18ème dîner des amis de Bipin Desai – 229ème dînerdimanche, 28 octobre 2018

C’est la 18ème année que j’organise un dîner de vignerons que l’on appelle le « dîner des amis de Bipin Desai », car c’est lui qui en a eu l’idée. C’est un grand collectionneur de vins californien d’origine indienne, organisateur de fantastiques dégustations verticales des plus grands domaines, et par ailleurs professeur de physique nucléaire à Berkeley. Ma tâche a été de recueillir, les inscriptions, recevoir les vins apportés par les vignerons et mettre au point le menu, grâce à Ghislain, très compétent sommelier, avec le chef du restaurant Laurent, Alain Pégouret. Le dîner étant organisé comme un de mes dîners sera le 229ème.

Nous sommes dix : Frédéric Barnier (maison Louis Jadot), Philippe Foreau (Clos Naudin), Marc Hugel (maison Hugel), Jean-Luc Pépin (domaine Comte Georges de Vogüé), Rodolphe Péters (champagnes Pierre Péters), Charles Philipponnat (champagnes Philipponnat), Pierre Trimbach (maison Trimbach), Aubert de Villaine (domaine de la Romanée Conti), Bipin Desai et moi.

A 16h30 j’ouvre les bouteilles qui, à peu d’exceptions, sont relativement jeunes. Je constate que presque tous les bouchons sont très serrés dans les goulots, demandant de grands efforts pour les extirper. Est-ce lié aux conditions météorologiques, je ne sais pas. Toutes les odeurs sont encourageantes, voire magiques.

L’apéritif se prend dans la belle rotonde de l’entrée du restaurant avec le Champagne Pierre Péters Cuvée Les Chétillons magnum 2002 dégorgé en 2012. Je l’avais fait ouvrir par Ghislain une heure et demie avant l’apéritif et malgré cela le champagne me paraît engoncé, un peu fermé. Mais il fallait les délicieux amuse-bouches pour le révéler. Ces amuse-bouches sont précis, sans chichi et très efficaces pour élargir le champagne. Rodolphe Péters dit que ce champagne de 16 ans commence à trouver son envol et l’ampleur qu’il doit avoir. C’est un grand blanc de blancs du Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs.

Nous passons à table. Le menu créé par Alain Pégouret est : Saint-Jacques marinées d’une mousseline d’huile d’olive citron caviar et poivre rouge de Pondichéry, gelée de concombre et menthe, tortilla guacamole / Oignon doux confit et caramélisé, crème légère de pomme ‘Charlotte’, truffe blanche d’Alba, parmesan et jaune coulant / Noix de ris de veau caramélisée au vinaigre balsamique de pomme, chips et mousseline de châtaigne, chanterelles et bacon au jus / Carré d’agneau de Lozère cuit sur une marinière, « grenailles » et crémeux d’artichauts et cristalline / Pomme reine des reinettes, yaourt de cassis, crème glacée à la bière / Financiers.

Le plat de Saint-Jacques est aérien. Il est accompagné d’un champagne et d’un vin blanc. Pierre Trimbach pense que le riesling fait un peu d’ombre au Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1996 dégorgé en 2010, mais nous sommes plusieurs à penser que les deux se fécondent mutuellement. Il y a beaucoup de ponts qui se créent entre le champagne et le Riesling Cuvée Frédéric Emile Trimbach magnum 1990. Le champagne fait à égalité de pinot noir et chardonnay a une belle personnalité. Il est vif. Le riesling a un parfum inouï. Ce parfum est conquérant. Le vin réussit ce miracle de paraître guerrier, envahisseur, mais aussi d’une grande élégance. Le riesling me séduit par son extrême précision. Il est frais. C’est un immense vin et Philippe Foreau fait remarquer que l’accord se trouve avec les petites notes de menthe du plat très frais. Je trouve que ce sont les dés de concombre qui créent le pont entre les deux, champagne et vin. Nous sommes ravis de cette belle association.

L’oignon est superbe et la truffe d’Alba dégage des parfums envoûtants. Le plat est accompagné de deux vins très disparates, alors qu’ils sont de la même année. Le Bâtard-Montrachet Grand Cru Louis Jadot magnum 1999 est comme le riesling un vin guerrier. Quand il est servi, il montre ses muscles, avec un parfum entêtant. Mais dès que le vin s’aère dans le verre, les subtilités apparaissent. Puissance et élégance sont ses deux forces.

Le Bourgogne Blanc Domaine Georges de Vogüé 1999 est en fait un Musigny blanc qui par humilité efface depuis 1991 son appellation tant que les vignes ne sont pas suffisamment vieilles. Il reprend son appellation à partir du millésime 2015. Ce vin plus discret que le Bâtard est d’une rare élégance. Il suggère plus qu’il n’affirme et montre son raffinement. L’accord est très intéressant, le Bâtard affrontant avec succès la truffe blanche alors que le vin de Vogüé se mesure gentiment avec les délicieux oignons et l’œuf très justifié pour la cohérence du plat.

Aubert de Villaine ayant lu le menu s’inquiète de l’apparition d’un vin doux qui risque de nuire aux deux vins rouges qui suivront. Philippe Foreau affirme que son Vouvray demi-sec Clos Naudin 2005 n’aura aucun effet négatif sur les rouges. Je demande en cuisine si l’on peut faire passer le plat des rouges avant le plat prévu, mais le service est lancé aussi je fais ouvrir une deuxième bouteille de Clos des Goisses 1996, que nous boirons après le vin de Loire et avant les rouges. Le vin de Loire fait assez simple au premier contact, mais il est comme une Bugatti qui a besoin de quelques minutes avant que le moteur aux innombrables cylindres ne chante sa symphonie. L’accord que m’avait suggéré Philippe Foreau, avec le ris de veau, est superbe. Le vin subtil est discret, d’un message d’amour courtois, et s’il est doux, il garde la bouche fraîche. Philippe avait raison, le palais n’est pas marqué et nous aurions pu passer aux vins rouges, mais il est plus prudent de ne pas tenter le diable.

La bouteille de Champagne Philipponnat Clos des Goisses 1996 dégorgé en 2010 est fondamentalement différente de la première alors qu’elles proviennent du même lot. Philippe Foreau suggère que la seconde bouteille serait plus dosée que la première et Charles Philipponnat est catégorique, il est impossible que le dosage soit différent. Le goût de ce champagne est plus riche, plus puissant, avec des fortes évocations d’amandes et de noisettes. Personnellement je préférais la première bouteille servie, mais les avis sont partagés.

Nos palais sont calibrés et arrive le carré d’agneau, choisi pour ne pas heurter les deux grands rouges. A l’ouverture à 17 heures, le Musigny Vieilles Vignes Domaine Georges de Vogüé 1970 m’avait conquis par son parfum d’une rare élégance, tout en suggestion. Or le vin que je bois maintenant fait un peu fatigué, plus évolué qu’il ne devrait. Mais il va faire une remontée fantastique, s’assembler, perdre ses voiles de maturité excessive pour redevenir galant. C’est un vin très charmant. Il est très fin, même dans cette année de petite renommée.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1964 a un fruit très jeune. Il est solide et charpenté et ne découvre que progressivement les complexités propres au domaine. C’est un vin d’une grande palette de saveurs, qu’il décline élégamment. Aucun des deux vins ne nuit à l’autre et nous bénéficions de deux expressions bourguignonnes d’un grand talent. Comme nous buvons de large soif je demande qu’on ne serve pas de fromage car il n’y aura pas assez de vin. Fort opportunément aucun fromage n’était inscrit sur nos menus alors qu’il en était prévu. Malgré quelques souhaits exprimés, nous passons directement au dessert.

Le Riesling Vendanges Tardives Sélection Personnelle de Jean Hugel 1935 est annoncé par Marc Hugel comme étant très sec et bien qu’il soit de vendanges tardives, il est effectivement très sec. Ce vin est une merveille de subtilité. On pourrait faire un repas avec ce vin seul, pour explorer sa capacité enthousiasmante à épouser la gastronomie. Ce vin est un vin de recueillement. Il me procure une émotion très forte.

Le Vouvray Goutte d’Or moelleux Clos Naudin 1947 à la couleur extrêmement ambrée est tout l’inverse du précédent. Il est absolument fantastique dans des notes très fortes où Philippe Foreau trouve des évocations d’une imagination invraisemblable, comme le cheval qui revient à l’écurie, alors que je trouve sous son message très torréfié, presque de mélasse, des notes de thé. Ce vin est un tonitruant prodige de douceurs gourmandes. On peut passer d’un vin à l’autre, chacun offrant des sensations admirables.

J’avais raconté en début de repas que grâce à Etienne Hugel, frère de Marc Hugel, j’avais eu la chance de boire un Constantia d’Afrique du Sud de 1791 appartenant à Jean Hugel. La présence de Marc m’a donné envie d’ouvrir pour mes amis vignerons un Red Constantia J.P. Cloete Great Constantia Afrique du Sud vers 1860, le vins des rois, des empereurs et des tsars, le vin le plus mythique qui soit. A l’ouverture, j’avais été tétanisé par la perfection de son parfum. Ce vin, c’est mon Graal, ma recherche, mon amour. Il est riche, poivré, avec une acidité extrême et porteuse, et il a tenu les 158 ans de sa vie sans prendre une ride. Sa longueur est infinie et sa persistance aromatique l’est aussi. Il est gras/sec. Je jouis de ce vin parfait et je suis particulièrement heureux que mes amis l’aiment, car qui mieux qu’eux pourrait apprécier ces saveurs éternelles ?

Dans la jolie salle à manger du restaurant Laurent nous avons eu une belle table mais la forme a rendu très difficile d’avoir des conversations communes. Trois ou quatre petits groupes de discussion se sont formés sauf quand il fallait adresser un message général et les ailes opposées ne pouvaient se parler. Aussi, quand nous nous sommes levés, les conversations ont continué très tard, tant chacun était heureux de ce dîner d’amitié.

Le chef a fait une cuisine inspirée, d’une grande délicatesse et sans goûts parasites qui heurtent les vins. Le service des plats et des vins a été très attentif et intelligent. Nous nous sommes quittés heureux d’avoir partagé un grand moment d’amitié avec des vins qui sont les plus belles expressions de domaines prestigieux, représentés par ceux qui les incarnent. Chacun n’a qu’une envie, c’est de revenir dans un an.

Comment est-ce possible que ce vin blanc contienne du poisson ?

c’est assez amusant de voir un vin de 1935 avec un bouchon qui porte l’adresse du site web du domaine !

les bouteilles sauf les Vouvray dans ma cave

les bouteilles au complet dans le restaurant

quand on regarde la table, on voit que les viticulteurs boivent jusqu’à la dernière goutte !