243ème dîner de wine-dinners au restaurant Maison Rostangvendredi, 13 mars 2020

Le 243ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Maison Rostang. Les vins ont été livrés il y a une semaine et redressés hier en cave par Jérémie, l’un des sommeliers. La circulation automobile étant fluide, je suis arrivé avant 16 heures. Il me faut gérer les vins à affecter au dîner car depuis hier trois inscrits ont annulé leur participation pour cause de crainte du coronavirus. J’enlève trois bouteilles et commence la cérémonie des ouvertures. Stéphane Manigold, le nouveau propriétaire du restaurant Michel Rostang, qu’il a acquis en partenariat avec le chef Nicolas Beaumann qui officie en cuisine depuis douze ans, vient me saluer et assiste à l’ouverture des vins. Les bouchons ne me posent pas de problème sauf un, celui du Musigny Tasteviné Hospices de Beaune Faiveley 1959 dont j’avais vu en préparant la livraison des vins en cave qu’il pourrait tomber dans le liquide. Au moment où je décapsule, le bouchon tombe. Je suis obligé de carafer le vin, d’extirper le bouchon de la bouteille et de carafer à nouveau le vin dans sa bouteille. Cette opération est très éloignée de l’oxygénation lente mais mérite d’être faite car le parfum du vin est prometteur et n’a pas été affecté par la faiblesse du bouchon, venu en charpie lorsque je l’ai retiré de la bouteille.

Les plus beaux parfums à l’ouverture sont le sauternes La Tour Blanche de 1928, le Meursault Goutte d’Or 1988, le Vega Sicilia 1974 et le Santenay Gravières 1928. Aucune odeur n’est rebutante. Je bavarde longuement avec Stéphane Manigold qui a deux autres restaurants dont les noms sont ceux de cuvées spéciales de la maison Jacques Selosse, clin d’œil à leur amitié. Lorsque les convives sont arrivés, sans se serrer la main et sans embrassade, virus oblige, Stéphane nous propose de nous offrir un champagne de bienvenue avant le premier champagne prévu au programme qu’il avait eu le temps de sentir. Dans le verre le champagne a une belle couleur ambrée d’un beau cuivre et n’a pratiquement aucune bulle. Stéphane me demande de deviner l’année et j’annonce : autour de 1990. C’est en fait une cuvée créée par Guillaume Selosse d’un vin nouveau : Champagne Guillaume S dégorgé en novembre 2017. Ce champagne est superbe, mature alors qu’il est jeune, et constitue une parfaite entrée en matière le champagne d’apéritif. Stéphane Manigold a eu une bonne intuition et m’a fait connaître cette cuvée originale de grand intérêt.

Nous sommes sept, avec une absence totale de parité. Un seul convive n’avait jamais assisté à l’un de ces dîners. Le champagne de bienvenue est un Champagne Dom Pérignon 1952. Il a été ouvert une demi-heure avant l’arrivée des convives et il a fallu extraire la lunule de bas de bouchon au tirebouchon. Le champagne est d’une couleur d’un or clair et la bulle est rare. Le vin est rond, solaire, joyeux, charmeur. C’est un champagne très équilibré. Le traditionnel toast à la truffe est fort goûteux mais ne donne pas un aussi bel accord que le très fort toast à la sardine, en symbiose totale avec le beau champagne. Les autres petits amuse-bouches que l’on prend debout font moins vibrer le Dom Pérignon 1952 qui se montre d’un très haut niveau.

Le menu mis au point avec le chef Nicolas Beaumann et réalisé par lui avec son équipe est : millefeuille Saint-Jacques et truffe / turbot confit et condiments, artichauts rôtis / homard bleu, topinambour fumé et jus de la presse / volaille de Bresse à la mode dauphinoise / canard au sang / saint-nectaire / soufflé à la truffe.

Le Champagne Salon 1982 ouvert en même temps que le Dom Pérignon avait un bouchon qui résistait aux efforts successifs de moi-même puis Jérémie le sommelier, puis Stéphane Manigold. C’est le chef lui-même, venu au secours, qui a su faire sortir le bouchon collé au goulot. Le champagne est à peine ambré, à la bulle présente. Au premier contact je trouve que ce champagne n’a pas la vivacité et la vibration que j’adore de ce millésime de Salon. Il est grand et complexe mais il lui manque le pep qu’il devrait offrir. La portion de Saint-Jacques est petite et un peu frustrante pour qu’on puisse jouir de l’accord pertinent coquille, truffe et Salon.

Le Meursault Goutte d’Or Domaine Monceau Boch Blanc 1988 est une très belle surprise, car il a une puissance olfactive extrême et une rondeur en bouche remarquable. Le poisson et les artichauts conviennent exactement au vin d’une largeur et d’une présence remarquables. C’est un grand vin qui se situe au-dessus de ce qu’on pourrait attendre.

A l’ouverture, le parfum du Château Palmer 1964 était très prometteur, annonçant une densité superbe. Le homard est exceptionnel et va former avec le margaux le plus bel accord du repas. Le vin est d’une rare élégance, ciselé et précis avec un joli grain de truffe. Vin à la fois élégant et puissant, noble à la longueur extrême, il va recueillir en fin de repas des votes qui sont un plébiscite.

Le Santenay Gravières Jessiaume Père et Fils 1928 est servi en même temps que l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988. Alors que soixante ans les séparent, les couleurs sont très proches, particulièrement jeune pour le 1928. En buvant les deux sur la délicieuse volaille, on voit que l’Echézeaux est plus noble et précis, mais que le Santenay a plus de présence, de cohérence et de charme, ce qui est dû à la perfection de son millésime qui ne cesse de se montrer éblouissant. Mes amis présents ne se sont pas laissé influencer par l’étiquette du plus noble des deux car les votes pencheront vers le Santenay, d’un velours charmeur comme seul 1928 peut en offrir.

Le Musigny Tasteviné Hospices de Beaune Faiveley 1959 a une couleur légèrement trouble du fait des transvasements qu’il a subi. Sa couleur est un peu tuilée. Il est agréable mais ne peut masquer une infime fatigue. Il est bon, mais n’a pas la pureté de goût des vins précédents. Le canard au sang est une merveille ce qui me pousse à faire servir le vin suivant normalement prévu pour le fromage.

Le Vega Sicilia Unico Ribeira del Duero 1974 avait à l’ouverture un nez surpuissant. Il m’éblouit maintenant par sa fraîcheur incroyable. On dirait un vin qui a moins de dix ans alors qu’il en a quarante-cinq. Je suis tellement frappé par sa jeunesse gouleyante et par sa fraîcheur vive que je le mettrai premier dans mon vote. Jamais je n’attendais une telle jeunesse dans ce grand vin.

La surprise de mes convives en voyant la bouteille de Château La Tour Blanche Sauternes 1928 m’a amusé. Ils ne voulaient pas croire qu’un vin aussi sombre, presque noir, puisse être un sauternes. Il a suffi qu’ils soient servis pour qu’ils s’extasient devant un vin au parfum ensorcelant. Qu’y at-il de plus parfumé qu’un grand sauternes ? Il est riche avec un caramel maîtrisé, des accents de fruits exotiques gourmands. C’est un magnifique sauternes riche et long en bouche. L’accord avec le soufflé à la truffe est possible, mais ce 1928 aurait gagné à se marier avec de la mangue, ce compagnon naturel des sauternes de cet âge.

Il est temps de voter, à sept pour désigner les quatre préférés de neuf vins. Le Palmer rafle la mise avec quatre votes de premier. La Tour Blanche est dans six feuilles de vote et a un vote de premier, comme le Santenay 1928 et le Vega Sicilia 1974.

Le vote du consensus est : 1 – Château Palmer 1964, 2 – Château La Tour Blanche Sauternes 1928, 3 – Santenay Gravières Jessiaume P et F 1928, 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988, 5 – Vega Sicilia Unico Ribeira del Duero 1974, 6 – Meursault Goutte d’Or Domaine Monceau Boch Blanc 1988.

Mon vote est : 1 – Vega Sicilia Unico Ribeira del Duero 1974, 2 – Santenay Gravières Jessiaume P et F 1928, 3 – Champagne Dom Pérignon 1952, 4 – Château La Tour Blanche Sauternes 1928.

Il est intéressant que dans les votes, les vins moins prestigieux comme le Santenay et le Meursault aient autant été cités.

La cuisine de Nicolas Beaumann est d’une très haute qualité et d’une exécution exemplaire. C’est de la grande cuisine. Ses sauces sont des régals. Le homard et le canard au sang méritent tous les éloges, mais aussi la chair du turbot et de la volaille. Le service de salle et de sommellerie est extrêmement attentif et motivé. Le fait d’être sept à table conduit à ce que tout le monde participe à la même discussion ce qui est fort agréable, d’autant que se sont révélées de nombreuses passions communes entre les participants.

Malgré la morosité contagieuse qui nous entoure, liée au virus, nous avons passé une excellente soirée.

 

Le vin offert par le restaurant pour notre entrée en matière

j’ai supposé 2017 comme année de dégorgement.

Les photos des vins en cave avec trois bouteilles qui n’ont pas été servies puisque nous étions trois de moins

de gauche à droite Vega Sicilia, Echézeaux DRC, Santenay, La Tour Blanche, Palmer, Meursault et Musigny

l’ananas a été remplacé par un soufflé à la truffe après discussion au dernier moment le jour même.

Ce qui est curieux dans ce vote c’est qu’un vin a soit un classement dans une zone de vote, soit rien. Le Palmer est soit premier soit non classé. L’Echézeaux est presque toujours second, La Tour Blanche presque toujours 3ème ou 4ème. Le Santenay est soit 1er une fois, soit second ou rien. Ceci veut dire que si on aime un vin au point de voter pour lui, on l’aime à un certain niveau. Très intéressant à constater.