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Dîner de wine-dinners au restaurant Le Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Dîner de wine-dinners du 22 septembre 2005 au restaurant Le Pré Catelan
Bulletin 153

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952
Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961
Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980
Château Mouton-Rothschild 1979
L’Angélus, Saint-Emilion 1959
Hermitage rouge Chave 1997
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965
Château Doisy, Barsac 1966
Château Monteils, Sauternes 1934

Le menu composé par Frédéric Anton
La Betterave. Fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras
La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan
L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti
Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras
Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches
Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses
Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée
Café et Mignardises

dîner de wine-dinners au Pré Catelan jeudi, 22 septembre 2005

Nouveau repas de wine-dinners au Pré Catelan. J’arrive pour ouvrir les bouteilles alors qu’une grande table est encore en pleine discussion. Joël Robuchon est là, et à sa sortie de table nous bavarderons aimablement, évoquant sans insister la critique que j’avais faite de l’ouverture des vins à ce qui était annoncé comme le dîner du siècle, qu’il avait organisé au Japon avec Robert Parker. Il pense que tout a été bien fait. Les images montraient le contraire. C’est sur le terrain qu’il faudra confronter les méthodes. Frédéric Anton se détend un peu entre deux services, ce qui nous donne l’occasion de bavarder de gastronomie pendant que j’ouvre les bouteilles du dîner avec un sympathique sommelier, Jérémie.
Un phénomène qui méritera des investigations supplémentaires me fait toujours autant d’impression. Quand je découpe la capsule de La Tâche 1965, sous la capsule et sur le bouchon, un noir sédiment sent la terre et ressemble à celle de la cave de la Romanée Conti. J’ai fait sentir cette odeur lourde à Frédéric Anton. Aubert de Villaine, à qui j’avais relaté les constatations précédentes m’avait demandé de prélever cette terre pour l’examiner. En fait, c’est difficile et dans le feu de l’action, faute d’outil de laborantin, j’oublie le prélèvement. Mais quelle constance dans ce qui devient presque une signature du Domaine ! Le seul vin qui m’inquiète au nez est l’Angélus 1959. Nous le goûtons avec Frédéric. Un peu léger il me laisse de l’espoir alors qu’il rebute Frédéric Anton. On verra plus loin les miracles que peut accomplir l’oxygène, quand il est judicieusement sollicité. Le bouchon de La Tâche accuse un problème de stockage, car la première moitié de sa longueur est comme brûlée d’une sécheresse excessive, l’autre moitié, bien souple, puant même généreusement.
La mise au point du menu s’était faite par un dialogue que j’ai eu avec Frédéric Anton et Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde au savoir encyclopédique sans limite. Et c’est ce que j’aime. Je commenterai plus loin ce programme absolument exceptionnel : la Betterave, fines lamelles parfumées à la muscade, vieux Comté en copeaux, jus gras / La Fregola « Sarda », cuite dans un bouillon, recouverte de copeaux de truffe et parmesan / L’ Os à Moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci de girolles et d’une compotée de chou à l’ancienne mijotée dans un jus de rôti / Le Ris de Veau cuit en casserole, cèpes poêlés aux herbes fraîches, jus gras / Le Pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, semoule au brocoli préparée comme un couscous, cuisses en petites merguez, quelques pois chiches / Le Cantal de Salers, le Bleu des Causses / Le Citron Confit, sorbet au basilic, feuilleté caramélisé et pâte de fruit légèrement sucrée / Café et Mignardises. Il y a une intelligence et une sensibilité dans ce repas que je vais largement tam-tamer par la suite.
La table est artistiquement dressée par un personnel joyeux avec qui nous évoquons des souvenirs de vins. Le plateau rond est si grand que j’ai peur que l’on ne discute pas avec son vis-à-vis. Or en fait tout le monde a participé aux échanges, et nous avons vécu la même aventure, ce qui n’arrive pas toujours quand la forme de la table divise les clans. Un grand chroniqueur gastronomique, une journaliste japonaise à la grande culture française et gastronomique, une femme auteur de best-seller, des amateurs gourmets, c’est le cocktail idéal pour de passionnantes discussions. L’ambiance fut agréablement enjouée.
Le magnum de champagne Dry Monopole, Heidsieck 1952 est d’une immense beauté. Le liquide qui m’est servi pour goûter a encore de la bulle qui, comme le génie de la lampe, va s’évanouir pour conquérir d’autres cieux. La couleur est d’un miel ensoleillé, le nez est profond et distingué. Et si l’on admet – ce que fit toute la table – que la faiblesse de la bulle ne doit pas gêner la dégustation, on prend connaissance d’un délicieux « champagne-vin » qui décline des saveurs complexes où les agrumes, les fruits roses et le thé ne sont qu’une faible partie de ce qui est exposé. Le plus spectaculaire, c’est la longueur. La betterave est osée. Elle est merveilleusement traitée, sans franchement ajouter au plaisir de ce très rare champagne.
Le plat suivant est joyeux, chantant le sud, mais ne met pas en valeur le Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961 qui m’a profondément étonné. J’avais le souvenir d’un vin sec, âpre, et voilà que celui-ci, sec objectivement, y ajoute un doucereux et une intensité rares. Pénétrant, expressif, il damnerait tous les dégustateurs à l’aveugle. Là encore plat et vin ne s’ajoutaient rien, l’un à l’autre, la semoule freinant le vin quand la truffe l’accélérait.
Le Fonsalette, Chateauneuf du Pape blanc de Rayas 1980 montrait, bouteille encore fermée, une couleur qui annonçait un vieillissement. Il fallait donc boire ce vin comme il venait, sans penser trouver un Chateauneuf du Pape comme on le boirait aujourd’hui. Et si l’on admet de déguster ainsi, on entre dans un de ces plaisirs culinaires qui marquent une vie. Je n’ai jamais mangé un os a moelle de cette qualité. C’est le traitement qui en fait le génie. Et le vin se met à transformer tout cela avec une propulsion invraisemblable. Le vin donne au plat de la consistance et le plat modèle le vin qui atteint des longueurs infinies. Et chaque convive voit bien la différence énorme qui se crée quand le vin et le plat se parlent, se séduisent et s’enlacent. Ce moment fut d’une intensité rare. Il va expliquer ce qui suit.
Le ris de veau d’une chair, d’une densité, d’une expressivité sans pareilles accueille deux vins, le Château Mouton-Rothschild 1979 et L’Angélus, Saint-Emilion 1959. Et immédiatement, à la première bouchée et la première gorgée de chaque vin, on se sent bien, étonnamment rassuré. C’est comme ces publicités pour des marques de matelas qui imagent leur élasticité par des sauts de trampolines. On est dans un confort pullman, on a des saveurs qui sont toutes lisibles. Les bordeaux sont de grands garçons bien élevés. Ils nous font le baisemain. L’Angélus est tellement époustouflant, balayant d’un revers de main les craintes de l’ouverture, que l’on aurait du mal à imaginer bordeaux plus sensuel que cela. C’est rond, chaleureux, séduisant, emplissant la bouche comme la couronne de frangipaniers orne le cou des vahinés. Alors, le Mouton parait plus strict, plus linéaire lors du premier contact. Mais le Mouton étend son charme et le charme agit. C’est un Mouton d’une année faible, mais ici d’une subtilité appréciable. Et l’Angélus est immense de la première à la dernière goutte. Ce ris de veau est un bonheur.
Le pigeon a une chair savoureuse (rien n’est plus savoureux que le pigeon). Alors, l’Hermitage rouge Chave 1997 s’en réjouit et s’exhibe de la plus belle façon. C’est évidemment un petit choc de revenir sur des goûts très actuels, mais cette virilité contrôlée est tellement conquérante qu’on se laisse aller. Les merguez faites avec les cuisses du pigeon sont à se damner. C’est l’exacte munition que réclame le Chave ! Le spectacle est beau quand le vin et la chair se provoquent comme cela.
Nous venions d’avoir à la suite trois plats où le vin et le plat chantaient à l’unisson. Quel bonheur !
Il fallait cela pour l’enterrement qui allait suivre. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1965 dont le nez ne m’avait pas trop alerté, était manifestement trop usé pour représenter sa légendaire lignée. Ce qui me conduit à une remarque. Je croyais avoir suffisamment étalonné les senteurs d’ouverture. Or j’avais peur pour l’Angélus qui fut sublime, et j’avais confiance dans La Tâche qui fut absent au rendez-vous. Les diagnostics à l’ouverture ne sont donc pas toujours parfaits. Le Salers était délicieux. Le vin racontait quand même un peu l’histoire de La Tâche ce qui lui valut de recevoir les votes de deux convives. Belle solidarité.
Le Château Doisy, Barsac 1966, déjà présent à plusieurs dîners, a toujours cette couleur orangée et dorée, cette senteur profonde et ce goût rassurant du liquoreux sage, sûr de son effet. Sur un bleu bien gras, c’est un accord sécurisant.
Le Château Monteils, Sauternes 1934 m’est inconnu. Où est ce domaine, je ne le sais. Le vin que l’on découvre d’un bel or rosé et d’une odeur toute en finesse n’a pas la puissance des plus grands, mais il en a l’élégance. Ces Sauternes de 70 ans gagnent en rondeur et en expressivité de façon remarquable. Et je recommande aux amateurs d’acheter ces vins moins connus dans des années anciennes, car il y a une gratification énorme. Le sorbet méritait de l’eau, car il est goûteux comme pas deux, mais trop explosif. Le Barsac va bien avec la fine et délicate pâtisserie, belle comme la jolie pâtissière qui l’a faite. Mais on ne peut pas dire que les deux, le feuilleté et le Barsac ont des choses à se raconter.
Les cigares fusèrent dès que ce fut permis et l’on vota. L’Angélus 1959 a fait un carton, sans doute l’un des plus beaux de tous les dîners, avec sept places de premier sur dix convives, et deux places de second. Les plus votés ensuite furent le champagne Dry Monopole et le Vouvray sec.
Mon vote fut le suivant : Angélus 1959, champagne Dry Monopole 1952, Vouvray sec Clovis Lefèvre 1961, Fonsalette 1980. Tous les vins, sauf un eurent au moins un vote dans les quartés, ce qui est toujours réconfortant pour mes choix et ma cave.
On parla abondamment de ces trois plats de rêve, dont tout le monde dit qu’il valent trois étoiles, en classant en un l’os à moelle en deux le pigeon et en trois le ris de veau. Trois plats de souvenir éternel, illuminés par des vins qui leur collaient au cœur pour un pur ravissement.
Le service fut exemplaire, tout ici fleurait bon la très grande cuisine. Lorsque Frédéric Anton m’appela le lendemain (c’est toujours agréable de se parler le lendemain quand il s’agit d’une victoire), le débriefing fut un moment de bonheur tant ça fait du bien de disséquer ce qui fut grand.

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Dinner held by restaurant « Le Grand Véfour » on September 15, 2005
Bulletin 152
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Laurent Perrier 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1996
Bernard Hervet (who could not come), Montrachet Bouchard Père & Fils 1961
Aubert de Villaine (who could not come) : La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990
Eric Platel : Côte Rôtie Guigal 1966
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1911
Frédéric Audouze : Chevalier, Sainte Croix du Mont, coopérative de Sainte Croix du Mont, 1959

The menu created by Guy Martin and his team :
Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta
Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa
Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues
Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes
Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil
Vieux Comté
Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic

dîner de wine-dinners au Grand Véfour jeudi, 15 septembre 2005

Je dois pour la cinquième année consécutive ordonnancer le repas qui s’appelle « repas des amis de Bipin Desai ». Bipin est ce professeur de physique nucléaire américain qui organise les plus invraisemblables dégustations de la planète. On lui doit celle des 38 millésimes de Montrose (bulletin 151). Ayant réglé par téléphone ou mail tous les détails, j’ai le temps de me rendre à l’inauguration du Salon du Collectionneur au Carrousel du Louvre où les objets présentés, contrairement à la brocante de Hyères (bulletin 149), procurent des émotions esthétiques uniques. On se sent petit devant la perfection artistique de ces personnages chinois de terre dont le graphisme épuré est sorti de mains d’artistes nés il y a 1300 ans. Les éclairages, les stands intelligents, tout montre la richesse d’œuvres d’art quand on prenait le temps d’exécuter. Après avoir salué quelques amis et trempé mes lèvres dans un très expressif champagne Henriot, je rejoins le restaurant Le Grand Véfour pour vérifier que tout est prêt, et c’est le cas. Dans ce lieu porteur de l’histoire du bien manger, le petit salon en étage est le lieu idéal pour nos retrouvailles. La période des vendanges a hélas écarté de notre table des amis indispensables. On toasta largement en leur honneur, surtout quand ils avaient eu la gentillesse d’être présents par le biais d’une belle bouteille.
Guy Martin a composé un menu qui fut un beau voyage. Qu’on en juge : Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta / Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa / Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues / Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes / Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil / Comté de 18 mois / Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic.
Les amuse-bouches abondants et éclectiques se marient à ravir avec le champagne Laurent-Perrier 1976 en magnum. Bouteille d’une élégance rare par la forme effilée du flacon et le gris argenté de l’étiquette. En bouche, ce blanc de blanc est d’une subtilité particulière. Il n’est pas envahissant mais charmeur, conteur d’histoires de goûts délicats. Toute évocation de goût serait réductrice mais j’ai rêvé de fraises des bois en sentant la caresse suave des bulles sur mes lèvres conquises. La variation sur la tomate est originale.
Patrick Tamisier que je connais depuis un quart de siècle du temps où j’étais assidu à la Tour d’Argent a apporté un soin particulier aux vins. Il me fait goûter le Meursault Perrières Comtes Lafon 1996 et c’est une grenade de parfum qui explose sur mon nez. Quelle agression olfactive de pur plaisir ! Ah, c’est viril. C’est sans concession. Et en bouche la puissance est énorme. Je suis un peu gêné par le poids alcoolique de ce lourd Meursault, mais quel plaisir. Avec le foie gras judicieusement mêlé au persil, c’est une merveille. J’ai apprécié l’audace du citron japonais sur les tranches de cèpes qui donnent au Meursault une autre philosophie.
Le Montrachet 1961 Bouchard Père & Fils arrive trop froid. Etait-ce l’absence de Bernard Hervet, ce vin que j’ai tant aimé au château de Beaune était ici bien pâle, comme le tigre qui cherche des yeux son dompteur et se sent perdu s’il n’est pas là. Bien sûr, quand il s’étend, le vin montre comme il est grandiose. Comme de plus je n’ai pas trop aimé l’expression du homard qui ne me parlait pas, peut-être à cause du vin que je ne retrouvais pas, ce ne fut pas le soir de ce grand Montrachet dont j’ai relaté l’émotion unique (bulletin 143).
Le nez de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990, en un dixième de seconde, plante le décor. On ne peut pas concevoir quelque chose de plus élégant. Le raffinement est sans limite. Sur la chair du turbot, ce vin d’une noblesse immense brille d’une façon que l’on ne pourrait pas imaginer sans le verre en main. Ce vin est grand, d’une longueur extrême. Il y eut comme un silence quand chacun prit conscience de l’intensité de ce vin. Une pensée fusa pour Aubert de Villaine retenu pour des récoltes qui seront belles.
Le canard à la belle chair mais au miel un peu fort donna à la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 1966 l’occasion de délivrer un message d’un charme certain. Passer derrière La Tâche, ce n’est pas un service à rendre à un vin. Mais il s’en tira fort bien dans un registre de vin plus mûr au charme ensoleillé.
Avant l’arrivée des convives j’étais allé sentir les bouchons des bouteilles ouvertes par Patrick Tamisier, et l’odeur du bouchon du Château Chalon Bourdy P&F 1911 m’avait fait vaciller d’aise. C’est immense. Didier Depond, président de Salon-Delamotte vibre comme moi à la sensualité dérangeante de ces vins extraterrestres. Servi beaucoup trop froid, il se rattrapa bien vite sur un délicieux Comté de 18 mois que j’avais préféré au 36 mois qu’on m’avait proposé. Il ne faut pas pour ces vieux vins jaunes de choc gustatif excessif. Le vin se rétablissant à une vitesse sidérale, nous avons goûté la perfection absolue du vin jaune du Jura. Et nous imaginions les nombreux mariages que ce vin suggère pour de redoutables joutes culinaires. Avis aux amateurs, car j’en ai une belle provision.
Le délicieux dessert à la figue se fiança avec un Sainte-Croix-du-Mont de coopérative, « Chevalier » 1959 à la couleur d’un bel or patiné, au nez de pain d’épices, et chaleureux en bouche comme un beau Sauternes à qui il manquerait juste un peu de longueur.
La table fut enjouée et des milliers de sujets nous entraînèrent en des discussions passionnantes. La certitude de perpétuer une amicale tradition de grande qualité éclairait nos visages. Patrick Tamisier fut attentif et amical. Guy Martin nous avait composé un très intelligent et agréable voyage exécuté d’une belle dextérité. Il y avait en chacun de nous l’envie de recommencer.

Dîner de wine-dinners au restaurant Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 21 juin 2005 au restaurant Carré des Feuillants
Bulletin 149

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut
Champagne Bollinger grande année 1985
« Y » d’Yquem 1985
Montrachet Guy Amiot 1992
Château Margaux 1966
Château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann)
Vosne Romanée Bouchard 1971
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988
Opus One, Napa Valley California 1985
Château Filhot, Sauternes 1975
Château d’Yquem 1931

Le menu composé par Alain Dutournier
Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané
Le bouillon parfumé du pêcheur de perles
Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes
L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges
Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites
Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes
Jubilé de cerise burlat « façon forêt verte »

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Nouveau dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants où, avec la sympathique brigade, nous sommes maintenant bien rôdés. Le sommelier Christophe est toujours aussi attentif et perfectionniste. Avide d’apprendre les odeurs rares qui se dégagent des bouteilles à peine ouvertes il fera, tout au long du repas, un travail remarquable. Je l’ai vu plusieurs fois s’assombrir pendant le service et je me demandais quelle remarque aurait pu l’attrister. En fait, je m’obstinais à l’appeler Rodolphe – c’était le jour de la Saint Rodolphe – ce qui ne plait pas forcément aux Christophe. Nous en avons ri après le dîner.
Pas de problème à l’ouverture. Le bouchon du Gruaud Larose 1918 est léger, colle aux parois et sortira en miettes, mais il a joué son rôle comme il convenait. La bouteille soufflée est lourde et belle. L’odeur du « Y » est moins exubérante que celle que j’attendais. Les senteurs du Margaux, du Vosne Romanée et du Grands Echézeaux sont particulièrement belles.
Un jeune entrepreneur tonique et volontaire, déjà fidèle de mes dîners, avait réuni autour de sa ravissante épouse et lui-même des amis qui partagent tous la passion des chevaux. Au moins trois possesseurs de haras et des cavaliers titrés qui allaient s’affronter aux championnats de France de saut d’obstacles. Blagueurs, décontractés, ils avaient moins de discipline pour suivre mes indications que n’en ont leurs chevaux quand ils doivent franchir d’impressionnantes constructions de bois fragiles. Les femmes toutes ravissantes et bronzées ne cessaient de quitter la table pour téter de nécessaires cigarettes. Les champs de tabac de Virginie s’en essoufflent.
Le menu composé par Alain Dutournier est un kaléidoscope de maîtrise et de complexité : Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / Le bouillon parfumé du pêcheur de perles / Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes / L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges / Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites / Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes / Jubilé de cerise burlat «façon forêt verte ». La mise au point du menu s’est faite sans que nous en parlions, ce que je regrette toujours. Je suis juste intervenu pour intervertir deux plats pour la logique des vins, ce qui fut un bon choix.
Le champagne Ruinart Brut est fort agréable pour se mettre en bouche. C’est l’échauffement du coureur de cent mètres, indispensable avant le jaillissement des starting-blocks. Coulant fort bien en bouche, il nous prépare bien. Le champagne Bollinger grande année 1985 montre une structure vineuse percutante. Il annonce le ton de la suite, et la crevette lui va bien, quand les autres saveurs du plat, qui iront souvent par trois presque pour chaque assiette, l’effarouchent.
Le bouillon complexe et délicieux n’appelle pas le vin. Le « Y » d’Yquem 1985 me parait nettement moins rayonnant que le souvenir que j’en ai. Il avait capté cette année-là des grains de raisin d’Yquem et je m’attendais à ce qu’un botrytis l’ait encanaillé. Or en fait ce blanc sec, fort bon, est sérieux. Et voici soudain qu’avec la truffe d’été, il devient splendide. C’est un accord de rêve. La bouche gardera longtemps avec le Y une forte mémoire de truffe. Le foie gras et ris de veau fort goûteux dansent bien avec l’Y mais la truffe est le bon mariage.
Le Montrachet Guy Amiot 1992 est un solide Montrachet rassurant. Ce n’est sans doute pas le plus puissant, mais il est bon. Le plat est goûteux. L’asperge et l’œuf sont réellement divins. On commence par se dire que le plat ne joue pas avec le vin. Et comme en diplomatie, en trouvant les mots qui rassurent, c’est-à-dire en lustrant ses papilles dans le bon sens, on arrive à ce qu’ils se parlent.
Le château Margaux 1966 et le château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann) sont associés au même plat. La chair du turbot est sublime et va évidemment bien avec les deux rouges, mais c’est la palourde et surtout le jus de palourde qui fait du « dirty dancing » avec ces vins de légende. Le Margaux 1966 a le nez archétypal du château Margaux. Il en a aussi le charme. Le Gruaud Larose joue une partition d’un niveau encore supérieur. On est en face d’un vin remarquablement épanoui, structuré, sobrement beau. Une trace élégante qui sera couronnée dans les votes. Décidément la palourde est l’amie des vins rouges car nous avions eu une expérience aussi excitante chez Patrick Pignol.
Le délicieux paleron accueille trois vins, et non des moindres. Le Vosne Romanée Bouchard Père & Fils 1971 dont le nez à l’ouverture était délicieusement bourguignon, nous a joué un insolent jeu de charme. C’est un petit Vésuve en bouche. Alors que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988 s’en tient à son nez. Il n’y a pas de plus beau nez que ce nez là. Mais en bouche, il paresse. Il attend qu’on l’aime. Ou bien il se dit que sa puberté peut se prolonger. Le Opus One, Napa Valley California 1985 m’a surpris. Elégant, raffiné, il n’a aucune des exagérations des vins californiens. On sent qu’il n’est pas bordelais, on sent qu’il n’est pas bourguignon, et l’on succombe à son charme certain. C’est un vin bien fait, de belle race.
Les cerises, sur le papier, m’avaient laissé perplexe. En fait, astucieusement domestiquées par le talent du chef, elles s’accordent bien au château Filhot, Sauternes 1975. Le reste de l’assiette ne l’attire pas, mais croquer cette cerise ferme sur un Filhot est un bel exercice. Il faut de ces audaces quand le produit est bien traité. Je sentais que chacun s’impatientait, prêt à bousculer le Filhot tant l’Yquem était attendu. Magnifique château d’Yquem 1931 que j’ai trouvé moins sec que ce que j’imaginais. On avait en bouche une belle définition du Yquem historique où la mangue, le thé, le fruit délicatement caramélisé forment un éventail de saveurs à la persistance sans limite.
On vota bien sûr et les votes furent toujours aussi dispersés. Le Gruaud Larose 1918 fut le plus couronné, ce qui, on en conviendra, est un de mes motifs de fierté. Les plus votés ensuite furent le Vosne Romanée Bouchard 1971, le Montrachet Guy Amiot le Yquem 1931 et le Château Margaux 1966. Mon vote fut le suivant : Yquem 1931, Vosne Romanée Bouchard 1971, Gruaud Larose 1918 et Montrachet Amiot 1992.
Alain Dutournier vint nous saluer et évoquer, avec sa langue qui s’exprime d’un verbe coloré, chantant et diablement argumenté, les chemins qu’il suit pour créer des plats pour les grands vins. Il fut complimenté pour ce festival de saveurs. Ce que je voudrais signaler, car je compte bien en discuter de nouveau avec lui, c’est une remarque incidente qu’il glissa dans son propos. Il nous dit : «vous savez, quand on est entre copains et qu’on ouvre une grande bouteille, on ne fait que des plats simples. Une saveur, un point c’est tout ».
Je suis persuadé qu’il a raison, et il doit pouvoir le faire dans le cadre de ces dîners, car la démonstration de son talent n’en souffrira pas. Revenir aux racines du plat, à la saveur la plus proche du vin, c’est le cœur de ce que je souhaite. Nous sommes en effet dans un exercice très particulier où le plaisir sera magnifié si une saveur du plat colle parfaitement au vin. Alors, tous les chemins de traverse sont à éviter. La saveur primaire, voilà le secret. Et si c’est ce que fait tout naturellement Alain Dutournier, grand gourmet devant l’éternel, quand il est avec ses copains, c’est ce qui doit être fait. Les convives ont été subjugués par le brio et le talent. Ils le seront tout autant si la trame essentielle du plat les renverse de bonheur quand le vin et le plat s’enlacent de façon lascive.
Christophe fut un sommelier expert, la cuisine fut distinguée et belle de réalisation. L’ordonnateur de l’événement me téléphona le lendemain pour me faire part de la satisfaction des convives. Ce fut un grand 56ème dîner.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 14 juin 2005 au restaurant de Patrick Pignol
Bulletin 147

Les vins de la collection wine-dinners

Magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée NM vers 1990
Chablis Premier Cru Vaucoupins Bichot 1988
Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994
Château Magdeleine saint-émilion 1986
Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 (ME)
1/2 Pommard Réserve de Vernhes 1966
Corton Grancey Louis Latour 1970
La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980
Chateauneuf du Pape Delas 1947
Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937
Château Gilette, crème de tête 1949

Le menu créé par Patrick Pignol

Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes
Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique
Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras
« plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer
Ris de veau caramélisé
Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées
Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole »
Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais

dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mardi, 14 juin 2005

C’est le restaurant de Patrick Pignol qui va accueillir un nouveau dîner de wine-dinners. J’ai mal compris ce que Patrick m’a dit. Je croyais que l’on déterminerait le menu en fonction des odeurs que l’on découvrirait à l’ouverture, or en fait le chef voulait composer le menu en fonction des arrivages et de ses approvisionnements. J’arrive pour ouvrir les vins avec un menu déjà conçu, alors que j’aurais aimé y contribuer. Je respecte cette approche, mais mon désir d’être associé à la création culinaire est inassouvi. L’ouverture des vins avec Nicolas se passe avec une facilité particulière. Le Gilette est une bombe de senteurs. On le rebouche pour calmer son exubérance. Le Pichon Comtesse a une fragrance étonnante de charme. Elle est capiteuse. Comme celle d’un Porto. Je décide là aussi de reboucher avec un bouchon neutre, avec la crainte que cette douceur ne connaisse un évanouissement. Se découvre à cette occasion une variable nouvelle que je n’ai pas encore étudiée. Comme il fait chaud, le restaurant met la climatisation à fort débit. Quelle est l’influence sur l’oxygénation des vins ouverts ? Ne va-t-on pas trop vite en les aérant ainsi ? Je n’ai remarqué aucune conséquence fâcheuse. Le menu de Patrick Pignol est à l’image de la décoration du lieu. C’est pétillant, bondissant, coloré, ludique. Associer tourteau et sardine semble un petit clin d’œil à Alain Senderens qui voudrait tranquillement travailler les recettes pour ce poisson grégaire. Associer girolle et moule de Bouchot du fait de l’harmonie des couleurs est un exercice de lutin souriant. Voici le menu : Amandine de foie gras de canard, petite salade d’herbes / Tourteau et sardine de Bretagne, marinés aux agrumes et vinaigre balsamique / Pétoncles à la truffe d’été de Carpentras / « plat » de girolles de Sologne et moules de Bouchot, saisis à la minute, jus terre et mer / Ris de veau caramélisé / Pigeon de Touraine cuit en cocotte, aux épices et dragées caramélisées / Fromage de l’Aubrac, le « Laguiole » / Tagliatelles chocolat, abricots caramélisés et leur coulis aux senteurs de basilic frais. Quel voyage ! Le magnum de champagne Bollinger Brut Spéciale Cuvée non millésimé que je situe vers 1990 est un champagne rassurant. C’est la définition exacte du champagne facile à vivre et bien construit. L’assemblage a été bien fait et l’âge aide. On a ainsi un champagne qui vaut bien des millésimés. Le phallus scarifié au foie gras baptisé amandine, célèbre et délicieuse spécialité du chef ne séduit pas le Bollinger. Ils vont donc s’ignorer, même si, à l’usage, c’est un champagne comme celui-là qui convient au fort goût du foie gras. Le Chablis Premier Cru Vaucoupins, Bichot négociant, Domaine Long Dépaquit 1988 surprend par sa belle générosité et son ouverture d’esprit. Sur le tourteau, il est aérien, élégant, délicat. Sur la sardine, il prend de l’ampleur, pèse plus lourd. Certains préfèreront l’un des accords à l’autre. J’étais plutôt dans le camp sardines. Les abondantes herbes aromatiques ne plaisaient pas trop au Bichot. Ce Chevalier Montrachet Grand Cru Georges Deleger 1994, quel vin ! Une puissance à dégommer la Grosse Bertha d’un souffle d’haleine. Et là, toute la table prend conscience de ce que peut être un grand accord. Le Chevalier saisit d’abord la truffe au lasso. Il la fait sienne, se l’approprie. Puis il séduit le pétoncle. Et c’est enfin la légère sauce iodée salée et crémée qui emporte le gros lot, signant avec le vin lourd et capiteux une de ces unions de légende. Une fois de plus un accord est grand quand il est fondé sur une saveur simple et lisible. Le Château Magdeleine saint-émilion 1986 m’avait excité à l’ouverture. Je sentais un de ces vins de pur plaisir. Quand il arrive sur table, quel bonheur ! Juteux, joyeux, dense, de belle mâche. Ah, que c’est bon de boire de ces vins là. Je guettais l’instant qui venait. Le 1919 allait-il être bon ? J’avais eu peur de ses évolutions olfactives pendant la longue période entre son ouverture et le dîner : le doucereux de l’ouverture, l’amertume qui suit, l’incertitude enfin. Tout le monde m’observe quand Nicolas me fait goûter. Mon sourire est tellement épanoui que la table s’en ressent, même sans être servie. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1919 est grand. Son nez est invraisemblable. Il a retrouvé le nez étonnant et jugé éphémère de l’ouverture. Par certains cotés, c’est le nez riche de Cheval Blanc 1947. Et il a conservé cette extraordinaire senteur, faite de la plus belle douceur sucrée. En bouche, on sent évidemment que le vin a de l’âge. Mais c’est beau, rond, goûteux et très long. Et ce qui me fait plaisir, c’est que toute la table comprend presque immédiatement la grandeur de cet ancêtre, alors que le Magdeleine est sacrément tentateur avec sa plénitude de vin jeune. L’association de la girolle et de la moule est osée, mais plaisante. Ce qui gêne, vis-à-vis des deux vins, c’est l’abondance des épices orientales. Ce n’est pas un bon compagnonnage. De nouveau, le classicisme d’un plat sobre crée un accord enchanteur. Le ris de veau simplement présenté, ce qui ne diminue pas sa subtilité et sa pertinence accompagne magistralement un Corton Grancey Louis Latour 1970 éblouissant. Quel joli vin de bourgogne dans son ingratitude amère. Je l’ai dit bien souvent, j’aime ces provocations gustatives. Je voulais étonner quelques grands amateurs de notre table, car il y avait de solides palais, avec une curiosité. Voici une demie bouteille de Pommard Réserve de Vernhes 1966, simple vin de négoce, en format plutôt risqué, et de près de quarante ans. Il est étonnamment rond, joyeux, coloré. Un vin de plaisir, alors qu’il s’agit d’un vin d’origine toute ordinaire. Le dosage un peu appuyé de l’accompagnement du pigeon, dragée et impressions de cacao, va chatouiller les vins. Je salue la pertinence du choix car le 1947 se reconnaît dans le cacao qu’il épouse, mais on aurait aimé du mezzo voce quand on a les trompettes de la renommée. C’est l’exubérance débridée d’un chef enthousiaste. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1980 est assez intéressant. Il fut couronné des votes les plus flatteurs et je soupçonne que l’accès aux vins de ce domaine mythique, premier essai pour beaucoup, a compté dans les votes. Car La Tâche ne la joue pas facile. Il est même austère. Mais il a une telle puissance de conviction, avec une précision de structure, qu’il emporte l’adhésion. Mon cœur balance objectivement plus, puisque les deux vins sont sur le même plat, vers le Chateauneuf du Pape Delas 1947, vin de charme, rond, accompli, serein plus que joyeux. Le Chateauneuf a capté les coquetteries du plat pour se les approprier. Beau mimétisme.

Le choix du fromage sur le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 est d’une rare intelligence. Ce vin subjugue mon voisin tant il mêle suavité et séduction. L’année 1937 est particulièrement belle pour « le château d’en face », puisqu’on voit Yquem sur l’autre rive quand on est au Château Loubens. Le millésime est aussi bien réussi pour cet élégant Sainte Croix du Mont. Le Château Gilette, crème de tête 1949 est irréellement bon. Je ne vois pas comment un Sauternes pourrait être aussi généreusement équilibré. Tout semble être imbriqué avec la plus extrême des précisions. J’étais tellement sous le charme que j’étais persuadé que tout le monde, comme moi, le mettrait en numéro un. Je fus en fait le seul à mettre cette extase gustative au sommet des notes. Là où les approvisionnements de Patrick Pignol, mariés à son talent, s’exprimèrent de façon magistrale, ce fut sur l’abricot. L’abricot goûteux, comme il fut intelligemment traité, produit sur le Gilette une sensation unique. Quelle jouissance ! Que de fois l’abricot délivre une acidité qui occulte son charme. Là, chapeau ! Les votes furent très variés. C’est fou comme les sensations peuvent varier d’une personne à l’autre. La Tâche 1980 a reçu de loin le plus de votes de numéro un et deux vins viennent ensuite, le Pichon Comtesse 1919 et le Chateauneuf du Pape 1947. Viennent ensuite le Château Gilette 1949 et le Chevalier Montrachet 1994. Mon vote différa de ces moyennes puisque je votai ainsi : en un pour Château Gilette 1949, en deux, le Chateauneuf du Pape 1947, en trois le Pommard 1966 et en quatre La Tâche 1980. Pour une fois, nous avons aussi voté pour les plats qui ont favorisé les plus beaux accords. Sans conteste, c’est le plat de pétoncles qui eut la palme, suivi d’un peloton assez détaché mais groupé, formé du ris de veau, du pigeon et de l’amandine de foie gras, ces trois étant presque ex aequo. Que retenir de ce dîner ? Une table avec des convives passionnés et enthousiastes, quel que soit leur niveau d’expérience des vins anciens. Une belle atmosphère malgré une table de onze dont la forme rectangulaire coupe forcément en deux ou trois les groupes qui se parlent. Le couple Pignol toujours aussi attachant, joyeux tout en étant attaché à l’excellence, un sommelier Nicolas avec qui c’est un bonheur de faire ces dîners. J’ai connu des dîners où Patrick Pignol s’efforçait de simplifier ses recettes pour que le vin soit en valeur. Là, le pendule penchait plus vers les caprices créatifs, ce qui me séduit aussi, et vers le talent débridé, ce qui plait un peu moins aux vins. Mais sur l’ensemble, quel talent, quel bonheur et quel plaisir gustatif. Belle soirée enjouée, moment unique. Un chef joyeux de créer, c’est un des bonheurs de Paris.

Dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 09 juin 2005 au restaurant Taillevent
Bulletin 146

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Pommery 1988
Rully Premier Cru Suremain 1984
Château Mouton Rothschild 1975
Château Gruaud-Larose 1928
Aloxe Corton Pierre Olivier négociant 1966
Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949
Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos Zisser Domaine Klipfel 1976
Château d’Yquem 1983
Ermitage de Consolation, Banyuls « Hors d’âge »

Le menu créé par Alain Solivérès
Amuse-bouche
Langoustines rôties, barigoule d’artichauts au pistou
Chausson feuilleté de ris de veau
Pigeon farci, roquette et pignons de pin
Foie gras de canard de Chalosse confit
Crêpes craquantes, pêche rôtie a la verveine

dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 juin 2005

Un nouveau dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Les bouteilles sont apportées une semaine à l’avance et redressées debout en cave la veille de leur ouverture. Le jeune sommelier Aurélien, en poste depuis six mois dans cette prestigieuse maison va assister à l’ouverture, qui est toujours un prétexte à raconter des histoires de vins et de bouchons. Jean-Claude Vrinat et Valérie viennent me saluer dans le local que l’on a apprêté pour cette cérémonie d’ouverture, clef de beaucoup de plaisirs de boire. Le Gruaud Larose, un Sarget, a un niveau très élevé pour un 1928. Serait-ce un vin rebouché ? La capsule est ancienne, et le bouchon est d’origine, très noir sur la partie supérieure, et bien souple dans sa deuxième moitié. L’odeur est saine. Deux senteurs sont étonnantes de puissance : celle du Rully blanc et celle du Gewurztraminer. Je rebouche vite le Gewurztraminer tant je le sens comme un cheval fougueux. Je ne veux pas qu’il se fatigue trop vite. Le Chambertin est mon champion de ce soir, celui que je veux voir gagner. Je lui trouve un parfum qui me rassure.
Le menu a été créé par Alain Solivérès en liaison avec Marco Pelletier, subtil sommelier : Amuse-bouche / Langoustines rôties, barigoule d’artichauts au pistou / Chausson feuilleté de ris de veau / Pigeon farci, roquette et pignons de pin / Foie gras de canard de Chalosse confit / Crêpes craquantes, pêche rôtie a la verveine. Je suis content des mises au point que nous avons faites, car ce fut un travail d’équipe. J’ai mis en pratique un ordonnancement à l’ancienne qui veut que le foie gras succède aux viandes, comme me l’avait rappelé Jean Frédéric Hugel. Ce fut un bon choix.
Les convives sont quatre couples d’amis d’enfance rassemblés par l’un d’entre eux. C’est un grand bonheur quand on peut être sérieux au moment où l’on découvre un vin ou la subtilité d’un accord et volontiers chahuteur quand on chambre gentiment un ou une amie. Les rires fusèrent fort à notre table jubilatoire.
Le magnum de champagne Pommery 1988 me laissa le temps de donner les consignes de voyage. Il est de bon ton aujourd’hui de vilipender le libéralisme, synonyme, nous clame-t-on, de contrainte et de sauvagerie. Disons que mes consignes sont un peu comme cela : d’un démocratisme dictatorial. On y survit. Le champagne, que je goûtais avec l’un des convives qui en fait un légendaire, est fort agréable, surtout dans ce volume de présentation. Il est sans problème, sans énigme, et se boit avec beaucoup de plaisir. Une très jolie entrée en matière qui se goûte à la cuiller est passée comme le pianiste amnésique et muet échoué sur les côtes anglaises. Elle n’a parlé à personne et n’a même pas amorcé le moindre dialogue avec le champagne. Deux passagers qui s’ignorent. Il n’y avait bien sûr aucune opposition, car le goût était bon, mais aucune ajoute.
Comme à chaque fois, l’accord qui ne se fait pas va renforcer l’accord qui se crée. Le choc n’en est que plus grand. Le Rully Premier Cru Suremain 1984 surprend tout le monde. Ce vin est riche, emplit la bouche de saveurs exotiques élégamment dosées. Il y a à cette table de solides connaisseurs de vin. On commence d’entrée par une surprise. Le Rully est généralement sous-estimé, et 1984 une année copieusement ignorée. Et voilà que ce Rully danse en bouche de folles farandoles. Avec la chair de la langoustine, mais surtout avec la sauce de la langoustine, on se sent transporté. Et l’on note qu’au début, c’est le sel de la sauce qui l’attire comme un aimant, alors que lorsque le palais s’est habitué, c’est le fruité de la sauce qui roucoule avec le vin.
J’ai montré à l’arrivée de chaque assiette, combien l’odeur du vin est indissociable de l’odeur du plat. On ne peut plus dire ce que serait cette senteur dans un milieu neutre, dans une salle d’hôpital, car les fragrances du vin et du plat, comme les tentacules de poulpes en chaleur, s’entrelacent dans une orgie de suçons. Le Château Mouton Rothschild 1975 n’a pas d’odeur propre, il a celle de la sauce. La sauce n’a pas d’odeur, elle a celle du Mouton. Et c’est absolument excitant. Le Château Gruaud-Larose 1928 accompagne lui aussi le ris de veau à la sauce de plomb. L’étonnement est à son comble quand il est impossible de donner 47 ans de plus au Gruaud qu’au Mouton. On dirait deux frères, même si, à l’examen, on voit bien qu’ils sont dans deux phases de vie bien distinctes. Le Mouton qui a capté le plat est un petit peu rétréci par lui quand le Gruaud Larose, d’une immense longueur, est aérien, plein, équilibré, soyeux, faisant patte de velours avec une élégance rare. Je voyais des yeux émerveillés prendre conscience qu’un soin particulier peut conduire à de tels accords, insoupçonnés par leurs papilles jusqu’alors.
La sauce du pigeon, presque aussi dense que celle du ris de veau, joua le même rôle vis-à-vis des deux bourgognes. Comme en une prise de judo sanctionnée d’un ippon, elle renversa les odeurs intrinsèques de ces deux vins pour en faire ses alliés. L’Aloxe Corton Pierre Olivier négociant, 1966 est la définition la plus pure du bourgogne de charme. Il combine à la fois le doucereux et l’amer dans une structure juteuse de redoutable séduction. Le Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949 est tout simplement éblouissant. C’est le bourgogne accompli, de pleine maturité, aux saveurs lourdes. Avec le pigeon, c’est un duo époustouflant.
Les quatre rouges auront joué des partitions assez identiques sur les deux plats. Il y a deux vins. L’aîné est chaque fois plus accompli que le plus jeune, mais ne joue jamais l’exclusion du jeunet. On a donc une paire de vins qui accompagne divinement chaque plat. Et les deux composantes de l’accord, ce qui est la définition même de son succès, s’enrichissent l’un l’autre, le vin améliorant le plat qui fait vibrer les vins.
Le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Clos Zisser Domaine Klipfel 1976 apparaît à ce moment du repas exactement comme il faut. Le foie gras est un petit morceau de bonheur, fondant en bouche. Et le kaléidoscope des saveurs alsaciennes ensoleille le palais. Encore une combinaison magistrale.
La bouche est idéalement préparée par le gewurztraminer pour accueillir Château d’Yquem 1983. Il était relativement discret à l’ouverture quelque six heures plus tôt. Il l’est encore. La pêche, trop parfumée sans doute, trop forte, écrase le délicat sauternes. Le dernier vin, Ermitage de Consolation, Banyuls « Hors d’âge » qui doit avoir une bonne trentaine d’années arrive très tard, au moment où les papilles, fatiguées d’avoir bissé chacun des vins ont moins envie de battre un nouveau rappel. Je suis amoureux de ces saveurs simples, de pruneau, de quetsche ou de mirabelle. C’est cette entrée en scène presque en tomber de rideau qui explique qu’il fut le seul vin à n’être gratifié d’aucun vote.
Le vin le plus couronné est le Gruaud Larose 1928, suivi du Chambertin Drouhin 1949 et de l’Yquem 1983. Mon vote est le suivant : 1 – Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949, en 2 – Gruaud-Larose Sarget 1928, en 3 – le Rully premier cru Suremain 1984 et en 4 – Aloxe-Corton Pierre Olivier 1966.
La qualité de la cuisine et des sauces fut exceptionnelle. Le dosage des sauces fut totalement dans l’axe des vins. Nous avons pu ressentir des perfections gustatives d’un rare niveau. Le service d’une joyeuse brigade est légendaire. Jean-Claude Vrinat peut en être fier.