Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner d’été avec de bien beaux champagnes jeudi, 1 septembre 2005

Des amis ayant la riche idée d’ouvrir un Salon 1995 au talent naissant, je réciproquai quelques semaines plus tard en ouvrant un Salon 1985. Quel champagne ! Immédiatement, c’est le pamplemousse rose qui entre en scène au milieu de fleurs blanches. Ce champagne, d’abord floral, virginal et fruité de fruits délicats se structure ensuite en bouche. Les fruits plus lourds comme la mangue apparaissent. Le vineux fumé se montre et le kaléidoscope de saveurs intenses ravit mon palais déjà conquis. Nous nous rendons ensuite sur une belle plage où du sable blanc et fin rajouté au sable usuellement rugueux donne des idées tahitiennes. Là, dans un petit restaurant à l’ambiance jeune et mode, une jeune serveuse à la langue piercée, dont la jupe ne contribuera pas à alourdir le déficit du textile importé, nous sert de beaux poissons. J’ai pris un chapon. Le Dom Pérignon 1996, à la première gorgée, parait léger après le Salon, mais le palais s’adapte, et ce champagne dont j’ai vanté les abondants mérites s’installe, se met en place. C’est plus champagne, avec du charme mais moins de complexité. Le Cristal Roederer 1999 est encore trop bambin pour qu’il puisse se comparer. Fluide et délicat, il lui faudra vieillir.

nouveau dîner à l’Escundudo de Bormes les Mimosas lundi, 29 août 2005

Nous fîmes deux expériences en un restaurant fort sympathique, agréablement doté d’une étoile, l’Escoundudo à Bormes-les-Mimosas. Un jeune chef enthousiaste qui veut bien faire, Matthias Dandine, au talent incontestable, mais qui veut trop prouver. Alors, on complique sans que ce soit nécessaire et bien sûr, les plats que l’on apprécie le plus sont les plus simples, les poissons notamment, qu’il traite avec délicatesse. Par un temps très lourd, un Corton Charlemagne Louis Jadot 1999 est trop fort. Le Corton Charlemagne n’est pas à sortir en cette saison. Alors qu’un Clos Saint-Denis Grand Cru 2001 domaine Dujac brilla d’une élégance remarquable. Table à suivre, à essayer encore, car ces jeunes motivés, les deux frères épaulés par leurs parents, vont encore progresser. Une belle table dans une bien jolie ville. J’ai beaucoup aimé la deuxième fois le Laurent Perrier Grand Siècle 1995 au message bien franc. Un Château Baillon « Oppidum » 1989 m’a époustouflé, car ce Côtes de Provence était ce soir là en habit de lumière, mieux qu’un Pibarnon 1990 qui sentait déjà la mise à la retraite anticipée.

je reçois, dans ma maison du Sud, un des plus grands critiques gastronomiques mardi, 9 août 2005

J’avais conversé par e-mail ou au téléphone avec un grand critique gastronomique, écrivain de surcroît, qui officie sur de vastes et nombreux médias. L’idée d’une rencontre était apparue naturelle. J’ouvre le portail de ma maison du Sud pour accueillir un personnage au visage inconnu. La sensation est étrange et fait place instantanément à l’envie de se connaître. Ses bagages sont rangés dans sa chambre, nous arpentons le jardin face à la mer, et naturellement, assis autour d’une table surplombant la mer et donnant l’impression d’être en bateau, nous devisons sur l’état de la gastronomie française, ses chefs, ses habitudes, ses manies, ses tics de mode, ses voies à ignorer ou à éliminer. Nous nous rassurons par des analyses le plus souvent communes et nous nous expliquons quand nos avis s’opposent. Aucune volonté de briller, de montrer que l’on sait, mais plutôt la joie de deux philatélistes qui se montrent le timbre de la pêche au marlin à l’île Maurice ou le timbre d’un milliard de marks quand cette monnaie ne valait rien.
La préparation d’un dîner en l’honneur d’un homme de plume prompt à crucifier le moindre défaut a quelque chose d’excitant. Le menu sera le suivant : terrine de courgettes, poulet aux tomates confites, fromages du Var, salade de pêche, crème fraîche et confiture de pêche. Des choses simples, aux goûts précis, sans chercher à compliquer, ce qui exposerait à la critique. Pour les vins, j’avais prévu de commencer par un Saint-Véran Bichot 1989, pour mettre en valeur une appellation trop souvent ignorée, mais dans ma précipitation j’ai pris une bouteille aux couleurs identiques qui me força à changer les ordres de service.
A l’apéritif, j’ai prévu de délicieuses petites sardines qui appellent un vin rouge, car ce qui me paraissait possible au Saint-Véran ne me le parait pas au Chablis. C’est donc le Domaine de Barbeiranne Cuvée Charlotte 1999 Côtes de Provence. Vin délicieux qui part avec bonheur caresser la sardine. La chair goûteuse apprivoise ce vin délicieux. Ma pioche d’olives était à éviter pour le vin.
Sur la terrine, le vin que j’ai pris par erreur est un Chablis Premier Cru les Vaucoupins Bichot (Long Dépaquit) 1988. La couleur s’est déjà ambrée. Le vin accuse un peu son âge, même si la prestation gustative est honorable. Je savais que mon hôte aime les vins blancs très frais. Le froid anesthésia le Chablis, fort justifié sur l’aubergine.
De dodus et copieux poulets accueillirent des bouteilles qu’on ne trouve que rarement, tant la région n’a pas la patience de les conserver, ce qui est un tort. Le Terrebrune rouge Bandol 1987 est beau, noble, racé comme un fier espagnol qui vous foudroie du regard. Ce vin vous nargue de sa rudesse. Il est d’un beau plaisir. Le Rimauresq rouge 1983 Côtes de Provence monte encore d’un cran. Complexe, multiforme, chatoyant comme un beau Rhône, il chatouille les papilles avec un charme consommé. C’est manifestement un vin de grande classe.
La salade de pêche trouve sur sa route un Pommery 1987 magnifique d’énigme, de distinction et d’une personnalité folle. C’est le visage d’un Klaus Kinski avec la voix d’un Sinatra. Il joue sur plusieurs registres, voulant ne pas être catalogué. Tout le monde se moque de moi pace que j’aime les cigarettes russes, quand ces pédants (ma femme et ce nouvel ami) croient plus distingué de s’extasier sur des gavottes. Le champagne est délicieusement adapté aux deux desserts. Lorsque, tard dans la nuit, je fermai les lumières d’un repas amical, j’étais assez fier que nous ayons pu montrer, ma femme et moi, une parcelle de notre personnalité dans les choix que nous avions faits. Je classai d’instinct les vins dans l’ordre suivant : Pommery 1987, Rimauresq 1983, Barbeiranne 1999, Terrebrune 1987 et Chablis 1988. Les discussions reprirent au petit déjeuner comme si nous nous connaissions depuis vingt ans, avec, au seuil de se séparer, l’envie que tout ceci ait rapidement une suite.

La Bouillabaisse, petit restaurant de port mercredi, 20 juillet 2005

Au port de la Madrague de la presqu’île de Giens, il existe un petit bar restaurant qui n’a pas encore été touché par le tourisme. Les pêcheurs et pochtrons autochtones viennent siroter de répétitifs pastis. On y lit le journal et l’on y mange les poissons rapportés par des pointus locaux. Demandant à voir le plateau des poissons, je repère deux belles langoustes. Une anchoïade est le rituel démarrage qui nous installe dans l’atmosphère du bonheur estival. Rien ne vaut le chou-fleur cru que l’on trempe dans une sauce abondante et épaisse.
Le rosé de l’Aumérade 2003 a un joli nom, ce qui n’est déjà pas si mal. Rien n’inspire vraiment dans ce liquide qui a le même effet sur la soif que l’éponge sur un marathonien : c’est efficace, mais on ne va pas demander en plus que ça ait du goût. Le rouge de l’Aumérade 2003 joue dans la même ligue. La langouste au corail de plomb est tellement goûteuse qu’on ne se soucie pas de ces vins qui méritent bien évidemment d’exister, car je n’ai fondamentalement rien à leur reprocher. On est loin de la qualité de la cuisine du deux étoiles récent. Mais le plaisir est très grand car l’authenticité de cette table de pêcheurs est une récompense.

dîner chez Jacques Maximin à Vence vendredi, 1 juillet 2005

J’ai réservé à la « table d’amis » de Jacques Maximin, dont le nom est une profession de foi : on veut faire plaisir, sans chichi. J’étais seul puisque mon épouse était retenue à Paris. Quand on est seul, on observe plus, et l’on passe sur moins de choses. Les remarques que je vais faire doivent être prises dans le contexte de mes bulletins. Je ne suis ni un guide, ni un juge. Ce qui est dit n’a pas prétention à être définitif.
J’entre dans un jardin où des tables sous des parasols donnent une agréable sensation d’été. Accueil par Madame Maximin souriante. Je demande la carte des vins car quand je suis seul, je mets généralement ma carte bleue en dangereux surrégime. Et là, le vide. Cette carte des vins, qui n’est pas sans intérêt, est chiche, sans domaine qui attire l’œil. Cette maison familiale ne voulant pas surinvestir dans la cave a décidé que l’on aurait une offre limitée. Ce fut une grande frustration. Ne trouvant pas d’objet de folie, je jette mon dévolu sur une bouteille que je n’aurais normalement pas commandée compte tenu d’un coefficient élevé. Je prends Mouton-Rothschild 1988. Non pas que ce vin soit sans intérêt, mais je n’ai pas l’habitude des bouteilles à cinq ou six fois mon prix de remplacement. On m’apporte la bouteille pour me la montrer et on va l’ouvrir à l’intérieur, loin de ma vue. Connaissant les prélèvements à la source qui sont parfois opérés par les sommeliers dans des restaurants, ce qui ne me plait pas, je me précipite pour vérifier ce qui se fait (vous imaginez la scène). Heureusement, Olivier Maximin, le fils du chef, souriant, sympathique, dynamique et diablement efficace n’a pas taxé ma bouteille. Je fais mon menu avec Madame Maximin, et me voilà embarqué dans un voyage puisque c’est la première fois que je viens, Christophe Colomb d’un soir lançant ses voiles folles.
Une petite soupe d’estragon à l’huile d’olive et crème au piment d’Espelette est absolument délicieuse. Elle me pose à nouveau la question : on doit repérer assez facilement les clients qui prennent des bouteilles de budgets respectables. On devrait toujours avoir sous le coude un amuse-bouche qui respecte le vin. Là c’est évidemment inadapté. Mais comme je suis têtu, j’ai attendu que ma bouche s’apaise et la mémoire de l’herbe et celle du piment sur la langue vont multiplier le charme du Mouton dont je parlerai dans un instant. C’est la rémanence du goût de cette petite entrée qui embellit le Mouton.
Le homard avec des truffes d’été est absolument goûteux et délicieux. Tout cela est de la bonne cuisine. Le Mouton est particulièrement à l’aise avec la truffe, et compagnonne bien avec le homard. Le plat absolument fabuleux, c’est la selle d’agneau. Pour réussir cette chair et surtout cette sauce, il faut du talent. Et il y en a à profusion. Bien évidemment le Mouton se sent bien. Il parade. Ce plat goûteux m’a ravi.
Je demande du fromage et une assiette toute prête arrive. Olivier m’explique que c’est composé avec les arrivages que son père a choisis. Je dis alors à Olivier quelque chose qui ressemble à ceci, en plus diplomatique bien sûr : « le menu que j’ai pris vaut deux fois le menu classique vins compris. La bouteille que j’ai prise vaut douze fois le menu. C’est donc comme si nous étions quatorze à table. Me donner du fromage sans avoir réfléchi à trouver ceux qui vont avec mon vin ne me parait pas convenable ». Je ne pense pas que cette assiette proposée sans penser au vin soit du niveau d’un deux étoiles. Je reconnais volontiers qu’en d’autres circonstances je n’aurais même pas réagi sur ce point. La solitude à table rend tatillon. Et la frustration de payer cher une bouteille par manque d’autres choix m’avait conditionné.
Pendant ce temps on entendait en cuisine Jacques Maximin pousser de graves coups de gueule contre son personnel. La carte des vins et cette assiette de fromage m’ont indisposé. Le talent du cuisinier n’est pas en cause car c’est un grand, et la sauce de sa selle d’agneau est une merveille. Mais je fus déçu. J’étais venu pour un deux étoiles. Je ne l’ai pas eu. La cuisine, oui, mais pas ce qui va autour. Rentrant en taxi à l’hôtel je fus accueilli par le directeur de la restauration. Nous parlâmes de mes constatations et il m’offrit un Bas Armagnac château Briat 1982 excellent, pour exprimer toute l’estime qu’il porte à Jacques Maximin qu’il ne considère pas comme un concurrent mais comme un grand. Beau geste d’une sympathique solidarité.
Et le Mouton dans tout cela. Il m’a fait sourire, car c’est le vin qui a tout, soit pour qu’on le dénigre, soit pour qu’on l’encense. Ce vin n’est pas complet. Si on veut le critiquer, on signalera ses absences. Si on veut l’encenser – et le budget que j’ai mis voulait que je l’adore – on a tout pour l’aimer. Il me suffit de dire que j’ai eu quelques fulgurances de grand vin. Mais honnêtement, il lui manque du génie.
Le lendemain matin, réveil, plongée matinale dans la piscine dont je suis le premier occupant, puis petit déjeuner dans une oliveraie fort accueillante. A cette époque, les seuls estivants sont étrangers. Le directeur me fait visiter sa cave creusée dans la falaise sous le château, où des bouteilles tentantes vaudront un autre séjour. C’est une cave qui est en devenir. J’ai senti que le directeur veut faire ce que Jacques Maximin n’a pas fait. Une étape où il fera bon revenir. Mais à deux.

séjour et dîner à l’hotel et au restaurant de Anne-Sophie Pic à Valence mercredi, 22 juin 2005

Le temps de dormir quelques heures (cinq je crois), de rencontrer un journaliste et je pars vers mon Sud pour une trêve estivale XXL. L’arrêt se fait chez Pic à Valence pour la nuit. Denis Bertrand et toute son équipe, du moins ceux qui me connaissent et lisent mes bulletins sagement archivés par Denis, m’accueillent comme un ami. Nous allons explorer en cave quel vin pourrait accompagner notre repas. J’avais déniché une pépite dans l’épais livre de cave. Malgré les tentations que l’on étale de façon gourmande devant mes yeux, je confirme mon choix. Denis et l’un de ses collègues vont prélever aussi deux bouteilles de vins au niveau proche de la vidange. Nous verrons.
La crème brûlée au foie gras est d’un raffinement délicat. Le décor est déjà planté : ici on mangera bien. Les trois bouteilles arrivent sur notre table. Je prends des photos. Le Château Bouscaut blanc 1937 se qualifie sur l’étiquette de premier grand cru de Graves. Le vin est doré d’un or éblouissant. Le nez est celui d’un liquoreux, et l’attaque en bouche ferait dire Sauternes. Pendant toute sa dégustation, nous nous sommes demandé si le vigneron ne s’était pas trompé en botrytisant son Graves, car un vin madérisé devrait avoir des amertumes que ce vin n’avait pas. C’est une sorte de miracle que ce vin blanc ainsi transmuté. Sur une langoustine cuite à la perfection, le Bouscaut se trouve amplifié, magnifié, et donne un autre concert sur un tartare de lisette et de langoustine. Plus sobre, redevenant plus Graves, il accompagne ces chairs à ravir.
Le loup au caviar, légendaire institution de la maison Pic, et perpétuée avec brio par Anne Sophie, accueille un rescapé. Car ce Château Bouscaut rouge 1940 ne pourrait pas être servi à une table. Mais ici, son retour à la vie, et surtout son amélioration constante en prenant l’oxygène, en font un vin fort agréable, tutoyant bien le bar mêlé au caviar. Bien sûr, en creusant, on s’apercevrait que le mille-pattes a perdu une jambe sur trois. Que l’épineux est assez édenté. Mais c’est bon en bouche, à peine torréfié, et la rondeur acquise permet un message suffisamment clair pour qu’il y ait du plaisir.
Ce qui prouve qu’il était justifié, c’est que le vin extraordinaire qui se présente en même temps que lui ne le rejette pas. Si le Bouscaut n’avait rien à dire, l’autre vin le démontrerait. Or on peut passer de l’un à l’autre sans la moindre gêne. Et pourtant celui qui arrive maintenant est un combattant noble. Drapé dans sa tunique d’or, fièrement cambré, voici Vega Sicilia Unico 1965. Vin légendaire. Le nez est noble comme le toréador qui défie la foule avant de lancer sa coiffe vers une Dulcinée inaccessible. En bouche le vin est beau. Son élégance est extrême. Chaque goût est exposé en une faena de saveurs. Quel grand vin ! Je m’en régale tant avec la chair du loup qu’avec le pigeon fort traditionnel. Ce vin est de la race des très grands. On ne reconnaît pas qu’il est espagnol. Il a des accents de Rhône, de Bourgogne ou de Bordeaux bien faits. En fait, il a sa place à part, comme l’Opus One du dîner de la veille. Comme disait Louis de Funès quand il a immortalisé la dégustation à l’aveugle, sans odorat et sans palais dans « L’aile ou la cuisse », « c’est un grand vin ».
En cave, nous avions parlé des vins jaunes dont je fais tant la réclame. Un des sommeliers m’apporte un verre de Château Chalon 1979 dont une autre table a commandé un verre. Le vin arrive sans nez et il faut bien vingt minutes pour qu’il s’ouvre à la vie. Ce vin est vite à oublier, sans personnalité. C’est pour cela que je ne lui donne pas de nom.
Que retenir de ce dîner ? La chaude amitié de Denis Bertrand et l’enthousiasme des équipes. Une cuisine d’une précision affirmée, d’une belle personnalité. Dans la prochaine édition du Michelin on verra forcément les trois étoiles de Yannick Alléno. Comme Alain Senderens vient de lancer les siennes, il faudrait que ce soit le tablier d’Anne Sophie, qui s’arrondit, mais pour d’autres raisons, qui les reçoive, car il y a pratiquement tout pour propulser ce petit bout de femme au firmament de la gastronomie.
Même un Sumo ne finirait pas le plateau du petit déjeuner de chez Pic. On quitte cette étape avec le sentiment d’avoir passé un grand moment.

dîner chez notre logeuse en bordelais samedi, 18 juin 2005

Après la délicieuse garden-party au Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande sous un soleil de plomb, l’appel de la piscine de notre maison d’hôtes se faisait pressant.
Nous avons dîné avec notre logeuse et ses amis. Le foie gras était un bon foie gras, le poulet un fort bon poulet. On me propose un vin de pêche et je dis non d’instinct, or ce breuvage aux feuilles de pêche était fort bon. Le Château de Cugat 2002 « Cuvée Fleur » blanc vieilli en fût de chêne, qui s’appelle Bordeaux est assez douloureux à mon palais car il appartient à cette cohorte de vins qui veulent bien faire et en font trop. Alors qu’à l’inverse le même Château de Cugat mais Entre-deux-mers 2004, qui a évité le supplice du chêne est fort plaisant. Un vin de pays des Côtes de Gascogne, domaine Tariquet, gros manseng 2001 ne figurera pas forcément dans la liste des vins qu’il « faut » que j’acquière. La fraîcheur de la piscine et la sérénité de l’érable abritant notre dîner auront contribué à une fort agréable soirée.

dîner d’amis au chateau de Fargues vendredi, 17 juin 2005

Vinexpo approche (il s’agit ici de souvenirs de juin). Nous arrivons à Bordeaux. Déjeuner rapide chez Claude Darroze à Langon. Les branches des platanes nous protègent comme les arbres de la forêt du magicien d’Oz. Ma femme et moi logeons à Saint-Maixant dans une chambre d’hôte, car tout est complet dans les haltes habituelles. Quelle bonne idée ! Notre logeuse est aimable, une piscine nous rafraîchit en cette canicule. Le petit déjeuner vaut tous les palaces du monde. Un vrai bonheur.
A Fargues, une vaste allée de pins parasols conduit au château de Fargues et au domicile d’Alexandre de Lur Saluces. Il reçoit des amis. Le champagne Dom Pérignon 1996 que j’avais, avec quelques grands sommeliers et experts, participé à couronner lors d’une confrontation de très grands champagnes (bulletin 121) a encore plus de charme. C’est un champagne de plaisir, goûteux, au léger fumé. Très agréable.
Nous passons à table et sur un délicieux homard, Fargues 1999 est un bel accompagnement car la sauce lui va bien. Rond, juteux, sans grande longueur du fait des légères épices de la sauce, il est tout à son aise. Alexandre demande à son maître d’hôtel fidèle si l’on a prévu un bouillon, sas indispensable pour passer du liquoreux d’entrée au rouge qui le suit, mais celui-ci tout ennuyé lui avoua qu’il ne l’avait pas prévu. Ce ne fut pas gênant. Je cite ce souvenir pour que l’on n’oublie pas combien le bouillon aide à démarrer un repas par un sauternes.
Je venais il y a seulement trois jours de goûter Talbot 1993. Là, c’est Talbot 1994 qui se présente. C’est un vin de belle qualité, mais qui me donne peu de sensations. Le Yquem 1990 nous élève à d’autres hauteurs. Son nez est magistral. D’une complexité et d’un envoûtement rares. C’est le nez qui me chavire le plus même si la bouche est belle. Lorsque je dis que je le trouve le plus léger de la trilogie (88-89-90), Alexandre me regarde curieusement. Voulait-il me taquiner ? Il faudra que je revisite ces trois mythes. Mais je suis persuadé que le 1988 est de loin le plus puissant, suivi du 1989 et ce 1990 est plus perceptible par son extrême élégance. Un roquefort un peu fort lui allait bien ainsi que de divines mangues au coulis un peu sucré.
Malgré l’imprégnation en bouche du Yquem 1990 qu’il faudrait garder longtemps, je ne peux résister à un cognac Paradis de Hennessy, agréable compagnon de belles discussions avec les amis du Comte, lors d’une des plus belles et longues soirées de juin.

déjeuner d’amis au Polo de Bagatelle mercredi, 15 juin 2005

Déjeuner au Polo de Bagatelle un jour de pluie. Mes amis se félicitent d’un Château Talbot 1993 alors que je le trouve bien amer. On me le reproche presque, mais la deuxième bouteille me donne raison. Voilà un vin rond, joyeux quand la première était austère. Une troisième vient se positionner entre les deux premières. Un agréable champagne Taittinger bien frais conclut un déjeuner d’amis où l’on a toujours un événement ou un prétexte à fêter.

repas à la maison avec des reliques dimanche, 12 juin 2005

J’ai toujours eu une profonde admiration pour les archéologues qui, voyant un orteil ou un tesson peuvent décrire la vie d’un individu ou le galbe d’une amphore. J’ai l’impression d’avoir joué ce jeu ce soir. Ayant constaté les dégâts causés dans ma cave par l’agonie de bouchons dont le ticket n’est plus valable, je me suis livré ce soir, avec ma fille et mon gendre, à une opération de paléontologie. Il me paraît évident qu’il faut au plus vite inventorier les risques de perdre quelques bouteilles légendaires.
Cherchant en cave des flacons à problèmes, blessés et de niveaux bas, voici ce qui se passa.
Le champagne Mumm Cordon Rouge 1937 a une étiquette comme neuve, protégée qu’elle était par un papier. La capsule paraît rouillée. Le bouchon se cisaille à l’ouverture. Pas de bulle. Le liquide a une couleur grisée qui est un très mauvais signe. Malgré tout, comme un ciel pommelé, le vin délivre quelques coins de ciel bleu qui nous enchantent, l’intellect jouant son rôle. Le Pouilly Fuissé Faye et Cie négociant à Beaune 1943 a plus de ressource et fut l’une des vedettes de cette soirée. Objectivement madérisé, le vin conserve de l’élégance. Il se iode avec des crevettes roses, et s’arrondit avec des fromages. Un vin de grand plaisir. Plaisir d’archéologue sans doute mais plaisir.
Ce ne fut pas le cas du château Latour 1907 dont le bouchon s’était rétréci sans prendre la moindre couleur. Parfaitement lisible, c’est un bouchon d’origine. Là, hélas, pas de question, le vin est mort.
Le Château Léoville Poyferré 1948 a un meilleur niveau et se montre grand sur un turbot accompagné de fenouil et courgettes. Excellent vin dont le goût me persuada que j’y reconnaissais 1948, avec un petit quelque chose de château Margaux par un coté très ensoleillé, plus souriant que Saint-Julien.
J’ai longtemps hésité sur l’année du vin suivant, mais en recoupant avec les étiquettes, les capsules, et ce que je pus lire, c’est sans conteste un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1919. Je lisais très bien le 1, le 9 et le 9, et l’on pouvait hésiter entre 1 et 4 pour le troisième chiffre. Mais la comparaison avec des bouteilles de ma cave des mêmes périodes montra sans ambiguïté que c’était 1919. Le goût aussi. Mon gendre essaya de lui trouver quelque chose, avec un enthousiasme qui n’appartient qu’aux jeunes. Je sentis ici ou là deux ou trois flashes d’existence. Mais le vin était mort. Sans rémission possible.
Lassé de ces expériences de cryptographie, j’ouvris un Tokaji Oremus Aszu 6 puttonyos 1981. J’aurais mieux fait de m’abstenir car ce jus sucré n’était pas inspiré et je trompais mon désespoir dans un verre de Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979 qui combla mes papilles tristes. Je suis triste quand je signe des constats de décès.
Je le précise pour qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation, dans mes dîners, je choisis des bouteilles de beaux niveaux, ce qui justifie le taux aussi élevé de réussite (plus de 99%) si l’on accepte évidemment quelques naturelles fatigues.
Là, dans ces expériences chez moi, ce sont des bouteilles que je choisis pour leur niveau bas, car la mortalité inéluctable existe dans ma cave du fait du nombre élevé de bouteilles anciennes. Ce soir, le Pouilly Fuissé fut grand, suivi du Léoville Poyferré 1948 et du champagne Mumm 1937. Les autres bouteilles, mêmes si elles sont légendaires sur le papier : un Latour 1907 et une DRC 1919, ne valaient rien. Pas de regret, sauf de n’avoir pas géré à temps ce patrimoine. Encore un nouveau round pour me persuader des mérites de l’Académie à lancer rapidement. Il faut éviter à beaucoup de caves de se retrouver dans de telles situations.