215ème dîner de wine-dinners au restaurant Michel Rostangmardi, 23 mai 2017

Le 215ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Michel Rostang. J’étais venu il y a une semaine porter les vins du dîner qui ont reposé dans la cave du resturant et j’ai rencontré Nicolas Beaumann, le chef du restaurant, pour mettre au point le menu.

A 16h45 je me présente au restaurant pour l’ouverture des vins. Baptiste, sommelier qui va prochainement remplacer Alain, le fidèle et compétent sommelier qui va partir à la retraite, va assister à l’ouverture des vins et faire le service des vins ce soir.

Classiquement il y a des problèmes avec les bouchons anciens qui se résolvent dans le calme et la sérénité, mais j’ai eu une belle frayeur. En enlevant la capsule du Pétrus 1967, je constate que le bouchon avait baissé de trois bons centimètres, ce qui fait que le bas du bouchon se situe dans l’épaule, sous la base du goulot. Il est hautement probable qu’en voulant piquer la pointe du tirebouchon dans le liège, je vais faire tomber le bouchon dans le vin ce qui m’imposera de décanter la bouteille, la nettoyer pour transvaser le vin dans la bouteille lorsque le bouchon en aurait été sorti.

C’est une leçon de zénitude. Je fais tourner la pointe de mon long tirebouchon lentement sans vouloir percer et au bout d’une minute je sens une accroche possible. Je n’ai pas pointé vers le bas mais vers le côté et je peux alors enfoncer la pointe dans le bouchon sans celui-ci ne glisse vers le bas. Le bouchon est remonté entier, m’évitant des transvasements qui auraient chahuté le vin.

Les plus belles odeurs à l’ouverture sont celles du Pavie-Decesse 1945 qui est la définition absolue du parfum d’un saint-émilion, du Clos Sainte-Hune 1968 et de La Tâche 1958 si bourguignonne. Tous les autres fragrances sont encourageantes. Je ne détecte aucun problème ni aucun défaut. Je peux donc aller me promener dans un Paris souriant dès qu’il y a de beaux rayons de soleil.

Après la petite promenade je reviens au restaurant pour boire une bière artisanale faite à Paris, qui s’appelle « la Parisienne libérée », faite de malt d’orge Vienna et de houblon Aramis et qui titre 5°. Je demande au directeur de salle s’il y a quelque chose à grignoter, et le chef Nicolas qui entend ma demande me fait porter une tranche de pâté en croûte qui est à se damner tant elle est bonne et gourmande.

Les participants du dîner, tous ponctuels, sont dix dont neuf hommes et une femme qui annonce qu’elle ne boit pas mais en fait goûtera tous les vins. Seuls deux ou trois d’entre eux avaient déjà participé à l’un de mes dîners, au restaurant Guy Savoy.

Nous avons pour nous seuls la petite salle qui est proche de la cuisine que l’on voit à travers les vitres. Nous prenons l’apéritif debout, avec un Champagne Dom Pérignon 1998 qui est solide, sérieux, classique et passe-partout. Il est de plus en plus agréable avec le temps qui l’arrondit.

Le menu créé par Nicolas Beaumann est : Canapés et amuse-bouche / Tourteau décortiqué et caviar osciètre, consommé / Saint-pierre rôti et petites girolles étuvées, jus des arêtes au vin de merlot / Cœur de carré de veau, jus de veau, morilles farcies et pommes de terre fumées / Canette « Mieral » au sang, sauce vin rouge liée de son sang et au foie gras / Stilton / Ananas Victoria rôti et mousse légère de mangue, sablé breton.

Le Champagne Taittinger Collection Viera da Silva 1983 dans une bouteille opaque au bleu flashy marque un saut qualitatif majeur par rapport au champagne précédent. Le Dom Pérignon était jeune, ce champagne plus ambré est à maturité. Il est d’une longueur extrême et d’une complexité inimaginable. Il est gourmand et d’une persistance aromatique particulièrement affirmée. Ce champagne expressif conquiert mes convives qui sont étonnés qu’un champagne de 34 ans puisse avoir autant de qualités. Je n’ai pas retenu l’intitulé de l’amuse-bouche mais il a joué son rôle, mettant en valeur le délicieux champagne.

Le Clos Sainte-Hune Riesling Domaine Trimbach 1968 est une rareté. Je pense ne l’avoir jamais bu mais en fait je l’ai bu une fois il y a quatre ans en Autriche et le précédent était relativement fatigué. Celui-ci avait à l’ouverture un parfum très expressif. Il l’a toujours et ce qui est assez fou c’est que ce riesling me donne des évocations de  fruits rouges. C’est vraiment fou. On n’est plus dans la définition du riesling mais le vin vif et tranchant est très agréable à boire, avec une très forte personnalité difficile à définir.

Sur le tourteau au caviar dont j’ai trouvé que le caviar n’est pas assez mis en valeur, nous avons en même temps le Corton Charlemagne Domaine Bouchard Père et Fils 1956. Ce vin est superbe. La table va se diviser en deux entre ceux qui préféreront le Sainte-Hune et ceux qui préféreront le Corton-Charlemagne. L’ordonnateur du repas est dans le camp alsacien et je suis dans le camp bourguignon. Il me semble que l’accord se trouve plus sur le bourgogne très riche dont le parcours en bouche étale des complexités par strates successives. Il est très long, un peu poivré et l’accord se trouve surtout avec le délicieux consommé pris en gelée. Qu’un Corton Charlemagne 1956 soit de cette vive prestance est très étonnant. Les deux blancs racés et différents sont tous les deux de grand plaisir.

Le saint-pierre aux petites girolles est un plat de haute qualité qui crée un accord de première grandeur avec les deux bordeaux. Le Château Pavie-Decesse Saint-Emilion 1945 a une couleur qui surprend tout le monde, de sang de pigeon. Le nez est incroyablement profond, riche, et on sent l’influence du millésime exceptionnel. Le vin est parfait, complet, riche en bouche et les visages de tous les convives expriment leur étonnement. Comment un vin de 72 ans peut-il ne pas avoir d’âge et une plénitude si affirmée ?

Le Pétrus 1967 est un raffinement d’esthète. Il porte en lui le romantisme de son année. C’est un grand Pétrus, en suggestion mais aussi en profondeur. Il est long et précis mais mon cœur chavire plus pour le saint-émilion que pour le pomerol. L’accord avec le poisson est pertinent pour les deux vins.

Le veau à basse température est idéal pour les deux bourgognes. Le Musigny rouge Domaine Comte Georges de Vogüé 1979 est un vin lui aussi délicat. Il est jeune, d’un fruit suggéré et noble comme les Musigny de cette grande maison. Mais nos amours vont se concentrer sur le vin qui est associé au même plat.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1958 avait un superbe niveau dans la bouteille, à deux centimètres sous le bouchon qui est superbe, teinté de noir sur seulement trois millimètres ce qui est insignifiant. Le nez de ce vin est enivrant et tellement bourguignon. En bouche c’est l’extase car ce vin magnifie les aspects si caractéristiques des vins du domaine, la rose et le sel. Le vin est dans un état de grâce tel qu’il figurera dans les votes de tous les participants, et sept fois à la première place. L’accord avec le veau est raffiné car le plat a l’intelligence de se comporter en faire-valoir.

Le directeur de salle va nous préparer et servir le canard au sang, institution de la maison. Nous nous levons tous pour voir comment il presse la carcasse pour faire la sauce et comment il tranche les aiguillettes avec une dextérité rare. Le plat est lourd comme le plomb mais goûteux et le Châteauneuf du Pape Cuvée des Célestins Henri Bonneau 1988 s’en sort très bien car il n’est pas écrasé par le plat, même si le plat est le mâle dominant. C’est un très beau Châteauneuf fait par un vigneron d’exception dont je vénère la mémoire. Mais le vin est jeune malgré ses presque trente ans et retient moins notre attention.

Le Château Caillou Barsac 1934 est d’une jolie couleur claire. J’adore ce vin spontané, franc, de belle mâche et joyeux. Il accompagne le stilton avec grâce. Fort curieusement je serai le seul à le mettre parmi mes quatre préférés.

Le Château d’Yquem Sauternes 1916 provient d’une bouteille qui a été reconditionnés en 1989 au château. A l’ouverture, lorsque j’ai senti le vin, je me suis dit qu’il ne doit pas y avoir 100% de 1916 dans cette bouteille. Au moment de la dégustation sur le dessert à l’ananas, je constate que cet Yquem a toutes les chances d’être de 1916, mais avec probablement une petite ajoute d’un Yquem jeune pour faire le niveau. Il est agréable, peu botrytisé, ce qui est cohérent avec un 1916 qui aurait mangé une partie de son sucre. C’est un agréable sauternes mais il n’a pas la magie d’Yquem comme l’avait l’Yquem 1919 que trois convives avaient goûté lors d’un précédent repas.

Il est temps de voter. Nous sommes onze à voter pour les quatre vins que nous avons préférés parmi les onze vins servis. Comme cela se produit souvent, ce sont les vins les plus jeunes qui n’ont pas de votes. Neuf vins ont reçu des votes et le Dom Pérignon et le Châteauneuf-du-Pape n’en ont pas eu du fait de leur jeunesse. Il y a seulement trois vins qui ont été nommés premiers, car La Tâche a raflé la mise, avec sept votes de premier. La Tâche figure dans les onze votes. Le Pavie Decesse et le Pétrus ont eu chacun deux votes de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1958, 2 – Château Pavie-Decesse Saint-Emilion 1945, 3 – Corton Charlemagne Domaine Bouchard Père et Fils 1956, 4 – Pétrus 1967, 5 – Château d’Yquem Sauternes 1916, 6 – Champagne Taittinger Collection Viera da Silva 1983.

Mon vote est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1958, 2 – Château Pavie-Decesse Saint-Emilion 1945, 3 – Corton Charlemagne Domaine Bouchard Père et Fils 1956, 4 – Château Caillou Barsac 1934.

J’avais dans ma musette un Bas Armagnac Domaine Boingnères 1970 mis en bouteilles en 1989, alcool très expressif et profond qui a permis que nous continuions de deviser ensemble. La cuisine a été de très haut niveau. Les plats les plus brillants pour mettre en valeur les vins sont le saint-pierre pour les bordeaux et le veau pour les bourgognes. J’ai trouvé le caviar trop discret sur le tourteau alors que le consommé est magique pour les blancs. Et le dessert à l’ananas manquait un peu d’ananas et surtout de mâche,       car c’est un dessert que l’on grignote plus qu’on ne le déguste. Le service du vin de Baptiste a été impeccable. Le service de table parfait et les plats réussis. L’ambiance du restaurant est amicale et attentive. Tout a concouru pour faire de ce 215ème dîner un chaleureux dîner de grands vins.

la minute bière après l’ouverture des vins

le délicieux pâté en croute :

tous les vins en cave

tous les vins au restaurant

en haut bouchon du Chateauneuf, en bas à gauche le Caillou et à droite l’Yquem

de gauche à droite et de haut en bas dans chaque assiette : Corton Charlemagne, Clos Sainte-Hune, Pavie-Decesse, Pétrus, de Vogüé, La Tâche, Bonneau, Caillou, Yquem

les verres en fin de repas

les votes

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