Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Déjeuner d’amis au restaurant Pages mardi, 22 décembre 2015

C’est à mon tour d’inviter mes amis conscrits. Nous déjeunerons au restaurant Pages où j’apporte mes vins à 9h45 pour les ouvrir, car l’ouverture précoce est une condition du succès de la présentation des vins au moment du repas. Je croyais que le chef serait présent mais on m’a prévenu la veille qu’il était parti pour le Japon. C’est dommage car j’aurais aimé que mes amis fassent sa connaissance.

Nous sommes un mardi matin. Le lundi est fermé et le dimanche soir, tout le personnel a fait la fête. Le lieu est sens dessus-dessous. Imaginer que tout sera en ordre au moment du repas est difficile, mais l’équipe s’organise en silence avec une redoutable efficacité.

L’ouverture de vins qui ne sont pas très anciens – du moins dans mon optique – se passe avec beaucoup de facilité sauf pour le Charmes-Chambertin Camus 1982 recouvert d’une cire rouge très dure et très collée, qui me demande un temps fou, essentiellement pour éviter que de minuscules grains de poussière de cire puissent retomber dans le vin. Nettoyer, nettoyer sans cesse est impératif. Le Savigny lès Beaune Cuvée Fouquerant 1992 a un nez qui fait craindre un goût de bouchon. Il sera écarté et ne sera pas remplacé, alors que j’ai une deuxième bouteille d’appoint, mais il y a déjà beaucoup de vins au programme.

Etant en avance j’ai le temps de mettre au point le menu avec Yoko qui remplace le chef Teshi et avec Dorian en ce qui concerne les desserts.

Le menu est : chips / pain soufflé crème de carotte / bonite / bœuf Ozaki cru / Saint-Jacques, céleri rave, truffes noires / cromesquis de foie gras sur le bincho, potiron, truffes noires / rouget, cébette au cédrat, choux / agneau de pré salé, jus d’agneau, hélianthi, truffes noires / bœufs de maturation : normande 40 jours, Galice 60 jours, bœuf Ozaki poêlé sur la fonte et sur le bincho / agrumes / madeleines et truffes au chocolat et café.

Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs magnum 1996 est généreux et glorieux. C’est un champagne de plaisir tant il est gratifiant. Tout est merveilleusement dosé, l’acidité, la force, la fraîcheur. On sent une aisance raffinée. C’est un beau début.

Le Michel Lynch Bordeaux blanc 1998 est un vin de Bordeaux simple fait par les propriétaires du Château Lynch-Bages. Je l’ai inclus dans le programme pour qu’il serve d’étalon ou de faire-valoir à l’autre blanc. Au nez, il est assez peu expressif. Versé dans le verre, on s’aperçoit qu’il est déjà ambré, ce que l’on ne voyait pas à travers la bouteille. Il donne l’impression d’être trop évolué et je m’en méfie un peu, mais il va se révéler infiniment plus expressif que je n’imaginais lorsqu’il est sollicité par les bons plats. C’est avec le cromesquis de foie gras et avec la Saint-Jacques qu’il se révélera chaleureux, animé, comme un blanc sec touché par un botrytis caressant. Il s’est montré très agréable à boire, hors-piste, mais bon.

Le Chablis Grand Cru Valmur Jean Collet 1991 a un nez extrêmement vif et expressif. On est dans la noblesse pure et le vin est riche et grand, de belle acidité contrôlée. Il est merveilleux sur le carpaccio de bœuf Ozaki et sur le rouget à la peau délicieusement croustillante.

J’ai fait changer la recette de l’agneau, prévu au menu pour être terre et mer, en ne gardant que le côté terre. Cela convient au Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1993. Je voulais vérifier comment se comporte cette année annoncée petite et tout montre qu’elle a tout d’une grande. Le vin est élégant, avec de beaux tannins, agile et noble. C’est manifestement un grand vin, de grande finesse et de précision.

Servi en même temps sur l’agneau, le Château Mouton Rothschild 1990 est bien à la peine. Il a les muscles d’un grand vin, mais n’a pas beaucoup plus. Il manque de vibration, d’énergie. Bien sûr, il évoque sa noble origine, mais l’étincelle n’est pas là.

Le Savigny les Beaune Hospices de Beaune cuvée Fouquerand 1992 ne sera pas bu car il est bouchonné. Le Charmes-Chambertin Camus Père & Fils 1982 est d’une couleur claire. Il est incroyablement bourguignon. Il a des évocations de sel et de rose. Il est très gratifiant. Les délicieuses viandes l’aident beaucoup à briller. C’est un vin de plaisir même si tout n’est pas totalement structuré et précis. Qu’importe, il est vecteur de bonheur.

Le Clos d’Abeilly Sauternes 1992 est un vin qui appartient à Rayne-Vigneau. Le nez est un peu glycériné, mais on sent de jolis fruits confits. En bouche, cette odeur se retrouve peu et va même disparaître sur l’intelligent dessert qui rend ce sauternes quasiment parfait. Un ami me dit qu’il n’en a jamais bu d’aussi bon. Ce sont les petits zestes confits associés au pamplemousse rose qui conduisent à cet accord parfait.

J’ai trouvé dans ma cave une bouteille de Madère très vieille, Madère Manuel années 30 ou 40. Le bouchon m’indiquerait volontiers qu’il est plus vieux et le goût aussi. Il y a dans ce vin du café, du caramel, et une générosité chaleureuse exceptionnelle. C’est un vin gourmand qui va trouver dans les mignardises, surtout les petites madeleines, un écho étourdissant. Ce madère assez simple n’est que bonheur.

Comme d’habitude et même sans le chef Teshi, l’équipe très motivée a fait un menu d’une grande intelligence et d’une belle cohérence avec mes vins. Dans les menus, la truffe est en option. J’avais dit en début de repas : « vous pouvez y aller ». J’ai été pris au mot, car la truffe a été plus qu’abondante et généreusement distribuée.

Tout fut bon et les accords pertinents. L’ordre des vins, l’ordre des plats et l’implication de l’équipe ont contribué à faire de ce repas un grand moment avec mes amis conscrits.

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voilà un bouchon fait pour les collectionneurs de vins anciens : le millésime est marqué en haut, en bas et sur le dessus du bouchon. Cela favorisera l’identification, même si le bouchon devient moins lisible

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ne sera pas bu ce Savigny

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on note sous la collerette cette mention : « 26 F 00 verre en plus »

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Déjeuner au restaurant David Toutain vendredi, 18 décembre 2015

Il y avait longtemps que je n’étais pas revenu au restaurant David Toutain dont le chef est un des plus brillants de sa génération. Le menu que nous choisissons est « Reine des Prés » et sous-titré « carte blanche » ce qui veut dire qu’il est à l’appréciation du chef. Nous comprendrons assez vite qu’il y aura quelques ajouts. Les amuse-bouche sont : salsifis, chocolat blanc, panais / persil, genièvre, oseille sauvage.

Le menu proprement dit est : jaune d’œuf, maïs, cumin / Saint-Jacques, lard de Colonnata, truffe noire / céleri rave, pied bleu, truffe noire / oursin, café / cabillaud, racine de persil, poireaux, petit lait / seiche, consommé carotte / anguille, sésame noir / tourte de pigeon / chou-fleur, noix de coco, chocolat blanc / miel Niaouli, lait / mignardises.

La présentation des salsifis est très forestière, jolie. Le goût est agréable. Je préfère demander un couteau que de partager le pot où nous crémons les salsifis. L’amuse-bouche suivant, toujours d’inspiration forestière et montagnarde est absolument original. L’œuf est fermier, délicieux. L’atmosphère correspond à celle du lieu et c’est un peu des recherches de racines comme la ferme de mon père de Marc Veyrat. La coquille est superbe, bien vivifiée par la truffe. L’oursin a un peu trop de café, le cabillaud est superbe. La seiche me plait beaucoup mais je ne ressens pas la pertinence du consommé de carotte. Les deux points culminants du repas sont l’anguille, plat magistral, qui est dans la même lignée que l’anguille merveilleuse de Christian Le Squer, et la tourte de pigeon plat de cuisine bourgeoise magnifiquement réalisé. Un troisième sommet serait le dessert au lait qui allume des réminiscences enfantines.

Nous avions envie de prendre le déjeuner à l’eau mais à un moment, l’appel d’un vin est irrésistible sur cette belle cuisine. Un Champagne Version Originale Selosse dégorgé en avril 2015 est exactement ce qu’il faut pour cette cuisine racée. Il est vif, cinglant, tranchant, vineux avec des notes de fruits roses un peu fumées. C’est un grand champagne.

La cuisine de David Toutain est d’une grande inventivité. J’aimerais bien avoir pour chaque plat la composition détaillée par écrit pour comprendre la pertinence de chaque apport. Cette remarque vaut pour beaucoup d’autres chefs, car on aimerait avoir le mode d’emploi et participer à la découverte de ces belles compositions. Ce qui est un peu désuet, c’est que les serveurs annoncent les plats en disant « le plat emblématique », « le plat signature », « le fameux plat ». A ce niveau de qualité, on n’a plus besoin qu’on nous vante les plats d’un chef reconnu.

Le talent de David Toutain mériterait peut-être un écrin plus beau et des tables à nappes (je joue mon petit Michelin en écrivant cela). Mais il faut respecter son projet puisque tout l’environnement fait partie de sa cuisine. David est chaleureux.. Il fait partie des grands chefs parisiens.

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1945 Mouton-Rothschild shared with my son vendredi, 18 décembre 2015

As a lover of old wines, I receive many tempting email offers. I succumb much too frequently. In a casino I can restrain myself, but when it comes to wine, my addiction takes control. From a recent offer of rare wines, I bought a bottle of 1945 Mouton Rothschild. This legendary, almost mythical wine asserts a powerful attraction on both connoisseurs and counterfeiters. As soon as the bottle arrived in my wine cellar, I checked it against the others I have on my shelves. When I compared the bottles and examined the capsules, the labels with a « V » for the great victory of that year, the end of WWII, as well as other details, convinced me that what I had bought was indeed a genuine bottle of 1945 Mouton.

During this inspection, I noticed that another of my bottles had a low fill level—low shoulder. Under a lamp I could see that the color was good. It had to be drunk quickly. My son was in Paris and would leave for Miami in three days. Why not open the bottle with him? He was always ready for this kind of dotty adventure!

I asked my wife to buy some lamb. Its tenderness would complement the wine and a side dish of potatoes gratin would assist.

I brought the bottle home the day before the dinner and put it standing in a cool spot. The following day I was tired; I returned from my office at 7 pm, earlier than expected, to take a nap. My wife was well along in preparing dinner when I told her I was not yet ready to open the wine and would decide if I felt up to opening such a legendary bottle after my nap.

The nap did me good; however the bottle still had its cork. Such a wine should have been opened much earlier. My son arrived and I explained to him that I hadn’t been sure I would be ready for such a great wine, which was why I was only then about to open it.

The capsule stuck to the top of the cork and I was not able to separate them. Unfortunately, the capsule tore. The top of the cork was as hard as concrete; in order to prevent the corkscrew from pushing the cork into the bottle, I had to drill a small hole. I pulled the cork; its surface was very black. I put my fingers in the neck and removed a muddy black substance. It did not smell bad; it may have been a combination of lees and bits of cork. This did not augur well! I washed my hands and used my fingers to clean the neck several times. Where was this leading?

The wine’s nose showed some acidity, but I didn’t detect anything terminal. I was only annoyed at myself for having taken a nap and losing the time to allow the wine to reconstitute itself. A few minutes later I realized that the wine was in fact on the rebound and I prayed that it would continue to improve.

My son had given us three jars of caviar as a Christmas present. That would be the entrée. We would begin with champagne, but a champagne that accompanies a 1945 Mouton must be grand! I picked out a 1973 Krug, one of my most cherished. This vintage is magnificent. Removing the wire cage was difficult, creating a lot of dust and shredding the capsule. The love of old wine is not always a bed of roses! While removing the cage I heard the sound of escaping gas. The cork came out very easily, because it was tapered, not mushroomed.

I poured two glasses, one for my son and one for me. (My wife doesn’t drink.) The first sip was bitter and my heart sank. I feared the worst, my adrenaline beginning to flow, but then, salvation. The color of the champagne was lovely, pale gold with a hint of pink. The bubbles were vigorous, the nose discreet but intense, vinous. On the palate, everything was illuminated and most charmingly unified. This champagne was lively, incisive, and as precisely chiseled as a samurai’s sword. Along with a mild tingle, I detected the notes of a rosé champagne.

We had two caviars, an Osetra of Venezuela and a caviar from Aquitaine obtained from Prunier. The Osetra was a lighter gray, quite expressive but with a taste that did not linger. By contrast, the Aquitaine was just right, iodized but not too salty, with exceptional length of taste, and it played beautifully against the Krug, which showed an attractive vinous acidity. Though not the best 1973 Krug that I have had, this was very refined, certainly a great bottle.

The lamb was meltingly tender, having simmered for hours on a low heat. The very delicate gratin of thin potato slices showed a rare precision. The beans were partly whole and partly mashed, with an agreeable texture and discrete flavor that complemented the wine.

The color of the 1945 Château Mouton Rothschild in the glass was a magnificent pale red, which became ever more intense as the bottle was emptied. I was so worried about underperformance that I scrutinized the most minute faults. I especially dreaded acidity. I noticed it from time to time, but never enough to spoil my pleasure. What is most striking about this wine is the velvet carried by its robust, muscular structure. I have always loved the solid serenity of the 1945 Mouton, its rooted, square and indestructible side. We found it in this bottle, even if it was not the best that I have had. There were flashes of perfection but at other times the acidity was bothersome. I was so anxious for it to be a good bottle that I could not completely relax. My son, meanwhile, totally enjoyed the Mouton, telling me that he had never had the opportunity to drink this fabled wine and that he was completely enraptured by it. I should simply have paid attention to his expression; his smiles would have kept me happy!

For dessert we had a tarte au pomme, consumed with the rest of the 1973 Krug. The tart brought out the champagne’s jubilance, combining the vivacity of a brut blanc champagne with the seductiveness of a rosé champagne.

How can I assess this dinner? Drinking these two wines with my son was a pure delight, something that cannot be bought. The two wines, if not perfect, showed excellence (the Krug) and a legendary taste (the Mouton), even if punctuated with some flawed moments. I was not in top form and could not completely appreciate them, but my son was in heaven. So my love of old wine led to a precious moment with him. What a wonderful Christmas present!

(see pictures in the following article)

Mouton-Rothschild 1945 avec mon fils ! vendredi, 18 décembre 2015

Il y a tellement de tentations dans les mails qui me proposent du vin que je succombe plus que de raison. Au casino, je me ferais interdire, dans l’achat des vins, je subis mon addiction. Dans un lot de bouteilles rares, j’achète une bouteille de Mouton-Rothschild 1945, d’un vin mythique qui a un pouvoir d’attraction pour les faussaires. Recevant la bouteille dans ma cave, la tentation est grande de vérifier sa véracité en la comparant à celles que j’ai dans mes casiers. La juxtaposition des bouteilles, avec un examen des capsules, des étiquettes portant le « V » de la Victoire et des étiquettes comportant de nombreuses indications, me donne une ardente conviction que mon achat de ce jour est une vraie bouteille de Mouton 1945.

Mais pendant cet examen, je constate qu’une des bouteilles que j’ai en cave a un niveau bas. On est à basse épaule. Il faudrait vite la boire. Regardant la bouteille face à une lampe, je constate que la couleur du vin est belle. Mon fils est à Paris, il va repartir dans trois jours à Miami. Pourquoi ne pas boire cette bouteille avec lui ? C’est avec mon fils que je peux faire de telles folies.

Je demande à ma femme de prévoir de l’agneau pour que la douceur de la viande mette en valeur le goût. Un accompagnement de pommes de terre participerait de la même douceur.

La veille du dîner je rapporte la bouteille à la maison, et je la redresse dans un endroit frais. Le jour venu, l’accumulation de fatigues récentes se fait sentir au point que revenant en avance de mon bureau l’envie de faire une sieste tardive (à 19 heures) se fait sentir. Je dis à mon épouse dont les préparatifs du dîner avancent à grand pas que je n’ouvre pas la bouteille, attendant de savoir si après ma sieste je me sentirai d’attaque pour ouvrir cette bouteille mythique.

Si la sieste me fait le plus grand bien, la bouteille n’est pas ouverte. Un tel vin aurait dû être ouvert beaucoup plus tôt. Mon fils arrive. Je lui explique que j’avais un doute sur ma capacité à aborder un tel vin, ce qui explique que je ne vais l’ouvrir que maintenant.

La capsule colle au haut du bouchon ce qui fait que je ne peux pas la décoller. Elle se déchire ce qui est dommage. Le haut du bouchon est dur comme du béton aussi dois-je forer un petit trou pour que la pointe du tirebouchon ne fasse pas descendre le bouchon quand je la pique. J’extirpe le bouchon et toute sa surface est d’un noir gras. Je mets mes doigts dans le goulot, et retire une sorte de boue noire qui ne sent pas mauvais qui pourrait être une combinaison de lie et de miettes de bouchon. Ça me semble très mal parti. Je me lave les mains et me reprends à plusieurs fois pour nettoyer le goulot avec mes doigts. Que va-t-il advenir ?

L’odeur du vin est marquée par une certaine acidité, mais je ne vois rien d’insurmontable et je m’en veux d’avoir fait cette sieste qui nous prive d’un temps précieux de reconstitution du vin. Quelques minutes plus tard je ressens que le vin est sur la voie d’un retour en grâce. Prions pour que cette tendance se confirme.

Mon fils nous avait offert trois boîtes de caviar comme cadeau de Noël. Ce sera l’entrée. Pour qu’un champagne accompagne un Mouton 1945, il faut qu’il soit grand. J’ai prévu un de mes chouchous, le Champagne Krug Vintage 1973. La bouteille est magnifique. Enlever le muselet est une opération ardue qui projette beaucoup de poussière et de copeaux de la cape. L’amour des vins anciens n’est pas un long fleuve tranquille ! Pendant que j’extirpe le muselet, j’entends un sifflement. C’est du gaz qui s’échappe. Le bouchon s’extirpe très facilement car il est chevillé.

Je verse deux verres, un pour mon fils et un pour moi. Nous trinquons, j’ai peur. La première gorgée est amère, ce qui me donne des poussées d’adrénaline, puis tout se met en place. La couleur du champagne est très belle, d’un or pâle légèrement rose. La bulle est bien active. Le nez est discret mais intense, vineux. En bouche, tout s’éclaire et le charme agit. C’est un champagne vif, cinglant, aiguisé comme un sabre de samouraï. Il picote gentiment et je lui sens des accents de champagne rosé.

Nous avons deux caviars, un osciètre et un caviar d’Aquitaine de la maison Prunier. L’osciètre est d’un gris plus clair. Il est assez expressif mais trop court. C’est le caviar d’Aquitaine qui se révèle parfait, iodé sans être trop salé, à la longueur parfaite. Le Krug rebondit à la perfection et trouve une jolie acidité vineuse. C’est un champagne de raffinement. Peut-être pas le plus grand Krug 1973 que j’aie bu, mais certainement un grand champagne que nous finirons au dessert.

Le morceau d’agneau a mijoté pendant des heures à basse température. Il est fondant. Le délicat gratin de tranches de pommes de terre très fines est d’une rare exactitude. Des fèves, mi entières mi en purée ont une belle mâche et aussi une discrétion qui les prédisposent à suivre le vin.

La couleur du Château Mouton Rothschild 1945 dans le verre est d’un rouge pâle magnifique, qui deviendra de plus en plus intense lorsque l’on servira la suite de la bouteille. J’ai tellement peur d’une contreperformance que j’inspecte le plus infime défaut. C’est l’acidité que je redoute. On la ressentira parfois, mais jamais au point de nuire au plaisir. Ce qui est frappant dans ce vin, c’est le velours, et la solidité d’une trame carrée. J’ai toujours aimé la sérénité de Mouton 1945, ce côté assis, carré, indestructible. On le retrouve ici, même si ce n’est pas la plus parfaite des bouteilles que j’ai bues. Par moment, j’ai réellement des fulgurances de la perfection de ce vin de légende. A d’autres gorgées, l’acidité me gêne mais en fait j’étais tellement anxieux que la bouteille ne soit pas bonne que je n’arrive pas vraiment à me décontracter. Alors que mon fils jouit pleinement du vin, me disant qu’il pensait que jamais il n’aurait l’occasion de goûter ce vin de légende et qu’il est dans un ravissement total. C’est vrai que voir sa face souriante devrait suffire à mon bonheur.

Je peux dire que ce vin est grand et que par moments il me donne les signes de ce qui en fait sa grandeur. Mais je ne suis pas assez réceptif à sa grandeur, même si j’en recueille des fruits.

Sur la tarte au pomme, le Krug 1973 se montre joyeux, combinant la vivacité d’un champagne brut blanc avec la séduction d’un champagne rosé.

Que dire de ce dîner ? Boire avec mon fils ces deux vins est un bonheur qui n’a pas de prix. Les deux vins, sans être parfaits, ont montré l’excellence pour l’un et le goût mythique pour l’autre, même si entrecoupé de petits moments de faiblesse. Je n’étais pas au mieux de ma forme pour en profiter pleinement. Mon fils était aux anges. Alors, c’est un cadeau de Noël.

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l’évolution de la couleur du vin depuis le haut de la bouteille jusqu’à la lie

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Jazz et Gastronomie au Petit Journal de Montparnasse mercredi, 16 décembre 2015

Ma femme et moi avions adoré les concerts au Petit Journal de Montparnasse. Ce soir il s’agira d’une soirée Jazz et Gastronomie, avec le chef Philippe Renard, qui a eu une étoile au Lutetia et un trio dirigé par Stéphane Belmondo. André Robert m’avait dit : « tu viens avec du vin si tu veux » et le journaliste Jacques Pauper, animateur du site « couleursjazz.fr » avait souhaité que nos tables soient proches pour profiter ensemble de la soirée, avec son épouse et la mienne.

L’accueil et l’atmosphère du lieu sont toujours aussi sympathiques.

Le menu composé par le chef est : Saint-Jacques d’Erquy marinées au pamplemousse rose, tartare d’algues bretonnes aux pois gourmands / joue de veau français au thym, céleri rave au fenouil, pomme clocharde et truffe noire / crumble d’amande à l’ananas et à la poire comice, glace vanille.

J’ai apporté deux champagnes de 1992. Le Champagne Bollinger Grande Année 1992 est dévié, plat avec une acidité inhabituelle. Mais heureusement, le tartare d’algues furieusement épicé va agir comme une gomme magique et replacer le Bollinger sur sa trajectoire. Il est loin d’être parfait mais devient courtois.

Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1992 est superbe et mis en valeur forcément par le champagne précédent. De plus, la joue de bœuf goûteuse a des subtilités qui renforcent son message. Ouf, il y aura au moins un champagne qui a glorieusement brillé ce soir, avec de beaux fruits jaunes d’été et une ampleur en bouche remarquable. On se sent bien avec ce champagne expressif et confortable. Nous avons partagé ces champagnes avec Jacques Pauper et son épouse. Il a fort gentiment raconté la soirée sur son site d’une richesse musicale majeure, en mentionnant notre rencontre.

ici son article sur son beau site : ARTICLE

http://couleursjazz.fr/jazz-gastronomie-au-petit-journal-montparnasse-episode-3/

La cuisine du chef est classique, avec des additions de saveurs un peu excessives. Ne pas enlever le centre de l’ananas apporte des amertumes inutiles et du croquant que l’on n’aime pas. Il y avait du goût dans nos assiettes mais un certain manque d’équilibre.

Stéphane Belmondo joue du bugle et de la trompette avec une précision de notes qui est remarquable. Avec lui, un contrebassiste Thomas Bramerie qui vit avec son instrument, le couve, le remue, et en tire des solos de très haut niveau. A la guitare électrique Jesse Van Ruller, sans jamais vouloir montrer sa virtuosité, a fait un festival de pertinence et de symbiose avec la contrebasse. Si les harmonies sont souvent assez proches entre les différents morceaux, à aucun moment nous n’avons perdu une note de ce concert passionnant.

Hélas, en fin d’année, des sociétés retiennent des tables pour une vingtaine de personnes et les gens pensent plus à se parler qu’à écouter. Et comme ils veulent être entendus, ils parlent fort, ce qui est agaçant. A ce détail près, une soirée au Petit Journal de Montparnasse avec des musiciens de talent, c’est un vrai régal, épicé par l’amitié d’André Robert, le propriétaire des lieux. Vite, y revenir !

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Stéphane Belmondo, Philippe Renard et André Robert

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La chanteuse Mathilde à la superbe voix

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Stéphane ému par un morceau en l’honneur de sa fille

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Déjeuner au restaurant A.T. du chef Atsushi Tanaka mardi, 15 décembre 2015

Un ami me dit : « tu devrais essayer le restaurant A.T. du chef Atsushi Tanaka ». Je n’éprouve pas le besoin de suivre toutes les idées, mais l’ami est un gastronome et je suis assez intrigué de voir à quel point les cuisiniers japonais envahissent Paris.

Le lieu est petit, la décoration est minimaliste. On dirait que l’on a jeté sur le murs des bâtonnets géants de Mikado. Ce n’est pas laid, mais c’est assez brouillon. Lorsque j’entre, le responsable de salle, Simon Thibaut, me dit : « bonjour M. Audouze ». ça fait plaisir d’être reconnu et de plus cela permet de discuter de façon plus ouverte. La carte des vins est composée de vins nature, mais surtout très jeunes aussi mon choix sera-t-il d’un verre de Champagne brut nature André Beaufort 2010. Le dernier vin que j’ai bu étant un sublime magnum de Veuve Clicquot 1947, il faut une certaine souplesse d’échine pour s’adapter à celui-ci. Je ne le jugerai pas, mais ce n’est pas le sens de mes recherches, surtout du fait de son âge.

Le menu choisi est : poireau et beurre noisette / salsifis et fleurs / bulot et navet / foie gras, poivre long, meringue /camouflage de chinchard, genièvre et persil / rouget, romanesco, coques / bœuf et betteraves / myrtilles, Hinoki / piment de Jamaïque.

Voici quelques impressions au fil du repas : le poireau est trop ferme, la saveur serait plus raffinée sur le cœur tendre du poireau. La recherche de saveur est raffinée. Le salsifis est croquant, de belle mâche, c’est agréable. Le fait que l’on mange avec les doigts ces deux entrées alors qu’il y a des crèmes ne me plait pas trop. Les bulots sont très fermes. L’association avec les navets est pertinente, la sauce n’apporte rien. L’approche du plat de foie gras est très originale et commence par un camouflage. Les lamelles de meringues sont comme de la porcelaine brisée et recouvrent le foie. Le foie est bon, mais trop suapoudré de poivre. La meringue est délicieuse et suffisamment légère pour ne pas étouffer le foie.

Le camouflage du chinchard est très original, comme si le poisson était placé sous des morceaux de carton déchirés, noyés sous une neige. On entre enfin dans un plat à la fois goûteux et talentueux. Ce sera le plus beau plat du repas. Le rouget manque un peu d’âme. Je l’aurais aimé plus vibrant. Le bœuf est superbement goûteux, de bonne mâche et la betterave s’accorde bien.

La présentation du dessert est graphiquement assez phénoménale. Le chef est un artiste graphique. Tous les tons du dessert sont de gris clair. Le plat est bon, mais on constate une dominante dans cette cuisine : elle est graphique, avec talent et elle est plus intellectuelle que goûteuse.

Je me garderais bien de considérer mon jugement comme définitif, car un restaurant ne se juge pas en une fois. Mais il manque à cette cuisine de la gourmandise, notamment pour les sauces, qui ne relèvent pas l’excitation du plat. Le chef n’était pas là, ce qui ne m’a pas permis de faire sa connaissance. Il y a dans la cuisine exécutée par des chefs japonais une recherche d’élégance qui mérite d’être signalée.

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Malchance et chance déjeuner de famille dimanche, 13 décembre 2015

Du jamais vu ! Au déjeuner de famille j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1996. Il est bouchonné. L’odeur de bouchon progresse et devient entêtante. En bouche, le goût de bouchon va osciller, devenant plus ou moins présent, avec parfois des lueurs de pureté, mais il est inutile de persévérer.

Je vais chercher en cave un Champagne Pommery Brut 1990. Et là, stupeur, le champagne est aussi bouchonné. Alors que les bouteilles bouchonnées sont très rares parmi toutes celles que j’ouvre, deux bouchonnées coup sur coup, c’est du jamais vu. Les deux bouteilles étaient au frais au même endroit mais seulement depuis peu et n’avaient pas été rangées précédemment dans les mêmes zones de cave. Il ne peut pas y avoir une cause commune à ce goût de bouchon. C’est donc le fruit du hasard.

Alors, la bouteille qui doit être le clou de ce repas sera-t-elle marquée par la même malchance ? Lorsque j’ai ouvert la bouteille du Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier 1949, le nez montrait une petite acidité sous-jacente. Au service, elle a disparu et le parfum est royal, opulent et riche. En bouche ce n’est que du bonheur. Le vin emplit la bouche de façon gourmande. On a l’impression de croquer de gros grains de raisins bien rouges. La mâche est large, le vin a une belle râpe de vin rhodanien, et tout en lui est solaire. On sait que l’on boit un vin qui a de l’âge, puisque les saveurs sont un peu fumées ou léchées de tisanes, mais le vin, par sa force de caractère n’est en aucun cas un vin vieux. Il n’est que de plaisir. Ce vin est vraiment émouvant car il représente une forme joliment évoluée d’un vin rhodanien plus que d’un Châteauneuf-du-Pape.

Pour l’apéritif nous avions une quiche lorraine qui devait convenir aux champagnes. La pintade à la purée de pomme de terre est parfaite avec le vin de Chapoutier qui confirme que dans le Rhône 1949 est une grande année, hélas plus difficile à trouver que dans d’autres régions.

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Dîner de famille au champagne vendredi, 11 décembre 2015

Lorsque mon fils vient de Miami, c’est un rituel pour le premier soir où il est fatigué par le voyage : jambon Pata Negra, foie gras et fromages, pour qu’il se sente en famille et un peu Frenchie. Cela me permet d’ouvrir des champagnes.

Le Champagne Mumm Cuvée Renée Lalou 1976 est un divin plaisir. Tout en ce champagne est suggéré. Il est d’une subtilité rare, avec des petits fruits roses, des fleurs printanières, et surtout un discours courtois. Il joue sur le registre du Dom Pérignon 1975 que j’ai bu hier, avec un peu moins de force pénétrante, mais au moins autant de charme. C’est un plaisir ravissant. Le champagne est plus à l’aise avec le foie gras qu’avec le jambon fort goûteux et gras. Il prend de l’assurance sur un brie de Meaux truffé, grâce à la truffe qui lui convient bien. Il s’accorde aussi à un excellent camembert.

Comme il fait soif, j’ouvre un Champagne Delamotte Blanc de Blancs Collection 1985 et ce n’est vraiment pas un cadeau à lui faire. Si l’ordre des champagnes avait été inversé, le blanc de blancs se serait exprimé avec sa force de conviction et nous nous serions laissés aller ensuite au romantisme du Mumm. Mais là, ce discours un peu brutal arrive au mauvais moment car le Delamotte est un peu trop rigide après les sonnets galants du Mumm. Tant pis, il faudra revenir au Delamotte en le présentant comme il convient.

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Repas de famille avec Mumm dimanche, 22 novembre 2015

Ma fille cadette vient déjeuner à la maison avec ses deux enfants. Ma femme a prévu un gratin de fenouil ainsi qu’un poulet cuit à basse température avec de fines herbes et une crème légère. Le dessert est une variation originale sur la tarte aux pommes.

Le vin choisi est un Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979. La forme de la bouteille et son étiquetage sont, pour moi, une des plus belles réussites de la Champagne. Lorsque je fais tourner le bouchon pour le sortir, il n’y a quasiment aucune résistance. Le court bouchon se lève tout chevillé, fortement rétréci à sa base avec une couleur très sombre. Partageant avec le babiroussa la peur du danger, j’annonce qu’il est très probable que le champagne n’ait plus de bulle. Quelle erreur ! Le champagne a une bulle active et grosse, et son parfum est impérial. De plus, sa couleur est d’un or clair, sans signe d’évolution. Ma fille ayant vu ma grimace lorsque le bouchon s’est levé, plus rapide que moi, me dit : « mais il est excellent ! Je l’adore ».

Il y a sur la table un jambon Pata Negra bien gras et exhalant de belles noisettes. Le champagne brille à son contact. Ce qui est fou, c’est la corbeille de fruits frais et fruits confits qu’évoque ce Mumm, qui explose de mille saveurs. Le champagne est brillant. Il a une mâche confiturée adoucie par une petite amertume très racée. C’est un champagne d’accomplissement, ce qui veut dire qu’en le buvant, on est fier de vivre cette expérience.

Le champagne ne vibre pas particulièrement ni sur le fenouil ni sur le poulet, tous deux délicieux, et retrouve de la vivacité sur la tarte aux pommes, dont le fond supporte une fine gelée de pommes, dans la ligne des tons du champagne. Les petits-enfants avaient cuit au four des petits gâteaux secs aux formes diverses que nous avons grignotés en fin de repas.

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Déjeuner au restaurant Taillevent vendredi, 20 novembre 2015

Déjeuner au restaurant Taillevent avec le monde de la Finance, qui n’exclut pas, loin s’en faut, l’amour de l’excellence et de l’art, sous toutes ses formes. D’un côté un collectionneur de voitures rares, de l’autre l’amour de la littérature, de la poésie et des vieilles pierres. Choisir un vin en cave qui convienne à ce repas, c’est comme choisir une cravate pour un événement particulier, j’aime y ajouter un lien et une note d’extravagance. Quand je vais en cave, je suis comme le sourcier qui promène sa baguette de coudrier. Je me promène, je hume l’atmosphère, une bouteille me tend les bras, je la saisis. Lecteur, vous qui me suivez depuis 660 bulletins, n’ayez pas peur, je suis lucide, mais j’aime le hasard qui guide mon geste pour choisir un vin. S’il n’y avait pas ce facteur d’incertitude, chère à Heisenberg, qui permet de construire une histoire, la vie aurait moins de sel.

Nous nous retrouvons à trois au restaurant Taillevent et j’ai eu le temps d’ouvrir ma bouteille avant l’arrivée de mes convives, tous deux habitués de mes dîners et du Taillevent. Le menu sera : huîtres tièdes riesling et cresson / noix de coquilles Saint-Jacques beurre salé, pomme reinette et cidre / fromage / équilibre noisettes et mandarines.

L’apéritif se prend avec un Champagne Amour de Deutz 2002. S’il est un vin qui porte bien son nom, c’est celui-ci. Isabelle d’Orléans et Bragance, Comtesse de Paris, avait écrit un livre, « Tout m’est bonheur ». Deutz pourrait écrire le sien, en paraphrasant, en l’intitulant « Tout m’est Amour », car ce champagne porte bien son nom. Gracile, fluide, léger, romantique il se boit avec une extrême fluidité. Sur les gougères, il est parfait, car les gougères ont le talent d’exhausser ses complexités. On ne peut pas dire que l’on est dans l’aristocratie des champagnes complexes, mais on est à l’acmé du plaisir, avec des myriades de douces saveurs tintinnabulées. Un amuse-bouche fait de hareng et de tarama, le même qu’il y a peu de jours, excite bien ce champagne tout en grâce.

A l’ouverture, le Corton Charlemagne Rapet Père & Fils 1957 avait un manque de netteté dans son parfum, et un vigneron prudent aurait dit : « faut voir ». C’est donc avec incertitude que je porte mon nez au verre qui m’est servi. Instantanément, je sens que les odeurs incertaines ont disparu. Elles font place à un bouquet miraculeux. Il y a à la fois des fleurs de printemps, des fruits frais et des fruits confits. En bouche ce vin, dont je n’attendais rien de plus que le plaisir de la découverte, délivre une onde de complexités quasiment irréelles au point que je serais bien incapable de distinguer tous les fruits roses et rouges, jaunes et bruns qui composent sa palette. La longueur n’est pas extrême, mais la complexité immédiate transcenderait beaucoup de vins plus capés. Il n’y a pas d’évolution ou de sur maturité, il n’y a que de la joie de vivre, où les fruits innombrables se mêlent dans une profusion infinie. La coquille Saint-Jacques est très bonne, mais la crème qui l’accompagne n’est pas l’amie du vin alors que la chair seule serait divine.

Le vin appelle le plateau de fromages et avec des chèvres dont un fumé, le vin s’exprime au-delà de toute attente. Voilà un vin dont je ne sais pour quelle raison il a rejoint ma cave, d’une année fluctuante, qui brille bien au-delà de vins de plus hautes lignées. Quel bonheur.

Le dessert délicieux est l’ami des vins. Il accompagne un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en avril 2009 qui est lui aussi à un sommet. Racé, claquant comme un fouet, il occupe l’espace, conquérant comme Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe ou Alexandre Nevski face aux chevaliers teutoniques. Il est vineux, trace sa route sans oublier d’être charmeur. On dit « voir Naples et mourir ». Il n’est pas nécessaire de mourir après avoir bu ce Selosse, mais il est bon de l’avoir bu.

Les déjeuners réussis se mesurent lorsque l’envie de recommencer devient impérieuse. Ce fut le cas.

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