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Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 28 novembre 2002

Alors que j’avais quitté le restaurant Laurent seulement quelques heures auparavant, me voilà avec Patrick Lair débouchant les flacons d’un nouveau dîner de wine-dinners. Les bouchons sont venus particulièrement facilement, et pour la première fois, il m’a suffi de sentir. Point besoin de boire pour tester. Le nez le plus immédiatement généreux était celui du Cheval Blanc 60. Le plus prometteur, celui du Nuits Saint Georges. La circulation dense ce jour là laissait prévoir quelques retards que nous avons adoucis avec un merveilleux Beaucastel Chateauneuf du Pape rouge 1990 rescapé de la si prestigieuse réunion de l’Académie des Vins de France. Bien charnu et profitant avec succès de 24 heures d’oxygénation. Nous rejoignons la table si magnifiquement ordonnancée avec des décorations de fleurs et de vigne, des verres Spiegelau plus nombreux que les tuyaux d’un orgue, et les bouteilles de rouge et les bouchons épars sur cette magnifique table de onze.

Des convives charmants dont quatre habitués, seulement trois femmes mais illuminées de beauté, comme le menu, créé par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret : Rouelles de Pied de Porc, Foie gras de canard poêlé, coing rôti au gingembre et piment d’Espelette, Coquille Saint-Jacques en nage forestière, Mignon de veau de lait cuit en cocotte, poêlée de cèpes Perdreau à la goutte de sang, rouennaise au vieux vin de Bourgogne, Roquefort de Baragnaudes, Tarte fine soufflée aux marrons, glace aux agrumes.

Délicate attention comme seul Philippe Bourguignon peut en avoir : il avait fait rassembler tous les fonds de bouteilles du Grands-Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1990 pour faire la sauce du perdreau. Quelle délicatesse, et quelle sauce !

Le champagne Veuve Cliquot La Grande Dame 1990 est vraiment grand comme la Dame. C’est maintenant que le 1990 s’exprime en toute liberté, même si l’un des convives habitué des dîners pensait que les merveilleux pieds de porc eussent accepté un champagne plus mûr. Les rouelles étaient d’une justesse rare.

L’association du Jurançon Clos Cancaillaü Cuqueron vers 1935/1940 avec le foie et le coing donnait des mariages de rêve. Des petits zestes et le piment faisaient danser ce Jurançon doré aux subtilités infinies. Les novices n’en revenaient pas de l’étendue de saveurs si bien contrôlées par un sucre mesuré.

Le Chassagne Montrachet Gabriel Jouard Propriétaire 1983 rebondissait littéralement sur les coquilles. Un bonheur presque aussi intense que la fantastique émotion du même plat sur le Meursault Comtes Lafon de la veille. Le Bâtard, servi un peu frais n’éclosait pas. Mais au fil du plat, le Bâtard Montrachet Nicolas 1967 retrouvait toute sa noblesse, et cette si solide charpente. Qui dirait qu’un blanc de 1967 peut être aussi jeune et enthousiaste ?

Le mignon de veau était un petit chef-d’œuvre de simplicité pour mettre en valeur les deux Bordeaux. Le Château Cheval Blanc 1960 a été diversement apprécié. Sans doute un peu barré par un stockage antérieur dans une cave un peu chaude, il avait une petite "caramélisation" à peine sensible, tant sa générosité et sa finesse lui conservaient un potentiel de grand plaisir. J’ai trouvé dans le magnifique Château Ducru Beaucaillou Saint-Julien 1961 l’accomplissement rêvé de l’année 1961. Après Haut-Brion que je considère comme la réussite totale de 1961, surtout au nez mais bien sûr en bouche, ce Ducru est le 1961 idéal. La finesse est immense, et l’étalage de toutes les subtilités dépasse toutes les attentes.

Après le coté Renaissance du mignon de veau, on attaquait les guerres napoléoniennes sur ce puissant perdreau à la sauce au DRC !! Le Chambolle Musigny les Amoureuses, P. Misserey et Frère négociant 1981 permet le passage du Bordeaux au Bourgogne. C’est beau, c’est franc, c’est généreux, et surtout, c’est dans une gamme de goût que tous les convives connaissent. Quand arrive le Chambertin 1934 Charles Viénot (ex cave Maxim’s) toutes les pendules s’arrêtent : on a changé de planète, et l’on prend conscience que le vin peut produire une richesse gustative insoupçonnée. C’est transcendantal. Celui-ci est l’un des meilleurs que j’ai ouverts de sa caisse d’origine.

Le Nuits Saint Georges Ligeret probable 1947 ou avant est encore plus grand à mon goût. Et quelle merveilleuse opportunité que d’avoir ensemble ces deux vins qui rivalisent de subtilité. C’est quasi indescriptible tant la bouche accueille des variations de suavités. Assurément deux immenses Bourgognes qui se réjouissaient de côtoyer dans la sauce un de leurs prestigieux puînés, le Grands Echézeaux du Domaine DRC 1990. Au goût, je pense que le Nuits est un 1926, car j’ai plusieurs années, et il se rapproche de celle-là.

Avec l’exercice devenu classique du fromage avec le Sauternes, nous avons pu vérifier la justesse de construction du Château Caillou Barsac Crème de Tête 1943. C’est magnifiquement fait, et ce vin mériterait un classement supérieur. Mais quand apparaît le Château Climens 1929, tout s’arrête. La perfection absolue s’installe. C’est du concentré de bonheur. Il est presque impossible d’imaginer que quelque chose puisse être plus beau que cela. Il était si sombre, couleur café, que des convives avaient du mal à imaginer qu’il puisse s’agir d’un vin blanc ! C’était en fait un supplice de plomb fondu, un supplice de total plaisir, lourd, envahissant,. enivrant de totale félicité.

Lorsqu’il fut temps de voter, je demandai qu’on classe quatre vins au lieu de trois, pour éviter d’avoir Climens en première place pour tout le monde. Mais à mon grand étonnement, le vote fut très éclectique, avec de très nombreuses citations de tous les vins. Bien sûr, le Climens fut le plus nommé, mais pas toujours en tête. Mon choix personnel fut : Climens 1929, Nuits Saint Georges # 1926, Caillou 1943 et Chambertin 1934. Mais le Ducru 1961 méritait sans doute autant.

Peut-on imaginer tant de plaisir en deux jours : l’Académie du Vin de France, puis une sauce au perdreau faite au DRC, et un Climens 1929 ?

Dîner de wine-dinners au restaurant « La Grande Cascade » jeudi, 21 novembre 2002

Dîner de wine-dinners au restaurant « La Grande Cascade » le 21 novembre 2002
Bulletin 50 – livre page 73

Les vins :
Champagne Mumm, cuvée René Lalou 1979
Corton Charlemagne Bouchard Père et Fils 1959
Batard-Montrachet Roland Thévenin 1947
La Mission Haut-Brion, Pessac Léognan 1972
Château Figeac Saint-Emilion 1983
Château Margaux, Ier GCC de Margaux 1967
Romanée Saint-Vivant, Domaine de la Romanée Conti 1986
Vosne-Romanée Bouchard Père et Fils 1971
Volnay, Coron Père et Fils 1928
Château Filhot, Sauternes 1935
Château Gilette, crème de tête Sauternes 1945

Le menu, créé par M. Menut et Richard Mebkhout :

Rissoles de foie gras de canard
Noix de coquille Saint-Jacques truffée
Langoustine à la plancha, jus de crustacés
Cabillaud au naturel, citrons confits et huile d’olive
Sole au beurre noisette et coques
Selle et côte d’agneau rôties aux amandes, jus aux épices
Filet de boeuf Salers rôti Périgueux
Râble de lièvre façon « civet »
Fromages de France affinés
Crêpes soufflées à l’orange, sorbet à l’orange
Café et Mignardises

Dîner de wine-dinners à la Grande Cascade jeudi, 21 novembre 2002

Un dîner organisé pour une seule entreprise, qui recevait ses grands prospects ou clients. Nous avions réservé pour l’apéritif un magnifique salon au 2ème étage de la Grande Cascade : atmosphère confidentielle et confortable. Un exposé bref sur des sujets professionnels, puis très vite, on ne parle plus que de vin. Une raison à cela : un Saint-Raphaël probablement des années 30 est un vrai sujet d’émerveillement. Le quinquina s’est estompé, l’écorce d’orange devient onctueuse, et le Rancio, domestiqué devient étonnamment chaleureux. C’est déjà une belle surprise pour les convives, car on entre de plain-pied dans un registre de goûts qui ne peuvent pas exister sur des vins ou apéritifs modernes.
Après ce préambule nous descendons dans la belle salle de restaurant de la Grande Cascade qui évoque volontiers les bals où tournoient de vastes crinolines. La table est bien dressée, le personnel est attentif et professionnel. Nous inaugurons une formule : un plat par vin. J’avais peur pour la logistique. Tout s’est déroulé dans la justesse et la douceur. Ce qui confirme la pertinence de l’encadrement de cet établissement si délicieusement parisien.
Sur des Rissoles de foie gras de canard particulièrement délicates, un Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 s’affirme comme un grand champagne. La bulle est belle, la jeunesse est là, mais il y a juste cette petite pointe de maturité qui crée un bel équilibre. L’association était merveilleuse.
La Noix de coquille Saint-Jacques truffée avait conclu un PACS avec le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1959 qui est un de mes chouchous. Une couleur d’une noblesse extrême, un parfum enveloppant, et un goût d’une puissance savoureuse. Il faut imaginer la situation suivante : ayant eu l’occasion de parler abondamment des vins anciens lors de l’apéritif, on m’écoute poliment, et on suppose que mon enthousiasme doit être teinté d’un peu de passion excessive. Et là, on a tout à coup un Corton qui surpasse tous les Cortons qu’on a eu l’occasion de boire dans sa vie. C’est assez déroutant, alors, on cherche où est le truc. Car trop d’a priori tombent d’un coup. Il faut dire que j’avais attaqué très fort sur un de mes blancs favoris, doré comme un coing.
Fort heureusement (si l’on ose dire, pour prouver que tout n’est pas d’une absolue perfection !!!) sur une fondante Langoustine à la plancha, jus de crustacés, le Bâtard Montrachet Roland Thévenin 1947, fort malencontreusement ouvert au dernier moment (c’est ma faute, et pas celle de ce si compétent sommelier) vient rappeler opportunément que ces vins vieux n’ont pas tous gardé le teint de Catherine Deneuve. Le Bâtard Montrachet a montré un désagréable arrière goût métallique qui a disparu. Il ne s’est remis à vivre que beaucoup plus tard, évoluant à chaque seconde, pour reprendre – mais beaucoup trop tard – ce que représente son rang social dans les blancs de Bourgogne.
J’avais abondamment parlé du risque potentiel de La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1972, vin d’une année difficile. Mais La Mission est vraiment solide. Sur un Cabillaud au naturel, citrons confits et huile d’olive qui convenait parfaitement (poisson et Bordeaux rouge, quel plaisir), le Mission a tenu sa place, a montré une belle rondeur que son année ne promettait pas. Incroyable comme une pointe de citron peut réveiller un Bordeaux rouge. On est loin de ce que l’on lit dans tous les manuels. La seule petite gène culinaire au sein de plats parfaits fut l’épaisseur de la Sole au beurre noisette et coques. La sole était belle, mais son épaisseur étouffait un peu un vin grandiose : Château Margaux, 1er GCC 1967 qui est une réussite exceptionnelle. Il est beau, il est rond, il a la féminité triomphante de Margaux, et, sans qu’on ait besoin de créer de compétition, on sait qu’il rivaliserait avec les plus beaux millésimes de ce vin de légende. Imaginer qu’un Margaux de cette classe s’acoquine aussi bien avec des coques qui le dissèquent est un plaisir immense pour moi. Heureusement, il n’est pas égoïste.
Comme nous étions onze au lieu de dix, j’ai rajouté un vin. Mais l’équilibre du menu avait déjà été créé sur dix plats. On a donc fait une sorte de « trou normand » avec un Figeac Saint Emilion 1983. Elégance de ce Saint-Emilion qui peut si souvent rivaliser au sommet avec Cheval Blanc et Ausone.
On entre dans le domaine des viandes et des Bourgognes. Très jolie Selle et côte d’agneau rôties aux amandes, jus aux épices, sur un Vosne Romanée Bouchard Père & Fils 1971 bien gouleyant, facile et proche de saveurs connues, mais bien exécutées. C’est le moment le plus rassurant pour les convives, car on est sur des registres habituels.
Le Filet de boeuf Salers rôti Périgueux est une pure merveille. Et le Volnay Coron Père & Fils 1928 est un monument. On connaît mon amour inconditionnel pour les années 28 et 29 qui sont – en ce moment – les plus accomplies des grandes années du siècle. Tant qu’on a pas goûté ce Volnay, on ne peut pas savoir ce qu’est un vin immense, aux saveurs qui ne sont plus « photocopiables ». Les tendances nouvelles ne referont plus cela. Onctueux, présent, dense, affirmé, joyeux, ce vin a tout pour lui. Un vraiment grand moment.
Puis arrive un Râble de lièvre façon « civet ». Magistral. Celui d’Eric Fréchon m’avait enthousiasmé. Celui-ci, traité de façon fort différente a montré une classe extrême. Comme dans un précédent dîner, c’est un Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1986 qui a accompagné le lièvre. Comme la dernière fois, ce vin est grand. Il a une incontestable élégance, mais on voit bien le contraste avec ces vins anciens d’une telle tenue, qui transcendent tous les goûts actuels.
Sur une pâte persillée puis de merveilleuses Crêpes soufflées à l’orange, et un sorbet à l’orange nous avons dégusté un Château Filhot Sauternes 1935 et un Château Gilette crème de tête Sauternes 1945. Deux Sauternes complètement opposés et si intéressants à apprécier ensemble. Le Filhot est clair, léger, subtilement aromatique. Le Gilette est un sommet absolu du Sauternes. Il est à part, fait de concentration, de force extrême. Il s’affirme comme un acteur sûr de son public. C’est l’accomplissement du travail parfait magnifié par une longévité infinie. Ce sont décidément les agrumes qui embellissent ou servent de faire-valoir aux Sauternes.
J’ai demandé que l’on vote pour les vins comme chaque fois. Très grande variété de choix, ce qui montre qu’il n’y a pas qu’une vérité. Mon choix, que chacun pourrait deviner est dans l’ordre : Volnay 1928, Gilette 1945, et Corton Charlemagne 1959. Il serait difficile de déterminer quel accord fut le plus parfait entre la Saint-Jacques et le Bouchard, le râble et le Saint-Vivant DRC, j’ai un petit faible pour l’exceptionnel cabillaud sur un vin d’une année frêle, le Mission 72.
Une expérience avec la famille Menut qui en appelle d’autres, la confirmation du talent d’un chef, Richard Mebkhout, et l’excellence du service dans un lieu appelant au rêve et au plaisir de la table.

dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mardi, 5 novembre 2002

Dîner au restaurant de l’hôtel Bristol le 5 novembre 2002
Bulletin 48

Les vins :
Champagne Ruinart Blanc de Blanc 1990
Château Carbonnieux blanc 1937
Bâtard Montrachet Albert Morey 1986
Château Palmer 1964
Château Ausone 1937
Pommard de Moucheron & Cie 1955
Beaunes Marconnet Remoissenet 1947
Romanée Saint-Vivant DRC 1986
Maury Paule de Volontat 1925
Château Roustit Sainte Croix du Mont 1953
Jurançon Cuqueron Clos Cancaillaü vers 1940

Le menu, créé par Eric Fréchon :
Macaronis
farcis d’artichaut, truffe et foie gras de canard
gratinés au vieux parmesan
Noix de Saint-Jacques
et truffe blanche d’Alba poêlées
fine mousseline Dubarry, bouillon de parmesan Reggiano
Canard sauvage
laqué au miel épicé, navet confit à la poudre d’agrumes et figues rôties
Lièvre de la Beauce
l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert
gnocchi sardi cuit comme un risotto
Fourme d’Ambert
Mille-feuille à la vanille

dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mardi, 5 novembre 2002

Un dîner spécial de wine-dinners. D’abord il y avait une majorité de femmes (60%), ce qui est agréable, et crée une atmosphère très détendue. Ensuite, il y avait une raison particulière à la présence de chaque convive. Une journaliste qui veut écrire sur nos dîners, un journaliste qui a écrit sur wine-dinners et que je voulais remercier. Un convive venu grâce à son article, ce qui authentifiait l’effet de ses belles chroniques, une journaliste qui pourrait écrire sur ce dîner dans un journal féminin, puisque nous étions à un dîner de femmes, une femme qui est, de tous nos membres, la participante la plus régulière à nos dîners, avec plus de cinq participations, la représentante d’une société qui nous a passé les plus grosses réservations de dîners, la digne représentante et héritière du plus prestigieux des restaurants français, la représentante d’un autre restaurant qui est mon chouchou, et un ami de très longue date, gastronome pointu. Etait-ce la présence de si jolies femmes ? Je me suis pris à parler plus que de coutume, expliquant comment on doit manger des mûres sur les chemins d’été, comment on doit croquer les grains de raisin, comment profiter au mieux des saveurs combinées d’un fromage à pâte persillée et d’un Sauternes (un discours classique de presque chaque dîner) et je me suis même vu expliquer, et en « direct live », par l’exemple, pourquoi une banane est meilleure quand on la mange en ayant séparé ses trois quartiers, comme on sépare ceux d’une mandarine, que lorsqu’on la mange de la façon habituelle en mordant dans le fruit. Il fallait vraiment que l’atmosphère fût joyeuse pour justifier ces digressions sur mes plaisirs à la Philippe Delerm. Elle le fut.
Tout le monde a unanimement applaudi la cuisine remarquable d’Eric Fréchon. Il traite les produits avec une simplicité extrême, donnant une cuisine traditionnelle d’un talent hors norme, par des complications raffinées mais totalement intégrées. Son lièvre était exceptionnel, et l’accord du canard avec le Palmer 1964 était porteur d’une émotion rare comme on souhaite en trouver. Il y a comme cela, par surprise, une communion d’une telle intensité qu’on sent qu’on a le « vrai » accord parfait, tellement transcendant par rapport à un accord simplement réussi.
Les plats de Eric Fréchon étaient : Macaronis farcis d’artichaut, truffe et foie gras de canard gratinés au vieux parmesan, Noix de Saint-Jacques et truffe blanche d’Alba poêlées fine mousseline Dubarry, bouillon de parmesan Reggiano, Canard sauvage laqué au miel épicé, navet confit à la poudre d’agrumes et figues rôties, Lièvre de la Beauce l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert gnocchi sardi cuit comme un risotto. Fourme d’Ambert, Mille-feuille à la vanille.
J’ai ouvert les vins à 16 heures avec Myriam Lombard, jeune et talentueuse sommelière qui n’en revenait pas des odeurs et saveurs pour elle inconnues de ces vins étonnants. Elle en profitait avec bonheur.
Les convives arrivent, tous à l’heure. Après les consignes d’usage, comme l’hôtesse qui rappelle au sol ce qu’il ne faut pas faire en vol, nous passons à table, dans la salle ovale qui est certainement l’une des plus belles de Paris, à une table merveilleusement dressée, sous un éclairage judicieusement tamisé. L’hôtel Bristol est vraiment un lieu de rêve.
Nous avons commencé par un Champagne Ruinart Blanc de Blanc 1990. Les conversations étaient déjà tellement lancées qu’on serait presque passé à coté de cet excellent champagne, gentiment chatouillé par un excellent jambon. Puis arrive une des vedettes de la soirée : Château Carbonnieux blanc 1937. Un nez invraisemblable de puissance, une couleur d’un doré raffiné, et une puissance en bouche qui mettait déjà chaque convive en présence d’un vin exceptionnel. Enveloppant la bouche, persistant, avec un gras raffiné et des myriades d’évocations. Le bonheur s’installait. Puis, un splendide étonnement : le Bâtard Montrachet Albert Morey 1986 arrivait avec un nez d’une invraisemblable complexité, et dégageait une subtilité et une justesse étonnante. Ma voisine, qui possède l’une des plus belles caves marchandes de Paris n’en revenait pas. Elle s’étonnait aussi de l’extrême variation des saveurs entre son verre et le mien pour chaque vin, puisque « l’étiquette » veut que l’on serve d’abord les femmes, et qu’on me serve en dernier, ce qui fait que j’ai toujours le meilleur de la bouteille. Il est assez compréhensible que j’accepte de me sacrifier en respectant les convenances. Ce Bâtard était d’une qualité plus qu’inattendue : un Albert Morey est grand, mais là il était grandiose. J’ai fait essayer une anguille adoucie par une pomme de terre avec les deux blancs secs. C’est très intéressant.
Le Château Palmer 1964 a eu l’extrême bonheur d’arriver sur un accord parfait, chaque épice, chaque grain de poivre de la peau du canard servant de tremplin à un vin chaleureux, rond, économe de sa force – c’est l’année – mais si grand de plaisir. Une réussite de jouissance immédiatement accessible. A l’ouverture, j’avais peur de ce Château Ausone 1937. Bouchon plein de terre. Niveau plutôt bas. Or le nez fut une heureuse surprise, et sa belle tenue au moment du dîner fut une récompense. Ausone est très compliqué. Celui-là un peu faible comme le sont ces vins anciens, mais il s’est bien réveillé, montrant une belle structure et un équilibre suffisant. J’avais prévu un vin de secours. Il n’en fut pas besoin.
Le Pommard de Moucheron & Cie 1955 est d’une orthodoxie extrême. Un nez dont on ne se lasse pas, et un charme étonnant. L’un des convives en est tombé amoureux. Et il avait bien raison. Le lièvre si prodigieux allait mettre en valeur les vins qui l’accompagnaient. Le 55 a été servi en même temps que le Beaune Marconnet Remoissenet 1947. Un vin remarquable, d’une perfection rare. Un nez puissant, affirmé, et une richesse enveloppante en bouche qui confirmait toute la puissance expressive des vieux Bourgognes. Le râble le mettait en valeur. Lorsqu’on a servi, sur une deuxième assiette du lièvre le Romanée Saint Vivant Domaine de la Romanée Conti 1986, chacun revenait sur des terres connues. Toutes les saveurs, même complexes, redevenaient familières pour beaucoup. Mais elles ne faisaient pas oublier les si belles complexités et les accomplissements des vins plus vieux de trente à quarante ans. Le jeune vin allait plus sur l’épaule, les plus anciens plus sur le râble merveilleux.
J’avais voulu essayer un Maury 1925 de Paule de Volontat (non prévu sur la liste initiale) sur le lièvre. Ce n’est pas un bon accord. J’ai pu vérifier que cela n’apporte rien, alors que sur les gnocchis à la truffe, le Maury s’exprime avec bonheur. Beau Maury de chaleur, sans doute un peu trop jeune. Le Château Roustit Sainte Croix du Mont 1953 est extrêmement subtil. Tout en finesse, avec un nez envoûtant comme un parfum, il a montré une élégance rare. Les deux liquoreux ont montré leurs qualités et leurs différences aussi bien sur la fourme, le mille feuille (mon choix, pour sortir des accords classiques, mais ce n’est pas convaincant, même si le mille feuilles est parfait), et un dessert au coing. Le Jurançon Cuqueron Clos Cancaillaü vers 1940 a montré une étonnante complexité. A l’ouverture je l’avais essayé avec Myriam sur un abricot sec. Une merveille. Sur le coing, un bonheur rare. Je suis sans doute plus sensible que d’autres à ces vins aux saveurs si inhabituelles, tant ce Jurançon fut déroutant, car je fus le seul à le mettre dans mon tiercé. Les résultats du tiercé, souvent différents, ont donné quelques constantes : les deux blancs secs du début, le Carbonnieux 37 et le Bâtard 86 furent les plus cités, avec le Beaune 47. Mais d’autres ont été cités, comme le Pommard 55 cité une fois premier. Le Palmer 64 fut beaucoup cité et même le Ausone fut cité. Mon tiercé fut 1 : Carbonnieux 37, en 2 : Beaune Marconnet 47, et en 3 le Jurançon. Chacun a pu vérifier la justesse des choix d’Eric Fréchon, et a pu prendre conscience de ce que les vins vieux bien présentés donnent des saveurs qu’aucun vin actuel ne peut délivrer. Le charme de nos belles convives méritait ces accords parfaits. Un service rigoureux d’une belle exactitude et le talent d’un chef ont parachevé un dîner sans la moindre faute, la récompense des amoureux des vins anciens.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Guy Savoy jeudi, 26 septembre 2002

Déjeuner chez Guy Savoy Pour les amis de Bipin Desai 26 septembre 2002
Bulletin 42

Champagne « maison »
Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1979
Château Lagafellière Naudes 1953
Richebourg Anne Gros 1996
Musigny Comte de Voguë 1978
Beaune Grèves, Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1947
Château Mouton-Rothschild 1982
Lafaurie Peyraguey 1961

Le menu conçu par Guy Savoy
Poêlée de girolles et Jabugo « Bellota Bellota »,
homard breton roti, bordelaise au corail,
légumes croustillants au beurre de homard,
ragoût de lentilles et truffes noires, cèpes en marmite, jus d’automne,
volaille de Bresse pochée en vessie,
riz basmati et petit chou farci aux légumes d’automne,
sauce Albufera, saveurs exotiques et poivres.

Déjeuner de wine-dinners pour les amis de Bipin Desai jeudi, 26 septembre 2002

Un déjeuner qui brille un peu plus qu’un rayon de soleil. On entre chez Guy Savoy, où l’on se sent si bien. Une assistance plus qu’abondante : le Club des Cent tenait séance. Je me glisse entre deux doctes discours, pour rejoindre la salle du fond de belles proportions. Un magnifique Alechinski donne une touche de confort moderne, expression affirmée du mouvement Cobra que j’adore. Là, je retrouve avec joie Bipin Desai, l’homme qui a tout bu, tout retenu, et qui organise les plus folles dégustations de la Terre. A ses cotés, un ami grand amateur de vin, un autre ami complice des plus belles bouteilles de wine-dinners, un restaurateur connu pour l’exceptionnelle collection de Pétrus qu’il disperse sur sa carte des vins, un producteur de vins, connu pour la plus belle collection de vins de plus d’un siècle. Autour de la table, la plus grande compétence dégustative possible (si on peut accepter ce néologisme). Bipin n’aurait évidemment besoin d’aucun des cinq autres convives pour avoir « la » compétence absolue qu’il incarne à lui seul, mais le partage des avis est toujours enrichissant. J’avais le plaisir du lieu, de l’incomparable talent culinaire, du service complice d’une brigade attentive, et des commentaires d’une richesse extrême de goûteurs hors pairs. Il ne me restait plus qu’à chausser un sourire béat, et l’aventure commence.
A noter que si je suis du « fan club » de Bipin Desai, je ne le suis pas sur l’ouverture des bouteilles. Il avait demandé qu’on ouvre chaque vin une demie heure avant consommation, et carafage avant service. Je suis pour une ouverture quatre heures avant, une oxygénation lente, et une absence de carafage. Ce déjeuner m’a confirmé que j’ai raison pour les vins que j’affectionne. Les raisons de Bipin sont autres : homogénéiser le vin servi et éviter la lie.
Le menu composé pour nos vins : Poêlée de girolles et Jabugo « Bellota Bellota », homard breton roti, bordelaise au corail, légumes croustillants au beurre de homard, ragoût de lentilles et truffes noires, cèpes en marmite, jus d’automne, volaille de Bresse pochée en vessie, riz basmati et petit chou farci aux légumes d’automne, sauce Albufera, saveurs exotiques et poivres.
Après un champagne « maison » fort rafraîchissant, Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1979. Le nez est impressionnant, extrêmement dense. En bouche, on a la structure caractéristique du Bâtard. Avis partagés sur sa longueur, mais mon opinion est qu’il s’agit d’un grand Bourgogne blanc, doté d’un spectre très large de différents goûts. Réellement grand. Une des magies de Guy Savoy : le Lagafellière Naudes 1953 Saint-Emilion avait strictement le même nez que la sauce du homard. Ce n’est pas la première fois, et ce n’est pas un hasard si Guy Savoy arrive à cloner l’ADN d’un vin dans sa sauce: il sait saisir les structures intimes du vin. Ce vin que j’ai bu de nombreuses fois est excellent, aimable, enveloppant et rassurant. Il a de l’onction. C’est un succès de 1953 qui est une si belle année, si belle en ce moment.
Le Richebourg Anne Gros 1996 est un pur bijou. Vin jeune bien sûr, mais tellement bien fait. Même si mon palais est fait pour le vin ancien, je ne peux pas ne pas admirer ce talent. C’est un vin sauvage, un de ces pur-sang que le temps va apprivoiser. Le Musigny Comte de Voguë 1978 fut l’occasion de nombreux commentaires. Plus on est compétent, et plus on est difficile. Garde-t-on la même capacité d’émerveillement ? La magie des cèpes a fonctionné tellement bien que ce fut, à mon goût, la plus belle association mets et vin. Le Musigny était de bonne qualité, et je l’ai aimé. Le Beaune Grèves, Vigne de l’enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1947 est alors apparu. La méthode d’ouverture suggérée par Bipin nous a privé de 40% de la perfection de ce vin. En moins d’une semaine j’ai goûté trois grands Bourgognes de 1947. Pourquoi les comparer? Il suffit de se rappeler qu’ils sont grandioses, et que 1947 est une année merveilleuse en Bourgogne, généreuse, polie, chatoyante et riche d’arômes développés. Avec la spectaculaire volaille en vessie le Beaune distillait de beaux messages. Le Mouton-Rothschild 1982 aurait dû être bu plus tôt. Il était si coincé qu’on l’a servi au fromage. C’est un bébé. Mais un surdoué : il a tellement de talent. Il faudra attendre encore vingt ans avant qu’il ne livre tout son formidable potentiel, et se guérisse de sa cryptorchidie ! Nous avons fini avec une demie bouteille de Lafaurie Peyraguey 1961, qui, chaque fois que je l’ouvre, étonne par son invraisemblable perfection. Il va sans dire que la bonne humeur prévalait. Les anecdotes fusaient, sans que cela frôle l’académisme ou la pédanterie. Bipin avait d’incroyables anecdotes, mais je relève la jolie remarque d’un des amis : « si on ne se dispute pas sur le vin, alors à quoi ça sert de faire de tels repas ? » Le vin sera toujours, avec bonheur, le sujet d’inépuisables discussions.
Il n’y a pas eu de classement des vins, mais je hasarde mon tiercé de vins si différents. Je mets le Richebourg d’Anne Gros en premier, parce qu’il m’a plus que surpris. En second le Lafaurie 61 pour son incomparable perfection. Et en troisième le Beaune Grèves, si belle expression de 1947. Ce choix est évidemment subjectif, car la palette présentée était vaste.
En une semaine, j’ai pu voir comment Alain Dutournier, Philippe Bourguignon et Guy Savoy abordent la cohabitation entre leur approche culinaire et des vins moins souvent bus que ceux de leurs cartes. Trois approches très différentes où s’exprime la personnalité de l’artiste. J’ai bien sûr mes propres canons, mais je préfère que la personnalité de chacun s’exprime. La diversité est source de richesse.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent mardi, 24 septembre 2002

Dîner au restaurant Laurent le 24 septembre 2002
Bulletin 41 – livre page 69

Les vins :
Magnum Champagne Veuve Cliquot rosé 1964
« Y » d’Yquem 1980
Meursault Bouchard Père & Fils 1959
Château Palmer, Margaux 1964
Château Ausone, Saint Emilion 1967
Santenay Louis Latour 1985
Chateauneuf du Pape, Château Fortia, premier cru 1943
Vosne Romanée Antonin Rodet 1947
Monbazillac Monbouché 1921
Château d’Yquem Sauternes 1967

Le menu, créé par Philippe Bourguignon et son équipe :

Amuse-bouches, toasts au foie gras
Langoustines rôties dans leur suc, aux champignons des bois
Raviolis de cèpes
Canard sauvage rôti aux pêches de vigne,
en deux services
Bleu des Causses
Gratin de mirabelles de Lorraine
Café, mignardises et chocolats

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent mardi, 24 septembre 2002

Ce dîner chez Laurent était organisé autour du voyage de noces d’un jeune couple de californiens. D’autres amis californiens s’étaient joints à eux, dont un couple, lui aussi nouvellement marié, avait fait le voyage pour ce seul dîner (bravo !). Je crois avoir repéré l’un de ces fanatiques que je recherche, prêts à participer à l’ouverture des bouteilles les plus folles. Comme d’habitude, un dîner chez Laurent est une fête, car le cadre vous tend les bras et le personnel vous guide ou accompagne avec discrétion. J’ai une forte affinité pour Philippe Bourguignon qui gère le site avec talent, et pour Patrick Lair, sommelier attentif et passionné, qui met en valeur les vins. Il a définitivement conquis l’une des convives lorsqu’il lui a préparé le canard sauvage, pour lui éviter le moindre effort. Tout était si bien ordonnancé que j’avais même demandé à la lune, presque pleine, d’apparaître au strict aplomb de notre table, au moment du service de l’Yquem. Tablée joyeuse, ambiance amoureuse. Tout annonçait un grand moment.
Le menu : Amuse-bouches, toasts au foie gras, Langoustines rôties dans leur suc, aux champignons des bois, Raviolis de cèpes, Canard sauvage rôti aux pêches de vigne, en deux services, Bleu des Causses, Gratin de mirabelles de Lorraine, Café, mignardises et chocolats. Une agréable sophistication, et un respect du vin remarquable : le plat est fait pour le vin. Voici ce que l’on a bu.
Le magnum de Veuve Clicquot rosé 1964 est beau. Sa photo est sur le site wine-dinners.com. Très jolie couleur de sanguine, plus marquée en haut de coupe qu’en bas. La bulle est généreuse, et ce qui frappe, c’est sa jeunesse. Pas la moindre trace de madérisation, en opposition avec le Krug 1979 récent. Beaucoup de goût, belle intensité. Ce champagne a émerveillé les californiens qui n’ont pas accès à de si vieux champagnes.
Le Y d’Yquem 1980 est un agréable compagnon de route : il est toujours présent au rendez-vous. Comme au dernier dîner où l’odeur des cèpes avait occulté l’odeur du Carbonnieux 28, les merveilleuses langoustines ombrageaient les émanations généreuses du Y, sans porter atteinte à son goût. Belle expression du Bordeaux blanc, et belle affirmation de maturité mais sans trace d’age.
Le Meursault Bouchard Père & Fils 1959 a un nez explosif. Il écrase tout voisinage. Un goût très fort, présent, et une persistance extrême. Solidement charpenté, il en impose.
Les deux Bordeaux se complétaient à merveille. Le Palmer 1964 tout en rondeur, délicieusement séducteur, et l’Ausone 1967, plus réservé, mais dévoilant ses charmes progressivement, comme dans la danse des sept voiles. Le Palmer 1964 confirme une nouvelle fois qu’il est une réussite de cette année qu’on aurait bien tort de classer trop vite dans les années âgées. Et l’Ausone me ravit toujours par sa complexité. Mais j’aimerais bien en ouvrir un qui se défroque, qui s’encanaille, qui se dévergonde.
Le Santenay Louis Latour 1985 est un délicieux Bourgogne de transition. Belle structure, beau ramage. Mais comme dans beaucoup de dîners précédents, quand on a près de soi Chateauneuf du Pape, Château FORTIA, premier grand cru de Chateauneuf du Pape 1943, peut-on vraiment exister ? Ce Santenay fut très plaisant, mais plus en faire valoir. Quelle merveille que ce Chateauneuf ! Un nez étonnant de largeur, d’authenticité, de générosité. Et en bouche, une perfection. Bien enveloppé, drapé, dégageant de belles chaleurs, il emplit le palais avec puissance mais grâce. C’est tout simplement le vin que l’on aimerait boire à chaque fête, car il apporte une satisfaction sans pareille. On est bien, et on a envie que ça ne s’arrête jamais.
Le Vosne-Romanée Antonin Rodet 1947 est une bouteille exceptionnelle. C’est le Bourgogne dans toute sa majesté. Et je vais faire un aveu qui – je l’espère – ne me condamnera pas auprès des lecteurs de ce message : j’aurais du mal à dire lequel m’a plus séduit, et pourquoi, entre le Chambolle Musigny 1947 d’il y a seulement 5 jours et ce Vosne Romanée 1947. A un certain niveau de perfection, le sublime m’anesthésie. Grande expression de Bourgogne et d’autant plus gratifiante qu’il sentait mauvais à l’ouverture. Cinq heures d’oxygène lui ont fait du bien, alors que le Fortia, si généreux à l’ouverture, avait été préservé de tout oxygène excessif.
Le Monbazillac Monbouché 1921 est d’une beauté rare. D’une couleur d’automne, de marc de café, il dégage des senteurs de caramel, de crème brûlée. Il est réglisse, mais a su conserver sa trame de Monbazillac. Un vrai plaisir, rond, chaud, réconfortant.
Pour Lisa, la jeune épousée, Patrick a ouvert le Yquem 1967, bouteille d’un blond doré. Un lingot d’or qui aurait bronzé de façon délicate. Sous l’oeil complice de la lune, un vin parfait. Est-il possible d’envisager meilleur Sauternes ? Ce gamin précoce a tout pour lui. La caractéristique de cet Yquem, c’est l’équilibre, mais surtout, la couverture complète de toutes les saveurs que doit avoir un Yquem. Ce qui m’a ravi, c’est cet aspect global. Ce vin en marche pour la globalisation, et promis à un développement durable mérite d’être au Sommet de la Terre. Il est un vrai plaisir, d’odorat, de parfums, et de sensations rassurantes.
Nous avons bien sûr voté pour le tiercé, et ce qui est revenu le plus souvent est : 1 – Château Fortia 1943 et 2 – Veuve Clicquot rosé 1964, tous les autres vins étant au moins cités une fois. Mon tiercé fut assez différent, avec le Vosne Romanée en premier, le Chateauneuf en second, et le Meursault en troisième. On aura compris que le Yquem 1967 n’était pas en compétition, car il aurait été cité premier par tous.
Le repas fut grandiose avec un service attentionné. Les meilleures combinaisons furent le Palmer avec les cèpes, le Fortia avec la chair du canard, le Yquem avec les copeaux d’orange qui accompagnaient les délicieuses mirabelles. Pour tous une repas qui sera le souvenir d’une vie, tout particulièrement pour les jeunes mariés. Et j’ai fait la connaissance d’un couple d’amoureux du vin qui reviendront pour de folles ouvertures. Une soirée d’exception.

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 19 septembre 2002

Dîner au Carré des Feuillants le 19 septembre 2002
Bulletin 40 – livre page 65

Les vins :
Champagne Laurent-Perrier Rosé
Champagne Krug Millésimé 1979
Batard-Montrachet Albert Morey 1986
Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Nicolas 1980
Château Ausone, Saint Emilion 1978
Château Carbonnieux, Graves 1928
Chambolle Musigny Les Amoureuses, P. Miserey & Frères 1981
Chambolle Musigny Louis Grivot 1947
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1983
Château Climens Sauternes 1967
Château d’Yquem Sauternes 1932

Les plats conçus pour les vins par Alain Dutournier :

Amuse-bouches, petite friture
Gambas en salade « minute », billes de melon dans leur chutney
Homard breton, fenouil et amandes en escabèche
Fraîcheurs du jardin, pince en bouillon glacé au lait d’amande
Dos de Bar moucheté en fine croûte citronnée
Fricassée de girolles et févettes
Les premiers cèpes marinés, le chapeau poêlé
Et le pied en petit pâté chaud
Canette de Challans flanquée de foie gras caramélisé,
Le filet poêlé, la peau laquée, la cuisse compotée en rouleau croustillant
Quelques vieux fromages du moment
La pêche dans tous ses états, rôtie au poivre, glacée à l’eau de rose,
Macérée au marasquin et accompagnée de blanc-manger