Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner au restaurant Caviar Kaspia lundi, 1 mai 2017

Ma fille m’a offert des places à un spectacle de Julie Ferrier pour sa dernière représentation au théâtre de la Madeleine. Nous décidons d’aller dîner avant le spectacle, ma femme, ma fille et moi au restaurant Caviar Kaspia. Il y a en ce lieu des vestiges de vieilles bouteilles d’alcools qui me font rêver, même si la température de conservation a dû affaiblir ces alcools. Nous prenons chacun des plats différents. Je choisis un crabe royal du Kamchatka et une anguille fumée et comme dessert un baba à la vodka Kaspia sur un lit de framboises.

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle est d’une élégance que j’apprécie particulièrement. Romantique et délicat il est d’une grâce aérienne. Nous l’avons apprécié sur les produits de la mer de ce restaurant classique et confortable. Le spectacle est aussi pétillant que ce champagne. Ce fut une belle soirée.

Déjeuner au Yacht Club de France jeudi, 27 avril 2017

La lune accomplit son cycle en quatre semaines. Nos rendez-vous de conscrits suivent à peu près le même rythme. L’ami qui nous reçoit au Yacht Club de France a choisi pour thème les vins de Loire et les mets du même métal. L’apéritif pris dans la bibliothèque est toujours aussi copieux mais je l’ai trouvé moins inspiré que d’habitude. Si le carpaccio de bar et les cochonnailles sont sans reproche, le filet de sardine mariné au vin de Loire est un peu amer et les bouchées diverses sont un peu lourdes. Le Champagne Delamotte Brut est toujours superbe, champagne de belle soif.

Le menu composé par Thierry Le Luc et le chef Benoît Fleury est : les papillotes de l’estuaire / dos de brochet aux asperges, beurre nantais / pigeonneau, écrasé de petites pommes de terre de Noirmoutier / fromages de la Loire d’Eric Lefèbvre MOF / mini saint-honoré aux fraises nantaises. Nous avons donc navigué sur la Loire en un voyage de goûts qui s’est montré exceptionnel. Le brochet et le pigeon sont deux plats éblouissants et d’une extrême sensibilité. Il s’agit probablement des deux plats les plus aboutis et talentueux que nous ayons eus au Yacht Club de France.

Nous allons explorer des vins de Loire et je dois dire avec beaucoup d’humilité que des vins aussi jeunes sont difficiles à apprécier pour moi. Le Clos Romans Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur blanc 2015 est frais et agréable à boire car fluide. Le Trésor Muscadet Sèvre et Maine Edouard Massart sans année est du cépage melon de Bourgogne. Il est moins aérien que le Saumur. Le Muscadet Sèvre et Maine Domaine Clair Moreau Château Thébaud 2010 est assez agréable et le Clos de la Vieille Chaussée Edouard Massart Muscadet Sèvre et Maine 2013, lui aussi en melon de Bourgogne se comporte comme les autres vins c’est-à-dire que les différences entre eux sont peu significatives. Ils savent cependant bien accompagner les plats dont les originales papillotes de coques, de palourdes, de moules et d’anguille délicieuse.

Pour les vins rouges nous commençons par La Marginale Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur Champigny 2015 que je trouve fort à mon goût et qui se marie bien avec le délicieux pigeon cuit sous une feuille de chou qui lui donne une légère amertume idéale pour le vin rouge. Le deuxième rouge, Les Mémoires Domaine des Roches Neuves Thierry Germain Saumur Champigny 2015 parle moins à mon cœur car je préfère la densité de La Marginale.

Les fromages sont excellents et sur le dessert nous buvons un Quarts de Chaume Domaine des Baumard 2009 qui a tout pour lui, avec des évocations de litchi et fruits frais mais à qui il manque un quart de siècle pour le moins. Nous passons ensuite à un Champagne Joseph Perrier brut blanc de blancs Cuvée Royale sans année à la bulle forte qui est extrêmement agréable. Et comme s’il manquait encore de quoi alimenter nos discussions sur le premier tour de la présidentielle, la jolie et compétente Sabrina nous a apporté un Rhum Vieux Agricole Clément qui flatte nos papilles mais ne fera pas changer pour autant nos choix du deuxième tour de l’élection.

Les repas au Yacht Club de France sont des moments d’exception.

cliquer ci-dessous pour lire le menu

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Encore un dîner de famille jeudi, 27 avril 2017

Le lendemain de mon anniversaire, nous voulons être sages. Il y a un saumon fumé au programme. Je propose à mon fils champagne ou vin blanc et l’idée de changer un peu le séduit. J’ouvre un Meursault Bouchard Père & Fils 1962. Le verre de la bouteille est un peu ambré aussi le vin paraît-il ambré dans la bouteille. Dans le verre, même s’il est un peu foncé, il est infiniment plus clair. Le nez est pur, le vin affiche une acidité agréable et ce sont de beaux fruits d’été qui peuplent notre palais. Le vin n’est pas complexe, un peu monolithique dans son message, mais il est fort agréable. Mon fils est plus séduit que je ne le suis, à cause de la monotonie du message mais force est de constater que c’est un meursault vif, précis, de belle acidité et porteur de beaux fruits. Il est plus large sur du foie gras que sur le délicieux saumon très pâle mais bien gras.

J’ouvre ensuite un Champagne Krug Grande Cuvée Brut qui doit avoir entre 25 et 30 ans, sinon plus. C’est un champagne éblouissant. Il est complexe et tellement varié, car il est à la fois vineux mais aussi porteur de très beaux fruits. On se régale avec ce champagne profond, à la longueur extrême. J’aime toujours regarder comment cohabitent vins blancs et champagnes et les deux se fécondent. Le Krug donne de la largeur au meursault qui lui-même rend le champagne plus pétillant. Le champagne est évidemment d’une plus grande stature, mais le vin blanc se comporte bien.

Sur les fromages les accords se trouvent ou ne se trouvent pas, peu importe. Il reste un peu de la reine de Saba et un fond du Banyuls Grand Cru SIVIR 1929 d’un repas récent, qui a gardé un bouquet gourmand fait de café, de pruneau, de datte et de chocolat. L’accord est superbe.

Repas de famille avec un Richebourg DRC 1956 lundi, 24 avril 2017

Le dimanche midi du jour du premier tour de l’élection présidentielle, nous allons fêter mon anniversaire en famille. Mes trois enfants sont là, ce qui est un cadeau rare et quatre des six petits-enfants. Il fait beau aussi fait-on des photos de famille dans le jardin. Sous le beau soleil nous buvons la suite du Champagne Krug 2000 en magnum qui est resté strictement dans le même état que la veille. Sa bulle est toujours active, il est aussi vif et cinglant. Il est d’une réelle aristocratie. Nous grignotons du saucisson, des gressins trempés dans un tarama à l’oursin, des copeaux de jambon et des viennoiseries préparées par une de mes petites-filles.

Prendre la suite du Krug pourrait être à haut risque pour un champagne mais le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1980 y arrive avec élégance. Ce champagne est tout en fruits délicats. Je connaissais ce 1980 qui est une grande réussite. Il est au rendez-vous avec plénitude, belle mâche et belle longueur. C’est un champagne ensoleillé et généreux qui se place bien après l’aristocrate Krug.

Nous passons à table où nous attend un gigot cuit à basse température depuis plus d’une journée, dans une marmite emplie de carottes et autres petits légumes. Le Vieux Château Certan Pomerol 1967 avait un niveau presque dans le goulot et son nez très pur m’avait conquis à l’ouverture. Le vin est d’une belle couleur rouge sang. Son nez est délicat et profond à la fois, pur et direct. En bouche c’est un pomerol savoureux, très archétypal. La truffe est là, avec un grain de toute beauté. Ce vin riche mais contenu est idéal.

Le vin qui suit est d’une toute autre espèce. J’ai dans ma cave plusieurs bouteilles de Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 et toutes ont des niveaux qui ont baissé. J’avais choisi la plus basse pour l’essayer avec mon fils seul, mais dans l’atmosphère familiale, j’ai pris le risque de servir ce vin pour tous mes enfants. Il a été ouvert trois heures avant qu’il ne soit bu. Le bouchon a sur sa surface sous la capsule une poussière noire qui ne sent pas la terre du domaine comme cela arrive souvent. Elle sent la poussière. Le bouchon est noir et sec, sans aucune exsudation graisseuse. Il est sec sur une moitié et d’un beau liège sur la moitié inférieure ce qui est encourageant. Le nez à l’ouverture est poussiéreux, mais tout indique que les choses vont s’améliorer. Et ce nez que je fais sentir à mon fils est tellement « continien » que nous sourions, ayant tous les deux le même espoir.

Au service maintenant la couleur du vin dans le verre est très claire, d’un rose sale, terreux, ce qui n’est pas très encourageant. A le voir, je crains que mes enfants, surtout mes filles, ne l’acceptent pas. Heureusement, il y a le parfum du vin. Ce vin est une explosion de roses d’abord, enivrantes, puis, c’est le sel de la Romanée Conti, cette signature si caractéristique, qui est là. Je sens bien sûr un peu de vieux, mais rose et sel sont tellement prégnants qu’on oublie tous les défauts. En bouche c’est la même chose. La rose et le sel, surtout le sel pour moi et surtout les roses pour mes filles, sont tellement agréables qu’ils font oublier que le vin est vieux. Je suis persuadé que beaucoup d’amateurs, à la vue du niveau de la bouteille et de la couleur dans le verre, auraient déclaré urbi et orbi que ce vin est mort. Le miracle est pour moi que mes trois enfants adorent ce vin, même ma fille dont on dit en se moquant qu’elle n’aime que les « vins de Ginette ». Quel beau cadeau pour moi de savoir que mes trois enfants ont adoré – ce qui veut dire ont compris – ce vin fragilisé mais porteur de tout ce qui fait l’âme de la Romanée Conti. A chaque gorgée je me dis « mon Dieu pourvu qu’ils comprennent » et chacun de leurs « oh » et de leurs « ah » me fait frissonner de bonheur. Car ce soldat de Richebourg, encore vaillant, se bat pour notre plaisir. Le fruit est sous-jacent dans le bouquet de rose et le finale est très pur. La viande et la semoule aux fleurs se font humbles pour que le vin soit en majesté. Communier en famille avec un vin fragile mais tellement porteur de l’âme de la Romanée Conti, c’est un instant de pur bonheur.

On me fait une farce car sur la reine de Saba les bougies que j’essaie de souffler ne s’éteignent jamais. Le fondant au chocolat et cette reine de Saba ont conclu ce repas illuminé par un Richebourg d’une extrême émotion. Il m’en reste. Trouvons vite des prétextes pour les ouvrir.

les bougies qui ne s’éteignent pas !

Deux dîners de famille dimanche, 23 avril 2017

Comme chaque mois, mon fils vient de Miami à Paris. Le premier dîner est toujours le même : jambon ou foie gras, au choix, fromages divers, et les meringues chocolatées que nous adorons depuis toujours, notamment à cause de leur nom, qui est un bel exemple du politiquement correct. Et je ne résiste pas à raconter l’anecdote de ma femme allant acheter les fameuses meringues. Elle va à la boulangerie et demande à une vendeuse : « avez-vous des merveilleux ? ». La vendeuse la regarde et va voir sa patronne, ne sachant de quoi il s’agit et la patronne, de loin, lui dit : « mais ce sont les têtes de nègre ». Depuis des années je m’insurge devant cette hypocrisie bienpensante qui a été d’ailleurs reprise dans un film récent « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ». Revenons à nos moutons. Le Champagne Dom Ruinart 1990 est une institution. C’est une des plus grandes réussites de Dom Ruinart. La bouteille est belle, avec son étiquette noir et or. Le vin est très clair, la bulle est très active. Et la première et immédiate sensation est la fraîcheur. Ce champagne serein, élégant, brillant, de grande longueur est surtout « frais », champagne de belle soif, qui ne demande qu’une chose, qu’on en reprenne. Ce champagne d’une rare fraîcheur et d’une belle élégance est un vrai bonheur et l’on ne détaille pas ses composantes, tant il est heureusement intégré.

Il apparaît assez vite qu’il faut lui trouver une suite et ce sera un Champagne Selosse V.O. version originale, dégorgé le 2 mars 2007. Il est très ambré comparativement au Ruinart très clair bien que plus jeune et le premier contact me dérange. Il y a une acidité si prononcée que je ressens des accents de cidre plus que de champagne. Mais cette impression va se corriger très vite, et le champagne va s’épanouir pour devenir plaisant. C’est un champagne plus typé, voire fumé, vineux, plus blanc de blancs qu’à son ouverture, avec une belle râpe, qui va le rendre de plus en plus plaisant, sur un registre sans concession.

C’est Philippe Bourguignon, l’ancien directeur du restaurant Laurent qui, le premier je crois, a signalé l’accord champagne et camembert. Et j’avoue que je suis devenu un adepte de cet accord qui a marché particulièrement bien avec le Ruinart.

Le lendemain, ma fille cadette nous rejoint avec ses enfants et au dîner il y aura poulet. Ma fille arrive assez tôt dans l’après-midi et il est tentant de goûter ensemble le reste du Selosse. Il a grandi en intensité de façon spectaculaire. Nous sommes maintenant face à un très grand Selosse. Nous grignotons du saucisson, de la poutargue, du jambon en fines tranches, et très vite il faut trouver un remplaçant au V.O. de Selosse. Je regarde ce qui est au frais et comme demain ce sera mon anniversaire pourquoi ne pas faire une folie ? J’ouvre un Champagne Krug Vintage Magnum 1990 de la même année que le Dom Ruinart bu la veille. La bulle est très active et la couleur est très claire. La noblesse de ce champagne est exceptionnelle. Comme pour le Dom Ruinart 1990, on est à un stade d’accomplissement « naturellement » parfait. On pourrait ressentir des fleurs ou des fruits, mais pour moi, ce sont d’abord des fruits rouges, puis des fruits blancs et jaunes et seulement ensuite on pense au côté floral. Le tout est d’une distinction exceptionnelle. On est dans le raffinement absolu.

Le dîner consiste en un poulet bio avec deux purées de pommes de terre, dont une à la truffe. Il y a quatre heures j’avais ouvert une bouteille de Château Pape Clément 1929 au niveau à la limite basse de l’épaule. Le bouchon très noir et sec s’est cassé, et la première odeur très poussiéreuse n’excluait pas un retour à la vie. Mais au moment du service, même si le parfum montre un progrès très significatif, le vin est plat et n’a pas complètement dévêtu sa gangue de poussière. Il reviendra peut-être demain, laissons-lui cette chance, mais pour ce soir, le plaisir ne sera pas au rendez-vous, alors que la couleur du vin est très acceptable, n’affichant pas de tuilé.

J’ouvre pour compenser un Volnay Caillerets Premier Cru Ancienne Cuvée Carnot Bouchard Père & Fils 2009. Si l’on change de vin, autant prendre un vin résolument différent. Ce bourgogne dans la fraîcheur de son ouverture est du bonheur pur. Il est joyeux, spontané, il porte en lui toute l’âme de la Bourgogne avec une belle râpe. Ce vin n’est que du bonheur. Quel plaisir simple de boire ce vin franc, joyeux et bien fait. Il y a des vins plus complexes, mais celui-ci est d’un authenticité totale. Je l’adore.

Une tarte fine aux pommes finit le repas sans appeler un quelconque accord avec le champagne ou le vin rouge. Nous finirons demain le magnum de champagne pour mon anniversaire et nous verrons si la Pape Clément 1929 est capable de ressusciter. Je ne crois pas aux miracles, mais il faut donner une chance à tous les vins.

Déjeuner au restaurant Laurent mercredi, 19 avril 2017

Nous envisageons avec mon ami Tomo que j’organise un dîner au Japon à l’occasion d’une tournée annuelle à Tokyo du chef et du directeur de son restaurant Garance. Pour cela, bien sûr, il faut en parler en déjeunant. Nous nous retrouvons au restaurant Laurent avec l’espoir de déjeuner dans le jardin, mais un rafraîchissement des températures après une période caniculaire nous oblige d’être à l’intérieur du restaurant. J’arrive en avance pour ouvrir mes vins et qui vois-je au seuil, Christian de Billy, qui va participer à un déjeuner de l’académie des gastronomes, congrégation fondée il y a près d’un siècle par Curnonsky, le prince des gastronomes. Il est rapidement rejoint par d’autres membres et au lieu d’ouvrir mes vins, je bavarde avec les arrivants. J’ouvre toutefois mes vins dont les parfums sont à se damner.

Tomo arrive et je le présente aux académiciens que je connais .Christian de Billy me tend un verre du Champagne Pol Roger sans année que je trouve particulièrement agréable, frais et typé, ce qui est ce qu’on lui demande. Nous passons à table. Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 de Tomo est d’une couleur très ambrée pour son âge. Aux premières gorgées on sent l’acidité et un manque évident de volume. Nous commandons l’un et l’autre le même menu à la carte : des morilles en entrée pour le Clos du Mesnil , un pigeon pour mon vin rouge et un soufflé pour le liquoreux que j’ai apporté.

La cuisine d’Alain Pégouret est toujours aussi appréciée mais à la carte elle n’est pas orientée vers les vins. Car morilles et asperges qui peuvent s’associer pour un plat ne font pas bon ménage pour les vins et le pigeon ne se conçoit que sans sauce si l’on veut profiter du vin. Mais nous sommes capables de faire le tri et cette cuisine nous ravit.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 connaît avec les morilles une résurrection spectaculaire, comme cela se produirait avec un vin jaune. L’acidité disparaît, le vin retrouve du volume et de la largeur et nous avons devant nous ce qui fait la gloire de cette cuvée miraculeuse du champagne Krug. Ce vin est immense, et la morille prend une mâche gourmande à son contact, titillée par la belle bulle vive et cinglante.

Lorsque j’ai ouvert le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1981, son parfum m’a enthousiasmé. Si l’on veut savoir ce qu’est l’âme de la Romanée Conti, il suffit de sentir ce vin-là. Le niveau était superbe ainsi que la couleur. Au moment où nous le sentons ensemble, Tomo et moi, nous nous regardons car nous savons que nous sommes en face de ce qui fait que la Romanée Conti jouit d’une telle aura. Ce vin est l’archétype des vins du domaine et aussi la signature de la Bourgogne. Il y a tout dans ce vin, la discrétion, la politesse, l’énergie, la salinité, la gourmandise bien contrôlée. Quel bonheur. Avec le pigeon, surtout la cuisse avec la peau, le vin est un régal. J’en verse un verre à Ghislain, le si aimable sommelier, pour qu’il en profite et aussi à un journaliste qui déjeune à la table voisine avec une vigneronne champenoise. Ce vin est un régal, d’un équilibre parfait sans une ombre d’exagération. C’est un velours mais qui n’est pas sensuel. Il est dans la dignité. Et son côté salin le rend gastronomique.

Comme il reste du vin et du champagne nous prenons un saint-nectaire pour le Richebourg et un Reblochon pour le Krug qui créent de beaux mariages.

Tomo a apporté un Suntory Tomi No Oka Winery Tomi 2003 Noble d’Or. A l’aveugle je suis bien incapable de trouver d’où il vient. Ce vin doux et liquoreux est fortement typé réglisse et évoque un peu les vins de Chypre. Il ne titre que 9° mais il est puissant. Pour le soufflé il vaut mieux prendre le Château d’Yquem 1981 en demi-bouteille que j’ai apporté, vin fort agréable et joyeux, très caractéristique d’Yquem mais à qui il manque vingt ans pour que nous nous pâmions. Il a trente-six ans mais je ne peux pas m’y faire, c’est trop jeune pour moi.

Nous avons défini un programme japonais qui était l’objet du déjeuner et nous avons rejoint les solides gastronomes après leur banquet. Ces académiciens sont insatiables car nous avons trinqué avec un Cognac Alfred Morton Family Reserve extrêmement agréable, avec un caramel bien contrôlé qui m’a rappelé des cognacs Hardy centenaires qui ont enchanté ma jeunesse.

Il se passe toujours quelque chose au restaurant Laurent.

Deux vins sublimes dans le sud samedi, 15 avril 2017

Dans le sud, notre fille cadette vient nous rejoindre pour Pâques. Elle est d’humeur, comme moi, à boire bien. J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1983. Le pschitt est très sensible à l’ouverture du bouchon. Dans des verres à vins de bonne dimension le parfum qui s’exhale est d’une puissance et d’un charme qui surprennent. La couleur du champagne est d’un ambre presque rose, évoquant un peu la peau d’une pêche dorée. En bouche, le premier contact est comme un coup de massue. Je m’attendais à du grand et je suis face à de l’exceptionnel. Il a un charme et un romantisme qui sont confondants. Mais il a aussi de la puissance, des fruits rouges esquissés, et la douceur de confitures de fruits rouges. C’est le premier contact. Ensuite le charme, le romantisme et la douceur s’installent. On est face à un champagne de pur plaisir. Ce n’est que plus tard qu’apparaîtra le caractère vineux. Chaque gorgée de ce champagne est vécue comme un cadeau que nous fait la nature.

La poutargue est ce qui convient le mieux à ce champagne plus que l’anchoïade et la tapenade. On se régale. C’est amusant qu’à la première gorgée nous nous sommes regardés, ma fille et moi, avec une connivence qui signifiait le privilège de boire un champagne aussi accompli et parfait.

Pour le gigot d’agneau bio cuit à basse température et accompagné d’une semoule aux fleurs fraîches, j’ouvre au dernier moment une Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996. Le niveau est si haut dans la bouteille qu’en tirant le bouchon, la dépression fait gicler du vin. La couleur du vin est foncée, presque noire. Le nez est intense et puissant, comme un vin de l’année. En bouche, le vin combine étonnamment la puissance et la fluidité. Le vin est fort mais frais. Il est d’une précision diabolique et nous sommes d’avis, ma fille et moi que les deux vins de ce repas sont des 100 points Parker, si l’on veut par-là exprimer qu’ils sont parfaits. Et cela bouscule beaucoup d’idées reçues, car la Mouline a plus de vingt ans et a la puissance d’un vin de cinq ans tout en ayant le velours et le charme d’un vin de quarante ans. Il reste un peu des deux vins à vérifier demain. Mais la fraîcheur, le charme et l’équilibre des deux vins de ce soir sont confondants.

Le lendemain, sur des coquilles Saint-Jacques, le champagne qui a perdu un peu de bulles, est toujours aussi glorieux et joyeux. Les fruits évoqués sont jaunes, la noix est présente mais c’est dû à la coquille et le caractère vineux est plus prononcé. Toujours puissant et de belle longueur ce champagne est hors normes. Sur les coraux des coquilles, la Côte Rôtie est puissante. Elle n’a plus la même vivacité mais elle a l’ampleur d’un grand vin, créant un accord divin avec les coraux. Ce qui me plait beaucoup, c’est qu’apparaît en fin de bouteille la fraîcheur mentholée que j’aime tant. Un vin puissant, aux accents de garrigue, qui dans le finale offre tant de fraîcheur mentholée, que demander de plus ? On est au ciel.

Dinner at restaurant Pages with wines of 1945 dimanche, 9 avril 2017

My eldest daughter sets up in Paris the French subsidiary of an American law firm. One of the American partners in the headquarters of the parent company is in Paris. My daughter tells me he loves wine. I propose a dinner with this partner, his wife, my daughter and me at the restaurant Pages. The idea comes to me to choose wines from 1945, a year that solidified the ties between our two countries. The wines were delivered three days ago and I open them at 5 pm. No problem arises so I will read a book at 116, the bar next to Pages and is a subsidiary. I drink a Japanese beer Asahi with a plate of Edamame. It is a preparation of soybeans still green, of Japanese origin, in their pods covered with salt, which is sucked to extract the beans. It’s delicious with beer and it increases the turnover because you have to order a new beer!

Vicky and Ben from Washington DC arrive on time and Ben brought a wine to share without knowing my program. The Champagne Vilmart & Cie Brut 1945 is from Rilly, south of Reims. The level is low because the bottle has lost nearly 20% of its volume. There is no pschitt because the cork is too narrow and the color is very amber. This makes us fear the worst, but if the attack is very tired, the finish is of a beautiful refreshing presence that suggests that the champagne will wake up. And that’s what happens, the champagne becoming more and more joyful and golden, even if objectively it is a tired champagne. The end of the bottle is very nice.

The Riesling Schlumberger 1945 presents itself in an extremely dusty bottle so that one does not see what is written on the thin collar at the top of this bottle very tapered. But the main label is clearly legible. The glass is blue as it existed during the war. What a surprise to see that the liquid that Thibault the sommelier pours me is a light yellow color of a young wine. The opaque bottle did not allow to see that. The nose is very expressive, sharp and lively, and the Riesling is tall, pure, expressive. On Ozaki beef in tartare, this wine is a treat. It is a wine of amazing accomplishment and serenity.

As we are told that there is a fish that will follow a dish made with squid, I let open the wine of Ben, a Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre Domaine François Raveneau 2001. The nose of the wine is of a great wealth. The fruit is joyous. This wine is the archetype of good chablis. It is brilliant but does not under any circumstances shade the delicious riesling which one would have difficulty to give an age as it is of infinite precision.

The Château Beychevelle Saint-Julien 1945 is of a color that does not have a gram of tile. The wine is of a glorious bright red. The nose is intense, deep and I see notes of truffle. On the palate, it is confusing of vivacity, richness and nobility. It is a perfect wine. We look at each other amazed and for our American guests we feel that certainties are faltering about wine aging. At the menu that is common to all the tables, Chef Teshi has added for us a pigeon with a sauce where dips of wood strawberries. The harmony is miraculous. The wine will continue to shine by offering other facets on two pieces of absolutely delicious matured beef. It is one of the greatest Beychevelle that I had the opportunity to drink.

For dessert, I brought a Château Gerbay « Grandes Côtes » 1945 from Castillon on the Dordogne. At the opening, the sweet white wine had a delicate nose of sweet wine that would have swallowed its sugar. Now, the nose is charming, floral, light, discreet sweet. On the palate the wine is incredibly fresh, especially in the final. The dessert is a test that I had developed with Dorian the highly skilled pastry cook of the Pages team, who only had red fruit offered bananas and hazelnuts. The dessert does not work but the sweets are of extraordinary charm. It is so delicate, fresh, so fluid in the mouth that I would be tempted to make it the winner of the dinner wines, even if the Beychevelle is of another stature. What is certain is that all the wines have delighted us. So many subtle coolnesses in a Bordeaux Superieur delight me.

As usual the Pages team under Teshi’s authority has made a remarkable menu with three very high-level dishes, fish, pigeon and beef pieces that are well worth two Michelin stars. Our American hosts were conquered by the wines and the meal to the point that Ben insisted to pay the bill while he was my guest. The strawberries that accompany the pigeon and the incredible Côtes de Castillon are still on my tongue as I finish writing this review.

(pictures are on the following article in French)

Dîner au restaurant Pages avec des vins de 1945 dimanche, 9 avril 2017

Ma fille aînée installe à Paris la filiale française d’un cabinet d’avocats américain. Un des associés américains du siège de la maison-mère est de passage à Paris. Ma fille me dit qu’il aime le vin. Je propose un dîner avec cet associé, son épouse, ma fille et moi au restaurant Pages. L’idée me vient de choisir des vins de 1945, année qui a solidifié les liens entre nos deux pays. Les vins ont été livrés il y a trois jours et je les ouvre à 17 heures. Aucun problème ne survient aussi vais-je lire un livre au 116, le bar qui jouxte Pages et en est une filiale. Je bois une bière japonaise Asahi avec une assiette d’Edamame. Il s’agit d’une préparation de fèves de soja encore vertes, d’origine japonaise, dans leurs gousses recouvertes de sel, que l’on suce pour en extraire les fèves. C’est délicieux avec la bière et cela augmente le chiffre d’affaires car on est obligé de commander une nouvelle bière !

Vicky et Ben, de Washington DC arrivent à l’heure et Ben a apporté un vin à partager sans connaître mon programme. Le Champagne Vilmart & Cie Brut 1945 est de Rilly, au sud de Reims. Le niveau est bas car la bouteille a perdu près de 20% de son volume. Il n’y a pas de pschitt car le bouchon est trop rétréci et la couleur est très ambrée. Cela fait craindre le pire, mais si l’attaque est très fatiguée, le finale est d’une belle présence rafraîchissante qui laisse penser que le champagne va se réveiller. Et c’est ce qui se produit, le champagne devenant de plus en plus joyeux et doré, même si objectivement c’est un champagne fatigué. La fin de la bouteille est très agréable.

Le Riesling Schlumberger 1945 se présente dans une bouteille extrêmement poussiéreuse ce qui fait que l’on ne voit pas ce qui est écrit sur la fine collerette en haut de cette bouteille très effilée. Mais l’étiquette principale est bien lisible. Le verre est bleu comme cela existait pendant la guerre. Quelle n’est pas ma surprise de voir que le liquide que Thibault le sommelier me verse est d’une couleur jaune clair d’un vin jeune. La bouteille opaque ne le laissait pas prévoir. Le nez est très expressif, tranchant et vif, et le riesling est grand, pur, expressif. Sur le bœuf Ozaki en tartare, ce vin est un régal. C’est un vin d’un accomplissement et d’une sérénité étonnants.

Comme on nous annonce qu’il y a un poisson qui suivra un plat à base d’encornet, je fais ouvrir le vin de Ben, un Chablis Premier Cru Montée de Tonnerre Domaine François Raveneau 2001. Le nez du vin est d’une grande richesse. Le fruit est joyeux. Ce vin est l’archétype du bon chablis. Il est brillant mais ne fait en aucun cas ombrage au riesling délicieux auquel on aurait du mal à donner un âge tant il est d’un infinie précision.

Le Château Beychevelle Saint-Julien 1945 est d’une couleur qui n’a pas un gramme de tuilé. Le vin est d’un rouge vif glorieux. Le nez est intense, profond et j’y vois des notes de truffe. En bouche, il est confondant de vivacité, de richesse et de noblesse. C’est un vin parfait. Nous nous regardons stupéfaits et pour nos convives américains on sent que les certitudes vacillent. Au menu qui est commun à toutes les tables, le Chef Teshi a ajouté pour nous un pigeon avec une sauce où trempent des fraises des bois. L’accord est miraculeux. Le vin va continuer de briller en offrant d’autres facettes sur les deux morceaux de bœufs maturés absolument délicieux. C’est un des plus grands Beychevelle que j’aie eu l’occasion de boire.

Pour le dessert, j’ai apporté un Château Gerbay « Grandes Côtes » 1945 de Castillon sur Dordogne. A l’ouverture, le vin blanc doux avait un nez délicat de liquoreux qui aurait mangé son sucre. Maintenant, le nez est charmeur, floral, léger, de liquoreux discret. En bouche le vin est d’une incroyable fraîcheur, surtout dans le finale. Le dessert est un essai que j’avais mis au point avec Dorian le très compétent pâtissier de l’équipe du Pages, qui n’ayant que des fruits rouges a proposé des bananes et des noisettes. Le dessert ne fonctionne pas mais le liquoreux est d’un charme extraordinaire. Il est si délicat, frais, si fluide en bouche que je serais tenté d’en faire le gagnant des vins du dîner, même si le Beychevelle est d’une autre stature. Ce qui est sûr c’est que tous les vins nous ont ravis. Tant de fraîcheurs subtiles dans un Bordeaux Supérieur me ravit.

Comme d’habitude l’équipe de Pages sous l’autorité de Teshi a fait un menu remarquable avec trois plats d’extrêmement haut niveau, le poisson, le pigeon et les pièces de bœuf qui valent bien deux étoiles Michelin. Nos hôtes américains ont été conquis par les vins et le repas au point que Ben a tenu à payer l’addition alors qu’il était mon invité. La fraise des bois qui accompagne le pigeon et l’incroyable Côtes de Castillon sont encore sur ma langue au moment où je finis d’écrire ce compte-rendu.

chose étonnante, quand on découpe la capsule, l’empreinte des lettre existe sur le haut du bouchon et je l’ai découpée

préparatifs en cuisine avec inscriptions sur un tableau mural

Dîner de 4 chefs japonais au restaurant Pages jeudi, 6 avril 2017

Pourquoi ne pas faire la présentation façon camelot : mesdames et messieurs, ce soir vous n’aurez pas un dîner avec un chef, ni même avec deux chefs. Mesdames et messieurs, ce soir vous n’aurez pas un dîner avec trois chefs, je vous le dis bien, ce soir ce sera un dîner avec quatre chefs, oui, mesdames et messieurs ce sera un dîner à huit mains.

Au restaurant Pages, le chef Teshi reçoit trois chefs japonais dont un qui a obtenu une étoile dans son restaurant de sushis, un autre qui pratique la cuisine chinoise et un autre qui a semble-t-il une renommée très importante au Japon et une cave aussi importante, spécialisé comme Teshi dans les viandes les plus rares, qui exerce son activité sous un nom pour le moins original, Wagyumafia.

Ce soir nous serons une table de sept dont mon ami Tomo qui a rassemblé notre petit groupe, un de ses amis, un couple d’amis que je retrouverai demain à un dîner de wine-dinners et un autre ami fidèle de mes dîners venu avec sa femme dont je fais la connaissance. Les quatre chefs avaient fait un dîner hier en ce lieu. Nous participons donc au deuxième et dernier dîner à huit mains.

Laure vient nous proposer l’option du menu, celle du caviar pour laquelle nous acquiesçons. Voici le menu, avec entre parenthèse l’auteur du plat : bœuf séché (Wagyumafia) / Temaki au thon rouge de wakayama (chef Sato) / soupe Syantan (chef Shinohara) / cromesquis de foie gras (chef Teshi) / caviar à l’avocat et au gras de bœuf wagyu (Wagyumafia) / asperge verte à l’œuf mariné (chef Teshi) / duo de tartare de thon et d’ormeaux à la vapeur (chef Sato) / mérou à la vapeur, purée de tofu (chef Shinohara) / sushi de thon, chinchard, oursin, congre (chef Sato) / wagyu wassant (Wagyumafia) / pigeon de Pornic grillé sauce salmis (chef Teshi) / bœuf Shabu Shabu façon carbonara (Wagyumafia) / « Shiogama » chateaubriand de bœuf de Kobe en croûte de sel (Wagyumafia) / dessert cinq saveurs (chef Shinohara) / Paris banana (chef Teshi) / chocolat au tofu et thé vert Gyokuro de Yame (Wagyumafia) / mousse Sakura, chocolat blanc, chartreuse (chef Teshi).

Il y a dans la cuisine japonaise une inventivité qui est spectaculaire. Tout est fait avec grâce, élégance, sens artistique. Nous somme embarqués sur un petit nuage de perfection gastronomique dont nous ne descendrons pas pendant cinq heures. Car tout ceci prend du temps. Cela explique aussi la quantité astronomique de vins que nous avons bus.

J’étais arrivé en avance, un peu après 19h pour ouvrir des bouteilles de notre table. Tomo était déjà là et me propose de partager avec lui une demi-bouteille de Champagne Krug Grande Cuvée très ancienne, probablement du début des années 70. A l’ouverture le vin est très ambré, et le nez fait très madérisé. Il est assez désagréable à boire, mais le temps est un magicien et l’on assiste à une éclosion rapide qui rend ce champagne un peu fatigué mais extrêmement séduisant. J’ouvre le Château Chalon Jean Bourdy 1947 que j’ai apporté et le Château Chalon Jean Bourdy 1937 de Tomo. Le 1947 a un bouchon qui doit dater des années 60 et se brise car imbibé dans sa partie basse. Son parfum a l’ouverture est aussi madérisé et ressemble étrangement au parfum du Krug. Le 1937 a un bouchon récent, de moins de vingt ans et son parfum qui évoque la noix est beaucoup plus prometteur. J’ouvre aussi l’Yquem 1961 de Tomo à la belle couleur orangée.

Nous passons à table et chaque chef va servir lui-même le plat qu’il a exécuté. On nous sert le Champagne Jacques Selosse Les Carelles à Mesnil-sur-Oger et le Champagne Jacques Selosse Le Bout du Clos à Ambonnay. Le premier est un blanc de blancs et le second un blanc de noirs. Le Carelles est un beau champagne très précis et très vif, mais je préfère le Bout du Clos plus large, plus charmeur, et de mâche plus agréable. Mais ce sont deux magnifiques champagnes. Sur le sushi au thon rouge, la séduction du blanc de noirs s’exprime divinement.

C’est volontairement que nous avons apporté deux magnums de champagne de 1998, pour comparer le Champagne Dom Ruinart magnum 1998 que j’ai fourni et le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 1998 fourni par l’ami champenois qui œuvre dans le groupe Moët-Hennessy. Le parfum du Dom Ruinart me prend par surprise et me fait un choc majeur. Jamais je ne pouvais imaginer que ce champagne puisse avoir un nez d’une telle séduction. C’est d’une folie extrême et c’est ce parfum qui donne la palme au Dom Ruinart alors que le Veuve Clicquot a une majesté et une matière exemplaires. On dira pour faire consensus que les deux champagnes se valent mais le souvenir le plus éclatant est le diabolique parfum du Dom Ruinart.

L’apparition de l’asperge donne envie de passer aux deux Château Chalon. Le temps est de nouveau un magicien, car le Château Chalon Jean Bourdy 1947 que j’imaginais mort se révèle vivant, manquant un peu de vivacité mais très pur alors que le Château Chalon Jean Bourdy 1937 est plus guerrier. Mais c’est le 1947 qui, contre toute attente, est le plus gastronomique. C’est lui qui va le mieux avec l’asperge et lui aussi avec les ormeaux d’une chair magique. Quel beau plat du chef Sato, le prince des sushis, mais pas seulement des sushis.

Le Champagne Krug Collection magnum 1985 de Tomo est une merveille de race et de distinction. Quel grand champagne plein, qui s’accorde bien à tous les plats. A côté de lui, le Champagne Veuve Clicquot 1989 est une très belle réussite du millésime 1989, jouant sur sa féminité à côté du Krug.

Le Champagne Salon 2004 est lui aussi une valeur sûre, avec une longueur inextinguible et une personnalité marquée de grand Salon.

Pour les viandes il est quand même préférable d’aller vers le Pommard Clos des Épeneaux Monopole Domaine Comte Armand 2005 offert par un ami, vin qui est bien épanoui et de bonne mâche avec un beau velours.

Le Château d’Yquem 1961 est un bel Yquem par son gras et sa mâche joyeuse, mais je suis un peu gêné par le côté glycériné un peu insistant qui limite le plaisir. Il est grand, mais la trace me rebute au point de ne pas insister.

Dans cette profusion de vins apportés par les uns ou choisis sur la carte des vins du restaurant, il est assez difficile de faire les classements. Les deux Selosse très différents sont de grands champagnes avec une petite préférence pour le Bout du Clos. Les deux 1998 sont à un beau moment de leur vie où la jeunesse très vive n’a pas laissé la place aux signes de maturité. Les deux vins jaunes sont excellents et c’est le plus blessé à l’ouverture qui se montre le plus gastronomique. Ensuite, nous sommes partis dans plusieurs directions, le Krug Collection 1985 dominant, alors que Tomo avait peur qu’il ne soit pas brillant, peur injustifiée. Le Pommard a bien tenu sa place de seul rouge dans ce panel. On ne peut qu’être satisfait de ce joli programme.

Pour les plats, nous sommes allés d’enchantement en émerveillement. J’ai un faible pour la cuisine du chef Teshi et j’ai trouvé que globalement ses plats sont plus aboutis que certains autres plats comme par exemple l’association caviar, avocat et gras de bœuf wagyu qui manquait un peu de cohérence dans la mâche. Le chef Sato a fait des plats extrêmement brillants comme le tartare de thon associé aux ormeaux, le sushi de thon avec le congre. Les viandes furent superbes, le bœuf cuit sous croûte de sel est fondant, le pigeon est fondant lui aussi avec une belle personnalité et une présence folle. Il serait impossible de classer des plats si disparates. Je garde en souvenir le goût du premier sushi de thon, de la confiture de rhubarbe qui met en valeur le foie gras du cromesquis, l’œuf qui se marie à l’asperge, l’ormeau si goûteux avec le Château Chalon 1937, le congre bien gras, le pigeon et sa sauce, le bœuf de Kobe. Quel festival.

En fin de service on peut parler avec les chefs et avec les tables voisines qui ont vécu ce même moment de grâce.

Je ne renierai évidemment pas mon amour pour la cuisine française traditionnelle et inventive mais il y a dans la cuisine japonaise un supplément d’âme et supplément d’art qui m’enchantent. L’ambiance entre les chefs, les sourires mais aussi le sérieux au moment de servir ont fait de ce dîner à huit mains un très grand moment de plaisir gastronomique. Merci aux amis et surtout à Tomo pour leurs générosités.

Et dire que demain soir j’ai un dîner de wine-dinners ! Vite sous la couette.

les chefs à l’oeuvre

les plats

ce sont des petits pains qui vont lever (voir avec le pigeon)