Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Anniversaire en famille samedi, 7 octobre 2017

C’est l’anniversaire de ma fille cadette ou du moins les préliminaires de son anniversaire car nous le fêterons à nouveau quand mon fils venant de Miami sera présent. Ma femme a prévu des choses simples. A l’apéritif, une mimolette un peu âgée et une tarte aux oignons avec des tranches de fromage de chèvre qui donnent à la tarte, à la cuisson, l’image de la planète du petit Prince. Les tranches rondes sont comme des pustules évoquant les volcans de la planète de Saint-Exupéry. Il y aura ensuite deux poulets accompagnés d’une purée et de fausses frites, fines tranches de pommes de terre délicieuses et croquantes, puis des fromages.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1971 a un bouchon de belle qualité qui vient assez facilement. Le pschitt est faible mais le pétillant est là. La couleur est d’un orange à peine rosé. La bulle est presque absente. Le nez est pur d’un champagne vineux où l’alcool est contenu. En bouche, ce qui apparaît immédiatement est le confort et le plaisir. Ce champagne est précis, doux, velouté, évoquant des fruits oranges, comme la couleur du vin, tels la pêche et l’abricot. Tout en ce champagne est sympathique. Il est confortable, rassurant. Bien sûr il n’a pas la complexité des champagnes plus typés mais il a une cohérence et une fluidité qui en font un champagne de vrai plaisir. C’est un plaisir franc et direct que nous offre ce Moët. Il y a un peu de râpe, liée à l’alcool, mais c’est le fruit doux et doucereux qui est porteur de plaisir. Sa seule limite est une légère monotonie dans un message un peu trop constant. Ma fille l’a beaucoup aimé ce qui est le principal.

J’avais ouvert à 17 heures un Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1974 de l’année de ma fille, acheté en pensant à elle. Le vin a un niveau à moins d’un centimètre sous le bouchon. Le bouchon se craquèle à la remontée mais vient entier. Le nez à l’ouverture était divin, expression bourguignonne subtile, racée, toute en suggestion. Au moment où je verse le vin, le parfum a gagné en puissance mais a toujours cette subtilité énigmatique de la Bourgogne. Il y a des intonations qui ressemblent à celles des vins du domaine de la Romanée Conti, tant le récit bourguignon est authentique. Il manque un peu de volume à ce vin pour qu’il exprime du velours, mais on n’en est pas loin. C’est un vin qui me séduit car il a toutes les subtilités des années discrètes. 1974 montre une fois de plus que c’est une année qui, en Bourgogne, se révèle d’une immense subtilité. Je suis très heureux que ce vin qui n’est pas tonitruant mais pianote ses subtilités soit d’une si grande précision. Il y a une profondeur dans ce vin que je n’aurais jamais attendue à ce niveau. Sa longueur défie les annales pour ce millésime.

Le dîner se poursuit avec une reine de Saba qui porte les bougies de circonstance et par une mousse au chocolat traditionnelle pour les anniversaires. Le vin et le champagne ont correspondu à mes attentes.

les bougies se soufflent

Déjeuner à l’Automobile Club de France mercredi, 4 octobre 2017

A l’invitation d’un ancien président de l’Automobile Club de France, je me rends au siège de ce prestigieux club dont j’ai eu l’honneur d’être membre pendant des années. Nous allons bavarder de vins et plus encore de vins d’âges canoniques dont le millésime commence par 18. Le lieu est toujours aussi select. Nous déjeunons dans la salle à manger des membres. Le soleil est de la partie et les hautes fenêtres le laissent percer dans la salle à manger. Il faut s’en protéger pour ne pas être aveuglé tant ses rayons d’automne sont intenses.

Le menu du cercle propose des options pour l’entrée et le plat. Nous y trouvons notre bonheur, œuf poché et pommes de terre suivi de cochon en sauce et pomme de terre. C’est une cuisine simple et goûteuse. Et le service est très attentionné. Sur proposition d’un maître d’hôtel nous buvons un Monthélie « Sous Roches » domaine Louis Jadot 2012. Sa couleur a des reflets violacés de vin jeune. Le nez est de bon aloi. En bouche le vin est fluide mais il manque de largeur. Il est bien fait mais jeune et peu étoffé. Il passe toutefois très bien sur les deux plats. Les desserts du club sont toujours gourmands. Je prends une interprétation innovante et délicieuse de la tarte Tatin.

J’ai revu avec plaisir des membres du club que je connaissais. L’ambiance y est toujours amicale et accueillante.

Dinner at restaurant L’Ecu de France in Chennevières dimanche, 1 octobre 2017

The restaurant L’Ecu de France in Chennevières has hosted family events for more than sixty years. My father had set up as an otolaryngologist at Champigny-sur-Marne shortly after my birth, and the place was one of his favorites. Directly on the Marne, in Normandy style, with a collection of earthenware that has never moved a thumb, with a monumental fireplace and old woodwork, it makes decades that I know by heart every nook of this home. I can easily imagine that it was more than a century ago that it welcomed wise family festivals or celebrations of passing love. The crinolines and greenguards should rustle along the Marne.

The Brousse family that operates the site has woven together with renowned winegrowers faithful friendships and there are on the wine list treasures that many restaurateurs and amateurs would envy. So, with my wife, we are faithful of the place that has kept its soul of yesteryear.

The chef is Haitian, cheerful, with exuberant cooking. As I know him, I can ask him to curb his vibrating talent to seek consistency with wines. Also for the red wine I want to order, the pigeon will have to forget the foie gras that accompanies it and the butter with the passion fruit perfume. It is accepted. Similarly, for blue lobster from Brittany, I ask that it be presented on a plate and that the cream of pleurotes mushrooms be served separately, whereas it is normally provided « à la nage ». These adjustments are made in good humor.

The wine that I chose is a Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2002. The bottle is opened on my arrival and the butlers of the place know that I will handle the service myself. The bottle has a nice cellar dust, the level is just under the cork. The cork is healthy and perfect. The glasses are beautiful. I feel the scent. The wine is brilliant.

The scent of wine is a rare delicacy. It is sweet. In the mouth two things are printed in my mind, velvet and coherence. Then comes a Burgundian bitterness of rare elegance. What is fascinating about this burgundy is that it synthesizes what a Chambertin graceful and feminine must be, without at any moment forcing its talent. It is there, it presents itself, and everything is equilibrium. An expression I like to use would suit him: this wine is a courteous speech.

To wait we are brought a slice of foie gras surrounded by a thousand different flavors nicely coherent. The liver itself is of high quality.

The entry arrives and it is a lobster of fine size, pure, without any frills which is on a plate while in another there is the heavy cream of oyster mushrooms. I was listened to. The lobster is tasty and its cooking is perfect. It is hardly seized and does not suffer from excessive cooking. The agreement is possible with the flesh of the lobster but it is especially on the thick consommé that the wine finds its happiness. Over time, the velvet of Chambertin refined and dominated while the Burgundian astringency was like a refrain of wine.

The pigeon is superb, sober and tasty. It is with its bleeding chew that the Chambertin finds its most beautiful vibration. We have the aristocracy of Burgundy and all the more so since the year 2002 has the discreet rhythm that allows to enjoy the subtleties of wine. Very good little vegetables calm the palate to resume the superb combination of the flesh of the pigeon with the Clos de Bèze.

The bottle ends with a Brie filled with truffle that does not create any particular agreement but does not harm the wine.

When the Haitian chef comes to greet us we laughed, for his exuberant nature has put himself at the service of wine, which I will never thank him enough.

A place full of memories, a cuisine of fine products, attentive service and a wine that I adore for its correctness of tone, what to ask for better?

Diner au restaurant L’Ecu de France à Chennevières samedi, 30 septembre 2017

Le restaurant L’Ecu de France à Chennevières a accueilli des événements familiaux depuis plus de soixante ans. Mon père s’était installé comme médecin oto-rhino à Champigny-sur-Marne peu de temps après ma naissance, et le lieu faisait partie de ses favoris. Directement sur la Marne, de style normand, avec une collection de faïences qui n’a jamais bougé d’un pouce, avec une cheminée monumentale et des boiseries anciennes, cela fait des lustres que je connais par cœur chaque recoin de cette demeure. J’imagine volontiers qu’il y a plus d’un siècle elle accueillait de sages fêtes familiales ou des célébrations d’amours passagères. Les crinolines et vertugadins devraient froufrouter le long de la Marne.

La famille Brousse qui exploite le lieu a tissé avec des vignerons renommés des amitiés fidèles et l’on trouve sur la carte des pépites que beaucoup de restaurateurs et d’amateurs envieraient. Alors, avec ma femme, nous sommes des fidèles du lieu qui a gardé son âme d’antan.

Le chef est haïtien, joyeux, à la cuisine exubérante. Comme je le connais, je peux me permettre de lui demander de freiner son talent vibrionnant pour chercher une cohérence avec les vins. Aussi pour le vin rouge que j’ai envie de commander, le pigeon devra oublier le foie gras qui l’accompagne ainsi que le beurre au fruit de la passion. C’est accepté. De même, pour le homard bleu de Bretagne, je demande qu’on le présente sur une assiette et que le velouté de pleurotes soit servi séparément, alors qu’il est normalement prévu « à la nage ». Ces ajustements se font dans la bonne humeur.

Le vin que j’ai choisi est un Chambertin Clos de Bèze Domaine Armand Rousseau 2002. La bouteille est ouverte à mon arrivée et les maîtres d’hôtel du lieu savent que je gérerai moi-même le service du vin. La bouteille a une sympathique poussière de cave, le niveau est juste sous le bouchon. Le bouchon est sain et parfait. Les verres sont de belle taille. Je sens les effluves. Le vin est brillant.

Le parfum du vin est d’une rare délicatesse. Il est doux. En bouche deux choses s’imposent dans mon esprit, le velours et la cohérence. Vient ensuite une amertume bourguignonne d’une rare élégance. Ce qui est fascinant dans ce bourgogne c’est qu’il synthétise ce que doit être un chambertin gracile et féminin, sans à aucun moment forcer son talent. Il est là, il se présente, et tout est équilibre. Une expression que j’aime employer lui conviendrait : ce vin est un discours courtois.

Pour patienter on nous apporte une tranche de foie gras entourée de milles saveurs diverses gentiment cohérentes. Le foie lui-même est de haute qualité.

L’entrée arrive et c’est un homard de belle taille, pur, sans aucune fioriture qui est sur une assiette pendant que dans une autre il y a le lourd velouté de pleurotes. On m’a écouté. Le homard est goûteux et sa cuisson et parfaite. Il est à peine saisi et ne souffre pas d’une cuisson trop souvent excessive. L’accord est possible avec la chair du homard mais c’est surtout sur le velouté épais que le vin trouve son bonheur. Au fil du temps le velours du chambertin s’affine et se montre dominant pendant que l’astringence bourguignonne est comme un refrain du vin.

Le pigeon est superbe, sobre et goûteux. C’est avec sa mâche saignante que le chambertin trouve sa plus belle vibration. On a l’aristocratie de la Bourgogne et ce d’autant plus que l’année 2002 a le rythme discret qui permet de jouir des subtilités du vin. De très bons petits légumes calment le palais pour reprendre l’accord superbe de la chair du pigeon avec le Clos de Bèze.

La bouteille se finit avec un Brie fourré à la truffe qui ne crée aucun accord particulier mais ne nuit pas au vin.

Avec le chef haïtien venu nous saluer nous avons bien ri, car sa nature exubérante a su se mettre au service du vin ce dont je ne le remercierai jamais assez.

Un lieu chargé de milles souvenirs, une cuisine de beaux produits, un service attentionné et un vin que j’adore pour sa justesse de ton, que demander de mieux ?

(du fait de l’éclairage au restaurant les photos ne sont pas très belles)

 

Dinner at restaurant Taillevent with 61 Hermitage La Chapelle jeudi, 28 septembre 2017

The story of the dinner that will follow begins with a mail that offers me a mythical bottle, which is probably the greatest red wine I drank, Hermitage La Chapelle 1961. The price is such that normally I should not follow this offer. But on the other hand it seems unthinkable to let such a bottle pass without acquiring it. As for Les Gaudichots 1929 of the domaine de la Romanée Conti, I call my friend Tomo to ask him if he wants to share this madness. Tomo agrees. We each pay our half and it is Tomo who receives the bottle in his cellar.

An appointment is made to share this wine and as two « thieves » we will compete nicely to define our complementary supplements for dinner. Tomo announces a Krug Clos du Mesnil 1979 which is the first vintage of Clos du Mesnil by Krug, a splendid bottle. I announce my desire to open the Hermitage La Chapelle 1962 to compare it to 1961. We both know that we will not stop there. During the discussion Tomo tells me of his desire to open Hermitage La Chapelle in red and white for the 1959 vintage and he says: « If we were six, I could open these bottles. » Instantly I contact some friends by telling them that they could be of this dinner, without obligation of contribution. It is natural that the answers come very quickly and I inform Tomo who has changed his mind and prefers that we are alone. For friends, disappointment follows enthusiasm and the only person who will escape this go and return promise is my younger daughter.

So we are three for a dinner at the restaurant Taillevent. We will have a choice between six bottles, the two Hermitage La Chapelle 1961 and 1962, the Krug Clos du Mesnil 1979 to which Tomo added a 1979 Cristal Roederer, a Krug Grande Cuvée with the cream label I added and a Mumm Cordon Green Half-dry probably from the 40s that I also added. Tomo joined me in the restaurant at 5.30pm for the opening of the wines and we decided to remove the Cristal Roederer and the Mumm.

Both Hermitage La Chapelle have superb levels. The colors are extremely dissimilar, the 1962 is clear with shades of pink while the 1961 is black indicating a very rich wine. The corks show that the 1962 has its original cork while the 1961 was recorked at the domaine in 2010. The two perfumes are very dissimilar. The 1962 has a subtle Burgundy nose, with delicacy while the 1961 exhales notes of rich and powerful wine. For a long time I smell the wine to try to detect if at the time of recorking one could have completed the wine with younger additions. The absolute purity of perfume convinces me that this wine is of total integrity. At least that’s what I feel.

The opening session being very fast and my daughter having to join us at 7:30, the desire exists to deceive our loneliness by opening the Champagne Louis Roederer Cuvée Cristal 1979. The cork is very dirty and molds appeared around the cork on the top of the neck. I cleaned thoroughly and the cork broke allowing me to clean even better. The level in the bottle is low. The color of the champagne is beautiful, fairly clear. The nose is neutral. In the mouth, the wine is quite bitter, with an acidity that lacks a little balance. The observation is not brilliant. But over time the champagne improves and its bitter aspects are more coherent, the wine lengthens and its astringency becomes civilized to the point that I tell Tomo that I like his champagne. It has intonations of Vin Jaune but with a sparkling present and it reminds me of some characteristics of the champagne Selosse among which the Substance.

Then come gougeres that normally highlight the champagne but it is the reverse that occurs, the gougères highlighting the defects of this champagne more than its qualities. My daughter arrives and finds this Cristal rather nice. She loves its old champagne accents.

When the chef Alain Solivérès came to greet us, we quickly built the menu that Jean-Marie Ancher
came to order in particular for the size of the portions he recommended in halves rather than whole. There will be: caviar and cress / spelled risotto with frogs’ legs / lobster / grouse.

The Champagne Krug Clos du Mesnil 1979 is a divine apparition. While the Cristal cork had produced no pschitt, the bubble of the Krug is of great vivacity. It is incredibly fine. The complexity of the champagne is stunning. There are saline notes, floral evocations but especially what fascinates me are the notes of red fruits jammed like the heart of a macaroon with red fruit. The fact that Chardonnay can evoke red fruits, is something special. The length is infinite, the directions of taste are all azimuths, we enjoy the absolute elite champagne. In a vertical of the Clos du Mesnil I had considered that the 1979 was the greatest. This one is even better than the best.

It combines well with the appetizers based on langoustine, preferring that the caviar is alone rather than with the watercress, and it gains in gluttony with the spelled risotto and the legs of frog.

The Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 and the Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 are served at the same time and in identical glasses so that the comparisons do not depend on the container. The colors are opposite, clairet and black ink, and nose too. The 1962 is very Burgundian, of a rare complexity. Everything in him is delicate and Tomo says he is feminine. The 1961 is rich, very rhodanian, with accents of truffle and small points of chocolate. The 1961 has the advantage of power, very masculine, while the 1962 is a courteous speech.

What is amusing is that the two wines go with two dishes, lobster and grouse, without it being possible to say that certain dish or part of the dish goes better with one wine. They print their mark on strong and tasty dishes without any exclusion. The lobster highlights refined notes while the grouse presented as terrine highlights the gluttony of the two wines.

With the 1961 of that day, I could enjoy the grandeur of an exceptional wine, but I did not experience the ecstasy of the previous bottle that gave me a physical emotion. The wine is tall, immense, infinite in length, but the spark of genius has not appeared and I would not put it on account of the filling in the domain.

Conversely, the 1962 is far above the 1962 that I already tasted during one of my dinners. And we agreed, my daughter, Tomo and me to say that the 1962 deserves in fact to have, of a hair, our preference because of its infinite delicacies.

At a neighboring table, the diners ordered flamed pancakes à la Grand Marnier. The mood being to enjoyment, we also command. Jean-Marie Ancher later told us that as soon as a table makes a command, envy spread like wildfire from table to table. What are we going to open with these pancakes, the Krug Grande Cuvée or the half-dry Mumm? This will be the Krug Grande Cuvée cream label that indicates a champagne thirty years or more.

We are blessed by the gods. Because the Krug is transcendental, offering a complexity almost as large as that of Clos du Mesnil, with a little more gluttony. And the echo he finds with pancakes is to be damned. It is absolute lust. I found red fruit evocations, more discreet than with the 1979, but equally charming.

At this late stage of the meal, we all look at each other and we are astonished to have had four perfectly perfect wines. The 1979 Krug is at the peak of the possible complexity of champagne. The two hermitages are at the top of the quality of red wine with decidedly different accents. And the Krug Grande Cuvée is at the very top of the aristocracy of champagne with an unparalleled gluttony and length.

Sowed by so much perfection, we promised ourselves that we would soon set the stage for new adventures.

(pictures can be seen on the article in French)

dîner au restaurant Taillevent avec Hermitage La Chapelle 1961 mercredi, 27 septembre 2017

L’histoire du fabuleux dîner qui va suivre commence par un mail qui me propose une bouteille mythique, qui est probablement le plus grand vin rouge que j’ai bu, Hermitage La Chapelle 1961. Le prix est tel que normalement je ne devrais pas suivre cette offre. Mais d’un autre côté il me paraît impensable de laisser passer une telle bouteille sans l’acquérir. Comme pour Les Gaudichots 1929 du domaine de la Romanée Conti, j’appelle mon ami Tomo pour lui demander s’il a envie de partager cette folie. Tomo accepte. Nous payons chacun notre moitié et c’est Tomo qui reçoit la bouteille dans sa cave. Un rendez-vous est pris pour partager ce vin et comme deux larrons nous allons rivaliser gentiment pour définir nos apports complémentaires pour le dîner. Tomo annonce un Krug Clos du Mesnil 1979 qui est le premier millésime du Clos du Mesnil de Krug, bouteille splendide. J’annonce mon envie d’ouvrir l’Hermitage La Chapelle 1962 pour le comparer au 1961. Nous savons l’un et l’autre que nous ne nous arrêterons pas là. Pendant la discussion Tomo me fait part du désir qu’il aurait d’ouvrir Hermitage La Chapelle en rouge et en blanc pour le millésime 1959 et il me dit : « si nous étions six, je pourrais ouvrir ces bouteilles ». Instantanément je contacte quelques amis en leur disant qu’ils pourraient être de ce dîner, sans obligation d’apport. Les réponses viennent très vite et j’en informe Tomo qui se ravise et préfère que nous soyons seuls. Pour les amis, la déception fait suite à l’enthousiasme et la seule personne qui échappera à cet aller et retour de promesse est ma fille cadette.

Nous sommes donc trois à dîner au restaurant Taillevent. Nous aurons le choix entre six bouteilles, les deux Hermitage La Chapelle 1961 et 1962, le Krug Clos du Mesnil 1979 auquel Tomo a ajouté un Cristal Roederer 1979, un Krug Grande Cuvée à l’étiquette crème que j’ai ajouté et un Mumm Cordon Vert demi-sec probablement des années 40 que j’ai aussi ajouté. Tomo me rejoint au restaurant à 17h30 pour l’ouverture des vins et nous décidons d’écarter le Cristal Roederer et le Mumm.

Les deux Hermitage La Chapelle ont des niveaux superbes. Les couleurs sont extrêmement dissemblables, le 1962 est clairet avec des tons de rose tandis que le 1961 est noir indiquant un vin très riche. Les bouchons montrent que le 1962 a son bouchon d’origine alors que le 1961 a été rebouché au domaine en 2010. Les deux parfums sont très dissemblables. Le 1962 a un nez bourguignon subtil, tout en délicatesse alors que le 1961 exhale des notes de vin riche et puissant. Pendant longtemps je hume le vin pour essayer de détecter si au rebouchage on aurait pu compléter le vin avec des ajoutes plus jeunes. La pureté absolue du parfum me persuade que ce vin est d’une intégrité totale. C’est du moins ce que je ressens.

La séance d’ouverture étant très rapide et ma fille devant nous rejoindre à 19h30, l’envie existe de tromper notre solitude en ouvrant le Champagne Louis Roederer Cuvée Cristal 1979. Le bouchon est très sale et des moisissures sont apparues tout autour du bouchon sur le haut du col. Je nettoie consciencieusement et le bouchon se brise net ce qui me permet de nettoyer encore mieux. Le niveau dans la bouteille est bas. La couleur du champagne est belle, assez claire. Le nez est neutre. En bouche, le vin est assez amer, avec une acidité qui manque un peu d’équilibre. Le constat n’est pas brillant. Mais au fil du temps le champagne s’améliore et ses amers sont plus cohérents, le vin s’allonge et son astringence se civilise au point que je dis à Tomo que le champagne me plait. Il a des intonations de vin jaune mais avec un pétillant présent et il me rappelle certaines caractéristiques des champagnes Selosse notamment le Substance.

Arrivent alors des gougères qui normalement mettent en valeur les champagnes mais c’est l’inverse qui se produit, les gougères mettant en lumière les défauts de ce champagne plus que ses qualités. Ma fille arrive et trouve ce Cristal plutôt sympathique. Elle aime ses accents de champagne ancien.

Lorsque le chef Alain Solivérès est venu nous saluer, nous avons rapidement bâti le menu que Jean-Marie Ancher est venu mettre en ordre notamment pour la taille des portions qu’il a recommandées en moitiés plutôt qu’entières. Il y aura : caviar et cresson / risotto d’épeautre aux cuisses de grenouilles / homard / grouse.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1979 est une apparition divine. Alors que le bouchon du Cristal n’avait produit aucun pschitt, la bulle du Krug est d’une grande vivacité. Elle est incroyablement fine. La complexité du champagne est renversante. Il y a des notes salines, des évocations florales mais surtout ce qui me fascine ce sont les notes de fruits rouges confiturées comme le cœur d’un macaron au fruit. Que du chardonnay puisse évoquer des fruits rouges, c’est particulier. La longueur est infinie, les directions gustatives sont tous azimuts, nous jouissons de l’élite absolue du champagne. Dans une verticale du Clos du Mesnil j’avais considéré que le 1979 était le plus grand. Celui-ci est encore meilleur que le meilleur.

Il se marie bien avec l’amuse-bouche à base de langoustine, il préfère que le caviar soit seul plutôt qu’avec le cresson, et il gagne en gourmandise avec l’épeautre et les cuisses de grenouille.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 et l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 sont servis en même temps et dans des verres identiques pour que les comparaisons ne dépendent pas du contenant. Les couleurs sont opposées, clairet et noir d’encre, et les nez aussi. Le 1962 est très bourguignon, d’une rare complexité. Tout en lui est délicat et Tomo dit qu’il est féminin. Le 1961 est riche, très rhodanien, avec des accents de truffe et des petites pointes de chocolat. Le 1961 a l’avantage de la puissance, très masculin, alors que le 1962 est d’un discours courtois.

Ce qui est amusant à constater c’est que les deux vins vont avec les deux plats, le homard et la grouse, sans que l’on puisse dire que tel plat ou telle partie du plat va mieux avec tel vin. Ils impriment leur marque aux plats forts et goûteux sans qu’aucune exclusion n’apparaisse. Le homard met en valeur des notes raffinées alors que la grouse présentée comme en terrine fait ressortir la gourmandise des deux vins.

Les lecteurs qui seraient intéressés à lire le compte-rendu de l’extase que j’ai connue avec un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1961 pourront se reporter au bulletin 480 qu’ils trouveront sur mon blog dans la catégorie « bulletins » où figurent tous les bulletins. Avec le 1961 de ce jour, j’ai pu profiter de la grandeur d’un vin exceptionnel, mais je n’ai pas connu l’extase de la précédente bouteille. Le vin est grand, immense, à la longueur infinie, mais l’étincelle de génie n’est pas apparue et je ne mettrais pas cela sur le compte du rebouchage au domaine.

A l’inverse, le 1962 s’est montré très au-dessus du 1962 que j’ai déjà goûté lors d’un de mes dîners. Et nous sommes tombés d’accord, ma fille, Tomo est moi pour dire que le 1962 mérite en fait d’avoir, d’un cheveu, notre préférence du fait de ses délicatesses infinies.

A une table voisine, on a commandé des crêpes flambées au Grand Marnier. L’humeur étant à la jouissance, nous en commandons aussi. Jean-Marie Ancher nous dira plus tard que dès qu’une table en commande, l’envie se propage comme un traînée de poudre de table en table. Qu’allons-nous ouvrir avec ces crêpes, le Krug Grande Cuvée ou le Mumm demi-sec ? Ce sera le Krug Grande Cuvée étiquette crème qui indique un champagne de trente ans ou plus.

Nous sommes bénis des dieux. Car Le Krug est transcendantal, offrant une complexité presque aussi grande que celle du Clos du Mesnil, avec un peu plus de gourmandise. Et l’écho qu’il trouve avec les crêpes est à se damner. C’est de la luxure absolue. J’ai retrouvé des évocations de fruits rouges, plus discrètes qu’avec le 1979, mais tout aussi charmantes.

A ce stade bien avancé du repas, nous nous regardons tous les trois et nous sommes sidérés d’avoir eu quatre vins absolument parfaits. Le Krug 1979 est au sommet de la complexité possible du champagne. Les deux hermitages sont au sommet de la qualité du vin rouge avec des accents résolument différents. Et le Krug Grande Cuvée est tout en haut de l’aristocratie du champagne avec une gourmandise et une longueur inégalables.

Sonnés par tant de perfection nous nous sommes promis de remettre bientôt le couvert pour de nouvelles aventures.

Seule la bouteille de Mumm à droite ne sera pas bue

couleur des vins rouges; à gauche le 1962

la couleur du Krug Grande Cuvée

avec ma fille, photo prise par Tomo

Dîner au One-O-One restaurant à Londres samedi, 23 septembre 2017

Une de mes anciennes collaboratrices se marie à Londres. C’est l’occasion de se rendre en cette ville que j’aime. L’Eurostar est ponctuel et nous « offre » un repas de bonne tenue. Londres se montre sous son plus beau jour, il fait beau et la ville respire la joie de vivre qu’on aimerait voir à Paris. Les rues sont propres, dans Hyde Park il y a des plantes que tout le monde respecte. Respect pourrait être un nom qui caractérise Londres, quand irrespect pourrait caractériser Paris. Notre hôtel est dans un quartier où la présence musulmane est importante et cela fait tout drôle de croiser des femmes dont on ne voit que les yeux dans l’entaille d’un tissu noir. Une fois enregistrés à l’hôtel Park Tower Knightsbridge nous allons, ma femme et moi, nous promener dans Hyde Park. Jamais je n’aurais imaginé qu’il y ait une telle proportion largement majoritaire de familles musulmanes dont les femmes sont toutes voilées. Le contraste avec Paris est saisissant.

Nous décidons d’aller dîner au restaurant de l’hôtel, le One-O-One restaurant, spécialisé dans les poissons, dont le chef est Pascal Proyart. D’emblée l’ambiance est plaisante et notre maître d’hôtel d’origine hongroise nous a suivis tout au long du repas avec une attention qui est remarquable.

Nous avons commencé par des huîtres de Jersey, intenses, iodées et profondes accompagnées d’un Champagne Besserat de Bellefon Cuvée des Moines Blanc de Blancs sans année dégorgé en septembre 2013. Les huîtres rendraient ingambes même un champagne estropié et avec ce champagne de bonne vibration, c’est un régal absolu. Mon plat est un flétan blanc avec un ormeau, des épinards de mer, sunshokes et noisettes. La sauce réduite aide beaucoup l’équilibre du plat et le champagne de belle acidité et de bel équilibre se montre à la hauteur du plat. On n’est pas dans les complexités les plus grandes, mais la bonne tenue de ce chardonnay me plait beaucoup. Ce repas, sans être transcendantal, est de bon aloi notamment par la grâce d’un excellent service.

La gare de St Pancras

Londres

Déjeuner de l’académie des gastronomes au restaurant Laurent jeudi, 21 septembre 2017

Avant les vacances, ayant un déjeuner au restaurant Laurent, je vois un groupe de personnes, plus d’une quarantaine sans doute, qui prennent l’apéritif dans le salon d’entrée. J’en connais plus d’un. On me présente, je serre des mains et j’apprends qu’il s’agit de l’académie des gastronomes, fondée dans les années 30 par Curnonsky. J’ai revu par la suite l’un des membres qui m’invite aujourd’hui à l’un des déjeuners de cette académie.

Nous prenons l’apéritif dans le jardin du restaurant avec un Champagne Pol Roger Brut sans année que je trouve fort agréable. C’est un champagne de soif, c’est-à-dire que le verre se vide vite, avec un goût de « revenez-y ».

Le menu composé par le président et un « brigadier » qui change à chaque réunion et mis au point avec le chef Alain Pégouret est : tomate farcie aux escargots / agneau Champvallon / Rocamadour / tarte aux mirabelles / mignardises et chocolats.

La tomate est absolument délicieuse, mettant en valeur les escargots. Le vin est un Vin blanc du Languedoc « Lune Blanche » le Conte des Floris 2014 (et il n’y a pas de faute d’orthographe à Conte). Le vin est fait à dominante de carignan blanc, un cépage peu fréquent. Son attaque est franche et il emplit bien la bouche. Sa rondeur me plait beaucoup et je suis très favorablement surpris de sa trace bien assurée.

L’agneau est accompagné d’un Pommard Villages Domaine Charles François et Fils 2009. Si l’attaque est vive, elle est très passe-partout et ce qui me gêne, c’est la longueur très courte de ce vin qui ne dégage pas assez d’émotion. Preuve en est que sur l’agneau un peu sec le vin blanc est beaucoup plus à son aise, notamment du fait de la présence d’oignons.

On aura la même préférence avec les deux cabécous, l’un moelleux plus agréable et bien suivi par le Languedoc.

La tarte aux mirabelles est délicieuse et goûteuse. Elle est servie avec une eau de vie de mirabelle qui n’est pas le meilleur accord. Un champagne eut été délicieux. L’ami qui m’avait invité me demande de commenter les vins devant cette docte assemblée. Je précise d’emblée que je ne suis pas le mieux placé pour parler de vins si jeunes et je livre sans la farder mon opinion sur les deux vins. On ne peut évidemment pas faire l’unanimité mais de ce que j’ai compris, ma franchise a été appréciée.

Le plus important est que cette académie est composée d’esthètes et de gastronomes passionnants avec lesquels j’ai passé un fort agréable moment, prolongé dans le jardin par deux champagnes, un Champagne Alfred Gratien sans année un peu strict, au message peu convaincant et un Champagne Mumm Blanc de Blancs sans année absolument délicat et charmant, d’un équilibre émotionnel entrainant.

Longue vie à ce sympathique groupe d’amis.

A spectacular Moët 1928 in restaurant Pages mercredi, 20 septembre 2017

I had bought a Moët which, I supposed, was from the years in ten. It was very logic to imagine that this champagne could have hundred years. Le color through the dirty glass looked nice. The level in the bottle was very low. As the bottle was dirty with a cork putting stains on my fingers, I paid a very low price.
As it was urgent to drink it I proposed my Japanese friend Tomo to share it with him. I added a Pol Roger rosé 1964 one of the first years of rosé of this maison de champagne and I added a completely unknown bottle with no label, no capsule on the cork. The glass of the bottle could have more than 80 years, with the typical form of DRC bottles or of some old champagne bottles.

Tomo proposed to bring a 1947 Mission Haut-Brion with a very nice level base of neck, and we took a table in restaurant Pages.

At my request Tomo arrives very early at restaurant Pages to open his wine and he sends me by SMS a picture of the cork that looks very healthy. My wines are delivered by taxi around 11 am to cool off in the restaurant as I have an appointment before lunch.

I arrive a little before noon and we discuss the program. The first urgency is to open the Moet. Tomo shows me a piece of tag that I did not see that indicates the year. We are going to drink a Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1928. I open the wine, with a very healthy cork that does not free any pschitt. The color is much clearer than what I expected. The perfume is discreet but noble and in the mouth it is absolute happiness. The sparkling wine is present and the champagne is both tense and very sweet. It is highly gourmet. It’s crazy like an uncommon bottle can make a wine of such quality. I then open the unknown bottle. On the cork, there are three big numbers that make 967. There is no « 1 » in front. It cannot therefore be a vintage number since the wine is very old, much darker pink than the champagne. Is it a wine? Indeed, when you taste there is a discrete attack of wine followed by a final camphor, pharmaceutical. What is it, I do not know and Thibault, the sommelier of the restaurant, thinks it is not a wine. Tomo thinks of a Coteaux Champenois, and I think of a ratafia. Raphael Bereche, winegrower of Champagne, happens to have lunch at a nearby table. At the end of the meal we make him taste this wine. Like me he thinks about ratafia. I gave him the bottle to do an analysis of both the container and the contents.

While we drink the grandissime Moet 1928, we develop with chef Teshi the menu. There will be caviar, half Sologne, half Chinese, then a carpaccio of beef Wagyu. We then have a risotto with ceps and then a Galician beef.

The two caviars are very different. Chinese, more fat, more opulent, is very caviar, but the Solognot is more sensitive, finer, more lively. The Moet 1928 is of an extreme grace, thick on Chinese and more salty on the Sologne. When the carpaccio is served, I want to taste the Champagne Pol Roger rosé 1964. Its color is more amber than pink. At first contact there is a small vagueness that disappears as soon as the champagne is confronted with the delicious fatty meat. The combination is superb, that I wanted color on color, but the Moët is definitely superior.

Chef Teshi serves us a cromesquis of foie gras for champagne but my intuition is that it calls the Chateau Mission Haut-Brion 1947 with a color very black, the nose of truffle and charcoal and that in the mouth is a concentrate of truffle . The combination is relevant. The wine is a bit too truffle and the notes of chocolate and coffee indicate a wine that has aged a little. But it has resources. With the very reduced sauce that accompanies the meat of Galicia, the wine takes a flight that one would not imagine. It is beautiful, warm, and its too pronounced accents of truffle disappear. It becomes coherent, lively and balanced. The potatoes that accompany the meat are so good that they question the memories of the potatoes of my grandmothers which were for me the standard of weights and measures.

So let’s summarize the performance of the wines. The Moët 1928, noble, powerful, impregnating, lively but also gentle is of absolute comfort. It has no fault. The Pol Roger rosé 1964 is brilliant, having erased all small uncertainties of the opening and shows itself at ease with all flavors. The unknown wine remains an enigma, wine, or alcohol or indefinite beverage, which has had fifteen minutes of esteem especially on potatoes. Finally the Mission Haut-Brion 1947 was a little tired, but very present on the beautiful meat, beautiful testimony missing however the small spark that would have made a great wine.

The Pages service is always attentive and full of attentions. Teshi’s cuisine is solid and geared towards wine. The meat of Galicia was a bit too cooked, but the Mission Haut-Brion asked only that.

Raphael Béréche will tell us what unknown wine is.

This comeback with Tomo, after long holidays, was illuminated by a spectacularly good Moet 1928.

Déjeuner au restaurant Pages mardi, 19 septembre 2017

Mon ami Tomo suggère que nous déjeunions ensemble. Nous choisissons un restaurant où nous pouvons apporter nos vins. C’est chaque fois l’occasion d’innover. Tout d’abord, j’ai envie d’apporter un champagne Pol Roger rosé 1964 que je viens d’acheter et qui m’intrigue car je n’ai jamais goûté de Pol Roger rosés aussi vieux. Ensuite, je vois dans mon fichier de cave une bouteille de Moët très vieux qui doit être des années 10 (du 20ème siècle bien sûr) et qu’il faut boire car elle est assez abîmée. Enfin, en me promenant dans ma cave, je vois une bouteilles qui n’a pas la moindre indication, pas d’étiquette, pas de capsule, un bouchon dont le haut commence à champignonner, une bouteille qui doit avoir plus de 80 ans, qui est soit de Bourgogne, soit de Champagne. Le niveau est beau, la couleur indique un vin blanc sympathique. Voilà pour mes apports. De son côté Tomo m’annonce un Mission Haut-Brion 1947 dont le niveau est quasi dans le goulot. Le décor est planté.

A ma demande Tomo arrive très tôt au restaurant Pages pour ouvrir son vin et il m’envoie par SMS une photo du bouchon qui paraît très sain. Mes vins sont livrés par taxi vers 11 heures pour se rafraîchir dans le restaurant car j’ai un rendez-vous avant le déjeuner.

J’arrive un peu avant midi et nous faisons le point. La première urgence est d’ouvrir le Moët. C’est Tomo qui me montre un bout d’étiquette que je n’avais pas vu qui indique l’année. Nous allons boire un Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1928. J’ouvre le vin, avec un bouchon bien sain qui ne délivre aucun pschitt. La couleur est beaucoup plus claire que ce que j’attendais. Le parfum est discret mais noble et en bouche c’est un bonheur absolu. Le pétillant est présent et le champagne est à la fois tendu et très doux. Il est hautement gastronomique. C’est fou comme une bouteille peu engageante peut faire surgir un vin d’une telle qualité. J’ouvre ensuite la bouteille inconnue. Sur le bouchon, il y a trois gros chiffres qui font 967. Il n’y a aucun « 1 » devant. Il ne peut donc s’agir d’un millésime d’autant que le vin est très vieux, beaucoup plus rose foncé que le champagne. S’agit-il d’un vin ? En effet, quand on goûte il y a une attaque discrète de vin suivie d’un finale camphré, pharmaceutique. De quoi s’agit-il, je ne le sais et Thibault, le sommelier du restaurant, pense que ce n’est pas un vin. Tomo pense à un Coteaux Champenois, et je pense à un ratafia. Il se trouve que Raphaël Béréche, vigneron de Champagne, déjeune à une table voisine. A la fin du repas nous lui faisons goûter ce vin. Comme moi il pense au ratafia. Je lui ai confié la bouteille pour qu’il fasse une analyse à la fois du contenant et du contenu.

Pendant que nous buvons le Moët 1928 grandiose, nous mettons au point avec le chef Teshi le menu. Il y aura du caviar, moitié Sologne, moitié chinois, puis un carpaccio de bœuf Wagyu. Nous aurons ensuite un risotto aux cèpes puis un bœuf de Galice.

Les deux caviars sont très différents. Le chinois, plus gras, plus opulent, fait très « caviar », mais le Solognot est plus sensible, plus fin, plus vif. Le Moët 1928 est d’une grâce extrême, épais sur le chinois et plus salé sur le Sologne. Lorsque le carpaccio est servi, j’ai envie que l’on goûte le Champagne Pol Roger rosé 1964. Sa couleur est plus ambrée que rose. Au premier contact il y a une petite imprécision qui disparaît dès que le champagne est confronté à la délicieuse viande bien grasse. L’accord est superbe, que je voulais couleur sur couleur, mais le Moët est définitivement supérieur.

Le chef Teshi nous fait servir un cromesquis de foie gras pour le champagne mais mon intuition est qu’il appelle le Château Mission Haut-Brion 1947 à la couleur noire, au nez de truffe et de charbon et qui en bouche est un concentré de truffe. L’accord est pertinent. Le vin est un peu trop truffé et les notes de chocolat et de café indiquent un vin qui a un peu vieilli. Mais il a des ressources. Avec la sauce très réduite qui accompagne la viande de Galice, le vin prend un envol qu’on n’imaginerait pas. Il est beau, chaud, et ses accents trop prononcés de truffe disparaissent. Il devient cohérent, vif et équilibré. Les pommes de terre qui accompagnent la viande sont tellement bonnes qu’elle remettent en question les souvenirs des pommes de terre de mes grands-mères qui étaient pour moi l’étalon des poids et mesures.

Alors, faisons le point des vins. Le Moët 1928, noble, puissant, imprégnant, vif mais aussi doux est d’un confort absolu. Il n’a pas le moindre défaut. Le Pol Roger rosé 1964 est brillant, ayant gommé toutes les petites incertitudes à l’ouverture et se montre à l’aise avec toutes les saveurs. Le vin inconnu reste une énigme, vin, ou alcool ou breuvage indéfini, qui a eu ses quinze minutes d’estime notamment sur les pommes de terre. Enfin le Mission Haut-Brion 1947 s’est montré un peu fatigué, mais très présent sur la belle viande, beau témoignage manquant cependant de la petite étincelle qui en aurait fait un grand vin.

Le service de Pages est toujours aussi attentif et attentionné. La cuisine de Teshi est solide et tournée vers le vin. La viande de Galice était un peu trop cuite, mais le Mission Haut-Brion ne demandait que cela.

Raphaël Béréche nous dira ce qu’est le vin inconnu. Cette rentrée avec Tomo a été illuminée par un Moët 1928 spectaculairement bon.

l’année visible

le bouchon du Moët avec celui du vin inconnu

le vin inconnu