Archives de catégorie : académie des vins anciens

Dîner aux Ambassadeurs mardi, 7 décembre 2004

Je retins des fidèles d’entre les fidèles de l’Académie pour un dîner aux Ambassadeurs, sur l’élégante et technique cuisine de Jean-François Piège. L’agneau du Limousin se présenta avec une cuisson et des saveurs intenses de la plus belle qualité. Conseillé par l’un des fidèles et de plus ami, je choisis un Hermitage « Le Gréal » Marc Sorrel 1999, mais à aucun moment je n’eus le moindre plaisir, la bouteille souffrant du froid et d’un ton liégeux. Nous accueillîmes donc un Pommard « Les Rugiens » Hubert de Montille 1989. Comme le premier, ce vin apparut trop froid, ce qui n’est pas normal. Car on ne reçoit que la moitié du message qu’il émet. Bien sûr le palais exercé sait ce qui va venir, mais ce n’est qu’à la moitié de la bouteille que ce vin décline son identité, montre ses papiers, et déclare ses intentions. Magnifique travail dans le respect du terroir. C’est un Pommard comme on les aime, qui chante et lance de folles vocalises dans des prés romantiques. Sur un dessert au marron, j’essayai un Passito di Pantalleria « Bukkuram » de Bartoli 2001 flatteur mais pas encore structuré. C’est en fait un Rhum de 7 ans d’âge (ne riez pas, il est écrit : « vieux ») distillerie de Savanna à la Réunion, au goût magnifique, profond, sensuel, plus expressif encore en bouche qu’au nez, qui fit briller le dessert.

David Biraud que j’apprécie pour son talent va vite corriger ce problème de température. Il reste la belle impression d’un temple de la gastronomie qui promet de nous ravir de plus en plus.

La réunion pré-inaugurale de l’académie des vins anciens mardi, 7 décembre 2004

Dans les ors et les stucs de l’hôtel de Crillon, quarante amis s’étaient rassemblés à la demande de Nicolas de Rabaudy et moi-même pour parler du patrimoine des vins anciens. Il s’agissait d’évoquer la structure que je souhaite créer pour la mise en valeur et la compréhension des vins anciens. Ce parterre prestigieux, comptant des grands vignerons, des gens de presse, des habitués de mes dîners et des amateurs a accueilli avec chaleur ce projet, à mettre en place au courant de l’année 2005. J’y reviendrai sans doute. Mais parler de vins sans en boire eut été criminel. Se plaçant dès à présent dans l’esprit de ce que sera « l’Académie des vins anciens », qui publiera ses travaux, j’obtins que des dégustateurs bénévoles fassent le compte-rendu de dégustation de cette séance de travail pré inaugurale. Les rapports enrichiront les archives de cette Académie à naître.

Pour faire entrer chacun de plain pied dans un monde de saveurs ignorées, je fis servir d’abord un Saint-Raphaël des années 40. Les amertumes se sont estompées, les acidités se sont regroupées et on a en bouche un pur rancio de pleine maturité où l’écorce d’orange se fait discrète sur la finale en bouche. Un pur bonheur. Bernard Antony nous avait adressé des fromages de compétition : affinage parfait, maturité idéale. Mais ces fromages de haute personnalité occupent souvent le devant de la scène. Il n’était pas question ici de raffiner dans l’extrême détail mais de suggérer. Sur cet apéritif, une délicieuse fourme fut précieuse. De nombreux convives furent étonnés de l’extrême légèreté de cet apéritif pourtant puissant. La rondeur acquise était le signe que je voulais donner à cette docte assemblée.

Le Gewurztraminer Clos Zisser Sélection de Grains Nobles Klipfel 1976 a séduit toutes les tables. Quatre bouteilles furent ouvertes, fort heureusement assez homogènes de goût. Deux bouteilles avaient des robes très contrastées. L’une était de miel pur quand l’autre était dorée comme un coing. En bouche, une longueur extrême et des évocations subtiles où le pain d’épice, l’agrume mais aussi l’iode et le thé se mêlaient. Sur un cadeau royal, un Comté de l’automne 2000, donc de quatre ans d’âge, je fus surpris que l’intensité d’imprégnation du fromage puisse aussi bien se marier à l’élégance de ce prodigieux Alsace.

J’avais pris mes risques avec un double magnum de Château Meyney 1969. Il lui manquait un peu d’oxygène dans le verre, et quelques minutes plus tard, on découvrait des subtilités discrètes mais réelles à ce vin apparu un peu plat, un peu court, un peu coincé. Il fallait cependant que l’on eût ces témoignages qui s’inscrivent dans la démarche. Plusieurs dégustateurs attentifs eurent la récompense de leur patience, car lentement ce Saint-Estèphe accomplissait son éclosion, pour offrir une dentelle de belle facture.

Le Mazoyères Chambertin Grand Cru Camus Père et Fils 1989 montra fort opportunément qu’un vin jeune comme celui-là peut apparaître plus vieux que ses aînés. Belle subtilité un peu discrète, un peu aqueuse, et témoignage qu’il fallait découvrir. On le fit sur une tomme d’abondance du plus bel effet.

Il fallait évidemment terminer sur les saveurs qui me rendent fou d’amour. Un Banyuls Ermitage de Consolation Hors d’Age, qui a probablement cinquante à soixante ans enthousiasma notre groupe studieux. Ces saveurs toutes en rondeur, intégrées, mais imprégnantes de pruneaux, pâtes de fruits et confiture de mirabelle réjouissent l’âme. Et le délicieux Stilton très typé se mariait au mieux.

Riedel nous avait prêté les verres de dégustation parfaitement adaptés. J’ai signé mon livre à m’en fatiguer le poignet. Cette séance qui n’est pas inaugurale mais la prépare a permis de mesurer l’accueil fervent que recevra cette Académie, qui correspond à un réel besoin de compréhension et d’activation de ce trésor souvent enfoui dans des caves inertes.