mon départ, je prends conscience de l’absence de mon appareil photo. Je fais vite demi-tour, car il serait triste de ne pas avoir des souvenirs de cette grande journée. Cet oubli explique que lorsque j’arrive aux caves Taittinger, le groupe est déjà en cave. Une élégante hôtesse me conduit sous terre dans une salle carrée qui m’évoque un antique haut-fourneau, car la pièce est comme la partie vide d’une pyramide qui serait très haute et très étroite de la base au sommet. La salle est cernée sur ses bords par des alignements denses de bouteilles, presque jusqu’à hauteur d’homme, aux couleurs sombres, qui donne à l’aréopage présent l’image de comploteurs clandestins cachés dans un réduit obscur. Sur une table en bois, de grandes assiettes de jambon espagnol, de saucissons français et de boudin blanc sont une invitation pour un mâchon convivial. Il y a autour de la table Pierre-Emmanuel Taittinger, les six amateurs américains et anglais, un français ami de notre hôte, le chef des caves et des œnologues. Pierre-Emmanuel Taittinger nous annonce que nous allons goûter des Comtes de Champagne, que les américains appellent C.D.C., des années 1970, 1976, 1985, 1990 et le 2000, champagne qui n’est pas encore commercialisé. Les bouteilles sont dégorgées sur place, à la volée, et n’ont aucun dosage.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1970 est le premier que nous buvons, puisque Pierre-Emmanuel Taittinger aime que l’on goûte du plus vieux au plus jeune. Ce champagne est superbe de construction, de grande jeunesse du fait qu’il n’a jamais été dégorgé. Il est très strict, ne jouant en aucun cas sur le charme, et sa longueur est remarquable.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1976 est beaucoup plus flatteur et plus facile à comprendre. Il est généreux. Je demande à Pierre-Emmanuel Taittinger lequel des deux il préfère, et Pierre-Emmanuel Taittinger, pensant sans doute au consommateur final, dit qu’il préfère le 1976 alors que je préfère le 1970, beaucoup moins charmeur, mais plus racé et plus interpellant.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1985 est un très grand champagne. Son parfum est superbe. Nous sommes au niveau des très grands champagnes, et le saucisson est le faire-valoir idéal.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1990 est encore plus grand, d’une race extrême et d’un nez spectaculaire. Tom Black, restaurateur à New York ayant un amour particulier pour le 1996, ce champagne est ouvert. Une discussion s’instaure sur les millésimes les plus réussis de ces Taittinger et je suis impressionné par l’érudition gustative des membres de ce groupe, collectionneurs, restaurateurs, bistrotiers ou vendeurs du champagne qu’ils consomment à rythme soutenu. Bruce Fingeret affirme que ce champagne est, sur une période de cinquante ans, le plus consistant de tous les champagnes d’assemblage. Nous dissertons longtemps sur ce concept, en évoquant des concurrents possibles en termes de régularité. Les anglophones convaincus persistent et signent en faveur du champagne de notre hôte.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1996 est manifestement trop jeune dans cette présentation sans dosage. Il est un peu acide. Mais dès qu’il s’élargit dans le verre, on sent qu’il sera très grand, voire magnifique, même s’il est un peu raide maintenant. Si l’on ouvre le 1996, pourquoi ne pas comparer avec le 1995 ?

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1995 est moins grand que le 1996, mais c’est un grand champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2000 qui est une première pour Pierre-Emmanuel Taittinger qui ne l’a encore jamais bu, est manifestement « non fini ». Son nez est superbe, et sa bouche est encore dans les limbes. Pierre-Emmanuel Taittinger dit qu’il sera commercialisé probablement en 2011.

Nous remontons à l’étage des bureaux et Pierre-Emmanuel Taittinger dit à des hôtesses que le groupe qu’il accueille représente les plus grands acheteurs de ses champagnes à Londres et à New York. Nous nous rendons dans le grand bureau de Pierre-Emmanuel Taittinger riche de souvenirs de sa famille qui a compté dans l’histoire du pays. Devant la porte d’entrée de l’immeuble, une automobile Renault 1914 attend ses invités. Deux jeunes cadres de direction, qui nous avaient rejoints en cave et représentent le futur de la société, font démarrer l’antique moteur, et nous nous rendons en convoi vers un petit immeuble implanté au milieu des vignes.

Là, un repas a été préparé pour notre petit groupe par M. Lange, traiteur des « Saveurs du Sablon ». Avant de passer à table, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger magnum 1971. Je suis complètement estomaqué par ce champagne. Sa couleur est d’un jaune citron prononcé, qui indique bien qu’il n’y a aucune évolution vers des teintes dont l’or et l’acajou seraient des signes de mûrissement. Il n’y a plus aucune bulle et plus de sensation pétillante. C’est donc un vin que nous buvons, dont la qualité est incommensurable. Il est rare qu’un champagne ancien me fasse autant d’effet. Je suis conquis, ravi, anesthésié par cette perfection.

Nous passons à table et le menu élégamment composé est : la terrine de sandre aux asperges vertes / le grenadin de veau aux truffes / le gratin de poires en crumble. J’ai dans ma besace un Château Chalon Jean Bourdy 1947 que je souhaite partager avec le sympathique et enjoué groupe d’amateurs. La seule possibilité me semble être avec l’entrée. Je demande à mes nouveaux amis de croquer un peu d’asperge pour goûter ce vin jaune. Pour certains, c’est une découverte et pour d’autres une confirmation. Ce vin au parfum envoûtant est d’une force rare. Il est délicieux. Sur l’entrée, le vin du Jura est associé avec le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1973 qui est une vraie merveille de champagne. Contrairement au 1971, celui-ci, dont la couleur est plus claire, a toute sa bulle. Il est merveilleux et d’une longueur infinie. Alors que pour d’autres champagnes une osmose s’était créée avec le Château Chalon ici, le champagne et le vin suivent des trajectoires qui ne se rencontrent pas. C’est intéressant mais pas fusionnel. Sur le grenadin de veau, nous goûtons deux vins. Un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1975 qui est bon, mais un peu léger après l’éblouissant 1973, et un Château Cheval Blanc magnum 2004 dont la qualité m’étonne, car il est bien plus riche que l’image que j’en avais. Est-ce que la succession des champagnes prépare le palais à lui conférer de l’ampleur ? Ce n’est pas impossible. Sur le dessert, nous buvons un Champagne Comtes de Champagne Taittinger rosé 1999 qui est sans doute très bon, mais je ne suis pas un fan des champagnes rosés.

Après ce repas ponctué de rires et de complicité, nous repartons dans nos hôtels pour une sieste réparatrice. Il faut ensuite s’habiller, puisque le smoking est de rigueur. Le rendez-vous est au Palais de Tau, ancienne demeure qui jouxte la cathédrale, dans la salle où les rois se préparaient avant leurs couronnements. Cette haute salle aux statues royales de hauteurs impressionnantes, et aux lourdes tapisseries racontant des épisodes de l’histoire, Pierre-Emmanuel Taittinger, dans ses habits de commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, intronise, avec les dignitaires, une bonne vingtaine de nouveaux gradés. Je monte d’un grade dans la hiérarchie de l’Ordre et Pierre-Emmanuel Taittinger a la gentillesse d’un mot aimable en me présentant comme un égal de Robert Parker ! Jusqu’où va l’amitié !

Nous nous rendons ensuite dans une salle en sous-sol, qui est le cellier de l’évêché, situé en dessous de la salle d’apparat des réceptions de l’évêque. La salle est d’une beauté rare, avec des colonnes et des chapiteaux de grande élégance. L’apéritif est debout, avec des stands des champagnes de plusieurs dignitaires. Je goûte un Champagne Beauchamp Carte d’Or non millésimé qui est un peu dosé. Le Champagne Blanc de Blancs Delamotte non millésimé est plus dans la tendance de mes goûts, habitués aux subtilités de Mesnil-sur-Oger. J’ai devisé avec Didier Depond, président de Salon-Delamotte, et dignitaire de l’Ordre.

Le dîner est conçu et réalisé par le traiteur Franck Philippet et sa brigade : foie gras de canard, chutney de fruits aux raisins blonds / blanc de turbot, julienne de céleri et courgettes / filet d’agneau en croûte, cannelloni de champignons / moelleux au chocolat Guanaja, mirepoix de poires tièdes. Je l’ai trouvé d’une qualité rare pour un dîner de cette nature.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1999 est extrêmement plaisant et agréable sur table. Sa finesse est sensible et réconfortante. Le Champagne Femme Duval-Leroy 1996 m’apparaît moins structuré mais Pierre-Emmanuel Taittinger le juge meilleur que ce que j’exprime. Et lorsque le champagne s’épanouit, c’es vrai qu’il devient plus plaisant, sans avoir la grâce du vin du commandeur. Une très belle surprise est celle du Champagne Mumm Cuvée rené Lalou 1998 qui est un champagne racé et de grand plaisir. J’aime retrouver ce champagne dont j’ai adoré le 1979, qui avait disparu pendant peut-être une vingtaine d’années et revit aujourd’hui. C’est une belle idée que de l’avoir ressuscité. Le filet d’agneau est très goûteux, trouvant dans le Mumm un écho convaincant. Le Champagne Brochet-Hervieux brut rosé non millésimé attire de ma part le même commentaire que ce midi : il est peut-être bon, mais ce n’est pas dans les goûts que je cherche, car l’acidité du rosé occupe le palais.

Il était l’heure pour moi de rentrer au logis, à la fin d’une journée d’une grande densité. Des onze millésimes de C.D.C. bus aujourd’hui, je retiens, dans l’ordre : 1971 pour son côté extraterrestre et unique, 1973 pour sa pure définition, 1990 pour sa race, 1985 pour sa plénitude, 1996 pour sa promesse de perfection et 1970 pour son absence de concession.

Merci à Pierre-Emmanuel Taittinger pour sa générosité et son amitié qui m’a offert de grands moments et de grands vins.

dégustation du champagne Taittinger – photos samedi, 27 mars 2010

Dans la cave, règne une atmosphère de conspiration

Conspirer ne veut pas dire que l’on s’impose le jeûne

dans cette impressionnante cave, tout le millésime 2000 du Comtes de Champagne

le pain et le vin

j’aurais préféré goûter un champagne de 1914 que de suivre cette automobile Renault 1914, qui roule !

le merveilleux Comtes de Champagne Taittinger 1971

le château Chalon 1947 fait presque rose sur la photo

magnum de Cheval Blanc 2004

Chateau Chalon Jean Bourdy 1947

chamapgne rosé de fin de repas après les blancs de blancs

Ordre des Coteaux de Champagne samedi, 27 mars 2010

La cathédrale de Reims est royale !

Le Grand Conseil de l’Ordre des Coteaux de Champagne dont le président au centre est Pierre Emmanuel Taittinger

L’assistance est attentive dans la salle aux souvenirs royaux

Le magnifique cellier où se tient le dîner

brasserie Cantillon – les photos jeudi, 18 mars 2010

la brasserie fait aussi musée et accueille 30.000 visiteurs par an

cuves et canalisations en cuivre de 1900 environ

le bassin de refroidissement en cuivre, de 7.000 litres de capacité

les fûts de vieillissement du lambic

une étrange machine et une pancarte à lire

le lambic de 1983 "grand cru" et le Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962

bouchons du vin jaune à droite du bouchon de la gueuze d’avant 1980

de gauche à droite : les trois bières de 2006, 1983 et # 1975, puis le Chateau Chalon 1962. Les couleurs sont magnifiques.

Accord fusionnel entre des bières de trente ans et un Château Chalon jeudi, 18 mars 2010

Un journaliste m’avait contacté pour un reportage sur la Percée du Vin Jaune qu’il devait réaliser pour France Culture. Ce reportage passera sur l’antenne en mai 2010. Pour préparer notre rencontre à Poligny, siège de la Percée, nous avions bavardé autour d’un Côtes du Jura 1934. Au hasard des discussions, nous avons évoqué les bières et Olivier m’a demandé si j’ai bu des bières anciennes. J’ai dit non.

Deux mois plus tard, nous nous retrouvons à Anderlecht au siège de la brasserie Cantillon qui est en même temps un musée de la Gueuze. Jean Cantillon, dirigeant de la quatrième génération nous fait visiter la brasserie. Les équipements sont bien ceux d’un musée, car les cuves et les machineries datent de 1900. Jean nous explique les phases du processus de fabrication de ses bières. Le lambic est le produit de base, qui peut vieillir en fût pendant trois ans. Et la gueuze est un assemblage de lambics de trois années différentes. Jean n’utilise jamais de fûts neufs et le goût de ses lambics est influencé par la provenance des fûts. Il a tout essayé, fûts de vins rouges, de vins blancs, de cognacs et de vins espagnols. Son rêve serait d’essayer des fûts de vins jaunes, car le lambic est une bière dont le mode de maturation est oxydatif.

Jean est passionnant à écouter. Je suis impressionné par ce qui s’appelle « la chapelle », un grenier où une cuve, plutôt un bac, en cuivre peut contenir 7.000 litres de jus, pour son refroidissement nocturne et son ensemencement.

Nous commençons à boire un lambic sur fût, qui doit avoir environ un an. C’est une grande surprise, car le nez est expressif, l’acidité est intense, et le goût évoque le foin doré de fin d’été. Nous remontons et Jean nous fait goûter une gueuze d’un an, qui comprend des lambics de deux à quatre ans. Je jubile, car nous mettons un pied dans l’inconnu. Cette bière ne ressemble à rien d’habituel. L’acidité est forte, mais l’étrangeté me ravit. J’adore pénétrer dans des mondes inconnus. Nous goûtons ensuite un lambic de trois ans. Ce qui me frappe, c’est le caractère vineux de cette bière sans bulle. Je m’imagine que si on glissait ce lambic dans une dégustation à l’aveugle de vins à forte tendance acide, j’hésiterais avant de dire que ce n’est pas du vin. Toutes les bières Cantillon titrent 5°, mais elles paraissent en avoir plus. Vient ensuite une gueuze de 1996, qui renferme des jus dont l’année moyenne est 1994. Je lui trouve un petit défaut dont nous discutons avec Jean, qui est impressionné que je puisse mettre le doigt sur un écart dont je ne suis normalement pas spécialiste. Mettons cela sur le compte de la chance du néophyte. Le petit défaut s’estompe au réchauffement du verre et cette bière se révèle très intéressante, avec toujours une grande acidité, et un charme qui naît de saveurs inhabituelles. L’étrangeté me séduit et je pense immanquablement aux champagnes Jacques Selosse qui ont une approche tout aussi originale.

Nous allons déjeuner au restaurant le Bistro de la Poste sur la chaussée Waterloo. Jean nous ouvre trois bières : une gueuze 2006, un lambic 1983, mis en bouteille en 1986, et une gueuze d’avant 1980, qu’il situe entre 1975 et 1978. De mon côté, j’ouvre un Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1962. Le repas est simple : rillettes, velouté de carottes, poulet aux pommes de terre et gruyère. C’est parfait pour ce que nous allons faire. J’avais demandé qu’il y ait une jeune gueuze pour le cas où le pont entre bière et Jura ne se ferait pas avec les anciens. C’est à titre de sécurité. Or en fait, l’intérêt se porte sur les deux bières anciennes qui offrent une continuité spectaculaire avec le vin jaune. Jean est impressionné par le prolongement qui se crée, quel que soit l’ordre dans lequel on boit les deux bières et le Château Chalon. Et Jean me demande : comment saviez-vous que ça marcherait alors que vous ne saviez pas que mes bières sont oxydatives ? J’ai répondu que j’avais l’intuition qu’une bière ancienne et un Château Chalon plutôt calme comme celui-ci s’accorderaient bien.

Les lambics perdent normalement leur sucre après peu d’années, et n’ont plus de bulles. Or le lambic 1983 a pété à l’ouverture, signe d’un sucre résiduel qui a produit une nouvelle fermentation. Dans cet état, le lambic me plait beaucoup, car l’âge assagit l’acidité, et la gueuze des années 70 est délicieuse, explorant des saveurs d’aficionados. Car entrer dans ce monde de goûts en rebuterait plus d’un. Aux côtés des bières, le Château Chalon fait presque doucereux, tant l’acidité des bières est prégnante. Max, l’un des associés du bistrot qui partageait nos boissons, buvait du petit lait en écoutant nos discussions qui montrent combien cette association d’un jour entre bière et vin jaune est un grand moment d’émotion.

Alors que bière et jaune faisaient jeu égal, sur le gruyère la suprématie écrasante du Château Chalon nous offre un accord divin sur un vin calmement joyeux, presque doucereux sur sa pointe de noix. Jean, Olivier et moi, nous nous souviendrons à jamais d’un grand moment de communion. Jean fait une bière atypique, exceptionnelle et passionnante, en parle divinement bien.

J’ai ajouté un pont avec un vin qui exprime une recherche d’excellence identique. Jean va rêver plus que jamais de fûts de vins jaunes pour créer de nouvelles bières !

« Talents du luxe et de la création » à l’hôtel Intercontinental lundi, 15 mars 2010

Richard Geoffroy est l’homme qui crée Dom Pérignon. Nous éprouvons un grand plaisir à goûter ensemble des vins et une amitié particulière est née entre nous. Alors bien sûr, j’aimerais le voir plus souvent. Il est tellement accaparé par sa fonction que les fenêtres de tir pour se rencontrer sont étroites.

Il m’appelle et me dit : « voici une occasion de nous voir. Un dîner de gala est destiné à couronner des créateurs et acteurs des métiers du luxe. J’ai une table avec des gens sympathiques. Veux-tu en être ? ». Je dis oui.

Arrivant en avance, je m’octroie une petite folie, je commande sous la grande verrière de l’hôtel Intercontinental Opéra un whisky Macalan douze ans d’âge. Dix minutes plus tard, je ne vois rien venir. Quand je ne suis pas content, ça se remarque, même dans un espace aussi vaste que le hall de cet hôtel. Il a fallu trois rappels pour que j’obtienne enfin ce délicieux breuvage, au doucereux délicat.

Les participants du dîner arrivent, pour la cérémonie de remise des « Talents du luxe et de la création ». Plus on est créateur, plus il faut le montrer dans sa tenue. Cette extravagance est d’un grand conformisme, comme pour répondre à un code. Pendant le long apéritif je bavarde avec Sandrine Garbay, l’homologue pour la création d’Yquem de Richard Geoffroy qui crée Dom Pérignon.

Nous sommes très serrés dans la salle Opéra construite par Garnier. Je ne me suis jamais senti bien dans cette salle dont la hauteur sous plafond est de plus de dix mètres, aux colonnades chargées entourant de larges miroirs disposés en demi-cercle qui faussent la perspective de la salle à l’acoustique déplaisante.

Les tables sont à touche-touche, les coudes sont serrés contre ceux des voisins. Les remises de prix sont interminables, et l’ambiance ressemble à celle des cérémonies des Molière, des victoires de la Musique ou des Césars, car c’est la loi du genre. Une chose est amusante, c’est qu’à de rares exceptions près, les créateurs primés, étonnés de leur victoire, ne savent dire qu’un mot : « merci », ce qui nous a épargné les listes de gens remerciés, aussi longues que des génériques de films. Alors que pour chacun des treize prix il y avait quatre nominés, un prix particulier est remis sans concurrence : un prix spécial de la continuité historique est remis à Richard Geoffroy porteur de la continuité historique de Dom Pérignon.

Etant assis à côté de Jean-François Piège, je me suis amusé à voir s’il éprouvait la même tristesse que moi devant la qualité des plats. On ne peut pas dire que c’est mauvais, mais on doit dire que ce n’est pas bon. Jean-François s’est lâché au moment du dessert dont le goût évoquait trop ces liquides de lave-vaisselle bon marché. Et le vin dans tout ça ? Vincent, l’adjoint de Richard constate avec amusement que notre dîner est sobre, car les bouteilles d’eau se succèdent à notre table à un rythme soutenu, les vins dissuadant de tout effort de les comprendre. C’est pourquoi je ne les nomme pas.

Si le luxe nous environnait de toute part tant les créateurs de bijoux, de montres, d’objets de décoration, de robes et de chemise étaient nombreux, il avait complètement abandonné la partie culinaire. C’est bien dommage au pays de la gastronomie. Une grande marque d’épicerie de luxe a posé sur la table pour chaque invité des petits sacs à son logo contenant deux mignonnettes à capsules à vis, l’une de sauvignon, l’autre de syrah. France, ton luxe fout le camp !

Des discussions passionnantes ont sauvé la mise. Et j’ai partagé quelques heures avec Richard Geoffroy, toujours riche de mille projets.

Grands Crus d’Alsace sous l’égide du Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace lundi, 8 mars 2010

Après la dégustation des vins de 2007 des domaines de tradition de Bourgogne, je vais à l’hôtel Intercontinental, dans le salon Opéra magnifiquement décoré par Garnier pour la présentation de Grands Crus d’Alsace sous l’égide du Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace (CIVA).

Ici on a mis les petits plats dans les grands, car des huîtres, du foie gras et diverses autres victuailles sont servis à profusion. Mon analyse des vins d’Alsace est peu exhaustive alors qu’il y a de merveilleux domaines. A deux ou trois exceptions près, je ne m’imprègne que de rieslings. Et cette immersion est un véritable bonheur. Qu’y a-t-il de plus beau que le riesling ? Le riesling, quand il est bien fait, est d’une précision et d’une plénitude qui satisfont le plus exigeant des amateurs.

Je goûte les vins des domaines Jean Becker, Marcel Deiss, Dopf-Irion, Klipfel, Schlumberger et sans doute deux ou trois autres. Ce qui me plait, c’est d’ajouter les expériences de différentes versions du riesling, majoritairement de 2008, mais aussi de 2006 et même 1999. Et je me souviens de jean Hugel qui ne manquait pas de me dire à quel point ce cépage confine au sublime. Et c’est vrai.

Des vignerons présents m’ont parlé de la difficulté qu’ils ont à vendre leurs vins à Paris où l’Alsace souffre d’un déficit d’image, alors que ses vins sont grands. Comme pour les vins du Jura, il faut remédier à cette anomalie.

Les 2007 des Domaines familiaux de tradition de Bourgogne lundi, 8 mars 2010

Chaque année, la dégustation des vins des « Domaines familiaux de tradition » de Bourgogne est un événement extrêmement important, car on y retrouve les propriétaires des plus beaux domaines de Bourgogne présentant leurs vins. Cette année, ce sont les 2007 qui sont sur les minis stands de chaque domaine au Pavillon Ledoyen.

Je commence par serrer les mains des vignerons et des visiteurs que je connais, et mon premier contact est le Corton Charlemagne Domaine de Montille 2007. Autant dire que j’ai commencé par le meilleur, car ce Corton Charlemagne est d’une précision et d’un charme particuliers. Juste après lui, je déguste le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2007 que j’ai trouvé plus fermé et moins vibrant. Il faut dire que ces vins sont servis deux ans et quelques mois après leurs vendanges, aussi certains sont-ils encore dans des phases ingrates. Mon intention n’étant pas de délivrer des jugements définitifs, mais plutôt des flashes du moment, voici des impressions du butinage.

En blancs, j’ai beaucoup aimé le Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2007 car j’aime le style de ce terroir. Le Morey-Saint-Denis Les Monts Luisants domaine Dujac 2007 est une curiosité particulièrement intéressante, car je suis plutôt sans repère pour ce vin. Les trois vins du domaine Lafon sont bien ciselés et goûteux, sans trompette tonitruante, et j’avoue que j’ai un faible pour 2007, car cette année mezzo voce fait ressortir encore plus le talent de ceux qui font bien. Le Meursault Clos de la barre Domaine Comtes Lafon 2007 est un vin solide et élégant.

Les vins du domaine Leflaive m’ont séduit parce qu’ils jouent sur un registre calme tout en montrant l’expertise du domaine. J’ai préféré le Puligny-Montrachet Les Clavoillon Domaine Leflaive 2007 au Puligny-Montrachet les Pucelles Domaine Leflaive 2007. Mais les deux vins sont remarquables.

Les vins du domaine Raveneau sont des plaisirs qui devraient être défendus tant ils rendent dépendants comme des drogues dures. J’ai paradoxalement préféré le Chablis premier cru Butteaux domaine Raveneau 2007 au Chablis grand cru Blanchot domaine Raveneau 2007 même si le potentiel à long terme est évidemment en faveur du Grand Cru.

Les blancs que j’ai bus m’ont séduit. L’année 2007 est en demi-teinte, mais les vignerons améliorant leurs méthodes année après année ont produit des vins élégants et intéressants. Au moment où l’on peut grignoter les excellents fromages de la maison Loiseau, un Beaune Clos des Mouches Domaine Joseph Drouhin 2005, un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 et un Chablis premier cru Montée de Tonnerre domaine Raveneau 2005 montrent, s’il en était besoin, que 2005 est une immense année, beaucoup plus riche, mais qui ne porte pas d’ombre aux vins subtils de 2007.

Cette affirmation est encore plus vraie pour les rouges, car c’est un festival de finesse, de délicatesse et d’élégance, malgré le jeune âge. J’ai été très intéressé par un Latricière-Chambertin domaine Simon Bize 2007, d’une maison que je ne connaissais pas. Le Chambertin Grand Cru domaine Trapet 2007 est très convaincant. Le Corton rouge Bonneau du Martray 2007, vin que j’adore habituellement m’a laissé un peu dubitatif, alors que le Corton Domaine Méo-Camuzet 2007 est absolument splendide.

C’est amusant de voir le poids de la mémoire. Car j’ai eu la chance d’acheter de vieux Pommard Epenots Michel Gaunoux. Et le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 2007 a allumé mille bougies de réminiscence qui m’ont fait adorer ce vin, alors que le Corton renardes Michel Gaunoux 2007 le vaut au moins.

Le Clos de la Roche domaine Dujac 2007 est solide et dans la logique de son terroir, le Volnay Taillepieds domaine de Montille 2007 est charmant et romantique, et le cousinage est évident avec la remarquable subtilité des vins de Jacques-Frédéric Mugnier, sachant que j’ai préféré à ce stade de leurs vies le Clos de la Maréchale au célèbre Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2007 qui est dans une phase refermée.

J’ai eu une particulière surprise. Car c’est la première fois que je goûtais un rouge du domaine de Bouzeron d’Aubert et Paméla de Villaine. Le Mercurey les Montots domaine A et P de Villaine 2007 est absolument charmant et structuré. C’est un vin de plaisir.

Je ne suis pas un familier des vins de Georges Roumier, que je n’achète jamais car l’occasion ne s’est pas présentée. Mais c’est une grande leçon de rigueur que donnent ses vins, le Bonnes-Mares Grand Cru domaine Georges Mounier étant une réussite certaine.

La grande interrogation a été pour moi le domaine Rousseau dont j’ai bu les quatre vins présentés, Gevrey-Chambertin villages, Ruchottes-Chambertin Clos des Ruchottes, Clos Saint-Jacques et Chambertin. Alors que tous les autres domaines jouent sur un registre délicat, j’ai trouvé une affirmation qui dépasse celle de l’année. Je m’en suis ouvert à Eric Rousseau qui a souri et qui m’a dit qu’il préfère les vins qu’il a faits en 2007 à ceux de 2006, pourtant plus encensés par la critique. Je les ai donc goûtés à nouveau quelques heures plus tard, après m’être rendu à un autre rendez-vous, et si j’ai toujours la surprise de la puissance de ces vins pour l’année, force m’est de constater que les vins d’Armand Rousseau font partie de mes chéris, et le Chambertin Armand Rousseau 2007, quand il aura grandi, sera un vin de belle élégance.

Ayant le palais attiré par les vins anciens il est certain que je me sens à l’aise avec les vins de 2007 qui jouent sur la délicatesse et l’élégance.

Si je devais citer les chouchous de ce jour, il y a le Corton Charlemagne de Montille, le Chablis Butteaux Raveneau, le Corton Méo-Camuzet, le Pommard Michel Gaunoux, le Clos de la Maréchale JF Mugnier, le Bonnes Mares Roumier, le Chambertin Rousseau et la belle surprise du Mercurey de Villaine. Comme disait Jean Gabin en s’adressant (je pense) à la Bourgogne : « t’as de beaux vins, tu sais ».