2ème rendez-vous des vins matures à l’hôtel Shangri Lamardi, 29 novembre 2016

Hervé Bizeul, le vigneron du Clos des Fées, a eu l’idée de rassembler un groupe de 15 vignerons pour présenter à un public d’amateurs des vins qui sont prêts à boire et non pas de ceux qui sont mis sur le marché. J’ai évidemment applaudi cette initiative tant je suis triste que les amateurs boivent des vins qui ne sont pas encore formés, comme s’ils mangeaient des fraises vertes au lieu de rouges (on peut utilement se reporter sur ce sujet à mon bulletin N° 700). Je me suis mis à sa disposition et j’étais présent à la première réunion à l’hôtel Bristol il y a un an du « rendez-vous des vins matures ». Lorsqu’Hervé a annoncé la deuxième réunion, j’ai proposé d’offrir de ma cave quelques vins anciens à goûter, ne sachant pas comment je ferais, mais pour moi l’important comme disait Pierre de Coubertin, c’est de participer et d’aider cette belle cause.

J’ai choisi en cave plusieurs vins de tous horizons en prenant des vins qui résisteraient aux températures que l’on trouve dans les salles de dégustation.

Le jour venu je me présente à 9h30 à l’hôtel Shangri La de Paris, au salon Napoléon, alors que la réception commence à 11 heures et se tiendra jusqu’à 19 heures. Je n’ai jamais tenu de stand, je ne sais pas du tout comment ça va se passer. Ayant apporté huit bouteilles et trois magnums ce qui fait l’équivalent de 14 bouteilles pour sept heures, l’idée évidente est d’affecter deux bouteilles ou un magnum à chaque heure. Hervé m’avait proposé d’utiliser une salle privée pour une dégustation à quelques-uns à différents moments, mais il m’apparaît d’instinct qu’il vaut mieux se fondre dans l’atmosphère de la salle en tenant un stand comme les autres vignerons.

Pour faire un peu d’humour et ne pas se prendre au sérieux, dans la première demi-heure du salon, le plus grand succès de ma table, c’est son crachoir, car les visiteurs n’ayant aucun repère pour me situer, puisque je ne suis pas vigneron, assaillent les autres tables et trouvent commode de cracher dans ce crachoir disponible. Mais les choses ont changé à une allure extrême. Dès que l’on a su ce que je présentais, ma table est devenue l’une des plus animées. J’ai même été obligé de limiter à deux le nombre de vins que chacun pourrait goûter car si tous les vins étaient accessibles à tous, ils auraient été épuisés en très peu de temps.

Voici le programme à mon stand :

De 11h à 12h Château Brane Cantenac 1978 avec deux bouteilles dont l’une est plus précise que l’autre. Le vin est charmant, agréable, féminin comme un margaux, très convaincant pour montrer qu’un vin de près de 40 ans a encore du fruit, de la vivacité et développe une belle complexité. Il est évident que c’est un vin plus agréable à boire que s’il avait moins de dix ans.

De 12h à 13h Château Tertre Daugay Saint Emilion 1961 avec aussi deux bouteilles qui au nez à l’ouverture montraient des différences mais qui à la dégustation n’en ont plus. Très grand vin sans une once de tuilé, au parfum très délicat et apprécié par tous comme plus grand que le Brane Cantenac car profitant à fond de la grandeur de ce millésime indestructible.

De 13h à 14h Château Haut-Brion rouge Magnum 1992 que j’ai voulu mettre à cette dégustation pour montrer que les années qu’on annonce comme petites peuvent se révéler de vrais trésors quelques années plus tard. Evidemment, cette bouteille a eu beaucoup plus de demande que les autres parce que c’est Haut-Brion. Voir l’étonnement de tous les amateurs lorsqu’il s’aperçoivent qu’il y a une matière imposante dans un vin de 1992 avec un charme certain, j’avoue que c’est un grand plaisir pour moi, car je bouscule les codes.

De 14h à 15h    Château Chauvin Saint-Emilion Magnum 1975 ce vin impressionne moins les foules mais il se montre droit, équilibré, solide, facile à boire avec une belle vibration.

De 15h à 16h    Nuits-Saint-Georges Jean Confuron & Fils Magnum 1971. Le nez de ce vin a mis tout le monde K.O., mais moi aussi ! Ce parfum est une porte qui s’ouvre sur la Bourgogne. On sent le vin et on n’a plus besoin de rien. Toute l’âme de la Bourgogne pénètre nos narines. Pas un visiteur n’a été indifférent à la perfection de ce parfum. Le vin est un peu trouble, la couleur tend vers le rose clair et en bouche tout n’est que douceur. Il est même presque doucereux. Et l’on perçoit dans le finale la rose et le sel, signes distinctifs des vins de la Romanée Conti. J’ai eu du mal à refuser à des récidivistes pour qu’il reste un peu de ce vin pour les autres visiteurs.

De 16h à 17h    Cérons 1961. L’étiquette de ce vin est d’une simplicité totale, sans doute étiquette de caviste. La robe est claire, le niveau est dans le goulot malgré un bouchon court. Le vin est d’une douceur sans égale. Tout le monde est surpris de la palette aromatique de ce vin aux accents d’agrumes frais. Il est adorable.

De 17h à 18h    Château de Montredon Châteauneuf du Pape 1978 que j’ai dû servir bien avant 17 heures tant les visiteurs me supplient de l’offrir. Vif, très puissant, solidement charpenté, c’est un vin de conviction. Il avance à pas pressés. Mais il souffre de passer à côté du Nuits Saint Georges qui a tellement de charme. Un haltérophile fera moins vibrer les cœurs qu’un danseur étoile.

Tout le monde se demandait pourquoi ouvrir de tels vins en une telle manifestation et j’ai confirmé que c’est mon désir d’aider la reconnaissance des vins matures qui me pousse à aider l’initiative d’Hervé Bizeul. Le vin qui a émerveillé les visiteurs c’est le Nuits-Saint-Georges, gigantesque surprise pour tous.

A 18 heures j’ai précipité la dégustation des vins pour que rien ne reste. J’ai donné le reste du Montredon pour le dîner prévu des vignerons car j’étais épuisé par cette journée. Il faut un entraînement que je n’ai pas pour tenir un stand une journée entière.

Ce qui est intéressant, c’est qu’aucune de mes bouteilles ne fut à écarter, et aucun visiteur n’a fait la moindre grimace. J’ai fait face à des étonnements positifs, des divines surprises et à une approbation de cette démarche vers les vins anciens.

Tout à ma tâche, je n’ai pas pu profiter comme il conviendrait des stands des vignerons amis. J’ai bu des vins présentés par Pierre Rolly-Gassmann du domaine Rolly-Gassmann qui a présenté des vins dont un Gewurztraminer 1989 exceptionnel de fraîcheur.

De Philipponnat j’ai bu un champagne de 1995 absolument grandiose, qui m’a requinqué si j’avais une baisse de tonus. De Paul Jaboulet Aîné j’ai bu les Hermitage La Chapelle de 2004 et 1994 (je crois) que j’ai trouvés extrêmement bien construits. J’ai bu un ou deux autres vins, dont un Peyre Rose 2003 tout en grâce, mais on ne peut pas être au four et au moulin. J’avais mon stand, il fallait jouer le jeu.

Le public présent à ce rendez-vous des vins matures est un public averti et ouvert. Les discussions que j’ai eues avec les uns et les autres sont marquées par l’amour du vin et du bon vin. Je ne referai sans doute pas tous les ans une telle prestation, mais savoir que j’ai fait plaisir est extrêmement gratifiant.

Vive les vins matures. Longue vie à ces rendez-vous.

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